On ne peut pas toujours avoir ce que l’on veut

par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM

La crise de la dette souveraine se poursuit toujours avec autant d’intensité et les déclarations deviennent paroxystiques. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a averti que l’économie mondiale était confrontée à des perspectives de « repli sur soi, de montée du protectionnisme et de l’isolement, et d’un scénario similaire à la situation des années 1930. »

Il n’est pas exagéré de dire que dans sa forme actuelle, l’euro est aujourd’hui à l’origine du même type de problèmes pour l’Europe que l’était l’étalon-or durant les années 1930.

Les décideurs européens continuent de faire leur possible pour trouver une solution exhaustive et déterminante. Ils se sont réunis lors d’un nouveau sommet décisif début décembre qui, tout en représentant une avancée dans la bonne direction, était trop ambitieux. À l’heure actuelle, aucun des pays de la zone euro, hormis l’Estonie, la Finlande et le Luxembourg, n’a réalisé les ajustements nécessaires, c’est-à-dire un déficit budgétaire structurel de seulement 0,5 %. Aussi les règles sur une correction automatique des dépassements budgétaires sont-elles tout à fait pertinentes.

La transformation de cette décision européenne en loi est semée d’écueils juridiques, dont le risque lié à l’interdiction de nouvelles compétences prévue par le Traité de Lisbonne. Mais surtout, la question est celle de la crédibilité des pouvoirs d’exécution. Un traité entre États n’a pas de capacité contraignante dans la mesure où il n’existe pas de mécanisme d’exécution si un pays décide de ne pas le respecter. De surcroît, bien que la Cour de Justice de l’Union européenne puisse donner tort ou raison aux pays, elle ne dispose d’aucun pouvoir pour faire exécuter sa décision.

L’interaction entre politique budgétaire et politique monétaire reste prépondérante pour éviter une réédition de la crise. Les désordres de la politique budgétaire constituent le facteur déterminant de la crise et c’est pourquoi l’adoption d’un nouvel accord budgétaire est importante, comme souligné lors d’une conférence de presse donnée par le Gouverneur de la Banque centrale européenne. Nous devons garder à l’esprit la déclaration de Mario Draghi : « D’autres mesures pourraient suivre, mais c’est l’ordre qui compte. » L’intégration budgétaire prendra du temps, et la BCE étudie davantage une feuille de route plutôt qu’une solution « magique ». Nous anticipons que la BCE fera le nécessaire pour assurer la stabilité financière sans s’engager quant aux conditions spécifiques sous-jacentes à l’intervention.

Parallèlement à ce sommet, la BCE a ouvert les vannes. Dans ce cadre, qu’est-ce qui apporterait une lueur d’espoir à cette situation morose ? Un programme économique et d’ajustement de la dette mais avant tout, une stratégie économique et d’ajustement de la dette qui répartit équitablement les responsabilités entre débiteurs et créanciers. En l’absence d’un tel ajustement de la dette, les pays les plus faibles ne pourront accéder à un financement ordonné sur le marché des obligations souveraines.

Cela va peut-être sans dire, mais la croissance reste le talon d’Achille et un enjeu à long terme auquel un seul sommet européen ne peut apporter de réponse. Bien que l’économie mondiale ait déjà été confrontée au désendettement, c’est sans doute la première fois que les options politiques ont été limitées et que la réflexion classique a été impuissante. Le rétablissement de la confiance et la résolution des déséquilibres nécessiteront une pensée nouvelle et des actions courageuses.

Plus que jamais, tout semble possible en 2012. Nous pouvons nous attendre à exactement les mêmes problèmes que ceux auxquels nous avons été confrontés en 2011. L’évolution des marchés des actions en 2012 est largement entre les mains des décideurs publics. Nous ne sommes pas encore proches d’une solution à la crise. Dans ce processus, ce sont la conception et la mise en œuvre qui comptent. La mise en œuvre sera difficile et très longue. La pression du marché pourrait s’intensifier face à un premier trimestre difficile marqué par un échéancier de remboursement pour les États et les banques de la zone euro. Après « Grande Modération, Grande Récession », le nouveau paradigme du marché est aujourd’hui « Grande Incertitude ».

