Zone euro : une profonde récession

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

La récession s'est aggravée dans la zone euro au T1 09, avec une chute du PIB de 2,5% t/t, la plus forte contraction enregistrée à ce jour. Les données d’enquête disponibles pour le second trimestre laissent entrevoir un début d'amélioration. Cependant, la reprise sera longue à venir.

L'inflation devrait continuer de ralentir, et même devenir négative cet été, principalement à cause d'effets de base liés aux prix énergétiques.

Pour atténuer la sévérité de la récession, le Conseil des gouverneurs de la BCE a baissé à nouveau le taux refi de 25 pb pour le ramener à 1%, un nouveau plus bas historique. La Banque n'a pas exclu une poursuite de la baisse des taux.

Par ailleurs, le Conseil a étoffé sa gamme d'outils non conventionnels en allongeant à 12 mois l'échéance de ses opérations de refinancement et en décidant « en principe » d’acheter des obligations sécurisées de la zone euro. Même si l’ampleur des rachats d’obligations sécurisées est modeste, c’est un premier pas dans l’achat d’actifs. Cela semble indiquer que la BCE pourrait faire plus, si nécessaire. 

La récession s'est aggravée dans la zone euro au T1 2009. Selon l’estimation flash d’Eurostat, le PIB a reculé de 2,5% t/t au T1 2009, après des replis au cours des trois trimestres précédents. La comparaison en glissement annuel a confirmé la sévérité du retournement conjoncturel, avec une chute de 4,6% du PIB de la zone. Les chiffres pour les composantes du PIB ne sont pas encore disponibles (ils seront publiés le mois prochain). Gageons cependant que la demande, tant intérieure qu’extérieure, aura été extrêmement déprimée. Si l'on se fie à la contraction des ventes au détail (-1% t/t au T1 09), la consommation privée a dû baisser pour le second trimestre consécutif. Dans une période marquée par une forte volatilité, les incertitudes élevées et un repli de la demande, l’investissement productif aura sans doute fléchi de manière significative. Par ailleurs, les données d’enquête indiquent que les entreprises se sont livrées tout au long du premier trimestre à un déstockage massif, qui a fortement pesé sur la production. Enfin, les exportations sont également attendues en baisse en raison de la faiblesse de la demande mondiale.

Premiers signes d'amélioration au T2 09, mais pas de reprise avant 2010

Les données d’enquête disponibles pour le second trimestre laissent entrevoir un début d'amélioration. Cependant, les indicateurs avancés montrent seulement que le rythme de détérioration de l’activité économique s'est ralenti. La reprise est loin d’être imminente. A 41,1, l’indice composite des directeurs d’achat mesurant l’activité est nettement en dessous de la barre des 50, qui marque le seuil entre l’expansion et la contraction de l'économie, tandis que l'indicateur du climat économique (ESI) n’est qu’à 2,5 points au-dessus de son plancher historique, enregistré seulement en mars.

Une récession plus longue et plus marquée

Dans une publication récente, le FMI1 a souligné que les récessions engendrées par une crise financière sont plus sévères et ont tendance à durer plus longtemps. La plupart du temps, une forte demande extérieure avait permis un redémarrage de l’activité. Ce moteur est loin de pouvoir redémarrer. Le FMI prévoit une contraction de la production mondiale d'environ 1,3% en 2009 (-1,8%, prévision BNP Paribas), la première en 60 ans. Par ailleurs, l'histoire suggère que les récessions synchronisées sont aussi particulièrement sévères. Malheureusement, la situation actuelle conjugue crise financière et synchronisation de la récession au niveau mondial. Nous n'anticipons pas un retour de la croissance avant mi-2010, et encore celle-ci restera-t-elle bien en dessous de son potentiel.

Ménages : inflation en repli, montée du chômage

La contraction de l'activité devrait continuer de peser sur les intentions de recrutement des entreprises. Les indices mesurant les anticipations en matière d'emploi (indice PMI des directeurs d’achat et Enquête de la Commission européenne) sont en baisse, annonçant une poursuite de la détérioration du marché de l'emploi dans les prochains mois. A 8,9% en février, le taux de chômage pourrait terminer l’année au-dessus de 11% et continuer d’augmenter l’an prochain. La crainte croissante du chômage devrait peser sur la confiance des ménages, et donc leur consommation, malgré le repli de l’inflation.

