PECO : la convergence à l’épreuve de la crise

par Alexandre Vincent, économiste chez BNP Paribas

Durant près de vingt ans, la transformation rapide des anciens pays socialistes d’Europe centrale et orientale (PECO) aura été à la mesure des espoirs soulevés par la chute du mur de Berlin. La profonde mutation de leurs structures économiques, perceptible notamment dans l’amélioration des niveaux de vie et soutenue par une intégration croissante dans l’espace européen, illustre un processus de convergence réelle dont les progrès, certes inégaux selon les pays, ont été encouragés par l’adhésion à l’Union européenne (UE)1.

La crise mondiale survenue à l’automne 2008 a cependant révélé les fragilités intrinsèques au modèle de croissance des PECO. L’abondance des financements externes, à l’origine de dettes extérieures élevées, avait en effet permis une expansion rapide du crédit et, notamment, des prêts libellés en devises.

Mais, dans bien des pays, le dynamisme de la demande interne allait de pair avec des situations de surchauffe, caractérisées par des tensions inflationnistes et par d’importants déficits courants qui ne sont plus apparus comme soutenables. Les tensions mondiales sur la liquidité et les pressions induites sur le change, préjudiciables à la solvabilité des agents, ont alors mis en lumière les risques, pour ces économies, d’une forte dépendance vis-à-vis de capitaux étrangers potentiellement volatils.

Alors que l’ensemble de la zone, à l’exception de la Pologne, a été confronté à une profonde récession en 2009, on doit se demander si le coup d’arrêt porté à sa trajectoire de croissance revêt ou non un caractère durable. La crise a, dans plusieurs pays, accru la volatilité des changes et perturbé la situation budgétaire, à l’aune desquels s’évalue, pour partie, la convergence nominale, définie par la défense des grands équilibres macroéconomiques. De ce fait, les perspectives d’adhésion à l’euro se sont obscurcies, ce qui pourrait être dommageable à l’attractivité de ces économies.

Leur croissance potentielle, menacée en outre par des évolutions défavorables de la compétitivité du travail et de la démographie, risque d’en être affectée. En tout état de cause, vu l’ampleur des défis à relever, le processus de convergence entamé il y a une vingtaine d’années risque de connaître, sinon une interruption durable, du moins un net infléchissement de son rythme.

Une dynamique de convergence soutenue par l’insertion dans l’UE

Passé le choc de la rupture avec les structures de l’ancien bloc communiste, les PECO ont connu, du milieu des années 1990 à 2008, une croissance vigoureuse et une mutation de leurs économies, induites entre autres parune intégration européenne plus étroite, aux plans commercial, financier et institutionnel.

Un phénomène de rattrapage inabouti

Une forte croissance du PIB.

Les premières années de la transition post-communiste dans les PECO ont été marquées par des ajustements douloureux, la rupture des cadres antérieurs définis par la planification et l’autorité du Conseil d’aide économique mutuelle ayant désorganisé l’ensemble des circuits économiques. Tous ont ainsi connu une période de contraction réelle du PIB, qui s’est achevée dès 1992 en Pologne mais n’a pris fin qu’en 1998 en Bulgarie. Le retour aux mécanismes de l’économie de marché a sans doute été facilité par l’histoire de ces pays, pleinement intégrés jusqu’à la Seconde Guerre mondiale aux échanges mondiaux.  Ainsi le jeu des privatisations et la libéralisation progressive des prix, du compte courant et du compte de capital ont permis, une fois absorbé le choc initial, une dynamique de croissance spectaculaire. De fait, l’ensemble de la zone aura connu, de 1994 à 2008, une croissance moyenne de 4,2% l’an, atteignant même 5,4% l’an entre 2004 et 2008.

Ce phénomène de rattrapage a naturellement entraîné une amélioration du revenu par tête moyen. Entre 1992 et 2007, en termes de parité de pouvoir d’achat, il est ainsi passé de 37%à 52% de celui des douze pays qui faisaient initialement partie de la zone euro. Dans le même temps, celui du Portugal, par exemple, était resté constant à 67%. On perçoit par là que le niveau de vie dans les PECO a commencé à se rapprocher de celui de l’Europe occidentale, dans un processus de convergence qui néanmoins reste très partiel. Cette évolution globale ne doit en outre pas masquer d’importantes disparités: en 2008, les revenus par tête rapportés à la moyenne de la zone euro s’inscrivaient en réalité dans une fourchette comprise entre 34% pour la Bulgarie et 80% pour la Slovénie.

L’investissement constitue le principal déterminant de cette croissance forte, représentant en moyenne 25% du PIB sur l’ensemble de la zone entre 1990 et 2008. Le taux d’investissement / PIB a été particulièrement fort dans les petits pays, supérieur en moyenne à 27%en Estonie, en Slovaquie ou en République tchèque. Il a aussi connu un considérable envol en Bulgarie, après l’adhésion à l’UE. En revanche, il a avoisiné les 20% en Pologne sur pratiquement toute la période.

