Mexique : après la tempête…

par Sylvain Bellefontaine, économiste chez BNP Paribas

Compte tenu de ses liens étroits avec l’épicentre de la crise mondiale, les Etats-Unis, l’économie mexicaine a accusé une nette contraction en 2009. Le pire semble à présent passé, l’activité économique s’étant reprise au troisième trimestre 2009, dans le sillage du rebond de la production industrielle et de la consommation au nord de la frontière. Le PIB réel a chuté d’environ 6,6% en 2009, la pire récession depuis les années 1930.

A l’instar de la plupart des pays émergents, le Mexique a été confronté à un phénomène global d’aversion au risque, qui a entraîné une sérieuse dépréciation de sa devise, un plongeon de la Bourse et un élargissement des spreads de taux d’intérêt entre septembre 2008 et mars 2009. Toutefois, la politique économique responsable, mise en œuvre au cours de la dernière décennie, a permis au Mexique de consolider ses fondamentaux macro-économiques.

Aussi a-t-il été mieux en mesure qu’en 1994-95, voire en 2001-02, de résister au choc externe, grâce à : i/ un assainissement des finances publiques, ii/ un régime de change flottant associé à une politique monétaire crédible, iii/ de confortables réserves de changes et iv/ un système financier plus solide. Cependant, en dépit d’une relative stabilité financière, la gravité de la récession a mis en lumière ses faiblesses structurelles, notamment en termes de finances publiques, amenant les agences de notation à dégrader la dette publique à long terme en décembre 2009.

Une reprise se dessine, mais de quelle ampleur ?

– “L’effet US”

L’analyse comparée des cycles économiques au Mexique et aux Etats-Unis au cours des vingt dernières années montre que, suite à la création de l’ALENA (1994), les performances économiques des deux pays se sont progressivement rapprochées, même si le cycle mexicain demeure plus heurté et volatil. En effet, malgré une croissance mexicaine plus fortement assise sur la demande interne de 2004 à 2007, la crise actuelle est venue rappeler l’influence du cycle économique des Etats-Unis sur celui du Mexique.

Une décomposition plus fine des liens économiques réels existant entre les deux pays indique que l’évolution de la production industrielle aux Etats-Unis demeure un facteur explicatif beaucoup plus significatif que la consommation privée, principale composante de la demande interne, pour comprendre et estimer les variations du PIB mexicain. Selon le FMI (IMF Country Report 07/378, décembre 2007), sur la période post-ALENA, les chocs sur la production industrielle américaine explique environ 40% des fluctuations du PIB mexicain avec une répercussion quasi immédiate, concentrée sur le trimestre suivant.

Cette synchronisation économique découle naturellement de l’importance des échanges commerciaux. Les Etats-Unis, partenaire commercial quasi exclusif du Mexique, absorbent toujours 80% de ses exportations totales et 90%de ses exportations manufacturières, en dépit d’efforts de la part du Mexique pour diversifier ses débouchés vers l’Amérique latine et l’Union européenne. Les processus de production américain et mexicain sont fortement intégrés, résultat de la délocalisation d’une partie de la production américaine au profit des maquiladoras mexicaines. D’où l’importance des échanges intra-industriels et des biens intermédiaires et d’équipement dans les exportations mexicaines. De façon plus surprenante, ce constat s’applique aussi au secteur des services, suggérant l’existence d’importants effets de transmission des exportations sur le reste de l’économie mexicaine.

– Le pire semble passé

En 1994-95, la “crise Tequila” a été, dans une large mesure, la conséquence de déséquilibres et de faiblesses endogènes de l’économie mexicaine, alors que la crise actuelle est d’origine exogène. La tempête financière mondiale et le ralentissement de l’économie américaine ayant gagné le Mexique au troisième trimestre 2008, l’économie mexicaine a connu une sévère récession technique entre le quatrième trimestre 2008 et le second trimestre 2009, accentuée par la chute des recettes pétrolières, l’épidémie de grippe A (H1N1) à la fin avril et, dans une moindre mesure, par les violences liées aux cartels de la drogue. LePIB réel a reculé de 4,4% en rythme annualisé au second trimestre 2009, après un effondrement de -23,4% au premier. Au premier semestre 2009, le PIB réel a enregistré une chute de 9,2%par rapport au premier semestre 2008, en raison du plongeon de l’investissement (-11%) et de la consommation privée (-9%), tandis que la contribution nette du commerce extérieur à la croissance est devenue positive, la diminution des volumes d’importations (-25%) ayant dépassé celle des exportations (-23%).

La chute des ventes au détail a reflété la baisse des salaires réels, le resserrement du crédit (l’encours des prêts à la consommation a reculé de 18% en glissement annuel en septembre 2009) et des pertes d’emplois formels, à l’origine d’une augmentation des emplois informels (selon des sources officielles, l’emploi informel a crû de 4,5% en glissement annuel au troisième trimestre 2009, représentant ainsi 28% de l’emploi formel). Les transferts de fonds des travailleurs émigrés (remesas), une source importante de soutien de la consommation privée, ont diminué de 14% en glissement annuel en dollar US sur les onze premiers mois de 2009 mais seulement de 4% après correction des effets de change et de l’inflation. A l’exception de l’agriculture, tous les secteurs d’activité ont accusé un sévère recul d’activité au premier semestre 2009 (industrie manufacturière -15%par rapport au premier semestre 2008, hydrocarbures -4%, construction -8% et services -9%).

Les données du troisième trimestre relatives au PIB et les indicateurs économiques avancés (production industrielle, ventes au détail et indices de confiance) suggèrent que l’économie mexicaine amorce une reprise, dans le sillage du rebond de l’industrie manufacturière et de la consommation aux Etats-Unis.

