Pays émergents : croissance soutenue sans surchauffe

par François Faure, économiste chez BNP Paribas

  • Au deuxième trimestre, la croissance dans les pays émergents est restée très soutenue, se maintenant à 7% l’an malgré le ralentissement des exportations dans plusieurs pays d’Asie, la Chine au premier chef.
  • L’inflation s’est stabilisée depuis février-mars dans la plupart des pays. Contrairement à ce qui s’était passé en 2007-2008, les tensions sur les prix du pétrole et les prix des matières premières alimentaires ont eu un impact limité sur l’inflation globale.
  • Les emprunteurs les mieux notés bénéficient de conditions de financement plus favorables qu’avant la crise. Malgré cela, les risques de bulles boursières et immobilières semblent moindres qu’à la fin 2009.

 

 

Jusqu’au deuxième trimestre, d’après nos estimations1, la croissance du PIB dans les principaux pays émergents est restée très soutenue à 7,2% en rythme annuel malgré le ralentissement de l’activité en Chine. Hors Chine, elle marque même une accélération de 5,9% à 6,9% alors que la production industrielle et les exportations ont fortement décéléré dans plusieurs pays d’Asie. Les secteurs de la construction et des services ont donc pris le relais de l’industrie.

L’accélération est particulièrement sensible en Europe centrale, la Bulgarie et la Roumanie étant enfin sorties de récession. Pour autant, le PIB agrégé de cette zone n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise, contrairement à celui des pays asiatiques et latino-américains. Pour l’ensemble des pays émergents, l’acquis de croissance à la mi-2010 dépasse légèrement 6% de sorte que, même si l’activité ralentit vers 4% en rythme annuel au second semestre, la croissance du PIB atteindra 7% en moyenne annuelle.

En fait, l’hypothèse d’un ralentissement sur la deuxième partie de l’année trouvait sa justification dans le tassement des enquêtes auprès des entreprises. Mais la reprise du crédit domestique se confirme et témoigne du dynamisme de la demande intérieure à l’image des ventes d’automobiles même si le marché chinois donne des signes d’essoufflement. Hors chine, malgré la fin des primes à la casse, les ventes de voitures particulières progressent toujours sur un rythme annuel supérieur à 10% l’an depuis le début de 2009.

Malgré le dynamisme de la demande intérieure, l’inflation s’est stabilisée depuis février-mars dans la plupart des pays, continuant même de décélérer dans les principaux pays de la CEI. Contrairement à ce qui s’était passé en 2007-2008, les tensions sur les prix du pétrole et les prix des matières premières alimentaires au premier semestre ont eu un impact limité sur l’inflation globale.

En 2008, la plupart des économies des pays émergents et en développement étaient en situation de surchauffe, ce qui n’est pas le cas à la mi-2010, sauf peut-être pour quelques pays d’Asie. Selon nos estimations, l’output gap s’est juste résorbé alors qu’à la fin 2007-début 2008 il était largement positif (3%). Autrement dit, les tensions inflationnistes sous-jacentes sont faibles (3% seulement en mai d’après le FMI), ce qui limite les effets de diffusion des chocs sur les prix des matières premières.

Engouement des investisseurs pour la dette souveraine

Les pays émergents bénéficient de conditions de financement aussi, voire plus, favorables qu’avant la crise. D’une part, à l’exception du Brésil et de l’Inde, les banques centrales n’ont pas ou peu relevé leur taux d’intérêt directeur. Les primes de liquidité sur le dollar ou l’euro «local » (mesurées par les spreads de contrats d’échange de devises) ou les primes de risque sur les dettes externes souveraines en devises (mesurées par les indices EMBI ou les primes CDS) restent supérieures à ce qu’elles étaient avant la crise financière. Mais, dans le même temps, pour les contreparties notées «investment grade», les primes de risque sur les emprunts obligataires en dollar ou en euro ne se sont que très faiblement élargies après la crise de confiance des marchés pour les dettes souveraines des pays du sud de l’Europe à la fin du printemps. Aussi, le coût de la liquidité interbancaire en dollar ou euro et le coût d’emprunt obligataire en dollar ou en euro des contreparties les mieux notées sont maintenant plus faibles qu’avant la crise, compte tenu de la baisse des taux interbancaires (Libor ou Euribor) et des rendements obligataires de référence (US T-bonds ou Bunds).

En fait, le marché des obligations souveraines émergentes connaît un engouement de la part des investisseurs. A la fin août, d’après Emerging Portfolio Fund Research, les flux d’investissements des funds dédiés aux dettes souveraines émergentes ont atteint 24 milliards de dollars contre seulement 8 milliards sur l’ensemble de l’année 2009. Contrairement aux pays développés, la vigueur de la croissance des taux d’intérêt réels à un niveau bas et la réappréciation par rapport au dollar de la plupart des taux de change en Asie et en Amérique latine permettent de réduire les ratios de déficit et de dette publics, ce qui, toutes choses par ailleurs, tirent les rendements obligataires vers le bas.

Des risques toujours concentrés en Europe de l’Est

Par zone ou pays, les risques restent concentrés sur l’Europe de l’Est. En Russie, les tensions sur les cours du blé ont déjà eu un impact sur les prix de produits alimentaires. La Hongrie peine à sortir de la récession (le PIB a stagné au deuxième trimestre après une hausse déjà faible au premier trimestre), et la dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse de près de 20% depuis le début de l’année est une nouvelle menace pour la solvabilité des ménages qui se sont endettés dans cette devise pour l’achat de leur logement. Enfin, le retour à la croissance de la Roumanie et de la Bulgarie reste à confirmer.

Pour les autres zones (Asie, Amérique latine), en dehors des risques sociopolitiques très localisés (Venezuela, Pakistan), la formation de bulles d’actifs reste le principal risque potentiel pour la stabilité macroéconomique des pays. Mais, en avril dernier, le FMI ne recensait que très peu de pays dans ce cas2. Depuis, les cours boursiers se sont tassés ce qui, avec la révision en hausse des bénéfices, a entraîné une correction à la baisse des multiples de valorisation. Par ailleurs, en Asie, pour les pays connaissant une forte accélération des prix de l’immobilier ou de la valeur des transactions immobilières (Chine, Hong-Kong, Singapour), les autorités ont pris des mesures pour freiner la distribution du crédit à ce secteur. Les risques de bulles boursières et immobilières semblent moindres qu’à la fin 2009.

NOTES

  1. Sur un échantillon de 26 pays. La très grande majorité d’entre eux ont publié leurs comptes du deuxième trimestre, à l’exception notable du Brésil et de l’Argentine pour lesquels nous avons fait une estlmation.
  2. Dans son rapport sur la stabilité financière d’avril 2010, le FMI avait établi un « screening » à partir d’indicateurs usuels de valorisation d’actifs par classe d’actifs (action, immobilier résidentiel, cours obligataires souverains et d’entreprise). Au sein des pays émergents, seul Hong-Kong présentait des indicateurs de bulle immobilière élevés. Ces mêmes indicateurs sur la Chine ne présentaient pas le même degré de risque, les données retenues portant sur l’ensemble du territoire et non pas sur les grandes villes. Or, contrairement aux grandes villes, l’indice national des prix de l’immobilier en Chine a relativement peu augmenté depuis 2009.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas