L’été sera-t-il calme sur les marchés ?

par Vincent Manuel, Chief Investment Officer chez Indosuez Wealth Management

Dans notre dernière House View mensuelle, nous pointions du doigt un comportement un peu euphorique des marchés actions à court terme, tout en soulignant la solidité des fondamentaux, entre cadre économique solide, soutien monétaire et perspectives de résultats révisées à la hausse. À l’aube de la saison de résultats du deuxième trimestre, revenons sur l’actualité récente des marchés et sur les différents catalyseurs susceptibles d’affecter la direction des marchés au cours de l’été, qui pourrait nous réserver quelques surprises.

L’inflation, le pétrole et les taux longs

  • L’inquiétude principale des investisseurs au cours du premier semestre se concentrait sur le risque de dérapage de l’inflation, et/ou d’une hausse plus durable qu’une hausse temporaire attendue au deuxième trimestre nourrie par des effets de base sur l’énergie.
  • Ces craintes n’étaient pas infondées comme l’a montré l’inflation américaine qui a atteint 5 % en mai et avec une inflation cœur à 4,2 %, toutes deux bien au-delà des attentes.
  • Pour autant les marchés ont relativement bien « digéré ces nouvelles » comme en atteste la baisse des taux longs depuis mai et semblent désormais regarder ce sujet avec plus de sérénité.
  • En Europe les données récentes montrent que l’inflation ne surprend plus à la hausse : l’inflation cœur est ressortie à 0,9 % et l’inflation totale à 1,9 % en ligne avec les attentes du marché.
  • Depuis mi-mai, l’indice Bloomberg des matières premières évolue désormais en dents de scie après une forte hausse au cours des douze mois précédents, et ceci est relativement synchronisé avec la consolidation de l’inflation anticipée aux US depuis mi-mai ; la résolution attendue des goulots d’étranglement dans plusieurs secteurs pourrait aussi contribuer à alléger la pression inflationniste.
  • Néanmoins le sujet reste à surveiller compte tenu de la forte hausse récente du pétrole et des dissensions actuelles au sein de l’OPEP qui pourraient conduire à une nouvelle hausse de l’inflation et à une transmission au reste de l’économie.Le variant delta et le risque sur la croissanceAu cours des derniers jours, l’attention des investisseurs semble s’être reportée de l’inflation au risque macroéconomique que fait peser la remontée des cas de COVID due au variant delta sur la seconde partie de l’année. Bien qu’il soit hasardeux de faire des scénarios sanitaires, on peut se dire que :
  • Le plus probable, c’est une diffusion du variant à un plus grand nombre de pays : ce variant est plus virulent et représente donc une part croissante des cas, et produit une nouvelle hausse des cas.
  • Face à cette probable vague, qui intervient à un moment où une partie importante de la population est vaccinée, il est probable que les autorités cherchent plutôt à accélérer les vaccinations avec plus de coercition de manière à éviter un reconfinement qui casserait la reprise, même si on ne peut l’exclure totalement. L’accélération de la vaccination devrait donc permettre de réduire le risque de reconfinement global. Il est sans doute trop pessimiste d’anticiper un retour aux mesures de confinement de l’automne dernier au cours des prochains mois mais le rythme de la reprise forte attendue au second semestre en Europe peut être affecté.

▪ Logiquement, le marché obligataire (avec un taux 10 ans américain repassé sous les 1,3 %) reflète une inquiétude économique liée au COVID et une probabilité que la reprise soit décalée ; ce pessimisme peut entrer dans une zone d’exagération et peut être l’occasion de réajuster le positionnement et la duration des portefeuilles.