Le PIB réel du Mexique s’est replié de 6,3% en glissement annuel au troisième trimestre, mais il a progressé de 2,9% par rapport au trimestre précédent (+12,2% en rythme annualisé). La consommation privée a reculé de 5,2% au troisième trimestre en glissement annuel, tandis que la consommation des administrations publiques a augmenté de 2,6%; l’investissement a chuté de 12,5%, les exportations de 18,9% et les importations de 21,5%. Si tous les secteurs d’activité ont poursuivi leur repli en glissement annuel au troisième trimestre, l’industrie et les services ont progressé respectivement de 2,1% et 4,0%par rapport au second trimestre. Le rebond de l’activité industrielle tient notamment aux performances de la production automobile mexicaine, qui a bénéficié de délocalisations de la production américaine. Les constructeurs automobiles mexicains ont produit en moyenne 170000 unités au cours des trois derniers mois contre 105 000 unités au premier semestre 2009. La production automobile a atteint un point culminant à 185 000 unités en octobre, pour se replier ensuite à 154 000 en décembre, le programme américain de “prime à la casse” ayant pris fin en août.

Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 1,0 million au cours de l’année écoulée et de 560 000 pour le seul troisième trimestre 2009 à 2,9 millions.

Mais, après avoir enregistré 520 000 suppressions d’emplois formels sur douze mois à juin 2009, l’économie mexicaine a, contre toute attente, créé 570000 nouveaux postes au troisième trimestre, des contrats à durée indéterminée pour la plupart. Le taux de chômage officiel (un indicateur très peu fiable au Mexique compte tenu de l’importance du sous-emploi et du secteur informel) a reculé, passant de 6,4% en septembre à 5,2% en novembre. Les opportunités d’emplois demeurent faibles sur le marché du travail mexicain, et l’émigration vers les Etats-Unis n’agit plus désormais comme une “soupape de sécurité”. Si les chefs d’entreprise mexicains ont repris confiance, le moral des ménages reste en berne.

Perspectives de croissance économique : le Mexique reste à la traîne des pays émergents

En raison d’une rigoureuse politique économique au cours des dernières années, le Mexique a connu une stabilité économique relative et une faible inflation par rapport aux crises précédentes. Le PIB réel du Mexique n’en a pas moins dévissé d’environ 6,6% en 2009, la pire récession depuis les années 1930, même en tenant compte de la “crise Tequila” de 1995 (- 6,2%). Nous tablons sur une progression de 3,8% du PIB réel en 2010 (contre +5,1% en 1996), sur la base d’un acquis de croissance de +2,9% au titre de 2009, d’un redressement progressif de la demande américaine, d’un taux de change compétitif, d’une augmentation du cours moyen du pétrole et d’une hausse de la demande intérieure liée à un effet de rattrapage et favorisée par une réactivation probable des circuits du crédit octroyé par un secteur bancaire en bonne santé.

Toutefois, même avec cet ensemble d’hypothèses favorables, la reprise devrait pâtir d’un ajustement des dépenses publiques. Le PIB du Mexique a peu de chances, dans ces conditions, de retrouver ses niveaux de 2008, en termes réels et nominaux, d’ici à la fin de 2011.

Considérant que l’effet de rattrapage devrait s’estomper progressivement et que la croissance économique américaine ne reviendra pas aux niveaux antérieurs à la crise en raison du processus de “deleveraging” en cours, il est peu probable que la croissance du PIB réel au Mexique dépasse 3,0-3,5% en 2011-12. En conséquence, le plan de développement ambitieux annoncé par le gouvernement en juin 2007 et destiné à porter le potentiel de croissance de 3,5% à 5% d’ici à 2012 ne serait pas atteint.

Plusieurs facteurs entravent le développement économique à long terme du Mexique : un capital humain et des infrastructures d’un niveau toujours insuffisant, les rigidités du marché de l’emploi, les défaillances du cadre juridique (pléthore de réglementations, corruption, évasion fiscale, etc.) et un taux d’investissement relativement faible (20,6%du PIB réel en 2000-09 en moyenne) par rapport à la moyenne des marchés émergents, notamment ceux d’Asie. Les monopoles publics et privés dominent le paysage économique, limitant la concurrence et les gains de productivité.

Par l’ouverture de son économie et la spécialisation de sa base d’exportation, le Mexique se heurte à une concurrence internationale des plus vives sur les marchés américains, notamment de la part des pays asiatiques en forte croissance, dont la Chine (textiles, électronique et pièces automobiles), l’Inde (textiles) et la Corée du Sud (automobiles), qui parallèlement deviennent des partenaires commerciaux majeurs pour les autres pays d’Amérique latine. Toutefois, en dépit de coûts salariaux nettement plus élevés qu’en Chine ou en Inde et d’infrastructures de transport et de télécommunications encore insuffisantes, la proximité des Etats-Unis est un avantage compétitif majeur pour le Mexique. Ce dernier a, jusqu’à présent, préservé sa compétitivité à l’exportation, comme en témoigne l’augmentation de sa part de marché dans les importations américaines, à la faveur, notamment, de la forte dépréciation du peso.

Enfin, le potentiel de croissance reste limité par rapport aux autres marchés émergents y compris latino-américains. Le taux d’investissement du Mexique n’est pas assez élevé pour assurer une croissance à long terme supérieure à 3,5% par an. De plus, la spécialisation manufacturière du secteur exportateur mexicain – potentiellement plus porteuse en termes de développement et de stabilité économique à moyen-long terme que celle des autres pays de la région plus vulnérables aux chocs externes sur les matières premières – s’avère en définitive peu favorable étant donné la forte concurrence internationale sur des marchés où le Mexique ne se positionne pas comme un leader.

Balance des paiements : risques à la baisse

– Légère amélioration du déficit courant

Les liens entre le Mexique et les Etats-Unis vont bien au-delà de la simple intégration des échanges commerciaux: les transferts de fonds des travailleurs expatriés (remesas), les investissements étrangers (IDE et investissements de portefeuille) ainsi que le tourisme sont également des canaux de transmission qui relient fortement les économies américaine et mexicaine.

Mais, avec l’amélioration de la situation de la balance des paiements au cours de l’année écoulée, les craintes exprimées par les marchés se sont apaisées.

