par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas
Le réchauffement climatique constitue un sujet de préoccupation majeur pour l’économie mondiale. Le laisser-faire en l’occurrence pourrait avoir de graves conséquences pour la vie sur terre. Lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été mise en place pour empêcher toute perturbation anthropique "dangereuse" du système climatique. Depuis 1995, où la convention avait été ratifiée par plus de cinquante pays, les signataires se sont rencontrés chaque année dans le cadre de ce qu’il a été convenu d’appeler la « Conférence des Parties ». Lors de la troisième conférence à Kyoto en 1997, le protocole dit de Kyoto a été adopté.
La quinzième « Conférence des Parties » se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre. L’objet de cette réunion est de décider de la suite à donner au Protocole de Kyoto à l’expiration de la première période d’engagement en 2013. Si les experts s’accordent à reconnaître la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au cours des prochaines décennies, ils divergent sur l’importance des mesures à mettre en œuvre à cet effet, sur leur répartition entre le monde développé et le monde en développement, sur le financement des réductions des émissions dans les pays en développement et sur l’organisation de ces réductions au niveau mondial.
Les modèles de changement climatique, tels que ceux utilisés par le groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC), permettent d’analyser les dangers y afférents, en donnant un aperçu sur les risques encourus. Toutefois, les résultats de ces modèles sont largement tributaires d’une distribution de probabilités en grande partie inconnue. Nombre de scientifiques craignent que le risque d’événements extrêmes comme les catastrophes soit relativement élevé. Au-delà d’un certain “point de bascule” qui reste à déterminer, le réchauffement climatique pourrait échapper à tout contrôle en raison des effets liés aux rétroactions. Pour éviter cela, il est impératif de mettre en œuvre, dans les meilleurs délais, des politiques de l’environnement rigoureuses.
Il n’est pas difficile d’élaborer des politiques efficaces au niveau macroéconomique. En termes économiques, les GES sont des externalités dans la mesure où les producteurs de ces gaz les rejettent gratuitement dans l’atmosphère. Le plus logique serait d’intégrer ces effets externes, en donnant au carbone un prix dans le cadre d’un système « cap-and-trade » de plafonnement des émissions et d’échange des droits d’émission ou par la mise en place d’une taxe carbone.
En fixant le prix du carbone à un niveau suffisamment élevé, les objectifs en matière d’émissions de carbone ont de bonnes chances d’être atteints, tout au moins en théorie. De plus, comme nous le verrons, les politiques de réduction des émissions sont de nature à améliorer le bien-être de tous.
Toutefois, les politiques de l’environnement posent de graves problèmes d’équité. La tâche la plus délicate de la Conférence de Copenhague consistera précisément à y apporter des solutions. Pour le moment, le niveau des émissions par habitant dans les pays industrialisés est nettement supérieur à celui des pays en développement. Cependant, le monde en développement est en train de combler cet écart en raison de sa prospérité croissante, mais aussi de l’utilisation de techniques à forte densité de carbone. Par ailleurs, cette partie de la planète sera probablement la plus affectée par le réchauffement climatique.
Aux termes du Protocole de Kyoto, seuls les pays industrialisés doivent réduire leurs émissions de GES, tandis que les pays en développement peuvent continuer à accroître leurs rejets de CO2. Cependant, pour que les réductions soient plus significatives, les pays en développement doivent également diminuer les émissions, des mesures qui, dans de nombreux cas, sont désormais moins coûteuses. Toutefois, il n’est pas du tout sûr que les pays émergents acceptent un resserrement des quotas de CO2, tant cela pourrait nuire à leur développement. On ne parviendra à un accord équitable sur le climat que si les pays industrialisés acceptent de procéder à un important transfert de technologies faiblement émettrices en faveur du monde en développement.
Augmentation de la température de la planète
Comme en témoignent des chiffres de plus en plus nombreux, le changement climatique est à l’œuvre. Par exemple, sur les douze dernières années (1995-2006), onze se classent parmi les plus chaudes qui aient été observées depuis le début des relevés de température à la surface de la terre en 1850(1). De plus, au cours des cinquante dernières années (de 1956 à 2005), la température moyenne de la planète a progressé en moyenne de 0,13°C par décennie, soit deux fois plus qu’au cours de la période 1906 à 2005. Ces observations vont de pair avec la diminution générale du manteau neigeux et glaciaire, comme le montrent les photos prises par satellite, et l’élévation du niveau de la mer. De plus, la fréquence et l’intensité de certains événements climatiques extrêmes ont augmenté au cours des cinquante dernières années. Les précipitations ont nettement crû dans certaines régions d’Amérique du Nord et du Sud, en Europe du Nord ainsi qu’en Asie septentrionale et centrale, alors qu’elles ont diminué dans le Sahel, la Méditerranée, l’Afrique australe et certaines parties du Sud asiatique. De plus, l’activité des cyclones tropicaux est devenue plus importante dans l’Atlantique Nord depuis les années 1970. Ces changements ont affecté les systèmes biologiques terrestres, comme la précocité des événements printaniers (bourgeons, migration des oiseaux et ponte) et le déplacement vers les pôles et le nord d’espèces animales et végétales. Ces changements climatiques sont liés à des concentrations de plus en plus fortes de GES dans l’atmosphère(2).
En 1957, une équipe dirigée par Charles David Keeling a commencé à recueillir des données sur le dioxyde de carbone (CO2) à l’Observatoire de Mauno Loa à Hawaii. Ces mesures ont été les premières à mettre en évidence l’augmentation rapide de la concentration en CO2 dans l’atmosphère. Selon la courbe de Keeling, celle-ci a progressé de plus de 20% depuis que la collecte de ces données a commencé. Principal responsable : l’utilisation grandissante des combustibles fossiles, mais l’exploitation des sols, dont la déforestation, y contribue également, quoique dans une moindre proportion.
Par le passé, les pays de l’OCDE étaient en grande partie à l’origine des émissions de GES liées à l’énergie. Cependant, les émissions dans les pays en développement sont en nette expansion au point de dépasser aujourd’hui celles du monde industrialisé. Quoi qu’il en soit, rapportées au nombre d’habitants, les émissions de GES demeurent nettement plus élevées dans les pays de l’OCDE que dans le reste du monde. En Amérique du Nord, les émissions de CO2 par habitant atteignent à présent quatre fois la moyenne mondiale. En termes de répartition par activités économiques, près de 50% des GES étaient dus, en 2005, à la production d’électricité Les autres grands secteurs générateurs de gaz à effet de serre sont les transports (22,6%) et l’industrie (18,5%).
De plus, les émissions d’autres GES ont considérablement augmenté au cours des quarante dernières années. Exprimés en équivalent CO2 (eCO2)(3), les GES ont été pratiquement multipliés par deux depuis le début des années 1970. Conséquence, leur concentration dans l’atmosphère a crû, passant d’environ 280 ppm (parties par million) à l’ère préindustrielle à 379 ppm en 2005. Si ces tendances persistent, la concentration de GES pourrait être multipliée par deux vers le milieu du 21e siècle. Selon les modèles du GEIC, cela aura vraisemblablement pour effet d’accroître la température moyenne de la terre de “2 à 4,5oC. Les meilleures estimations se situent aux environs de 3oC, sachant qu’une élévation de la température inférieure à 1,5oC semble très peu probable. Des valeurs nettement supérieures à 4,5oC ne sauraient être exclues”(4). A des températures supérieures, le risque d’amplification des effets de rétroaction sur le système climatique augmente. Une telle évolution climatique pourrait compromettre les capacités d’absorption des réservoirs naturels de carbone, comme la forêt ombrophile amazonienne, accélérant d’autant le réchauffement climatique. De plus, la fonte du permafrost(5) pourrait libérer du méthane naturel dans l’atmosphère. Les scientifiques commencent à peine à en évaluer les effets. De tels changements de température sur une période aussi courte vont probablement entraîner de sérieux dommages pour l’écosystème, la vie humaine et la croissance économique. Selon les estimations du GEIC, 20 à 30% d’espèces végétales et animales risquent fort de disparaître en cas d’élévation de la température mondiale supérieure à 1,5-2,5°C. Aux latitudes élevées, la production agricole pourrait croître, tandis qu’aux latitudes plus basses, en particulier dans les zones tropicales, elle va probablement diminuer, même en cas de légère augmentation de la température. Les régions côtières seront exposées à un risque plus élevé d’inondation.
