Marchés obligataires : vers une période plus agitée

par Chris Iggo, Directeur des investissements obligataires chez AXA IM

Les frissons de l'automne font trembler les marchés et la volatilité augmente, comme c'est souvent le cas lors du passage à l'heure d'hiver. Les principaux thèmes sont la croissance mondiale, les politiques divergentes et la réaction des marchés financiers face à ces deux facteurs. Le dollar se raffermit, les taux d'intérêt ont divergé et il est de plus en plus évident que l'issue de cette phase de l'économie d'après crise est plus incertaine que durant la période d'abondance liée à la politique d'assouplissement quantitatif. En termes simples, lorsque les banques centrales renoncent à amortir les risques, les investisseurs doivent être compensés par des rendements plus élevés.

Cet ajustement pourrait prendre du temps et les craintes des colombes de Washington et de Threadneedle Street pourraient subsister pendant encore un certain temps, mais si vous avez foi en la croissance et la guérison économique, il faut vous préparer à vivre une période plus agitée.

La faute à l'économie ?

Que nous disent les marchés financiers à l'heure actuelle ? Depuis l'été, les actions et les titres à haut rendement font l'objet d'un regain de volatilité d'une manière que l'on peut interpréter comme témoignant du regain d'inquiétude des investisseurs concernant les perspectives de la croissance mondiale, ou du moins le déséquilibre qui la caractérise. Nous soulignons depuis un certain temps la divergence entre les États-Unis et l'Europe, mais les données récentes provenant de divers indicateurs comme les enquêtes PMI (Purchasing Managers Index) montrent que le ralentissement de la dynamique de croissance ne se limite pas à la zone euro. Les données de l'enquête CIPS (Chartered Institute of Purchasing and Supply) concernant le secteur manufacturier au Royaume-Uni se sont rapidement essoufflées ces derniers mois et le principal indicateur concernant le secteur manufacturier chinois est inchangé depuis une éternité. Pour le mois de septembre, l'indicateur ISM (Purchasing Managers Index) américain indique que la croissance de la plus puissante économie mondiale reste relativement solide, mais les perspectives sont loin de susciter l'euphorie générale. La Réserve fédérale (Fed) n'est guère enthousiaste en ce qui concerne la vigueur de l'économie et bien qu'ils aient progressé en septembre, les rendements obligataires restent alignés sur une perspective de croissance très faible à moyen terme.

D'une manière ou d'une autre

Je pense que le thème de la divergence reste important dans la mesure où un fossé s'est clairement creusé entre la croissance américaine et la croissance européenne. Ce phénomène, qui se reflète dans les attentes prospectives relatives aux taux d'intérêt, a déjà eu un impact sur le dollar et sur les performances relatives des marchés obligataires en Europe et aux États-Unis. Je pense également que les investisseurs prennent conscience de la période d'incertitude qui les attend par rapport à ces dernières années. Dans un contexte d'assouplissement quantitatif mondial et de politiques monétaires non conventionnelles, la prise de risque était récompensée par une abondance de liquidités mises à disposition par les banques centrales. Les rendements sans risque ont chuté en même temps que les primes de risque. Ce qui constituait une mauvaise nouvelle pour l'économie en était une bonne pour les obligations et les actions. Tout cela est en train de changer. Au moins deux banques centrales importantes envisagent de relever leurs taux d'intérêt en 2015. Les acheteurs de risque ne peuvent plus être certains que les banques centrales ont souscrit une option de vente pour eux. Si la Fed et la Banque d'Angleterre relèvent les taux sans risque, il est possible que les primes de risque augmentent également en raison du nombre plus élevé d'issues possibles dans une période de hausse (certes limitée) des taux d'intérêt.

L'économie américaine doit faire face au raffermissement du dollar et à la hausse des taux