En avril, l’inflation a marqué une pause dans sa tendance baissière, en restant inchangée à 0,6%. Des effets saisonniers ont alimenté le taux d’inflation sous-jacent en avril, qui s’est inscrit à 1,8% : Pâques ayant eu lieu plus tôt dans l'année l'an dernier a amplifié le fléchissement du taux d’inflation sous-jacente entre février et mars (de 1,7% à 1,4%). Cependant, la baisse des prix énergétiques et alimentaires a compensé cette hausse. L’inflation devrait reprendre son mouvement de baisse dès le mois prochain. La contraction de la demande, l’augmentation du chômage et les effets passés des baisses des prix des matières premières devraient continuer de pousser l'inflation sous-jacente vers le bas. Les importantes capacités excédentaires disponibles pèsent fortement sur les prix à la sortie des usines. L'inflation mesurée par l’IPP (indice des prix à la production) hors énergie était en territoire négatif en janvier, février et mars, tandis que les anticipations de prix de vente des entreprises, tirées de l’enquête mensuelle de la Commission européenne, sont proches de leurs planchers historiques. Par ailleurs, des effets de base significatifs liés aux produits alimentaires et surtout énergétiques devraient entraîner le taux d’inflation en territoire négatif cet été.

Taux refi à 1%

Lors de sa réunion du 7 mai, le Conseil des gouverneurs de la BCE a encore baissé son taux refi de 25 pb à 1%, un nouveau plancher historique. La Banque a réduit le taux refi de 325 pb depuis le mois d’octobre 2008. Le Conseil a également décidé de laisser inchangé le taux d’intérêt sur la facilité de dépôt à 0,25%. Par conséquent, l’écart entre le taux refi et les taux des facilités permanentes a été réduit de +/-100 à +/- 75 pb. Lors de ses opérations de refinancement, la BCE fournit depuis le mois d’octobre 2008 des liquidités illimitées à taux fixes pour toutes les échéances. Par ailleurs, la BCE s’est engagée à maintenir ces mesures « non conventionnelles », tant que cela sera nécessaire. Ces mesures ont permis un reflux des taux du marché monétaire : l'Euribor 3 mois s’est ainsi détendu d’environ 400 pb depuis le mois d’octobre 2008.

Conditions financières et monétaires encore tendues

En dépit de la baisse des taux nominaux, les conditions monétaires et financières sont restées relativement peu accommodantes. La baisse de l'inflation suscite en effet une hausse des taux d'intérêt réels. En outre, en dépit du rebond intervenu ces dernières semaines, l’indice EuroStoXX 50 reste inférieur d'environ 40% à son niveau d’il y a un an. Enfin, le taux de change effectif réel s’est apprécié. Les taux d'intérêt sur les prêts aux ménages et aux sociétés non financières ont baissé moins fortement que ne le laissait entrevoir la réduction des taux directeurs. C’est notamment le cas des taux des nouveaux prêts au logement et de ceux octroyés aux sociétés non financières. Les taux d'intérêt sur les nouveaux prêts hypothécaires et les prêts aux entreprises ont bel et bien baissé, mais restent supérieurs aux niveaux atteints durant la période 2003-2005, même si les conditions économiques actuelles nécessiteraient des taux beaucoup plus faibles. Il ne faut pas oublier qu'entre 2003 et 2005, l'économie de la zone euro n'avait connu qu'un léger ralentissement, tandis qu’elle subit aujourd’hui une contraction prononcée.

Cela pourrait être dû au fait que les taux d'intérêt des prêts consentis au secteur privé réagissent avec un décalage à l'évolution des taux directeurs. Cela pourrait également résulter d'autres facteurs. Les dernières données sur l’évolution des agrégats de crédit dans la zone euro montrent que le glissement annuel des prêts aux sociétés non financières accuse actuellement un repli très marqué et que celui des prêts aux ménages pourrait bientôt devenir négatif.

Bien que ces données permettent difficilement de distinguer les effets liés à la demande de ceux liés à l'offre, la dernière enquête de la BCE (publiée fin avril) montre que les conditions de crédit sont demeurées relativement tendues (en dépit de l'assouplissement qu'elles ont connu) à cause de perspectives économiques peu encourageantes, de la fragilité des bilans et du coût de financement des banques. Ce dernier demeure relativement élevé. En retenant comme proxy du plancher du taux de financement des banques la somme du rendement du Bund à cinq ans et de la prime du CDS associé, l’écart entre celui-ci et le taux de refinancement, qui ressortait à environ 130 pb avant la crise, est désormais d’environ 280 pb.