En effet, malgré la chute des remesas (-14% en rythme annuel entre janvier et novembre 2009) et des flux touristiques (-15%entre janvier et septembre 2009), le déficit courant a été réduit de moitié en cumul sur les trois premiers trimestres 2009 par rapport à 2008 à USD 4,5 milliards, dont un déficit de USD 1,9 milliard au troisième trimestre après un excédent de USD 0,8 milliard au second. Cette situation s’explique par l’amélioration de la balance commerciale, dont le déficit cumulé a atteint USD 4,3 milliards entre janvier et septembre 2009 contre USD 8,9 milliards un an plus tôt – le repli de la facture des importations (-30%) a été plus net que celui des recettes d’exportation (-29%) – ainsi que par une diminution du déficit de la balance des revenus (-21% à USD 11,5 milliards) à la faveur de la diminution des paiements de dividendes.

– Normalisation progressive des flux de capitaux

A l’instar de nombreux marchés émergents, le Mexique a subi un sévère coup d’arrêt (“sudden stop”) des entrées de capitaux à partir de septembre 2009 qui a frappé les marchés actions et obligataires (essentiellement, les titres publics) mexicains et les lignes de crédit externes. Les sorties de fonds liées aux investissements de portefeuille étrangers et celles liées aux prêts et dépôts ont atteint USD 6,9 milliards et 3,4 milliards, respectivement, sur la période quatrième trimestre 2008-premier trimestre 2009, mais elles ont été compensées par d’importants rapatriements d’actifs détenus à l’étranger (USD 12,5 milliards pour le seul quatrième trimestre 2008). Ces rapatriements, ajoutés à la relative inertie des flux d’investissements directs étrangers (IDE), ont soutenu le compte de capital du Mexique, qui a affiché un excédent de USD 11,5 milliards au quatrième trimestre 2008, avant de devenir négatif au premier semestre 2009 (USD -4,7 milliards), sous l’effet des réallocations de portefeuille des opérateurs locaux (essentiellement les banques), soit USD 9,8 milliards au premier semestre 2009.

Les données relatives au troisième trimestre 2009 décrivent une situation contrastée. Le compte de capital a enregistré un afflux net de USD 3,6 milliards, en raison d’un rebond des flux d’investissements de portefeuille (USD 7,8 milliards sur le trimestre, soit un niveau record depuis la mi-1996), d’un accroissement de la dette publique (USD 0,9 milliard) et de l’attribution de droits de tirage spéciaux (DTS) par le FMI (USD 4,0 milliards). Une situation qui traduit un engouement plus marqué des investisseurs internationaux pour le risque et un assouplissement progressif des contraintes financières internationales. Cependant, les flux nets d’IDE sont devenus négatifs au troisième trimestre 2009 (USD -0,6 milliard) pour la première fois depuis les années 1960, une évolution qui ne devrait être que temporaire. Entre janvier et septembre 2009, les IDE ont représenté un montant total de USD 9,7 milliards, soit un repli de 37%par rapport à 2008.

 – Le régime de change flottant a absorbé les chocs externes et préservé la position de liquidité extérieure

La “crise Tequila” de 1995 est le cas type d’une crise de la balance des paiements qui a signé l’échec du régime de change fixe du Mexique. En complétant sa politique de ciblage d’inflation par l’adoption d’un régime de change flexible à partir de la fin des années 1990, le Mexique a réussi à préserver l’autonomie de sa politique monétaire vis-à-vis des chocs de change, un change flexible permettant de limiter la volatilité des taux d’intérêt et des réserves de changes. Le peso a ainsi joué un rôle de variable d’ajustement: il s’est, en effet, déprécié de 50%face au dollar en termes nominaux et de 24% en termes effectifs réels entre fin août 2008 et début mars 2009, avant de se raffermir pour se situer en moyenne à 13,5MXN/USD dans les derniers mois et autour de 13,0 MXN/USD à présent.

Devant l’amélioration des comptes externes et la moindre volatilité du peso, les autorités monétaires ont annoncé, le 1er septembre, la suspension des adjudications quotidiennes de USD 50 millions à compter du 1er octobre, tandis que celles déclenchées automatiquement par une dépréciation de plus de 2% du peso, étaient maintenues. A un plus haut historique de USD 86,9 milliards en juillet 2008, les réserves de changes ont chuté de 12%en un an à USD 76,3 milliards début août 2009, consécutif à l’intervention massive de Banxico sur le marché des changes entre octobre 2008 et mars 2009. Grâce au gain de USD 5 milliards au titre de la couverture contre la baisse des cours du pétrole mise en place par le gouvernement en juillet 2008, les réserves de changes se situaient, fin 2009, à près de USD 91 milliards, un niveau record. Le Mexique a également bénéficié de la ligne de swap de devises accordée par la Réserve fédérale américaine (USD 30 milliards jusqu’au 1er février 2010, dont USD 3,2 milliards ont été utilisés en avril 2009), ainsi que de la ligne de crédit flexible du FMI (USD 47 milliards).

– Perspective : résoudre le problème de la diversification des exportations et de la compétitivité pour assurer la soutenabilité de la balance des paiements

La réduction du déficit commercial de 1,6% du PIB en 2008 à environ 0,9%du PIB en 2009 devrait s’inverser légèrement dans les prochaines années. En effet, l’accroissement des importations, consécutif au redressement de la demande intérieure, devrait l’emporter sur le rebond des recettes à l’exportation.

Cette évolution, conjuguée à une reprise très timide des transferts de fonds par les travailleurs émigrés et une très légère augmentation des rapatriements de bénéfices par les sociétés étrangères, devrait se traduire par une légère aggravation du déficit courant, passant de 1,1% du PIB en 2009 (après 1,5% du PIB en 2008) aux environs de 1,5% à2,0% en 2010-2011. A près de USD 60 milliards en 2010-11, les besoins de financement extérieur du Mexique vont rester élevés en termes absolus, mais (à hauteur de 6% à 7% du PIB) ils devraient rester gérables compte tenu du rebond attendu des flux d’IDE, ainsi que des flux de capitaux et de dette extérieure. Malgré le soutien de ces facteurs, le cours du peso devrait, néanmoins, rester inférieur à sa moyenne à long terme (10,3 MXN/USD au cours de la dernière décennie) et potentiellement soumis à quelques accès de volatilité.