Prenons les États-Unis. La croissance est bonne. Notre économiste David Page estime en effet qu'elle pourrait atteindre une moyenne de plus de 3 % au second semestre 2014, avec un marché de l'emploi qui continue de se resserrer et certains signes indiquant une légère dynamique dans la croissance des prix et des salaires. Mais qu'en est-il des boucles de rétroaction ? Que signifie le thème de la divergence ? Il signifie un raffermissement du dollar susceptible de nuire aux exportateurs américains dans une période où les grands marchés d'exportation sont en difficulté (Europe, Chine, Japon). Il signifie un resserrement des conditions de crédit aux États-Unis, ce qui augmentera le coût marginal du capital pour les entreprises américaines. Il signifie une hausse des coûts d'emprunt pour un secteur des ménages qui demeure fortement endetté, avec toutes les conséquences potentiellement négatives que cela implique sur l'immobilier et la consommation. Il signifie que les perspectives de croissance, en partie fondées sur des taux réels négatifs et des liquidités, sont susceptibles de présenter certains éléments d'incertitude. Les primes de risque des obligations et des actions devraient être plus élevées en conséquence. En actualisant l'autre jour l'un de mes vieux tableaux macroéconomiques, j'ai été quelque peu surpris de constater combien les bénéfices des entreprises américaines avaient ralenti – tout au moins les bénéfices mesurés par la comptabilité nationale. Si la seconde vague de données économiques s'avère négative, un ajustement des primes de risque (déjà minces) pourrait être nécessaire, et sans délai. La croissance peut suivre la tendance en moyenne, mais l'évolution des conditions politiques suscite toujours une plus grande incertitude. Cela n'exerce pas nécessairement une pression à la baisse sur l'économie. Il est certain que nous sommes loin d'observer les signes classiques d'une récession imminente, mais un plus haut niveau d'incertitude doit être pris en compte. 
Il en est de même au Royaume-Uni où le contexte de faible croissance dans la zone euro présente un problème encore plus épineux qu'aux États-Unis. La Banque d'Angleterre est aussi hésitante que la Fed lorsqu'il s'agit d'engager un cycle de resserrement de sa politique, mais une hausse des taux pourrait peser sur l'immobilier et on observe déjà quelques signes de fatigue sur ce marché. Il serait naïf ou tout simplement faux de prétendre que la croissance ne sera pas touchée par l'anticipation du resserrement monétaire, puis par la réalité de sa mise en œuvre. Le fait que nous soyons encore tous traumatisés par la crise financière mondiale devrait amplifier ce sentiment d'incertitude.

Positionnement baissier sur l'Europe, ce qui est dommage

L'Europe est peut-être l'endroit où les mauvaises nouvelles peuvent encore constituer de bonnes nouvelles. De nombreux économistes et stratèges bancaires soutiennent que l'assouplissement quantitatif sera maintenu même si les données restent faibles. Le problème est que cette approche a joué son rôle dans l'ensemble. Les rendements périphériques à cinq ans s'élèvent à 1 %. Où la réduction marginale des primes de risque va-t-elle intervenir ? À des niveaux de rendement aussi bas, il n'est pas évident que les établissements bancaires qui détiennent des obligations d'État sans risque soient enclins à abandonner ces titres de créance pour des prêts aux entreprises et aux particuliers assortis de risques plus élevés, si l'alternative consiste à obtenir des performances légèrement négatives auprès de la Banque Centrale Européenne ou sur le marché Euribor. Pour ma part, je préfèrerais gérer les économies américaine ou britannique dans lesquelles la croissance a repris et où la difficulté se limite à surveiller l'ajustement à des taux plus normaux, que celle de la zone euro où la stagnation séculaire pourrait devenir la norme, où une trappe à liquidités existe réellement et où la politique budgétaire a été émasculée par le modèle d'austérité souveraine imposé par Bruxelles/Francfort/Washington.

C'est comme arriver 7e

L'assouplissement quantitatif apportait une garantie à la prise de risque et limitait la volatilité. Tout cela est en train de changer, la Fed et la Banque d'Angleterre examinant des stratégies de sortie. Les rendements des actifs risqués doivent être plus élevés pour compenser les investisseurs face à au regain d'incertitude concernant la croissance, l'inflation, les devises et le risque de crédit. Il ne s'agit pas nécessairement d'un marché baissier, mais le marché ne peut pas être haussier lorsque les conditions monétaires sont resserrées, lorsque les niveaux de valorisation sont déjà élevés et lorsque les perspectives concernant la croissance et les bénéfices des entreprises font désormais l'objet de différents scénarios. C'est un peu comme les supporters de Manchester United : ils ont été gâtés par 26 années de trophées ininterrompues. Les investisseurs ont quant à eux été gâtés par l'assouplissement quantitatif et l'élimination du coût lié à l'achat du risque. Pendant plusieurs années, les investisseurs obligataires ont bénéficié de performances supérieures à la normale, et même si nous sommes dans une nouvelle phase de normalité, les performances seront inférieures. Si les rendements retrouvent des niveaux reflétant les ambitions du PIB nominal à plus long terme (5 % aux États-Unis), ces performances pourraient être considérablement inférieures aux moyennes à long terme pendant un certain temps. Une hausse des taux dans l'univers sans risque devrait signifier que les investisseurs recherchent des primes plus élevées pour leur acceptation de risques de crédit plus élevés. À court terme, la question sera de savoir qui baissera les yeux en premier : les banques centrales ou le marché obligataire ? L'alternative (pas de hausse des taux pendant une longue période) traduirait un échec des politiques, ce qui serait néfaste pour les actifs risqués.