La BCE ouvre les vannes

Le programme de financement à 3 ans de la BCE a suscité une grande attention. Les banques peuvent aujourd’hui emprunter autant qu’elles le souhaitent à la BCE pendant 3 ans, et payer un taux variable actuellement de 1 %. In fine, elles ont emprunté près de 500 milliards d’euros, alors que le consensus prévoyait 250 milliards. La question de savoir si ceci pourrait changer la situation pour le secteur bancaire fait actuellement l’objet d’un débat nourri. Par le passé, les opérations de portage à échéance étaient couramment utilisées pour reconstituer les fonds propres. La situation est peut-être différente aujourd’hui, les obligations souveraines n’étant plus perçues comme des actifs sans risque. Les opérations de portage à échéance sont possibles si elles ne sont pas gratuites.

Depuis début 2010, les banques ont allégé leur exposition aux obligations souveraines, traduisant l’intégration du risque de crédit.

Nous avons également observé que les marchés des actions pénalisent les banques ayant une exposition élevée aux dettes souveraines. En conséquence, nous doutons que les banques achèteront beaucoup d’obligations souveraines, ce malgré l’attrait de certains rendements. Le consensus estime globalement que les banques, plutôt que d’utiliser les fonds de la BCE pour des opérations de portage à échéance, s’en serviront pour remplacer des dettes de premier rang non garanties nettement plus onéreuses. En 2013, près de 600 milliards d’euros de dettes bancaires non garanties arrivent à échéance. Le risque tient au fait que les banques s’habituent à un financement bon marché auprès de la banque centrale, ce qui pourrait à l’avenir produire des effets contraires à ceux attendus. 

Théoriquement, il existe une logique à une sorte d’assouplissement quantitatif déguisé. La BCE injecte des liquidités importantes dans le système, pas directement auprès du marché (comme c’est le cas lors d’un assouplissement quantitatif normal), mais au travers des banques. À près de 450 milliards d’euros, les liquidités excédentaires atteignent des niveaux inédits.

Sans résoudre la crise de la dette souveraine, ceci permet aux banques de se désendetter de façon ordonnée et de réduire le risque extrême d’une ruée sur les guichets. Cela leur permet également de mieux équilibrer les échéances de leurs actifs/passifs.

Il est indispensable de porter un coup d’arrêt à l’effet de retour négatif entre la crise de la dette souveraine et les tensions sur le marché interbancaire. Une mesure non conventionnelle telle que le LTRO (opération de refinancement à long terme) à 3 ans apporte un oxygène précieux qui doit être utilisé à bon escient.

Le Pacte de stabilité 2.0 et la meilleure voie vers la croissance

Beaucoup, en effet, dépend maintenant du fait que les nouveaux gouvernements des pays en crise tirent ou non parti de tout répit offert par la BCE ou le FMI pour progresser dans les réformes structurelles afin de rétablir la compétitivité et de créer des conditions propices à la croissance. L’importance de ces réformes de l’offre a tendance à être négligée lors des débats sur l’austérité budgétaire, même si l’histoire semble indiquer qu’elles peuvent avoir un impact puissant sur le potentiel de croissance d’un pays. Nous osons croire que les marchés sont prêts à reconnaître précocement ces efforts importants.

Il est satisfaisant de voir que les documents et les déclarations portant réflexion sur de nouveaux modèles économiques abondent, ainsi que les échanges d’arguments sur la façon de doper le potentiel de croissance dans les économies développées. Ce débat est la pierre angulaire de plusieurs élections à venir (France, États-Unis).

À long terme, l’austérité budgétaire pourrait augmenter l’efficience de la croissance, notamment si elle améliore l’allocation du capital en éliminant les dépenses publiques inutiles. À court terme toutefois, l’austérité budgétaire est douloureuse car elle affecte la croissance économique.

Une lueur d’espoir pourrait provenir de l’économie américaine. Le ratio du service de la dette – la part des revenus disponibles affectée au remboursement des prêts hypothécaires et des prêts à la consommation – diminue régulièrement après avoir atteint un point haut de 14 % au début de la récession. Ce ratio avoisine aujourd’hui son niveau de 1995, bien avant le véritable début de la bulle du crédit à la consommation.

À court terme, le débat se centrera sur la discipline budgétaire en Europe et sur la façon, cette fois-ci, de la concrétiser véritablement. La question est celle de son exécution. Bien que les traités contiennent déjà un éventail complet de règles, leur exécution n’était pas soutenue par une volonté politique. Théoriquement, les différentes étapes de la procédure relative au traitement des dépassements du déficit seront nettement plus automatiques. Toutefois, n’oublions pas que d’un point de vue historique, les règles budgétaires sont là pour être enfreintes.

