Les émergents en direct et plus du fond de son lit

par Charles Dautresme, Stratégiste chez Axa IM

  • Investir dans des valeurs européennes fortement exposées aux émergents ne permet plus de surperformer le MSCI Europe.
  • La valorisation d’une telle stratégie est plus élevée que le MSCI Europe et celle des marchés émergents.
  • Cette stratégie d’investissement indirect étant une stratégie sur-jouée, nous recommandons dorénavant d’investir directement dans les marchés émergents.

 

Nous soutenons depuis longtemps l’investissement dans les pays émergents. Dès janvier 2008, nous suggérions que les investisseurs s’intéressent aux marchés émergents au travers de valeurs européennes fortement exposées aux économies en développement. Bien que cette stratégie ait été profitable pendant deux ans, elle l’est moins en 2010.

Quelles sont les raisons de la sous-performance récente de cette stratégie? Dans cette note, nous nous penchons sur les sources du rebond des marchés émergents et identifions les meilleurs véhicules pour investir dans les pays émergents.

Surpondération des marchés émergents

Nous pensons toujours que les marchés émergents constituent un des meilleurs thèmes d’investissement. Les indicateurs avancés chinois ont récemment rebondi comme en témoigne le PMI manufacturier et les chiffres d’importation de septembre.

Nous sommes récemment passé à surpondéré sur les pays émergents car nous pensons qu’ils constituent un placement attrayant, la Chine ayant montré des signes de ré-accélération économique.

De plus, la croissance des ventes au détail est revenu à ses niveaux d’avant crise et la croissance du crédit est bien plus forte dans les marchés en développement que dans les pays développés où les circuits de financement n’ont pas repris leur mode de fonctionnement normal.

Certains soulignent que, contrairement aux pays développés, la politique monétaire est devenue moins accommodante dans ces pays en réaction à l’accélération de l’inflation. Même si cela est vrai, nous considérons cette phase initiale de resserrement comme une indication de la vigueur de la reprise plutôt que comme une faiblesse. De plus, l’objectif de ce resserrement monétaire est de ralentir la croissance des pays émergents vers leur croissance potentielle, qui elle restera bien supérieure au pic de croissance des pays développés (2,6% de croissance attendue aux Etats-Unis en 2010). Nous nous attendons à une croissance de 9% en Chine en 2011 (contre 10% en 2010) et de 7% en Asie hors Japon (contre 7,8%). Pour le Brésil, la croissance devrait être de 5% l’année prochaine, contre 7% en 2010, et pour la Russie, de 3,5%, contre 4,8% cette année1.

Sous-performance de la stratégie indirecte

Une de nos stratégies préférée pour investir dans les pays émergents a été de retenir des valeurs européennes fortement exposées à ces marchés. Cette manœuvre devait permettre de capturer la croissance tout en réduisant la volatilité.

Depuis le début de la reprise actuelle, cette stratégie a très largement surperformé le MSCI Europe (de plus de 1000 pdb) et a, jusqu’à récemment, suivi de près le MSCI Monde émergent (GEM).

En 2008, la stratégie adoptée surperformait le MSCI Europe et le MSCI GEM, respectivement de 200pdb et de plus de 900pdb. En 2009, le MSCI Europe était surperformé de près de 130pdb, tandis que le MSCI GEM était sous-performé de 2800pdb. En 2010, notre stratégie ne surperforme plus le MSCI Europe, avec une croissance respectivement de 5,1% contre 7,9%. Quant au MSCI GEM, il est en hausse de 17,7%.

Problème d’un secteur ou d’une seule valeur ?

Notre panier de 67 valeurs est davantage exposé aux secteurs liés aux matières premières que le MSCI Europe. Cela est vrai aussi par rapport au MSCI GEM, mais dans une moindre mesure. Les « Materials » et l’énergie composent 32% de notre panier de valeurs européennes fortement exposées aux marchés émergents, contre 28% pour le MSCI GEM. Les autres secteurs ont une pondération similaire dans l’indice GEM et notre panier, à l’exception de la consommation non cyclique qui représente 7% du premier et 22% du second. Par conséquent, en l’absence de biais sectoriel majeur, la différence de performance devrait essentiellement provenir de la sélection des valeurs.

En effet, BP représentait en début d’année 9,2% de la capitalisation totale de notre panier, contre 2% pour le MSCI Europe et, évidemment, pas d’exposition pour le MSCI GEM. Depuis le début de l’année, BP a perdu 28% de sa valeur dans un marché haussier. De fait, l’exclusion de la valeur BP de notre panier entraîne une surperformance de 30pdb par rapport au MSCI Europe depuis janvier 2010. Cependant, même en excluant l’impact de BP, il semble que notre stratégie ait récemment perdu de son efficacité.

Une stratégie indirecte trop onéreuse

Qu’en est-il de la valorisation ? Début 2008, celle de notre stratégie (basée sur le P/E) était sensiblement identique à celle du MSCI Europe (14,4 fois les bénéfices contre 13,3). Actuellement, notre portefeuille est beaucoup plus cher avec un P/E de 17,5 (contre 14,8 pour les MSCI Europe et GEM). Par conséquent, notre panier de valeurs à forte exposition au marché émergent a perdu son attrait en termes de valorisation.

L’attrait relatif des marchés émergents

Depuis le rebond des marchés, avec une croissance de 73%, l’Asie hors Japon est à la traîne des autres régions en développement (95% pour l’Amérique latine et 105% pour l’Europe de l’Est)2. La hausse de l’inflation et des prix des matières premières a profité aux pays riches de ces régions et a handicapé les régions en demande, telle l’Asie. L’énergie et les « Materials » représentent 46% de la capitalisation totale des marchés d’Europe de l’Est, contre 49% en Amérique latine et seulement 16% pour l’Asie hors Japon.

Les différences régionales entre Europe de l’Est et Asie hors Japon ont toutefois diminué depuis le début de l’année. Les deux régions ont enregistré une croissance de 18%, contre 13,5% pour l’Amérique latine. Alors que les primes de risque des marchés émergents sont retombées de leurs pics historiques, elles demeurent toutefois bien au dessus de leur moyenne de long terme : 12,9% en Europe de l’Est pour une moyenne de 7,2% et 8,3% en Asie Pacifique hors Japon pour une moyenne de 5,4%3 . Nous ne disposons malheureusement pas de données fiables sur les primes de risque de long terme d’Amérique latine. A près de 2 écarts-type au dessus de sa moyenne de long terme, la région Asie hors Japon est la région la moins chère.

Conclusions

Nous avons récemment relevé notre position sur les marchés émergents à surpondéré sur la base de l’amélioration des perspectives de croissance des pays émergents et de valorisations attrayantes. Nous recommandons également aux investisseurs d’accroître leur exposition à l’Asie hors Japon qui devrait être la source principale de croissance des émergents et affiche une valorisation attrayante.

Par le passé, nous avons suggéré aux investisseurs de s’exposer plus indirectement aux marchés émergents en s’intéressant aux valeurs européennes fortement influencées par les régions en développement. Après une surperformance de cette stratégie lors des deux années précédentes, notre stratégie a depuis perdu de son dynamisme et les valorisations sont devenues trop riches. Nous recommandons par conséquent aux investisseurs de revenir directement sur les marchés émergents.

NOTES

  1. Prévisions AXA IM
  2. Source : MSCI
  3. Estimations AXA IM