Les législatives du 3 juillet menacent-elles la croissance thaïlandaise ?

par Luca Silipo et Jackit Wong, économistes chez Natixis

L'économie thaïlandaise connaît une reprise cyclique et structurelle, mais les élections législatives du 3 juillet représentent un risque majeur dans la conjoncture économique actuelle et ce, pour deux raisons :

  1. les dissensions politiques entre les deux principaux partis demeurent très marquées ; les émeutes déclenchées tour à tour par les « chemises jaunes » et les « chemises rouges » en constituent l'illustration la plus parlante. A l'issue de ce scrutin, d'autres émeutes pourraient avoir lieu et les procès visant à remettre en cause la légitimité du nouveau gouvernement pourraient entraîner une paralysie de l'activité et retarder la mise en œuvre de réformes structurelles.
  2. Les politiques économiques proposées par les deux grands partis pourraient attiser une inflation déjà en augmentation générant à son tour des hausses de taux d'intérêt supplémentaires susceptibles de peser sur la croissance. La prudence s’impose donc sur les perspectives en matière d’activité et d’investissement en Thaïlande au cours des six prochains mois.

L'économie thaïlandaise est la deuxième plus grande économie d'Asie du Sud-est et connaît une reprise cyclique et structurelle. Les politiques gouvernementales menées jusqu'à présent ont surtout eu pour objet de corriger certains déséquilibres structurels de l'économie. Le plan de relance budgétaire en deux temps1 mis en œuvre après la période de marasme économique observée au T4 2008 a porté ses fruits.

L'économie thaïlandaise s'est rapidement remise de la crise du crédit. Le taux de croissance du PIB réel s'est établi à 7,8 % en 2010 et devrait rester proche de ce niveau en 2011 et 2012.

Les exportations (60 % du PIB) se redressent depuis le T4 2009. Elles devraient ralentir au T2 2011 en réponse aux ruptures d’approvisionnement provoquées par le séisme au large du Japon, mais bénéficier en fin d'année du démarrage des travaux de reconstruction dans ce pays.

La production manufacturière (un tiers du PIB) augmente à un rythme soutenu depuis le T3 2009, si on exclut le ralentissement (+1,7 %) observé au T1 2011. Le secteur du tourisme (environ 7 % du PIB) a bénéficié d'un afflux de visiteurs étrangers. Entre les quatre premiers mois de l'année 2010 et les quatre premiers mois de l'année 2011, le nombre de touristes arrivés est passé de 5 766 000 à 6 903 000, en progression de 20 %.

A cette croissance économique soutenue s'ajoute une amélioration progressive du marché du travail qui se traduit par une situation de plein-emploi : le taux de chômage est inférieur à 1 % depuis le T2 2010.

Mais les élections législatives du 3 juillet pourraient peser sur la croissance de l'économie. Le Parlement (c'est à dire l'Assemblée nationale de Thaïlande) a été dissout le 10 mai à la demande du premier Ministre Abhisit Vejjajiva, approuvée au préalable par le Roi Bhumibol Adulyadej. Les prochaines élections législatives auront lieu le 3 juillet et pourraient sérieusement compromettre l'embellie actuelle de la conjoncture économique et ce, pour deux raisons.

1 – Les dissensions politiques entre les «chemises rouges » et les « chemises jaunes » pourraient conduire à des mouvements sociaux voire à des procès, et donc perturber l'activité économique.

Les dissensions politiques entre le Pheu Thai (le parti des « chemises rouges » dirigé par Mme Yingluck Shinawatra, sœur du premier Ministre Thaksin Shinawatra, actuellement en exil) et le parti Démocrate (ou parti « des chemises jaunes » présidé par M. Abhisit) ont été à l'origine de 4 grands mouvements sociaux depuis 2006.

Les dissensions politiques entre les deux grands partis restant très marquées, les élections du 3 juillet devraient donner lieu à des troubles sociaux ou pire encore, à des procès.

Si les deux premières séries de manifestations n'ont pas provoqué de réduction significative du nombre de touristes, les deux dernières ont dissuadé nombre d'entre eux de se rendre en Thaïlande (notamment la plus récente qui a fait plus de 90 morts) et entraîné une baisse du nombre de visiteurs. Le nombre de visiteurs s'est ensuite redressé, à la faveur des politiques mises en œuvre par le ministère du Tourisme thaïlandais, mais pourrait rebaisser en cas d'instabilité politique et nuire au secteur du tourisme.

La stabilité d'un gouvernement et de sa politique est l'un des principaux facteurs d'amélioration des échanges d'un pays avec ses partenaires commerciaux. Instabilité politique oblige, les investissements directs étrangers réalisés en Thaïlande ont tendance à baisser depuis 5 ans. En 2010, ils ont chuté de 29 %, à 3,5 milliards de dollars, alors que ceux effectués en Indonésie ont progressé de 28 %, à 6,2 milliards de dollars. Les troubles sociaux que pourraient provoquer les prochaines élections entraîneraient vraisemblablement un gel temporaire des investissements directs étrangers. 

