L’Ukraine tente de se relancer, encore une fois

par Blaise Antin, économiste chez Amundi Asset Management

La dette extérieure ukrainienne (souveraine, quasi souveraine et des entreprises) a fortement performé ces deux derniers mois, les marchés semblant intégrer des perspectives plutôt positives pour le pays. Deux facteurs pourraient conduire à un nouveau resserrement des spreads : l’accroissement de l’appétit global pour le risque et/ ou une amélioration des politiques du pays après l’élection présidentielle du 7 février.

L’économie reste fragile

La contraction du PIB devrait atteindre 14% en 2009. Toutefois, la chute de l’activité économique a atteint un point bas en milieu d’année et bénéficié ensuite de l’embellie de l’économie mondiale. La demande intérieure demeure atone et la croissance du crédit est très faible. Plutôt que de produire de nouveaux crédits, les banques préfèrent restructurer leurs anciens crédits et acheter des emprunts d’État (qui offrent des rendements proches de 25%). Et si les prix de l’acier venaient à baisser durant l’année, l’Ukraine en serait l’une des principales victimes. Selon certains analystes, en l’absence de véritables catalyseurs, la croissance annuelle moyenne du PIB ne dépasserait pas 3% au cours des cinq prochaines années. Si tel était le cas, le PIB ukrainien ne retrouverait son niveau de 2008 qu’en 2015.

Malgré une restructuration massive des crédits bancaires, la Banque mondiale estime que les créances douteuses représentent entre 15 et 20% du total des crédits, une proportion qui devrait encore augmenter en 2010. Bien que désormais moins optimistes, la plupart des banques étrangères continuent à soutenir leurs filiales locales, en partie parce qu’il leur est très difficile de les fermer. En témoigne la tentative récente d’ING. La banque néerlandaise n’a pas trouvé d’acheteurs pour sa filiale locale et n’a eu d’autre choix que de rembourser les épargnants et de quitter le pays.

Rétablissement du programme du FMI

Le chef de l’opposition Viktor Yanukovych a battu le Premier ministre Tymoshenko lors de l’élection présidentielle du 7 février. Le nouveau président doit maintenant nommer un gouvernement et former une nouvelle coalition au parlement. La tâche s’annonce délicate : des élections législatives anticipées pourraient être nécessaires. Cela pourrait retarder de plusieurs mois l’adoption du budget. Alors que le déficit budgétaire s’est établi à 12-13% du PIB en 2009, le Parlement devra voter une loi de finance pour 2010 qui respecte les exigences du programme du FMI. Les prix du gaz devraient augmenter de 60 à 100% par an au cours des deux prochaines années. La difficulté sera de préserver les ménages à faibles revenus.

Dans son programme, le FMI table sur un déficit budgétaire de 4% du PIB en 2010 (hors la recapitalisation des banques qui devrait coûter presque 3% du PIB). Au total, l’ajustement budgétaire représenterait 5 à 6% en 2010, ce qui semble improbable, sauf à envisager que la croissance du PIB dépasse largement les anticipations actuelles.

Sans l’aide financière du FMI ces derniers mois, l’Ukraine s’est financée sur les marchés, en émettant de la dette en devise locale de diverses échéances (essentiellement de 3 mois à 3 ans), offrant des rendements allant de 20% à 30%. A noter que l’encours total de la dette publique en devise locale représentait 9% du PIB à la mi-2009 contre 2% fin 2008. La banque centrale en possède environ 70%. Les investisseurs étrangers commencent à s’intéresser à ce marché.

Une banque centrale désorganisée

Les perspectives de la devise ukrainienne, la hryvnia (UAH), dépendront largement de la relation entre les autorités et le FMI.

La balance courante est presque revenue à l’équilibre à la suite de la contraction de l’économie, mais le compte de capital reste largement déficitaire et dépendant de l’aide du FMI. Si le programme du FMI n’est pas rétabli, ou s’il l’est avec beaucoup de retard, les pressions baissières sur la hryvnia risquent de reprendre. La dépréciation de la devise ukrainienne est difficile à prévoir mais elle pourrait être de l’ordre de 20-25% (pour atteindre 10/USD). En revanche, si la situation politique se stabilise rapidement et si le FMI accorde son aide avant la mi-2010, les perspectives de la hryvnia seront plus favorables. Rappelons toutefois que le nouveau président est très proche des dirigeants des grandes sociétés exportatrices du pays et ses conseillers plaident pour une dépréciation modeste de la hryvnia, même en cas d’application du programme du FMI. 

La Banque centrale ukrainienne jouit d’une piètre réputation.

Ses objectifs sont la lutte contre l’inflation et la protection de sa devise. Mais son expertise et son gouverneur sont régulièrement décriés par les banquiers locaux. Le nouveau président devrait choisir sous peu un nouveau gouverneur. Jusque-là, il sera difficile de prévoir l’évolution des taux d’intérêt, de jauger la volonté de la Banque centrale de monétiser sa dette souveraine et d’anticiper un tant soit peu les perspectives de la hryvnia.

En matière d’inflation, l’IPC a terminé l’année 2009 à 12,3%, un niveau nettement inférieur à la fin 2008 (22,3%). Au cours des deux prochaines années, la Banque centrale table sur une baisse de l’IPC, qui devrait passer sous la barre des 10%. Les analystes sont beaucoup plus prudents. Si les prix du gaz augmentent comme prévu, l’IPC sera plus élevé. De même, si la hryvnia chute, l’IPC montera. Enfin, l’inflation est un phénomène très tenace en Ukraine. Sinon, comme expliquer que le PIB se contracte de 14% et que simultanément l’inflation atteigne 12% ? Cette persistance de l’inflation sera difficile à enrayer dans un contexte de reprise économique. Ainsi, il est probable que le taux de change effectif réel continuera à s’apprécier même si le taux de change nominal se stabilise cette année.