Les Etats-Unis peuvent-ils retrouver la croissance annoncée par la Réserve Fédérale ?

par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis

La Réserve Fédérale a publié en juillet 2009 ses dernières prévisions de croissance pour les Etats-Unis : en 2009, de -1,0 à -1,5 % ; en 2010, de 2,1 à 3,3 % ; en 2011, de 3,8 à 4,6 % ; à long terme, de 2,5 à 2,7 %.

Ces prévisions, qui permettent d’espérer une baisse du chômage et des déficits publics dès 2010 et fortement dès 2011, nous paraissent totalement irréalistes et simplement copiées des reprises économiques du passé.

Elles supposent :

  • du coté des entreprises, le retour d’une accumulation rapide de capital financée par la dette, alors que de nombreux secteurs perdent durablement de la capacité et que les primes de risque ont beaucoup augmenté
  • du coté des ménages, une reprise de l’endettement, malgré l’expérience des défauts de 2008-2009, malgré la baisse des pris des actifs et de la richesse, malgré le niveau très élevé d’endettement atteint, malgré les difficultés prévisibles de la titrisation. Une nouvelle baisse du taux d’épargne des ménages conduirait de plus à une réouverture du déficit extérieur difficile à financer ;
  • le maintien de gains de productivité aussi élevés qu’avant la crise, malgré le recul de l’investissement. 

De plus, même si les taux d’intérêt de la Réserve Fédérale restent bas, nous attendons après la crise des taux d’intérêt à long terme supérieurs au taux de croissance, donc un environnement financier nettement moins favorable à la croissance, au crédit et à la hausse des prix des actifs.

1- Des prévisions de croissance après la récession simplement copiées du passé

Le tableau 1 est repris des Minutes de la Réserve Fédérale publiées en juillet 2009. Il montre une croissance attendue extrêmement forte dès 2010 et surtout 2011, avec un passage de la croissance presque 2 points au dessus de la croissance de long terme.

Ce type de surajustement de la croissance s’observait effectivement dans le passé après les récessions : 1972, 1976, 1984, 1996, 2003.

Mais nous voyons déjà ici qu’il correspondait aussi à un redémarrage du crédit qui amplifiait la reprise et dont nous ne pensons pas qu’il puisse avoir lieu aujourd’hui (nous revenons sur ce point plus loin) : le crédit est sur une pente de croissance de 15 % par an environ en 1973, 1977, 1984, 13 % en 2004-2005.

Nous trouvons donc les prévisions de croissance de la Réserve Fédérale totalement irréalistes, et nous pensons qu’il faut attendre une croissance beaucoup plus faible. xxxxxxxxxxxx Une croissance forte comme celle prévue par la Réserve Fédérale aurait évidement beaucoup d’avantages :

  • diminution rapide dès 2010 du chômage ; 
  • réduction rapide dès 2010 du déficit public.

2- Le côté des entreprises

Pour que la croissance puisse redevenir très supérieure à la croissance de long terme, il faut d’abord une forte reprise de l’investissement des entreprises, comme en 1973, 1977, 1984, 1993, 1997, 2005.

Cette reprise forte de l’investissement des entreprises nous paraît peu crédible

  • certains secteurs vont souffrir durablement d’une perte importante d’activité (construction, finance, automobile, industrie globalement) donc vont détruire de la capacité
  • une reprise de l’endettement des entreprises est peu probable avec la hausse des primes de risque et la plus grande prudence des banques après la hausse des défauts.

3- Le côté des ménages

Une reprise forte de la consommation des ménages et de l’investissement logement (comme en 1976, 1983, 1992, 2003) nécessiterait une reprise du crédit aux ménages ou, de manière équivalente, une baisse à nouveau du taux d’épargne. A chaque fois, dans le passé, il y a bien, au moment de la reprise de la demande des ménages, accélération du crédit et baisse du taux d’épargne.

Cette reprise de l’endettement des ménages américains nous parait très improbable :

  • compte tenu du niveau d’endettement atteint et des taux de défaut que ce niveau a impliqué ;
  • compte tenu des pertes de richesse dues au recul du prix des actifs ;
  • compte tenu des difficultés de la titrisation qui freinent l’offre de crédit bancaire.

4- Quelques problèmes de long terme

Le caractère très improbable d’une reprise forte du crédit et donc de la demande des entreprises et des ménages américains rend donc irréalistes les prévisions de croissance de la Réserve Fédérale. 

A cela s’ajoute quelques problèmes de long terme :

  • est-on certain que les gains de productivité tendanciels vont rester aussi élevés que dans le passé, si le taux d’investissement est plus bas, la vitesse de renouvellement du capital plus faible ? La croissance de long terme peut aussi avoir été affectée par la crise ;
  • une baisse du taux d’épargne des ménages conduirait à une réouverture du déficit extérieur des Etats-Unis, difficile à financer alors que les investisseurs étrangers ont arrêté d’acheter des obligations d’entreprise (ce qui inclut les ABS, les produits structurés…), aux Etats-Unis ;
  • les taux d’intérêt à long terme, qui ont été durablement inférieurs au taux de croissance dans le passé, pourraient devenir durablement supérieurs au taux de croissance en réaction aux déficits publics

L’estimation économétrique montre qu’une hausse de 1 point du déficit public par rapport au PIB entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de 23 points de base aux Etats-Unis du taux d’intérêt à long terme.

Au total, pour toutes ces raisons (absence de reprise du crédit aux ménages et aux entreprises, pentification de la courbe des taux d’intérêt, difficulté à croire à une diminution à nouveau du taux d’épargne des ménages), nous pensons qu’il faut anticiper une croissance beaucoup plus modeste aux Etats-Unis que celle prévue par la Réserve Fédérale.

Cette évolution de plus s’auto-entretient puisque croissance faible implique chômage élevé, donc consommation faible, et déficit s publics élevés, donc courbe des taux d’intérêt plus pentue.

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