Les dilemmes des banques centrales : la Fed

  • La dernière réunion de la Fed a surpris les investisseurs qui s’attendaient à une perspective plus claire sur le « tapering » (réduction des achats d’actifs) et ont été pris un peu à défaut par une élévation des perspectives de hausse des taux en 2023 (une hausse supplémentaire attendue). Il convient cependant de relativiser ce dernier point en réalité : la Fed dispose d’une gouvernance démocratique et transparente (les dot plots reflètent les vues de chacun, et le pouvoir prédictif des dot plots n’est pas absolu comme l’a rappelé Jerome Powell ; ce qui est plus intéressant c’est que des « colombes » (doves) comme James Bullard (Fed de Saint Louis) rejoignent le camp des faucons (hawks) incarné par Robert Kaplan (Fed de Dallas) en recommandant de monter les taux dès 2022 et de réduire les achats d’actifs.
  • Dans la mesure où la Fed i) a répété à plusieurs reprises qu’elle réduirait ses achats bien avant de monter ses taux ii) qu’elle préviendrait le marché à l’avance si elle devait modifier sa politique actuelle, on peut logiquement s’attendre à ce que Jerome Powell donne des indications plus claires sur le tapering (par exemple à la réunion du FOMC fin juillet ou au sommet de Jackson Hole fin août) pour une mise en œuvre à partir de début 2022 ou 2023, un an avant d’engager une remontée des taux courts.
  • Plusieurs voix se sont également élevées récemment au sein de la Fed pour souligner le fait que rien ne justifie d’acheter des RMBS (titrisations de créances immobilières) sur un marché immobilier déjà très élevé, et que la Fed devrait éviter de contribuer à la formation de bulles d’actifs.La nouvelle stratégie monétaire de la BCE
  • En Europe, l’adoption par la BCE d’une nouvelle cible d’inflation, désormais symétrique autour de 2 % et plus flexible semble à première vue s’inscrire dans la direction donnée par la Fed à l’été 2020, adoptant une cible d’inflation moyenne permettant un dépassement à court terme de la cible.
  • Pourtant il y a une différence de contexte et de perspective ; la décision de la BCE ne peut pas être lue uniquement comme la recherche de flexibilité face à l’anticipation d’une inflation plus élevée mais aussi comme une évolution de philosophie, en s’éloignant un peu plus de la logique de la Bundesbank et de la volonté initiale de crédibiliser l’institution et la devise par un cadre de politique monétaire plus orthodoxe.
  • Pour le reste, la BCE devrait rester accommodante plus longtemps que la Fed, ne serait-ce parce que l’inflation reste plus modérée ; l’équation se pose de manière différente en zone Euro : la question est moins celle du risque inflationniste et davantage celle du dilemme entre le maintien de la soutenabilité des dettes publiques et le maintien de la crédibilité de l’institution et de la monnaie commune plus réunies.
  • La BCE devra elle aussi clarifier ses intentions mais elle dispose de davantage de temps ce qui lui permettra de procéder de manière prudente et progressive pour éviter de déstabiliser les marchés ; les achats d’actifs réalisés dans le cadre du PEPP devraient continuer au moins jusqu’en mars 2022 ; le plus probable c’est que l’on reste encore longtemps avec des taux négatifs à court terme et que la BCE réinvestisse les tombées de maturités du PEPP même après l’arrêt des achats.
  • Un rendez-vous concernera aussi la clef d’allocation des achats de dette publique entre pays : la fin de nouveaux achats du PEPP en mars prochain pourrait coïncider avec un retour à une répartition normale qui pourrait avoir un impact sur les spreads périphériques bien que nous en sommes encore loin.Les actions technologiques chinoises
  • Depuis mi-février les actions technologiques chinoises ont corrigé de près de 30 %, après une forte accélération des marchés en début d’année qui dépassait nos attentes et nous avait conduit à réduire un peu notre conviction sur ce marché fin janvier.
  • Cette correction trouve son explication dans plusieurs facteurs :
  • – Une politique monétaire moins accommodante de la banque centrale chinoise, qui souhaite contrôlerdavantage le niveau de croissance du crédit. 
  • – Des procédures et sanctions mises en œuvre par les autorités chinoises à l’encontre de plusieurs géants de l’internet chinois, pour des raisons multiples :
  • une volonté générale des autorités de réguler davantage les grands groupes et aussi à voir les entreprises se coter en Chine,
  • une volonté de contrôler davantage l’utilisation des données (d’où les sanctions prises contre Didi, l’équivalent chinois de Uber),
  • une intention de lutter contre le pouvoir pris par certains géants numériques en les attaquant sous l’angle des règles de concurrence.