Même si la profonde récession économique du Mexique semble davantage imputable au ralentissement conjoncturel des Etats-Unis qu’à une perte de compétitivité, il est impératif, compte tenu de l’intensité de la concurrence internationale, que la spécialisation de l’économie mexicaine s’oriente vers des produits à forte valeur ajoutée, nécessitant une main-d’œuvre plus qualifiée (chimie, télécommunications, aéronautique, matériel médical). Il convient également d’améliorer la compétitivité, la productivité et la diversification des débouchés à l’exportation afin d’ouvrir de nouvelles perspectives de développement et de garantir la pérennité de la balance des paiements à moyen et long terme.

Finances publiques : des risques à la hausse

– Malgré une gestion conservatrice, le dérapage budgétaire n’a pu être évité en 2009

Lors des deux grandes crises qui ont frappé le Mexique au cours des trois dernières décennies – la crise de solvabilité de la dette souveraine au début des années 1980 et celle de la balance des paiements en 1994-95 –, le secteur public a joué un rôle central de catalyseur. Ces dernières années, la situation des finances publiques s’est considérablement améliorée, avec un budget du secteur public équilibré et un niveau d’endettement relativement faible. La politique budgétaire restrictive adoptée depuis la fin des années 1990 a contribué à stimuler la confiance des investisseurs internationaux et améliorer la stabilité macroéconomique du pays. Le risque sur la dette publique en devises a nettement diminué au cours des dix dernières années, notamment grâce à la substitution de la dette libellée en peso à la dette en dollar. La dette publique extérieure s’élevait à 7%du PIB à la fin 2008 et est, pour l’essentiel, à taux fixe et à échéances longues.

Le Mexique a beau être entré dans la crise relativement mieux armé que lors des crises précédentes, la récession économique a été si profonde qu’elle a fait apparaître au grand jour les faiblesses structurelles des finances publiques. La réforme budgétaire de 2007 comme celle du secteur énergétique de 2008 ont été très décevantes. Les pouvoirs publics ont échoué, jusqu’à présent, à remédier à plusieurs problèmes d’une importance cruciale: i/ la dépendance du budget vis-à-vis des recettes pétrolières (plus de 35% des recettes totales au cours des dernières années) dans un contexte de forte chute de la production pétrolière (-30% depuis le point culminant de 2004); ii/ une base fiscale excessivement réduite, limitée à 10% du PIB en raison d’un code des impôts pléthorique, complexe et inéquitable, multipliant les régimes préférentiels et les exonérations, d’une collecte inefficace de l’impôt, d’une évasion fiscale massive et de l’importance de l’économie informelle ; iii/ une épargne du secteur public faible et qui va en s’amenuisant (le fonds de stabilisation ne représente que 2,4% du PIB). Ces faiblesses structurelles, associées aux problèmes cycliques (à savoir la chute provisoire des recettes non pétrolières due aux difficultés économiques) et au maintien d’une politique budgétaire conservatrice, expliquent la portée limitée de la politique budgétaire contracyclique (1) par rapport à celle mise en œuvre dans nombre de pays émergents ou au niveau régional, au Brésil, au Chili, et même au Pérou. On comprend mieux aussi, dans ces conditions, les raisons pour lesquelles la marge de manœuvre budgétaire est désormais considérée comme épuisée.

Sur les dix premiers mois de 2009, malgré les efforts déployés pour amortir la dégradation des comptes publics, y compris les recettes non récurrentes des opérations de change de Banxico et le transfert des maigres ressources du fonds de stabilisation pétrolier, les recettes budgétaires du secteur public fédéral (2) ont reculé de 12% en glissement annuel et en termes réels sous l’effet de la baisse des recettes pétrolières (-28% en glissement annuel à 31%des recettes totales en raison de la chute de la production de 7% et du repli des exportations de 13%, et ce, en dépit d’une dépréciation de 22% du peso par rapport au dollar) ainsi que de la diminution des recettes non pétrolières (-2%). Dans le même temps, les dépenses totales ont augmenté de 5%, dont une hausse de 10% des dépenses programmables (allouées notamment au développement agricole et social, et à la sécurité nationale), tandis que l’investissement physique a grimpé de 65% (11% hors investissements de PEMEX). En conséquence, le solde du secteur public est devenu négatif, affichant un déficit de MXN 180 milliards (soit environ USD 13 milliards) sur la période de janvier à octobre, équivalant à 1,5% du PIB annuel, après un excédent de 1,7% du PIB en 2008. L’excédent primaire s’est réduit à 0,1% du PIB, contre 3,2% un an plus tôt, amputé par l’accroissement de 12% des charges d’intérêt qui ont atteint le niveau encore raisonnable de 8,4%des recettes budgétaires (environ 1,5% du PIB), contre 6,6% un an auparavant, en partie sous l’effet de la dépréciation du peso.

Pour couvrir son besoin croissant de financement, le gouvernement a eu recours à l’endettement. L’encours de la dette brute du gouvernement fédéral a augmenté de 13% et celui du secteur public de 29% en termes nominaux entre décembre 2008 et octobre 2009. Le secteur public a bénéficié de prêts des organismes multilatéraux (+18% sur dix mois) et a fait appel aux marchés de capitaux internationaux (+62%), tout en sollicitant le marché intérieur (+21%), privilégiant les émissions à court terme et diminuant celles à long et moyen terme afin de limiter l’effet d’éviction dans un contexte de resserrement du crédit au secteur privé.

En 2009, le déficit du budget fédéral devrait être de 0,9% du PIB, tel que mesuré par le gouvernement (y compris les quelque USD 5 milliards de recettes de la couverture du pétrole à 70 USD/b), après un déficit symbolique de 0,1% du PIB en 2008. Cependant, tel qu’estimé à partir de la méthode traditionnelle de calcul plus large et plus juste appliquée jusqu’en 2008, qui prend en compte les investissements de PEMEX, le déficit atteindrait 2,9% du PIB. Sous l’effet de l’augmentation de l’endettement, de la contraction du PIB et de l’affaiblissement du peso, le ratio de dette publique brute devrait atteindre 39% en 2009, contre 31,5% en 2007.

