Le temps des catastrophes ?

par Sebastian Paris-Horvitz, directeur de la stratégie d’investissement d’Axa IM

Depuis le début l’année, les éléments semblent se déchaîner. Tremblements de terre, tsunamis et maintenant des éruptions volcaniques causant soit d’épouvantables dévastations ou paralysant l’activité économique. Pour les Cassandres, adeptes de présages et d’histoires ésotériques, tout ceci n’est qu’un avant-goût de temps à venir encore plus terribles. Plane ainsi la fatalité inscrite dans le calendrier Maya qui prédit au terme d’un cycle de 5200 ans, correspondant à la fin 2012, une transformation radicale… voire la fin du monde.

Qui sait pourquoi nous avons une telle fascination pour les catastrophes, et surtout leur fiction qui attire tant de monde dans les salles de cinéma ? La réalité de celles avérées est nettement moins réjouissante. Le coût humain et économique des catastrophes peut s’avérer considérable. Aujourd’hui, alors que l’économie mondiale, et européenne en particulier, se réveille difficilement, il est légitime de s’inquiéter des conséquences que pourrait avoir l’éruption du volcan islandais sur l’activité en bloquant l’espace aérien européen.

Nous retraçons ici les derniers événements, essayons d’apporter quelques éléments d’évaluation quant à l’impact possible de l’éruption volcanique sur l’économie mondiale et offrons une réflexion sur notre capacité à prévenir les catastrophes et à s’en protéger.

Le temps des catastrophes ?

L’année 2010 commence bien mal. Depuis plus de cent ans, Haïti n’avait pas connu de tremblement aussi dévastateur (plus de 200 000 morts). Puis, le Chili enregistre l’un des séismes les plus importants des dernières décennies (magnitude 8,8), suivi par un autre en Chine qui, bien que moins dévastateur que celui qui a touché le Sichuan (plus de 85 000 morts) en 2008, a été terrible (près de 2 000 morts). Maintenant, c’est en Islande, qu’un volcan endormi depuis 1823 se réveille. L’Eyjafjöll ne fait pas de victimes mais par les projections de cendres qu’il envoie dans l’atmosphère il paralyse l’espace aérien européen.

Est-ce que ce déchaînement de la nature annonce le temps des catastrophes ? Nous sommes bien incapables de répondre à une telle question. Toutefois, en ce qui concerne l’activité tellurique, les sismologues constatent que ce début d’année s’inscrit dans la moyenne historique. Depuis 1900, la terre a connu seize tremblements de magnitude 7 ou plus chaque année. Avec quatre depuis le début année, nous nous trouvons donc bien dans la moyenne. Néanmoins, alors que 1986 et 1989 n’en n’affichaient que six, l’année 1943 en a compté 32 ! Espérons que 2010 finira en dessous de la moyenne et, surtout, que nous n’aurons plus à déplorer plus de victimes. Pour ce qui est de l’activité volcanique, il n’existe pas d’estimation. Néanmoins, l’éruption de l’Eyjafjöll inquiète d’autant plus que la dernière avait duré de décembre 1821 à janvier 1823 et surtout qu’elle avait été suivie par celle du Katla, volcan surmonté lui aussi d’un glacier, mais beaucoup plus important que son voisin.

Quel impact de l’éruption volcanique ?

Les projections de cendres du volcan ont paralysé le trafic aérien européen depuis le 16 avril. En effet, celles-ci risquent apparemment d’endommager les réacteurs des avions créant ainsi un risque conséquent d’accident. Le principe de précaution à conduit à arrêter tout trafic.

Malgré les options de transport alternatives par voie de terre ou l’intensification des vols vers des zones épargnées par le nuage de cendres, des milliers de voyageurs sont dans l’incapacité de se déplacer et des tonnes de marchandises ne peuvent être acheminées. Quel coût cela peut-il représenter ? Concernant le transport des personnes, comme l’indique une recherche de Royal Bank of Scotland, nous pouvons considérer, à partir de l’estimation de l’ACI Europe (Airports Council International) de près de 7 millions de personnes affectées par l’interruption des vols au 18 avril, que seulement un tiers d’entre elles ait absolument à se déplacer pour reprendre le travail. Soit à partir de l’estimation du PIB moyen par tête, on peut estimer que la valeur de la production perdue par jour serait de 0,5 md EUR Sur les quatre jours ouvrés depuis le début de cette crise cela représenterait une perte de 2 mds EUR (moins de 0,02 point du PIB européen). Ceci nous semble d’ailleurs une fourchette haute car on peut penser que, sur une période aussi courte, des effets de substitution peuvent se manifester et que les voies de contournement (voies de transport alternatives) existent. En ce qui concerne les marchandises, le chiffrage est plus complexe, car en grande partie des alternatives terrestres peuvent être utilisées.

Aussi, la part du transport des marchandises par voie aérienne est relativement faible comparée au transport maritime et terrestre au niveau mondial. En 2007, ce sont 8 milliards de tonnes pour le fret maritime contre moins de 30 millions pour le fret aérien. Néanmoins, il est important de noter que, concernant le commerce de l’Europe avec les Etats-Unis, la part du fret aérien est loin d’être négligeable, vu qu’en valeur il est presque comparable à celui par voie maritime. Pour la Chine, le transport maritime représente le double de celui par voie aérienne. Au total, quel coût ceci a et aura sur l’économie européenne déjà fragilisée par la crise et jusqu’ici portée dans la reprise par le commerce extérieur ? A ce stade, il est difficile de l’évaluer avec exactitude, mais les prochaines statistiques de commerce devraient nous donner une première réponse.

