par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Jusqu’à l’automne dernier, beaucoup d’économistes défendaient la thèse d’une résistance de la croissance des pays émergents dans un contexte de récession des « pays développés ». Les principaux arguments utilisés alors portaient sur l’énorme potentiel économique de cette zone et le dynamisme interne de ces pays. Pourtant, depuis plusieurs mois, force est de constater que la thèse du découplage a perdu beaucoup de sa crédibilité.
D’un côté, les interconnexions financières entre les économies étant extrêmement fortes à l’ère de la mondialisation, la crise financière qui a touché les pays occidentaux n’a pas épargné les pays émergents. Pour illustrer ce fait, il suffit de s’arrêter quelques instants sur le marché des changes et de constater que, dans un contexte de sorties massives de capitaux des pays du Sud et de rapatriement de ces mêmes capitaux vers les pays du Nord (Etats-Unis en tête), les taux de change émergents se sont très fortement et très rapidement dépréciés. Ainsi, face au dollar, en à peine six mois, ces devises ont perdu en moyenne près de 20 % de leur valeur ! Et la tendance est identique concernant les marchés actions. L’indice MSCI Emerging, qui synthétise les performances des bourses émergentes, a ainsi reculé de 53,2 % l’an dernier, plus qu’aucun des indices boursiers des principaux « pays développés ».
De l’autre côté, le commerce international, principal moteur des économies émergentes ces dernières années, a connu fin 2008 un arrêt brutal. La vague de pessimisme qui a saisi la sphère mondiale a en effet débouché sur un arrêt soudain des dépenses des ménages (principalement en biens d’équipement) et des entreprises et un recul vertigineux des échanges internationaux. Les exportations mondiales (mesurées par le FMI) ont ainsi reculé de 24,3 % en octobre, du jamais-vu depuis que la statistique existe (1957) !
Deux symboles, qu’on pensait jusque là inaltérables, la Russie et la Chine, expérimentent ainsi, chacune à leur manière, une crise réelle. La première avait pourtant réduit tout au long des dernières années sa dette publique et accumulé des réserves de change massives. Le pays étant « assis » sur des stocks significatifs de matières premières et la dernière crise sérieuse remontant à près de dix ans, les investisseurs internationaux étaient, jusqu’à récemment, relativement confiants dans l’évolution du pays. Cela n’a pourtant pas empêché le déclenchement depuis l’été d’une véritable crise économique et financière (sorties de capitaux massives, d’origine tant étrangères que domestiques, très fort recul des bourses, chute du rouble, remontée des taux d’intérêt)…
De la même manière, l’économie chinoise, qu’on pensait désormais installée sur un rythme de croissance « à deux chiffres », enregistre depuis le début de l’automne des nouvelles préoccupantes. Certes, les chiffres de la croissance 2007 viennent d’être révisés en nette hausse (+ 13 % sur l’année), permettant ainsi au pays de dépasser l’Allemagne et d’occuper désormais la place officielle de troisième économie mondiale (derrière les Etats-Unis et le Japon). Pourtant, les dernières données disponibles sont bien moins optimistes.
A titre d’exemple, pour la première fois depuis dix ans, le glissement annuel des exportations chinoises (exprimées en dollars) a reculé pour le deuxième mois consécutif (- 2,8 % en décembre). Dans le sillage, l’activité industrielle ralentit sévèrement, ne progressant plus que de 5,4 % sur un an, soit la hausse la plus faible depuis le lancement de la statistique en 1999. De même, la consommation des ménages s’est retournée, poussant le gouvernement à annoncer un vaste plan de relance (4 % du PIB pour 2009 selon les sources nationales) et la Banque centrale à baisser rapidement ses taux. Au total, en 2009, le pays pourrait n’enregistrer qu’une croissance de « seulement » 8 %, soit sa plus mauvaise performance depuis la crise asiatique de la fin des années 90.
Comme à l’époque, le ralentissement économique devrait d’ailleurs toucher l’ensemble des principales zones émergentes : Europe de l’Est, Asie et Amérique Latine. L’indice PMI du climat des affaires dans le secteur manufacturier se situe en effet, dans chacune des zones précédemment citées, bien en dessous des niveaux atteints il y a dix ans. Quand les Etats-Unis toussent, c’est le monde entier qui s’enrhume…