Le changement climatique va probablement affecter en particulier les pays les plus pauvres de la planète.
L’Afrique et l’Asie du Sud-Est pourraient perdre près de 10% de leur production, essentiellement en raison de la raréfaction de l’eau. Selon les estimations du GEIC, 75 à 250 millions de personnes pourraient être exposées à ces problèmes d’ici à 2020 en Afrique. L’insuffisance des précipitations va également entraîner une diminution des rendements des cultures qui pourrait être de 50% sur ce même continent. La raréfaction des ressources et les risques grandissants de sécheresses et d’inondations pourraient se traduire par d’importantes migrations des populations, déclenchant conflits et violences.
Le changement climatique devrait avoir un impact bien plus limité dans le monde développé. Il pourrait même avoir temporairement des effets favorables sur les régions situées à des latitudes élevées, comme le Canada, la Russie et la Scandinavie, en contribuant à de meilleures récoltes, à un radoucissement de la saison hivernale et à l’accroissement du tourisme. A des latitudes plus basses, les pays développés pourraient être confrontés à la raréfaction de l’eau et à la chute des rendements agricoles. Dans les zones côtières, il faudra par ailleurs accroître les investissements pour gérer les inondations et en réduire le risque. De plus, dans les pays développés, les personnes à faibles revenus sont exposées à des risques plus importants alors qu’elles ont moins de ressources pour y faire face.
L’amélioration du bien-être pourrait passer par la lutte contre le changement climatique
Les preuves scientifiques des risques liés à l’accroissement des GES sont écrasantes. A partir des données climatologiques recueillies, les économistes peuvent apporter une pierre utile au débat en analysant ces risques et leurs conséquences pour le bien-être économique et en proposant des politiques permettant d’y faire face de la manière la plus efficace et équitable.
L’une des réponses les plus importantes de la communauté économique est celle apportée par le « Rapport Stern » (Stern Review on the Economics of Climate Change(6)). Cette étude sur les implications économiques du changement climatique a été élaborée par une équipe d’économistes du Trésor britannique, sous la direction de Lord Stern of Brentford. Sans être le premier travail réalisé sur le réchauffement climatique, cette étude fait néanmoins autorité, ne serait-ce qu’en raison de sa grande qualité et de l’important soutien dont ses auteurs ont bénéficié de la part du gouvernement britannique. De plus, le message véhiculé par le Rapport a largement contribué à sa réputation : le coût total du changement climatique équivaudra à une diminution d’au moins 5% du PIB mondial(7).Si l’on tient compte d’une fourchette plus large de risques et d’impacts, l’estimation des dommages ainsi occasionnés pourrait atteindre 20%, voire plus. En revanche, les coûts de l’action – réduction des émissions de gaz à effet de serre pour éviter les pires impacts du changement climatique – pourraient se limiter à environ 1% du PIB mondial.
Le Rapport Stern se fonde sur deux approches. Dans le cadre de la première, il détermine un niveau maximum de GES, sans risques exceptionnels pour le changement climatique. A l’heure actuelle, la concentration réelle d’eCO2 dans l’atmosphère est proche de 430 ppm. A défaut de mesures correctrices, le niveau de concentration de GES pourrait atteindre 550 dès 2035 et plus de 700 ppm en 2100. Le Rapport Stern démontre que les émissions de GES doivent être stabilisées à 550 ppm eCO2. Au-dessus de ce niveau, le risque de hausse de la température moyenne de plus de 4% n’est pas négligeable. A partir des simulations des modèles, le Rapport Stern conclut que les coûts pourraient se situer entre 1% du PIB – ce qui implique que les réductions des émissions pourraient stimuler la croissance du PIB – et 4% du PIB en 2050.
Ce scénario correspond au scénario A présenté dans une étude récente de l’OCDE(8). Dans celui-ci, la concentration des GES est stabilisée à 550 ppm eCO2 sur le long terme, mais un léger dépassement de cet objectif serait possible avant 2050. Cela atténuerait l’effet perturbateur des politiques de réduction des émissions sur l’économie. L’OCDE estime le coût de ces mesures à 4,75% du PIB mondial d’ici à 2050. Le scénario B moins coûteux – 2,25% du PIB en 2050 – tient compte d’un dépassement plus important, mais il impliquera des réductions d’émissions plus onéreuses et plus élevées après 2050. Ce scénario présente un sérieux inconvénient : l’augmentation du risque de dommages climatiques irréversibles. Par ailleurs, le maintien des niveaux de concentration de GES en dessous de 550 ppm eCO2 sans aucun dépassement pourrait constituer une alternative très coûteuse – aux environs de 9% du PIB en 2050. Enfin, les chercheurs de l’OCDE estiment que la stabilisation des concentrations totales de GES au-dessus de 650 ppm eCO2 sans dépassement génèrera les coûts les moins élevés – 0,7% seulement du PIB en 2050. Il y aura, cependant, une contrepartie évidente : l’élévation de la température mondiale et l’accroissement des risques de catastrophes climatiques. Les coûts des scénarios de l’OCDE semblent supérieurs à ceux du Rapport Stern. Il convient, toutefois, de noter que le scénario de l’OCDE ne tient pas compte des avantages engendrés par la diminution des émissions en termes de changement climatique évité.
Avec la seconde méthode, les auteurs du Rapport Stern calculent les pertes de bien-être liées au changement climatique. Ils appliquent à cette fin le modèle d’évaluation intégrée PAGE2002 (Policy Analysis of the Greenhouse Effect 2002) à différents scénarios en retenant un ensemble de paramètres sélectionnés au hasard à partir d’une distribution déterminée au préalable (méthode de Monte-Carlo).
Le modèle génère ainsi des distributions de probabilités de revenu futur en tenant compte du changement climatique. Selon les conclusions du rapport, les coûts de l’inaction, ceux liés au scénario dit “business as usual”, pourraient être significatifs.
La réduction du bien-être moyen mondial sous l’effet du changement climatique sera, selon les prévisions, équivalente à une diminution permanente d’au moins 5% de la consommation par habitant. Dans les scénarios du pire, les pertes en termes de bien-être pourraient atteindre 20%. Sur la base de ces calculs, les politiques de réduction des émissions ne peuvent qu’améliorer le bien-être dans la mesure où leur coût est inférieur à celui généré par les dommages liés au changement climatique.
Ces conclusions ont été vivement critiquées. La principale question qui fait polémique est celle de l’actualisation des dommages futurs. Plus le taux d’actualisation est élevé, moins on accorde d’importance aux préjudices que les générations futures seront amenées à subir du fait du réchauffement climatique. Le taux d’actualisation retenu dans le Rapport Stern est nettement plus faible que dans les études antérieures. Le paramètre de préférence pure pour le présent est proche de zéro. Ce choix radical s’explique par le fait qu’on ne peut prétendre que l’utilité des générations actuelles est plus importante que celle des générations à naître. La raison pour laquelle le taux retenu n’est pas strictement égal à zéro est que Stern tient compte de la possibilité d’une disparition totale du genre humain(9).
Certains économistes réputés dans le domaine de l’environnement, tels que Nordhaus et Weitzman(10), plaident en faveur d’un taux d’actualisation basé sur les taux de rentabilité du marché, censé révéler objectivement les préférences du public. Toutefois, Weitzman admet qu’un taux d’actualisation égal à zéro pourrait être approprié pour compenser la sous-estimation des risques de catastrophes écologiques.
L’amélioration du bien-être pourrait passer par la lutte contre le changement climatique Les preuves scientifiques des risques liés à l’accroissement des GES sont écrasantes. A partir des données climatologiques recueillies, les économistes peuvent apporter une pierre utile au débat en analysant ces risques et leurs conséquences pour le bien-être économique et en proposant des politiques permettant d’y faire face de la manière la plus efficace et équitable.