Reste à savoir si le nouveau pacte de stabilité sera plus efficace que l’ancien, qui prévoyait un cadre de discipline budgétaire assez similaire. Il n’existe pas de dispositif pour contraindre les États à appliquer les réformes une fois les pressions du marché atténuées. Comme toujours, ce sont les détails qui comptent. La plupart des règles budgétaires ouvrent la porte à un ensemble de « circonstances exceptionnelles » qui suspendent leur exécution.

Le respect de la discipline budgétaire restera sous la responsabilité des États membres, et chacun d’entre eux devra intégrer des freins à la dette dans sa constitution. Concernant les budgets, les parlements nationaux conserveront le dernier mot. Le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne se limitera à décider si les « règles d’or » sont conformes au Traité européen, tandis que la responsabilité des sanctions (votées à la majorité qualifiée) incombera au Conseil de l’Europe.

Un monde à deux vitesses

Au cours des 18 derniers mois, une séparation sans équivoque s’est opérée entre deux catégories de valeurs. Bien que ce fait puisse être analysé sous deux angles différents, la hiérarchie obtenue est quasiment identique. Les activités liées au secteur public et les activités nationales ont systématiquement enregistré une sous-performance comparativement aux activités liées à l’international et aux pays BRIC.

Ces tendances pourraient être durables. Les investisseurs souhaitent que les réformes structurelles dopent le potentiel de croissance sous-jacent de plusieurs économies européennes, et que soient instaurés une plus grande clarté et un cadre réglementaire plus stable dans plusieurs secteurs avant d’accorder davantage d’attention à leurs valorisations.

Stratégie : une croissance de qualité jusqu’à nouvel ordre

Les marchés des actions continuent de suivre un régime à deux vitesses. Les valeurs de rendement sont en difficulté, tandis que les valeurs de croissance de qualité prospèrent. Ce fossé se creusera jusqu’à ce qu’une solution tangible soit trouvée à la crise de la zone euro. Il existe une corrélation évidente entre la crise de la dette souveraine et la dépréciation des valeurs de rendement. Mais nous levons le drapeau orange. Exception faite de la bulle technologique en 2000, la dispersion – en termes de multiple d’actif net comptable – n’a jamais été aussi élevée. Autrement dit, la rétribution du risque pris en investissant dans des valeurs de rendement n’a jamais été aussi payante. Parmi les valeurs de rendement, celles affichant un faible multiple d’actif net comptable ont le plus souffert en 2011. Cela dit, les valorisations sont dénuées de sens dans un monde en désendettement.

Nous suivons de près les facteurs susceptibles de favoriser un rebond durable de l’investissement dans les valeurs de rendement. Cette approche, qui dépend essentiellement de la dynamique économique mondiale, offre une solution exhaustive à la crise de la dette souveraine.

À l’heure actuelle, l’adoption d’une stratégie axée sur les valeurs de rendement reviendrait à s’inscrire à contre-courant. Rappelons que les stratégies à contre-courant fonctionnent uniquement lorsqu’un point d’inflexion a été atteint, ce qui n’est pas encore le cas.

Mais nous sommes relativement certains que nous serons témoins d’un rebond des valeurs de rendement en 2012, et tout un chacun doit s’y préparer. Le rebond sera peut-être de courte durée, mais suffisamment soudain pour agacer les investisseurs. Nous observerons aussi peut-être une succession de rebonds modestes comme cela a été le cas début 2011.

Nous restons orientés en faveur des valeurs de croissance jusqu’à nouvel ordre. Mais compte tenu de la durée de cette situation (ainsi que détaillée plus haut), nous avons essayé de mieux équilibrer nos portefeuilles au cours des dernières semaines, en prenant des positions sur des valeurs de rendement telles qu’Arkema et Vallourec, tout en prenant partiellement nos bénéfices sur BAT. Nous restons absents des valeurs tirées par les marchés émergents telles que les sociétés minières et le secteur du luxe.

Les perspectives pour 2012 sont fortement tributaires de plusieurs facteurs. Si les pays membres de la zone euro agissent de concert, montrent qu’ils ont une vision partagée et font preuve de précision quant aux détails, la crise de la dette souveraine pourrait être contenue. Bien qu’aujourd’hui 2012 semble une année perdue en termes de croissance, il est probable que la stabilité financière puisse être préservée, et c’est le principal. Comme nous l’avons souvent souligné, le potentiel du marché des actions en 2012 est fondé sur une réduction de la prime de risque.