Occasions à court terme – suivi des titres à haut rendement

Pour répondre à ma question initiale, les marchés financiers nous disent que les perspectives sont encore plus incertaines aujourd'hui car les tendances en matière de PIB et de politique divergent. La volatilité sera plus élevée à l'avenir dans la mesure où la divergence à l'échelle mondiale et le resserrement à l'échelle régionale ont un impact sur le comportement des investisseurs et sur les décisions relatives aux emprunts et aux dépenses. Cette situation appelle à une gestion de portefeuille prudente à court terme, jusqu'à ce que la valeur réapparaisse dans certains segments du marché. 
À l'heure actuelle, j'observe plus particulièrement les obligations américaines à haut rendement. Il s'agit d'un segment qui a enregistré d'excellentes performances durant la phase de reprise et qui a attiré de nouveaux investisseurs importants. Il a récemment fait l'objet de sorties de capitaux en raison des préoccupations concernant les taux et les niveaux de valorisation américains, bien que les fondamentaux en termes de flux de trésorerie et de risque de défaut restent solides. Il a également fait l'objet d'importants volumes d'émission. Les niveaux de valorisation se sont rapidement ajustés dernièrement (une façon élégante de dire que le marché a fait l’objet d’un mouvement de ventes massives) et, avec un rendement supérieur à 6 %, ces titres semblent désormais intéressants selon moi. Peu de segments offrent des rendements aussi élevés. Sur la base des hypothèses habituelles concernant la probabilité de défaut et le taux de perte en cas de défaut, le marché offre une rémunération plus qu'adéquate, et si l'économie américaine poursuit son expansion, pourquoi pas ?

Retour à la réalité

Dans la vie, certains événements marquants prennent, avec le recul, une importance quasi mythique. Je ne fais pas ici référence à la signature d'Angel di Maria à Manchester United, mais de l'annonce récente selon laquelle un très célèbre gestionnaire de titres obligataires a quitté la société qu'il avait fondée. Plus que quiconque, cette personne a été associée au très long marché haussier des titres obligataires. Cela annonce-t-il la fin du marché haussier (sentiment de déjà vu sur ce point) ou s'agit-il du capitalisme à l'œuvre, en ce sens que certains fournisseurs de produits et de services prennent tout simplement une envergure trop importante ? Difficile à dire, mais c'est peut-être une autre raison d'anticiper un changement de position des investisseurs avant que la Fed relève ses taux. Comme le dirait Woody Brock, la richesse financière ne peut pas croître à un rythme supérieur à celui de la richesse réelle pendant une période durable. Ces dernières années, les banques centrales ont stimulé la croissance de la richesse financière afin de résoudre les problèmes de bilan, mais l'économie réelle continue de marquer le pas. Serait-il temps de revenir à la réalité ?

L'important, c'est de participer

Je n'ai pas pu rédiger ce bulletin hebdomadaire ces dernières semaines car l'automne est toujours une période chargée durant laquelle je dois voyager et rencontrer de nombreux clients. J'ai également perdu un peu de mon enthousiasme pour le football, uniquement parce que je n'ai pas eu le temps de regarder de nombreux matchs et de me morfondre suite à la défaite de 200 millions de livres sterling de talents face à Leicester City (bravo Matt). Aucune consolation du côté de l'équipe de Felix, Bedhead FC, qui a perdu son dernier match d'avant saison 7-3 et son premier match de ligue officiel 3-0. Mais, comme les marchés, le sport vous force à accepter les hauts et les bas. L'important, c'est de rester dans la partie. En football, il faut conserver le ballon ; en matière d'investissement, il faut évaluer la situation et faire preuve d'audace.