L’une des réponses les plus importantes de la communauté économique est celle apportée par le « Rapport Stern » (Stern Review on the Economics of Climate Change(6)). Cette étude sur les implications économiques du changement climatique a été élaborée par une équipe d’économistes du Trésor britannique, sous la direction de Lord Stern of Brentford. Sans être le premier travail réalisé sur le réchauffement climatique, cette étude fait néanmoins autorité, ne serait-ce qu’en raison de sa grande qualité et de l’important soutien dont ses auteurs ont bénéficié de la part du gouvernement britannique. De plus, le message véhiculé par le Rapport a largement contribué à sa réputation : le coût total du changement climatique équivaudra à une diminution d’au moins 5% du PIB mondial(7).Si l’on tient compte d’une fourchette plus large de risques et d’impacts, l’estimation des dommages ainsi occasionnés pourrait atteindre 20%, voire plus. En revanche, les coûts de l’action – réduction des émissions de gaz à effet de serre pour éviter les pires impacts du changement climatique – pourraient se limiter à environ 1% du PIB mondial.
Le Rapport Stern se fonde sur deux approches. Dans le cadre de la première, il détermine un niveau maximum de GES, sans risques exceptionnels pour le changement climatique. A l’heure actuelle, la concentration réelle d’eCO2 dans l’atmosphère est proche de 430 ppm. A défaut de mesures correctrices, le niveau de concentration de GES pourrait atteindre 550 dès 2035 et plus de 700 ppm en 2100. Le Rapport Stern démontre que les émissions de GES doivent être stabilisées à 550 ppm eCO2. Au-dessus de ce niveau, le risque de hausse de la température moyenne de plus de 4% n’est pas négligeable. A partir des simulations des modèles, le Rapport Stern conclut que les coûts pourraient se situer entre 1% du PIB – ce qui implique que les réductions des émissions pourraient stimuler la croissance du PIB – et 4% du PIB en 2050.
Ce scénario correspond au scénario A présenté dans une étude récente de l’OCDE(8). Dans celui-ci, la concentration des GES est stabilisée à 550 ppm eCO2 sur le long terme, mais un léger dépassement de cet objectif serait possible avant 2050. Cela atténuerait l’effet perturbateur des politiques de réduction des émissions sur l’économie. L’OCDE estime le coût de ces mesures à 4,75% du PIB mondial d’ici à 2050. Le scénario B moins coûteux – 2,25% du PIB en 2050 – tient compte d’un dépassement plus important, mais il impliquera des réductions d’émissions plus onéreuses et plus élevées après 2050. Ce scénario présente un sérieux inconvénient : l’augmentation du risque de dommages climatiques irréversibles. Par ailleurs, le maintien des niveaux de concentration de GES en dessous de 550 ppm eCO2 sans aucun dépassement pourrait constituer une alternative très coûteuse – aux environs de 9% du PIB en 2050. Enfin, les chercheurs de l’OCDE estiment que la stabilisation des concentrations totales de GES au-dessus de 650 ppm eCO2 sans dépassement génèrera les coûts les moins élevés – 0,7% seulement du PIB en 2050. Il y aura, cependant, une contrepartie évidente : l’élévation de la température mondiale et l’accroissement des risques de catastrophes climatiques. Les coûts des scénarios de l’OCDE semblent supérieurs à ceux du Rapport Stern. Il convient, toutefois, de noter que le scénario de l’OCDE ne tient pas compte des avantages engendrés par la diminution des émissions en termes de changement climatique évité.
Avec la seconde méthode, les auteurs du Rapport Stern calculent les pertes de bien-être liées au changement climatique. Ils appliquent à cette fin le modèle d’évaluation intégrée PAGE2002 (Policy Analysis of the Greenhouse Effect 2002) à différents scénarios en retenant un ensemble de paramètres sélectionnés au hasard à partir d’une distribution déterminée au préalable (méthode de Monte-Carlo).
Le modèle génère ainsi des distributions de probabilités de revenu futur en tenant compte du changement climatique. Selon les conclusions du rapport, les coûts de l’inaction, ceux liés au scénario dit “business as usual”, pourraient être significatifs. La réduction du bien-être moyen mondial sous l’effet du changement climatique sera, selon les prévisions, équivalente à une diminution permanente d’au moins 5% de la consommation par habitant. Dans les scénarios du pire, les pertes en termes de bien-être pourraient atteindre 20%. Sur la base de ces calculs, les politiques de réduction des émissions ne peuvent qu’améliorer le bien-être dans la mesure où leur coût est inférieur à celui généré par les dommages liés au changement climatique.
Ces conclusions ont été vivement critiquées. La principale question qui fait polémique est celle de l’actualisation des dommages futurs. Plus le taux d’actualisation est élevé, moins on accorde d’importance aux préjudices que les générations futures seront amenées à subir du fait du réchauffement climatique. Le taux d’actualisation retenu dans le Rapport Stern est nettement plus faible que dans les études antérieures. Le paramètre de préférence pure pour le présent est proche de zéro. Ce choix radical s’explique par le fait qu’on ne peut prétendre que l’utilité des générations actuelles est plus importante que celle des générations à naître. La raison pour laquelle le taux retenu n’est pas strictement égal à zéro est que Stern tient compte de la possibilité d’une disparition totale du genre humain(9).
Certains économistes réputés dans le domaine de l’environnement, tels que Nordhaus et Weitzman(10), plaident en faveur d’un taux d’actualisation basé sur les taux de rentabilité du marché, censé révéler objectivement les préférences du public. Toutefois, Weitzman admet qu’un taux d’actualisation égal à zéro pourrait être approprié pour compenser la sous-estimation des risques de catastrophes écologiques.
Comment atteindre les objectifs en matière de GES ?
La notion de prix du carbone est au cœur des politiques en matière climatique. La fixation d’un prix pour les GES permet de faire en sorte que les prix à la production reflètent mieux les coûts réels, y compris les dommages pour l’environnement liés au processus de production. De plus, ce type de démarche est de nature à encourager les chefs d’entreprise à investir dans des techniques de réduction des émissions afin de maîtriser les coûts.
Par ailleurs, devant le renchérissement des produits à forte teneur en carbone, les consommateurs seront incités à en réduire l’utilisation. Il suffit donc de fixer le prix du carbone à un niveau suffisamment élevé pour que les objectifs en matière de GES puissent être atteints, tout au moins en théorie.
La fixation d’un prix pour le carbone peut se faire de plusieurs manières. L’OCDE recommande, dans un premier temps, la suppression de toutes les subventions en faveur des énergies fossiles. Ces subventions sont coûteuses pour les finances publiques ; elles introduisent un biais dans l’allocation des ressources sur l’ensemble de l’économie et sont souvent des instruments peu ciblés de politiques sociales. L’AIE estime que ces subventions se sont élevées à 250 milliards de dollars (0,5% du PIB mondial) en 2005. L’OCDE plaide également en faveur d’une élimination des aides aux biocarburants. En termes de réduction des émissions, ces politiques sont extrêmement coûteuses ; elles pourraient dépasser 1000 USD par tonne d’émissions de CO2 évitées, alors que le prix du CO2dans les scénarios de l’OCDE n’excède pas 50 USD. Toutefois, l’Organisation estime que ces aides pourraient servir d’autres fins telles que l’indépendance énergétique et l’espoir que moyennant un “apprentissage par la pratique” on puisse développer des moyens moins coûteux de production des biocarburants. Auquel cas, le remplacement des subventions par une augmentation des dépenses de R-D dans ce domaine pourrait être plus efficace.
La taxe carbone est un dispositif largement répandu, pouvant revêtir diverses formes comme les taxes sur les carburants, les réductions d’impôts au titre des véhicules peu émetteurs de CO2 ou les subventions en faveur des énergies renouvelables.
L’avantage de la taxe carbone est qu’elle est facile à mettre en œuvre. Elle évite la mesure directe des émissions de CO2 qui peut être relativement coûteuse pour les petites entreprises.