D’autres mesures non conventionnelles

Afin d’améliorer encore davantage les conditions de financement de l’économie, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé lors de sa réunion du 7 mai d’allonger la maturité maximale de ses opérations de refinancement à long terme (LTRO) de 6 à 12 mois. Rappelons que le système bancaire reste de loin le principal bailleur de fonds du secteur privé. En 2007, par exemple, l'encours des prêts octroyés par les banques au secteur privé a représenté environ 143% du PIB de la zone euro (contre 63% aux Etats-Unis). Par contre, le montant des fonds levés sur les marchés par les entreprises en émettant de la dette ou des actions est beaucoup plus élevé aux États-Unis qu'en zone euro.

Ces nouvelles LTRO seront également conduites à taux fixe et pour des montants illimités. Le taux d'intérêt de la première opération (qui aura lieu le 23 juin) sera le taux de refinancement prévalant ce jour-là. Celui des opérations suivantes (c'est-à-dire celles de septembre et décembre) pourra inclure une prime par rapport au taux de refinancement. La BCE veut probablement éviter de donner l’impression qu’elle a décidé de garder les taux à un niveau bas pour une très longue période.

La BCE a décidé d'autres mesures non conventionnelles. Le Conseil des gouverneurs a entériné «dans le principe » l’achat d'obligations sécurisées libellées en euros, émises par des établissements de crédit et adossées à des prêts hypothécaires ou consentis au secteur public. Ce marché a fortement pâti de la crise financière, de l'effondrement du marché de l’immobilier résidentiel dans de nombreux pays européens et de craintes concernant les produits titrisés. Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a déclaré que le montant de ce programme pourrait s'élever à environ 60 milliards d'euros, soit 0,5% du PIB de la zone euro. Comparée aux interventions des autres banques centrales dans ce domaine, celle de la BCE peut être qualifiée de minime. A titre de comparaison, il n’est que de peu supérieur à la nouvelle enveloppe de GBP 50 mds, soit environ EUR 56 mds, que la Banque d’Angleterre va consacrer à son programme de rachats d’actifs, le portant à un montant total de GBP 125 mds, soit 10% du PIB du Royaume-Uni.

L'ampleur relativement modeste des interventions de la BCE et le choix qu'elle a fait d'acheter des actifs moins risqués — les obligations sécurisées sont des titres de premier ordre en général notés AAA — pourraient refléter les divergences d’opinions au sein du Conseil des gouverneurs de la Banque à l'idée de conduire une politique non conventionnelle prévoyant la mise en œuvre de mesures plus significatives, notamment l’achat d’obligations du secteur privé, de billets de trésorerie ou d’obligations d'État. Les marchés sur lesquels sont négociés ces titres n’étant pas aussi développés d’un pays de la zone euro à l’autre, ces mesures auraient des effets très différents d’un pays à l’autre. Enfin, leur mise en œuvre pourrait s'avérer problématique (les détails seront annoncés lors de la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs). Cela étant, ces mesures constituent une première étape de la politique d’achat d’actifs que la BCE entend mener et prouvent qu’elle pourrait en adopter d'autres.

Une nouvelle baisse du taux de refinancement ?

Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a souligné que le Conseil des gouverneurs jugeait le niveau actuel des taux directeurs approprié. Toutefois, il a également insisté sur le fait que le Conseil n’avait pas décidé que 1% constituait le plancher du taux refi, laissant la porte ouverte à la poursuite de l’assouplissement monétaire. Le scénario le plus probable est donc que le Conseil des gouverneurs maintienne le taux directeur à son niveau actuel lors de sa prochaine réunion. Si la récession actuelle s'aggravait ou durait plus longtemps que ne l'anticipe actuellement le Conseil, la BCE pourrait être tentée d'adopter de nouvelles mesures.

L'élargissement de l’output gap et la hausse du taux de chômage pourraient notamment accroître les pressions à la baisse sur les prix et les anticipations d’inflation. Le risque accru de déflation pourrait inciter la Banque à procéder à une nouvelle réduction de 25 pb de son taux de refinancement, en septembre.

NOTES

1) « From Recession to Recovery: How Soon and How Strong” Chapitre 3 dans World Economic Outlook, avril 2009.

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