Du point de vu sectoriel, les premiers perdants de la crise sont les compagnies aériennes. Selon certaines estimations, les pertes cumulées pour elles pourraient être déjà supérieures à celles du 11 Septembre 2001 qui avait vu le ciel aérien fermé pendant trois jours par crainte d’attentats. La IATA (International Air Transport Association) estime, au niveau mondial, à 300 mn USD les pertes journalières. Un prolongement notable de la paralysie mettrait sans doute en péril la survie de nombreuses compagnies aériennes, en Europe notamment.

C’est en partie devant ces coûts économiques et aussi les tests effectués par certaines compagnies dans le ciel européen (une quarantaine de vols non commerciaux) qui n’ont pas détecté d’anomalie particulière, que les ministres de transport européens ont décidé de rouvrir graduellement l’espace européen à partir du 20 avril. Si cette dynamique de normalisation venait à se poursuivre, c’est qui est le plus probable, les scénarios les plus catastrophistes disparaîtront sous les cendres du volcan.

La reprise devrait poursuivre… mais l’Europe est davantage à la traîne

Ainsi, si les dislocations cessent ou s’atténuent grandement dans les jours qui viennent, ce choc, bien qu’il nous frappe à un bien mauvais moment, n’est pas susceptible d’enrayer la machinerie mondiale et provoquer la rechute brutale de l’activité. L’élan du commerce mondial devrait se poursuivre et confirmer la dynamique de reprise des derniers trimestres.

Néanmoins, ce choc, en frappant plus durement l’Europe, risque d’accentuer le retard de la zone dans le retour de la croissance. Nos prévisions plaçaient déjà la zone euro dans le peloton de queue de la croissance mondiale (1,2% en 2010) et ceci risque d’accentuer, même si c’est à la marge, cette situation. Dans ce cadre, les baisses du prix du pétrole et de l’euro, si elles venaient à durer, seraient une bonne nouvelle susceptible de compenser en partie les effets néfastes du choc d’offre associé à la paralysie aérienne.

Qui nous protège ?

Les coûts économiques associés à cet événement mettent comme toujours en évidence la fragilité de nos économies de réseaux face aux mauvaises surprises que nous réserve le Terre. Il est possible de réduire ces fragilités en s’adaptant mieux à un environnement à risque. Nous le savons, par exemple, dans le cas des zones sismiques, des constructions adaptées et des plans d’évacuations adéquates peuvent atténuer grandement les coûts, notamment humains. Le risque volcanique lié à la projection de particules, une terrible nouveauté, semble nous avoir pris un peu au dépourvu. On peut imaginer qu’il serait possible de prévoir des plans de contingence visant à dérouter de manière plus efficace le transport des personnes et des biens afin de minimiser les dislocations éventuelles. Clairement, aujourd’hui, une telle éventualité n’existe pas. Néanmoins, des coûts subsisteraient. Et comme souvent dans le cas de catastrophes naturelles, la possibilité de s’assurer contre de tels risques est soit impossible ou d’un coût exorbitant.

Outre les mesures techniques ou organisationnelles permettant d’atténuer les coûts associés aux catastrophes, pouvoir avoir accès à des dispositifs assurantiels devrait être encouragé. Toutefois, la dimension des risques et le caractère, par définition, imprévisible des catastrophes naturelles rendent difficile la possibilité d’une offre d’assurance privée à un coût raisonnable. La capacité que peuvent offrir les marchés financiers de gonfler la base de capital permettant de couvrir de telles catastrophes tout en diversifiant les risques devrait être une piste prometteuse en ce sens. L’essor ces dernières années des émissions de CAT bonds (« obligations associés aux risques de catastrophe ») est un bon exemple des possibilités de développement.

Beaucoup d’inconnues entourent l’avenir, mais les catastrophes naturelles sont certaines de nous surprendre encore. La finance peut nous donner les moyens de mieux nous protéger contre les mauvaises humeurs de mère nature.

Conclusions

En ce début d’année, les manifestations de la nature, avec parfois de lourdes pertes humaines, nous accablent. Toutefois, rien ne semble indiquer que ces événements sortent des normes historiques. L’éruption du volcan Eyjafjöll, en paralysant une grande partie du transport aérien européen, fait peser des doutes sur la croissance. Si, comme cela semble être le cas, le trafic aérien reprend rapidement, les coûts économiques devraient être relativement faibles et peu susceptibles de faire dérailler la reprise mondiale. Toutefois, en touchant plus spécifiquement l’Europe, ces événements fragilisent davantage la zone déjà dans le peloton de queue de la croissance.

Par ailleurs, la mauvaise humeur de mère nature nous rappelle la fragilité de nos économies devant ces événements et les coûts potentiellement très élevés. De ce fait, ceci souligne le besoin de mieux nous protéger contre ces risques et, notamment, de développer la capacité de pouvoir nous assurer. La finance pourrait y contribuer.