Par conséquent, ces valeurs dont les fondamentaux sont puissants (à l’image des résultats de Tencent) pourraient rapidement retrouver un attrait important (avec des valorisations ou perspectives de croissance parfois plus attractives que leurs équivalents américains) mais à court terme la prudence et la sélectivité prévalent, dans un contexte où la dynamique de résultats est moins favorable en Chine qu’aux US.

La baisse du ratio de réserves obligatoires en Chine : un signal positif ?

  • La banque centrale chinoise a confirmé la semaine dernière ce qui était discuté dans le marché : une réduction du ratio de réserves obligatoires des banques de 50 bps, qui est généralement un signal positif pour les marchés.
  • Toutefois, il est encore trop tôt pour considérer cette décision comme un changement de direction du cycle monétaire : il s’agit davantage d’un ajustement, rendu nécessaire par un tassement perceptible de la dynamique de croissance et rendu possible par une croissance moins forte des encours de crédit.
  • Cependant, ceci peut constituer un facteur d’inversion d’une tendance négative des marchés chinois amorcée en février, précisément en raison du resserrement de la politique de liquidité en Chine.La saison des résultats d’entreprises
  • Une raison qui nous faisait penser que les corrections devraient rester d’une ampleur relativement modérée était liée au fait que la saison de résultat du deuxième trimestre qui commence ces jours-ci s’annonce très favorable, avec une révision positive des attentes de résultat au cours des dernières semaines, même après une saison de résultats du T1 record.
  • Selon Factset, la croissance des résultats des sociétés du S&P 500 au deuxième trimestre est attendue à +63 %, la plus forte croissance depuis le quatrième trimestre 2009. Cette croissance anticipée a été révisée à la hausse de 7 points au cours des trois derniers mois.
  • ▪  Cette forte croissance des résultats permet une certaine détente des multiples de valorisation malgré la forte croissance récente des marchés ; les multiples restent à des niveaux élevés à plus de 21x les résultats des 12 prochains mois, au-delà de la moyenne des 5 dernières années (18,1x) mais plus bas qu’en début d’année.La rotation croissance / value
  • La séquence des dernières semaines caractérisée par un aplatissement des courbes de taux s’est accompagnée d’une inversion de la rotation vers les valeurs « value » qui était à l’œuvre depuis plusieurs mois.
  • Le tassement récent du sentiment économique et la montée des inquiétudes liées au variant a aussi terni la performance des thématiques liées à la réouverture des économies.
  • Nous pensons toutefois que les catalyseurs restent favorables à moyen terme pour le style value : croissance des résultats, réouverture des économies, prix des matières premières et risques plutôt haussiers sur l’inflation et les taux longs ; de ce fait nous maintenons un équilibre entre valeurs cycliques décotées et valeurs de croissance.Conclusion : impact sur le scénario et sur le positionnement des portefeuilles
  • Nous restons constructifs sur les actifs risqués dans ce cadre favorable sur le triple plan cycle économique / tendance de résultat / soutien monétaire mais avions adopté une posture tactiquement un peu plus neutre sur les marchés ces dernières semaines.
  • Parmi les éléments qui justifiaient cette posture figuraient notamment un comportement un peu euphorique des marchés et une prise en compte encore faible de certains facteurs de risques.
  • Le variant delta est revenu au cœur des préoccupations des investisseurs et fait monter les incertitudes mais ne nous semble pas constituer un élément justifiant un changement de notre scénario central.
  • La période estivale qui s’ouvre peut-être porteuse pour offrir des opportunités tactiques sur certains marchés ayant souffert récemment (actions value, actions chinoises)
  • Les marchés pourraient être soutenus à court terme par les résultats mais auront un double rendez-vous important avec la Fed à la fin de ce mois et à nouveau fin août lors du sommet de Jackson Hole.