La deuxième méthode est celle du négoce du carbone. Dans ce type de dispositif, les entreprises obtiennent des permis d’émission, par voie d’allocation ou d’adjudication. Ces permis peuvent être négociés sur le marché à l’instar de n’importe quel autre actif. L’avantage de la taxe sur les GES est qu’elle apporte de la certitude sur les marchés. Les producteurs et les consommateurs peuvent facilement calculer les coûts associés à l’utilisation des énergies fossiles. Une telle certitude n’existe pas dans un système de « cap-and-trade » ou « marché du carbone » dans lequel les prix des quotas dépendent de l’offre et de la demande. Ceux-ci sont en effet volatils. Le marché du carbone est en partie corrélé à celui de l’énergie. Tout ralentissement de l’activité économique va donc se traduire par une baisse des prix de l’énergie comme des permis de carbone. En revanche, la disponibilité des permis de carbone n’est pas seulement déterminée par la demande d’énergie mais aussi par l’attribution de quotas et l’octroi de crédits carbone. Les décideurs et autorités de régulation jouent un rôle important, en assurant la stabilité nécessaire au marché du carbone.
Cette stabilité est d’autant plus cruciale que les prix du carbone envoient des signaux décisifs aux chefs d’entreprise, qui peuvent ainsi trancher entre les technologies de réduction des émissions ou l’achat de quotas d’émissions sur le marché à terme. Un plan de taxes à moyen terme ne peut jamais fournir des assurances similaires car les gouvernements ont toujours la possibilité d’y renoncer. Le deuxième avantage lié au système « cap-and-trade » est l’efficacité avec laquelle l’objectif est atteint, car le montant total des permis accordés est égal au plafond des émissions. L’effet final de la taxe carbone est moins facile à mesurer.
La meilleure illustration du mécanisme « cap-and-trade » est le Système communautaire d’échange d’émissions de gaz à effet de serre (SCEQE ; en anglais EU ETS). Le dispositif couvre d’ores et déjà la moitié des émissions européennes à un coût relativement bas. Des systèmes d’échange d’émissions ont également été mis en place en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Norvège et dans certains Etats du nord-est des Etats-Unis.
Le système de négoce du carbone risque de compromettre la compétitivité de secteurs très consommateurs d’énergie dans les pays participant à un tel système. Les entreprises peuvent transférer leur activité dans d’autres pays. Dans ce cas, les émissions de carbone diminueraient dans les régions qui appliquent une politique de réduction stricte, mais une telle baisse serait compensée par l’accroissement des émissions ailleurs. C’est ce qu’on appelle la « fuite carbone ».
Le problème de la « fuite carbone » pourrait déjà être amplement résolu en élargissant le groupe de pays membres du système de négoce du carbone.
L’OCDE estime que si seule l’UE abaisse ses émissions de 50%, alors que d’autres pays ne prennent aucune mesure, environ 20% de cette réduction sera compensée par l’accroissement des émissions ailleurs dans le monde(11). Toutefois, si tous les pays de l’Annexe I, ce qui correspond plus ou moins à la zone de l’OCDE, adoptent des mesures, la fuite carbone serait ramenée à un peu plus de 9%. Les estimations de l’OCDE montrent que le repli des secteurs européens gros consommateurs d’énergie est très similaire dans les deux scénarios. La principale différence réside dans la diminution des émissions. La fuite carbone semble donc être un problème secondaire, auquel on peut largement remédier en associant davantage de pays à la politique de réduction.
Quoi qu’il en soit, une attention particulière a été accordée aux problèmes de concurrence liés à l’introduction de systèmes de négoce du carbone. La Commission européenne a ainsi annoncé qu’elle déterminerait les secteurs à risque d’ici à juin 2010, après la conclusion d’un nouvel accord sur le climat à Copenhague. D’ici à juin 2011, la Commission pourrait faire des propositions jugées nécessaires pour remédier à la situation. Comme les industries grosses consommatrices de carbone sont en tout état de cause appelées à enregistrer un repli, il sera difficile pour la Commission de dire avec précision quelle sera la part de la réduction observée dans ces secteurs, imputable à la détérioration de la compétitivité. De plus, avec l’aide aux industries à forte intensité d’énergie, le reste de l’économie risque d’avoir plus de mal à atteindre les objectifs d’émission.