Mais c'est surtout les procès qui pourraient résulter de ce scrutin qui nous préoccupent. Selon l'enquête menée par Bangkok Poll auprès de 3 338 personnes entre le 16 et le 22 juin, 37,9 % des participants ont déclaré qu'ils voteraient pour le Pheu Thai et 22,1 % pour le parti Démocrate. 22,1 % sont indécis et 5,1 % ne voteraient pour aucun parti.

A la lumière de cette enquête, le Pheu Thai a de fortes chances de l'emporter. 

Durant la campagne, le parti Démocrate a suggéré que si le Pheu Thai l'emportait, le pays serait en fait gouverné à distance par M. Shinawatra et non par sa sœur, Mme Yingluck. En toute impartialité, une victoire du Pheu Thai provoquerait une réaction encore plus violente, conduisant à des procès similaires à celui intenté en 2007, et visant à nouveau à éviter que M Thaksin ne gouverne en réalité depuis Dubaï à la place de sa sœur Mme Yingluck. Les entreprises exerçant en Thaïlande, les investissements réalisés dans ce pays et sa gestion pâtiraient fortement de ces troubles sociaux et des procès intentés au gouvernement.

2 – Les politiques économiques proposées par les deux grands partis pourraient attiser l'inflation et porter atteinte à l'économie.

La plupart des politiques économiques proposées par les deux grands partis visent à obtenir le soutien des pauvres du nord et du nord-est. Ces politiques risqueraient de provoquer une hausse structurelle de l'inflation.

Les politiques économiques du Pheu Thai visent essentiellement à :

  • porter le salaire minimum journalier à 300 THB (c'est-à-dire à l'augmenter de 40 % à 100 %, son niveau actuel se situant entre 150 THB et 215 THB) ;
  • permettre aux personnes physiques de suspendre pendant 3 ans au maximum le remboursement de leur dette ; 
  • indexer le remboursement des prêts octroyés par l'État aux étudiants à leurs revenus ;
  • construire une voie ferrée à grand vitesse de Chiang Mai à Rayong, de prolonger jusqu'à Chachoengsao, Chon Buri et Pattaya la liaison ferroviaire reliant le nouvel aéroport de Bangkok au centre ville, de porter à dix le nombre de lignes ferroviaires électrifiées et de facturer aux passagers un prix forfaitaire de 20 THB par trajet ;
  • mettre en œuvre un programme garantissant aux riziculteurs un prix de 15 000 à 20 000 THB pour vingt hectolitres ; 
  • fixer à nouveau à 30 THB le prix de la couverture universelle en matière de soins médicaux ;
  • endiguer le trafic de drogues en un an ;
  • fournir un libre accès à un réseau wifi dans les lieux publics.

Les politiques économiques du parti Démocrate visent essentiellement à :

  • majorer le salaire minimum d'au moins 25 % en deux ans ;
  • limiter les problèmes posés par les prêts informels et non bancaires ;
  • augmenter le montant des prêts subventionnés octroyés à 250 000 étudiants ;
  • construire une voie ferrée électrifiée de 166 km reliant Bangkok à Nonthaburi, Pathum Thani et Samut Prakan d'ici 5 ans et transformer le canton de Laem Chabang dans le district Si Racha de Chon Buri en une ville portuaire reliée à Bangkok et Rayong par une ligne ferroviaire à grande vitesse.
  • augmenter de 25 % les profits des agriculteurs dans le cadre du programme garantissant leurs revenus ;
  • procéder à l'attribution d'une carte d'identité unique permettant de recevoir des soins médicaux dans le cadre du programme d'assurance maladie universel de l'État ;
  • mettre un terme au trafic de drogues en créant une force opérationnelle de 2 500 personnes.
  • garantir l'accès du public aux services en ligne 3G dans tous les cantons (c'est-à-dire les entités administratives locales) du pays.

Le parti Démocrate propose d'augmenter le salaire minimum d'au moins 25 % en deux ans et le Pheu Thai de le majorer carrément de 40 % à 100 %, soit plus que durant ces dix dernières années dans un cas comme dans l’autre. Ceci entraînerait une augmentation des coûts des produits manufacturés/des entreprises manufacturières et donc de l'inflation.

Ils proposent également de subventionner une hausse des prêts étudiants, une baisse de leurs remboursements voire même le gel de certains remboursements. Ceci entraînerait une hausse de la consommation des ménages et donc de l'inflation, et créerait un aléa moral en termes de croissance du crédit : la crise des subprimes de 2007-2008 aux États- Unis nous a clairement rappelé les conséquences d'un tel aléa. Les politiques proposées obligeraient la Banque de Thaïlande à contenir l'inflation.

Quelle que soit l'issue des élections du 3 juillet, compte tenu de la conjoncture économique actuelle et des politiques économiques proposées, la Banque de Thaïlande se trouverait contrainte de relever les taux d'intérêt plus rapidement, ce qui pourrait peser sur la croissance.

Conclusion

Au cours des six prochains mois, les incertitudes politiques actuelles pourraient peser sur les perspectives des affaires et des investissements en Thaïlande.

NOTES

  1. Ce plan inclut 1) les subventions en numéraire décrétées en février 2009 pour accroître le pouvoir d'achat des ménages et 2) les grands projets d'aménagement de la période 2010-2012 prévus dans le cadre du programme « Thai Khem Kaeng » (Thaïlande forte).

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