Au total, malgré la gravité de la récession économique, le dérapage budgétaire a été jusqu’ici limité, mais la dette publique a considérablement augmenté en pourcentage du PIB, à partir d’un niveau initial faible.

– Ajustement budgétaire en vue pour 2010

Depuis la défaite du parti au pouvoir, le Partido Accion Nacional (PAN), aux élections législatives de juillet 2009, le Président Calderon est en position de faiblesse pour faire adopter des réformes impopulaires.

Le gouvernement a eu toutes les difficultés à faire accepter son projet de budget pour 2010 par un congrès désormais dominé par le PRI, aujourd’hui donné favori pour les présidentielles de 2012. A l’issue de longues négociations avec l’opposition, le congrès a approuvé le 17 novembre une version édulcorée de la proposition de budget, ouvrant la voie à des hausses d’impôts et à des dépenses budgétaires sous le signe de l’austérité. Les «réformettes» adoptées ne sont clairement que des pansements temporaires censés remédier à l’inéluctable détérioration de l’équilibre budgétaire. Elles n’en constituent pas moins un effort remarquable, le Mexique représentant l’exception parmi les pays émergents et développés pour avoir appliqué des hausses d’impôts alors que l’économie mondiale est en pleine récession.

Le budget pour 2010 fixe les dépenses totales à MXN 3 200 milliards (USD 240 milliards) hors investissement de PEMEX à hauteur de MXN 264 milliards (USD 19,5 milliards), soit un niveau inférieur de 0,5% en termes réels à celui du budget approuvé pour 2009, mais supérieur de MXN 4 milliards (USD 0,3 milliard) au projet d’origine. Les principaux changements portent sur une réallocation de MXN 96 milliards (USD 7,1 milliards) centrée sur une hausse des dépenses de développement social (+3% dans l’éducation et +17% dans l’assistance sociale) et la sécurité (+18%). De plus, dans le cadre des efforts visant à améliorer l’efficacité des dépenses publiques, Luz y Fuerza del Centro, entreprise publique de distribution d’électricité, notoirement connue pour son inefficience, a été mise en liquidation, ce qui a permis au gouvernement de procéder à une réallocation des ressources à hauteur de MXN 17,8 milliards (USD1,3 milliard) en 2010. Le Congrès a rejeté la proposition du gouvernement portant sur la suppression de trois ministères. Côté recettes, la loi de finances prévoit une augmentation de 2% de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu à 30%, une hausse de 1% de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) et un nouvel impôt de 3% sur les services de télécommunications. Le budget des recettes approuvé n’a pas retenu la proposition du gouvernement relative à une taxe sur les ventes de 2%; il a relevé l’hypothèse budgétaire concernant le cours du pétrole à USD 59 par baril, contre USD 53,9 initialement, et intégré une taxe de 3% sur les dépôts bancaires, pour des soldes de MXN 15000(USD 1 100) et au-delà. Dans l’ensemble, ces mesures devraient se traduire par une augmentation des recettes fiscales non pétrolières à hauteur de 1,1% du PIB et par une baisse des dépenses de 0,6% du PIB.

Selon les hypothèses officielles retenues pour 2010, qui nous paraissent relativement conservatrices pour ce qui est de la croissance du PIB réel (3,0% contre notre projection de 3,8%) et du prix moyen du pétrole mexicain (59 USD/b contre 75 USD/b selon notre projection), mais optimistes pour la production pétrolière (2,5 milliards b/j, soit une baisse de 4% par rapport à la production actuelle), le déficit budgétaire devrait atteindre MXN 96 milliards (USD 7 milliards), soit 0,75% du PIB l’année prochaine, contre une première hypothèse de 0,5% dans le cadre de la proposition de budget initiale. En tenant compte des investissements de PEMEX (USD 19,5 milliards), le déficit budgétaire pourrait avoisiner 2,8% du PIB.

Le besoin de financement du secteur public est officiellement attendu à MXN 422 milliards (USD 30,5 milliards), soit 3,3% du PIB, à financer par une émission de dette nette de MXN 380 milliards (USD 27,5 milliards), y compris une composante extérieure de USD 8,0 milliards (les autorités ont déjà relevé le plafond de la dette en termes d’émission), intégrant les financements d’organismes multilatéraux.

– La dynamique de la dette publique paraît soutenable à moyen terme sous conditions

Grâce aux «réformes» mises en œuvre ces dernières années et à la poursuite d’une gestion conservatrice des comptes publics, la liquidité du secteur public n’est pas menacée à court terme et bénéficie d’un accès toujours relativement aisé aux marchés obligataires nationaux et internationaux. Le gouvernement vient par ailleurs d’annoncer la couverture de sa production pétrolière de 2010 au cours de 57 USD/b, pour un coût de USD 1 milliard afin de se prémunir contre le risque d’une baisse importante du cours du brut.

Cependant, la faiblesse de la croissance potentielle du pays, l’épuisement du secteur énergétique (le programme d’investissement de PEMEX d’environ USD 20 milliards par an sur la période 2010-2015, soit le double du montant investi ces dix dernières années, paraît insuffisant face aux difficultés du secteur pétrolier) et l’engagement des pouvoirs publics mexicains dans une guerre coûteuse et meurtrière contre les cartels de la drogue représentent autant de défis majeurs pour les finances publiques. Le report aux «calendes grecques» des réformes de fond de la fiscalité, de l’énergie et du marché du travail a conduit les agences de notation à envisager un abaissement de la notation du risque pays du Mexique, dans le sillage de la détérioration de son profil de risque à moyen et long terme. S&P et Fitch viennent d’abaisser la notation à long terme du Mexique en devises et en monnaie locale d’un cran avec perspectives stables, et Moody’s n’a pas encore rendu son verdict. C’est la première fois depuis 1995 que le Mexique voit sa notation abaissée.