L’autre possibilité consisterait à imposer des taxes aux frontières sur les importations à forte intensité en carbone en provenance de pays qui n’appliquent pas les politiques de réduction. Une telle approche présente néanmoins plusieurs écueils. Tout d’abord, la teneur en carbone d’un bien est, dans la plupart des cas, très difficile à établir. Ensuite, l’application d’une taxe à la frontière pourrait être contraire aux règles de l’OMC. Enfin, l’introduction d’une telle taxe pourrait bien entraîner des mesures de représailles. Les simulations de l’OCDE montrent que les avantages limités d’une telle taxe pour les secteurs à forte intensité d’énergie seraient largement compensés par l’accroissement des coûts pour les consommateurs nationaux.
Dans ces conditions, la solution la plus prometteuse pourrait être de promouvoir la coopération au niveau mondial dans les secteurs gros consommateurs d’énergie afin de réduire les émissions grâce à la diffusion d’un savoir-faire technique. Il convient, par ailleurs, d’encourager la participation la plus large possible à de tels systèmes d’échange et de faire de l’interconnexion entre ces systèmes l’une des priorités des années à venir.
Conclusion
La température de la planète, qui s’est élevée de 0,74°C au cours des cent dernières années, augmente à présent de 0,2°C par décennie. Si rien n’est fait, la température mondiale pourrait dépasser de 2°C les niveaux de l’ère préindustrielle à horizon de 2050, et des hausses plus importantes encore ne sont pas exclues, entraînant une élévation du niveau de la mer. Le principal responsable d’une telle évolution est l’augmentation des émissions de GES, essentiellement liée à la combustion d’énergies fossiles. Les études économiques montrent que les politiques de lutte contre les émissions contribuent à améliorer le bien-être. Toujours selon ces études, l’attentisme en la matière aurait un coût considérable en termes de dommages climatiques.
Dans les pays de l’OCDE, les émissions de GES par habitant sont cinq fois plus élevées que dans le reste du monde. Dès lors, il semble logique que ces pays s’engagent à procéder à des réductions draconiennes de leurs émissions. L’UE a ainsi proposé d’abaisser les GES à 30% en moyenne en dessous des niveaux de 1990 d’ici à 2020. Mais il appartient aussi aux pays en développement de réduire le taux de progression moyen des émissions de GES, sans pour autant que leur croissance en pâtisse. En effet, l’introduction de technologies à faible teneur en carbone peut leur permettre d’ores et déjà d’obtenir d’importantes réductions. Encore faut-il que les pays industrialisés leur apportent pour ce faire leur concours technique et financier.
Le meilleur moyen d’atteindre les objectifs mondiaux des politiques liées au changement climatique est de promouvoir les systèmes de fixation du prix du carbone et d’échange d’émissions. Les pays de l’Union européenne ont en l’occurrence montré la voie. Un exemple que les autres pays de l’OCDE se doivent d’imiter. L’idéal serait que ces divers systèmes d’échange soient reliés entre eux.
L’UE entend œuvrer à l’instauration de systèmes nationaux d’échange d’émissions dans tous les pays de l’OCDE d’ici à 2013 et à leur interconnexion d’ici à 2015. Le but est ensuite d’étendre ce marché aux pays en développement les plus avancés d’ici à 2020. Le Mécanisme de développement propre (MDP) une fois révisé pourrait contribuer utilement au transfert de technologies en faveur des pays en développement.
Le succès de la Conférence de Copenhague dépend en premier lieu de la détermination des pays industrialisés à prendre des mesures efficaces pour réduire les émissions de GES. Les chances de parvenir à un accord mondial existent et ne cessent de se renforcer. Lors de leur dernière réunion en mai, l’UE et le Japon ont appelé les autres grandes nations à lutter ensemble contre le changement climatique. Aux termes des engagements pris par la nouvelle administration américaine, les Etats-Unis sont déterminés à s’impliquer pleinement dans les négociations internationales et à élaborer une législation nationale efficace pour réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre. Un signe de bon augure pour un nouvel accord sur le climat faisant suite au Protocole de Kyoto.