A partir de la crise financière internationale initiée en août 2007, l’écart de rendement entre les titres en devises du gouvernement mexicain et les titres US s’est creusé pour atteindre 600 pb au paroxysme de la crise en octobre 2008 avant de se resserrer progressivement avec quelques accès de volatilité. La prime de risque du Mexique demeure raisonnable et toujours légèrement inférieure à celle appliquée aux pays «orthodoxes» d’Amérique latine (à l’exception du Chili) et inférieure également à celle attribuée en moyenne à la dette souveraine des pays émergents. Le Mexique vient juste de recourir aux marchés internationaux pour la première fois depuis l’abaissement de sa notation par Fitch et S&P, en émettant USD 1 milliard à 10 ans assorti d’un coupon de 5,125%, soit une prime de risque de 142 pb par rapport aux Treasuries.

La solvabilité du Mexique et son statut Investment Grade ne sont pas en danger à ce stade. Le Mexique peut se prévaloir d’un bon historique de remboursement de ses engagements. Bien sûr, la dette publique a été rééchelonnée deux fois dans les années 1980 et 1990, mais sans souffrir de défaut technique depuis le XIXe siècle, grâce principalement ausoutien indéfectible des Etats-Unis et du FMI. La dette initiale est relativement modérée en pourcentage du PIB et la structure de la dette publique s’est considérablement améliorée ces dernières années grâce à unegestion dynamique du passif et au développement des marchés de capitaux domestiques. La dette publique est principalement domestique (71% de la dette publique totale et 83% de la dette du gouvernement fédéral). La dette du gouvernement fédéral bénéficie d’une structure d’échéance longue (l’échéance moyenne est de 6,2 ans pour la dette domestique et 11,2 ans pour la dette extérieure) grâce à une courbe des taux étendue, tant en MXN qu’en USD, et principalement composée d’instruments à taux fixe (55%de la dette domestique du gouvernement et 99% de sa dette externe).

Selon notre simulation, la dette publique brute du Mexique pourrait culminer à 40%du PIB cette année avant de diminuer très légèrement jusqu’en 2015 (scénario central), niveau considéré comme raisonnable pour un pays émergent et modéré pour une économie avancée. Dans l’hypothèse d’une accélération de la chute de la production pétrolière et en l’absence de mesures pour contrer la détérioration des comptes budgétaires, un déficit plus important du solde primaire pourrait induire un accroissement continu de la dette publique en pourcentage du PIB à presque 45% en 2015. Enfin, seul un choc combiné (croissance, production pétrolière, taux d’intérêt et taux de change) pourrait rendre la dynamique de la dette publique explosive et insoutenable à moyen terme, ce qui constituerait un scénario extrême. 

En conclusion, la dynamique de la dette publique du Mexique demeure vulnérable à des chocs adverses sur la croissance économique, la production pétrolière et le cours du baril, ainsi qu’aux spreads des emprunts souverains et aux taux d’intérêt américains. Nous pensons, néanmoins, que cette dynamique devrait rester sous contrôle à moyen terme et qu’un effet «boule de neige» (3) n’est pas à redouter, grâce à la poursuite d’une politique macroéconomique orthodoxe et aux mesures budgétaires ponctuelles qui seront prises au moins jusqu’aux élections présidentielles de 2012. Cette orthodoxie aura toutefois un coût pour le développement socio-économique du pays qui pourrait se doubler d’une instabilité sociale croissante, rendant impérative la mise en œuvre des réformes structurelles.

Politique monétaire : gérer certaines tensions inflationnistes en 2010

Au Mexique, le niveau de l’inflation et sa volatilité ont progressivement reculé après la mise en place, à la fin des années 1990, d’une politique monétaire de ciblage de l’inflation mais aussi à grand renfort de rigueur budgétaire. En 2009, compte tenu de l’atténuation progressive de l’effet de la dépréciation du change sur l’inflation, de l’effondrement de l’activité et des importations, ainsi que de la baisse des prix alimentaires et de l’énergie, les tensions inflationnistes se sont progressivement détendues. Cependant, compte tenu de certaines rigidités, notamment les prix réglementés pour les services aux collectivités et le carburant (et, dans une moindre mesure, pour les denrées alimentaires) ainsi que la faiblesse de la concurrence sur le marché local, le Mexique n’a pas connu une tendance désinflationniste comparable à celle d’autres pays «orthodoxes» d’Amérique latine (en particulier le Chili, le Pérou et la Colombie). A 3,6% en décembre 2009, l’inflation annuelle demeure supérieure à l’objectif central de 3% +/-1pp, ce qui, dans un contexte de large output gap, a empêché la mise en œuvre d’un cycle de détente monétaire important, la banque centrale se contentant d’abaisser le taux directeur de 375 pb depuis janvier 2009, fixé à 4,5% depuis juillet.

La tendance au ralentissement de l’inflation devrait s’inverser au premier semestre 2010. En effet, selon les estimations de Banxico, il faut s’attendre à une hausse de 169 pb de l’inflation induite par l’adoption des mesures budgétaires et l’augmentation des prix administrés. Banxico a relevé sa fourchette de prévisions d’inflation pour fin 2010 de 175 pb à 4,75-5,25%, tout en maintenant une convergence de l’inflation vers l’objectif en 2011. Conséquence, le consensus table désormais sur une hausse de 100pb des taux directeurs cette année, ce qui devrait permettre à la banque centrale de préserver la stabilité des prix (son objectif principal(4)) sans compromettre la reprise économique.

Une crise financière évitée notamment grâce à la solidité du système financier 

Qualité de crédit des entreprises à surveiller de près L’effet potentiel d’une brutale chute du peso sur les bilans des compagnies locales a incité la banque centrale à prendre des mesures vigoureuses à partir de début octobre 2008(5). Les pertes sur dérivés de change des entreprises mexicaines ont été estimées à USD 20 milliards, amenant la société Comerci, troisième distributeur du pays, à déposer son bilan après avoir enregistré USD 2,2 milliards de pertes. Cemex, troisième cimentier mondial et opérateur de premier plan sur le marché américain, de même que Gruma, numéro un mondial de la fécule maïs, ont accusé, chacun, USD 900 millions de pertes sur dérivés. Relativement modeste par rapport au PIB et pour l’essentiel adossée à d’importantes recettes en devises, la dette extérieure des entreprises a sensiblement augmenté au cours de la période 2007-08, en particulier, la dette bancaire à court terme. Dans un environnement économique et financier particulièrement difficile, plusieurs grandes sociétés mexicaines, notamment Cemex et Gruma, ont été dans l’incapacité d’honorer leurs engagements et de renouveler leur dette au début de 2009, les obligeant à restructurer leur dette bancaire. Quant aux petites et moyennes entreprises, également touchées par l’assèchement du crédit, elles ont reçu une aide du gouvernement sous forme de garanties de prêts pour le refinancement de leur dette à court terme.

– Un système financier en bonne santé et en développement

Malgré l’accroissement du risque de crédit des entreprises, deux facteurs ont permis d’atténuer le risque systémique de crédit : la relative stabilité du système bancaire mexicain et les mesures adoptées par les autorités qui ne comportent aucune aide au système bancaire, contrairement à 1995, où la fragilité de ce secteur n’avait fait qu’exacerber la crise.

La stabilité macroéconomique de ces dernières années est allée de pair avec un développement de l’intermédiation financière et l’accélération des prêts au secteur privé dans un contexte de concurrence entre les banques de détail. Cependant, la résistance du système s’explique aussi par d’autres raisons : le mouvement de forte désintermédiation financière déclenché par la “crise Tequila” et la taille relativement modeste du système bancaire mexicain (le crédit représente moins de 20% du PIB et les dépôts un peu plus de 20% du PIB). Plus important encore, le système bancaire mexicain a été profondément restructuré et renforcé; de même, la réglementation et la supervision bancaires ainsi que la gestion du risque ont été considérablement améliorées depuis 1995. Lors de l’éclatement de la crise financière à l’automne 2008, le secteur bancaire mexicain se caractérisait par conséquent par de bons ratios de capitalisation et de liquidité, par un financement basé sur les dépôts notamment dans les grandes banques (ratio prêts/dépôts relativement modéré malgré la forte progression du crédit ces dernières années), par la faiblesse des créances douteuses à l’actif des banques, par d'importantes provisions et, enfin, par le fait que les filiales des banques étrangères (65% des capitaux propres du système bancaire sont détenus par des investisseurs étrangers) ne sont pas dépendantes des lignes de financement des sociétés mères (6).

Grâce aux banques publiques de développement, dont le volume d’opérations a augmenté, compensant ainsi en partie la baisse du crédit accordé par les banques privées, la croissance totale du crédit n’a diminué que progressivement, passant de 30% en rythme annuel à la fin 2007 à un niveau négatif en août 2009 (-4% toujours en rythme annuel en octobre), pénalisée par le repli du crédit à la consommation (-17% en glissement annuel en octobre). Dans le même temps et malgré un ralentissement régulier, les segments du crédit commercial et hypothécaire n’ont pas connu de “credit crunch”. Insignifiants jusqu’au début de la crise financière, les spreads entre les taux interbancaires et le taux prêteur moyen ont atteint un point culminant à 225 pb en novembre 2008 avant de se replier au niveau actuel de 80 pb. Les taux hypothécaires moyens sont restés quasiment inchangés depuis la fin 2008 (environ 15%), mais les taux moyens au titre des cartes de crédit s’élèvent à présent à 35%.

Dans l’ensemble, les créances douteuses ont grimpé à 3,9%du total des prêts en mai 2009 avant de reculer à 3,4% en septembre, ce qui reste gérable dans la mesure où les provisions couvrent plus de 150% de ces créances douteuses. La hausse des créances douteuses a été plus importante dans le segment du crédit à la consommation, atteignant 9,6% en mai 2009 (7,8% en septembre). En juin 2009, le ratio de fonds propres du système s’élevait à16,2% (bien au-dessus du ratio minimal de 8%). Les banques ayant préservé leurs marges d’intermédiation, les ratios de rentabilité demeurent satisfaisants et se sont même redressés légèrement, après une baisse significative entre début 2008 et début 2009.

Les autorités ont suivi tout particulièrement l’exposition globale des banques aux grandes entreprises. Elles ont relevé le coefficient de réserves obligatoires pour les prêts à la consommation en août 2009, et d’importantes réformes du secteur financier sont à l’étude, notamment dans le domaine de l’amélioration de la transparence des institutionset des marchés financiers, le renforcement des pouvoirs de l’autorité de surveillance (CNBV) concernant certaines institutions financières non bancaires et la promotion d’une protection plus efficace des droits des consommateurs.

Dans l’ensemble, les banques devraient rester prudentes en matière d’octroi de prêts ; autrement dit, la reprise du crédit sera probablement progressive tout au long de 2010. Des politiques conservatrices en matière de crédit et de faibles taux de pénétration contribueront probablement à atténuer le risque d’une grave détérioration des indicateurs prudentiels des grandes banques. Cependant, la chute des résultats des entreprises et l’augmentation des coûts de financement pourraient induire une nouvelle hausse des créances douteuses. Malgré des perspectives incertaines à court terme, le taux relativement faible de pénétration du crédit au Mexique et un ratio prêts/dépôts modéré laissent entrevoir une expansion notable du crédit compatible avec le maintien de la solvabilité des banques à moyen terme. L’expansion de l’activité bancaire devrait, néanmoins, pâtir de perspectives de croissance économique relativement modeste, d’une pauvreté persistante et d’inégalités criantes de revenus.

Au-delà du système bancaire, les marchés financiers mexicains se sont développés, et leur liquidité a augmenté au cours des dernières années en raison notamment de l’expansion des fonds de pension (AFORES). Le montant de leurs actifs sous gestion a doublé au cours des quatre dernières années à 16% du PIB, ce qui reste faible à l’échelle internationale. Les marchés financiers constituent une source de financement en devise locale pour les grandes entreprises, mais, devant la montée de l’aversion au risque, l’attractivité des instruments de la dette souveraine a eu un effet d’éviction sur les marchés des actions et de la dette corporate. Après avoir perdu 40% entre janvier 2008 et mars 2009, la Bourse mexicaine a, à l’instar des marchés internationaux, regagné 43%sur l’ensemble de l’année 2009. Le financement des entreprises recèle une forte marge de croissance sur les échéances éloignées; en effet, même si certaines sociétés sont en mesure d’émettre des billets de trésorerie à échéance 3-5 ans, elles sont en général soumises à des risques de crédit et de liquidité, de sorte qu’elles sont amenées à rechercher un financement à court terme par le biais du crédit fournisseur ou de l’affacturage, exacerbé par le tarissement du crédit bancaire.

Conclusion

Traditionnellement à l’avant-garde des crises économiques et financières depuis les années 1980, les pays d’Amérique latine ont, jusqu’à présent, brillé par leur absence au panthéon des régions les plus touchées par la crise. Cette relative résilience du sous-continent a mis en exergue les progrès réalisés ces dernières années en termes de politiques macroéconomiques, en particulier au Chili, au Brésil, au Mexique, auPérou et en Colombie.

Face à la tempête financière mondiale, le Mexique a fait preuve d’une résistance comparable à celle de ses homologues régionaux, mais son économie réelle a connu la pire récession depuis les années 1930, tandis que les autres pays “orthodoxes” d’Amérique latine ont réussi à éviter une nette contraction du PIB réel et même à afficher une croissance en 2009 pour certains d’entre eux. La sévérité de la récession économique met en lumière les faiblesses structurelles du Mexique : i/ forte exposition au cycle économique américain ; ii/ concurrence d’autres pays émergents (essentiellement la Chine) sur le marché américain, impliquant une plus grande spécialisation de l’économie mexicaine en faveur de produits à forte valeur ajoutée; iii/ fragilité des comptes publics trop dépendants de recettes pétrolières volatiles, d’autant plus que le secteur pétrolier connaît un déclin marqué essentiellement dû à des rigidités réglementaires.

Le Mexique est considéré comme une démocratie formelle, basée sur des institutions politiques relativement solides, mais le pays continue de se heurter à un conservatisme politique entraînant le report des réformes structurelles aux « calendes grecques ».

De plus, la guerre contre le crime organisé et la corruption généralisée qui en découle est devenue une source de préoccupation dans la mesure où l’état de droit est menacé. Dans l’ensemble, le potentiel de croissance à long terme du Mexique se heurte à plusieurs obstacles: la qualité encore médiocre du capital humain et des infrastructures, les rigidités du marché du travail, les défaillances du cadre juridique, la domination de monopoles publics et privés qui sape la concurrence et un taux d’investissement relativement faible par rapport à bon nombre de marchés émergents. Autant d’éléments qui amènent à s’interroger sur le développement socio-économique du pays et sur les risques de tensions sociales.

Il y a quelques années à peine, le potentiel de croissance du Mexique était jugé supérieur à celui du Brésil mais, depuis deux ans, cette hiérarchie semble s’être inversée, et la crise a confirmé l’émergence du Brésil en qualité de leader régional.

NOTES

  1. Parallèlement, le gouvernement a annoncé un dispositif d’un montant de MXN 208 milliards, comprenant l’octroi de crédits immobiliers par le truchement de la Sociedad Hypotecaria Federal (SHF), de garanties de prêts pour aider les entreprises locales à refinancer leur dette commerciale par l’intermédiaire des banques de développement Bancomext et Nafin, de prêts aux collectivités territoriales et aux administrations par le biais de la banque de développement des infrastructures Banobras, et de financements aux entreprises actives dans les projets d’infrastructure. Le gouvernement a dévoilé un second dispositif de relance budgétaire en janvier 2009, qui consistait davantage en une réallocation des ressources plutôt qu’en une nouvelle impulsion budgétaire substantielle. Parmi les 25 mesures du dispositif, citons l’allongement de l’indemnisation des chômeurs, le soutien aux ménages à faibles revenus et aux PME par la baisse des tarifs des services collectifs et la facilitation de l’accès au crédit, ainsi que le renforcement du programme d’infrastructures de 2009.
  2. Gouvernement fédéral, entités publiques sous contrôle budgétaire direct (public entities under direct budgetary control -PEDC) et banques de développement.
  3. Quand les taux de croissance réelle sont nettement inférieurs aux taux d’intérêt réels, la stabilisation de la dette publique en pourcentage du PIB exige un excédent primaire important pour éviter un effet “boule de neige”. Plus la valeur initiale de la dette rapportée au PIB est élevée et plus l’effet redouté est important.
  4. De ce point de vue, le mandat de Banxico est plus proche de celui de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la Banque d’Angleterre (BoE) que de celui de la Réserve fédérale américaine, pour laquelle l’emploi et l’activité économique sont également des priorités officielles.
  5. Banxico est intervenue sur le marché des changes pour la première fois depuis septembre 1998 dans le but d’atténuer la volatilité en garantissant l’offre de dollars au moment même où la liquidité s’asséchait sur le marché, en raison, d’une part, de la forte demande des entreprises qui avaient pris des positions sur des dérivés de change et, d’autre part, des remboursements élevés de billets de trésorerie. La banque centrale a aussi mis en place un programme de swap de taux d’intérêt à destination des institutions financières nationales et assoupli les règles d’accès au guichet de ’escompte en élargissant l’éventail des actifs admis en garanties comme les obligations d’entreprises, les obligations hypothécaires municipales et les dépôts en dollars. Banxico et le ministère des Finances ont mis en place une stratégie coordonnée destinée à améliorer le bon fonctionnement des marchés financiers locaux, comprenant un arbitrage en faveur des titres de créances à court terme de façonà répondre à la demande pour les obligations d’Etat à court terme, à améliorer la liquidité des obligations d’Etat à long terme et à aplatir la courbe des taux.
  6. En revanche, les prêts nets des filiales mexicaines de banques internationales à leur société mère sont faibles, mais ils ont quelque peu augmenté au cours de l’année écoulée.

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