– La progression salariale

La croissance soutenue de la zone jusqu’en 2008 a permis une forte augmentation des revenus du travail. 

Ainsi, le salaire brut mensuel, exprimé en parité de pouvoir d’achat2, est passé en moyenne sur la zone de 720 à 1100 euros entre 2001 et 2008, soit une progression moyenne de 6,2% l’an. 

C’est là où la rémunération était initialement la plus basse que le rattrapage a été le plus rapide : la Roumanie et la Bulgarie, avec des salaires bruts mensuels de 440 euros et 370 euros, ont ainsi connu des augmentations moyennes de 9,5 et 7%l’an respectivement. Celle des pays baltes, où les rémunérations brutes étaient de l’ordre de 550 à 650 euros par mois, ont avoisiné les 8% l’an. A l’autre bout de l’échelle, le salaire mensuel polonais est passé entre 2001 et 2008 de 940 à 1 250 euros et celui de la Slovénie de 1 360 à 1 740 euros, soit des progressions de 4 et 3,6% respectivement.

– Des rigidités sur le marché du travail

Cette croissance dynamique des salaires illustre aussi le fonctionnement de marchés du travail souvent restés relativement peu flexibles. Le taux de chômage a ainsi fortement diminué en général. Entre 1998 et 2008, il est par exemple passé (au sens du BIT) de 10,2%à 7,1% en Pologne, nonobstant une forte volatilité puisqu’il a avoisiné les 20% de mi-2002 à mi-2004, selon un schéma d’évolution que l’on retrouve en Bulgarie et en Slovaquie. Seule la Hongrie, dont le processus de convergence subissait une rupture sur laquelle nous reviendrons, a vu sa situation se dégrader de 2004 à 2008.

La baisse du chômage dans l’ensemble de la région depuis 2004 traduit essentiellement une croissance robuste de l’emploi, avec des taux d’emploi3 qui, par exemple, ont augmenté de 50,4% à 63,8% en Bulgarie et de 58,6% à 69,4% en Lettonie. Mais, là encore, force est de constater une grande dispersion, d’un pays à l’autre, de ces taux, particulièrement faibles en Pologne (59% en 2008), en Roumanie (59,3%) et plus encore en Hongrie (56,6%). Ces différences vont de pair avec des taux d’activité4 eux-mêmes disparates, s’échelonnant en 2008 de 61,4%en Hongrie à 73,5% en Estonie.

De ce constat, il ressort que les marchés du travail des petits paysde la zone, Etats baltes, Slovénie, dans une légèrement moindre mesure République tchèque et Slovaquie, n’ont pas été affectés par les mêmes rigidités que ceux des économies de plus grande taille, Pologne, Roumanie ou Hongrie. C’est ainsi que l’on perçoit dans ces grands pays de fortes inégalités régionales, de même qu’une large incidence du chômage de longue durée, alors même que certains secteurs comme la construction devaient faire face à une pénurie de main- d’œuvre.

– L’évolution desflux migratoires

Les tensions sur le marché du travail, présentes dans l’ensemble de la zone, ont d’ailleurs été amplifiées par des flux migratoires à destination de l’Europe de l’Ouest, souvent le Royaume-Uni ou l’Irlande5. De manière surprenante, il semble que ces mouvements aient été, dans la plupart des cas, plus marqués durant les cinq années antérieures à l’entrée dans l’UE, survenue en janvier 2004, que dans celles qui ont suivi : l’amélioration de l’emploi et des revenus dans les nouveaux Etats membres élucide sans doute en partie cet apparent paradoxe. Les retours de main-d’œuvre semblent même avoir excédé les sorties en Pologne depuis 2008.

Par ailleurs, certains pays ont eu eux-mêmes recours à de la main-d’œuvre étrangère, fréquemment ukrainienne ou biélorusse, afinde limiter les pressions induites par l’émigration sur leur marché du travail, de sorte que la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie ont enregistré des flux migratoires nets positifs entre 2004 et 2007.

Bien qu’inachevé, le rattrapage des PECO révèle donc leur dynamisme au long de cette période de transition. Plus profondément, c’est une véritable mutation de leur paysage économique qui a été à l’œuvre.

Une insertion favorable dans le tissu productif européen

– Les mutations de la structure économique

La structure économique des PECO a été profondément modifiée au cours des vingt dernières années, se rapprochant, là encore partiellement, des pays d’Europe occidentale. Cette évolution est particulièrement perceptible dans la part relative de secteurs primaire, secondaire et tertiaire dans la valeur ajoutée. Alors qu’en 1990 l’agriculture représentait 13% du PIB des PECO, l’industrie 47% et les services 40%, ces proportions étaient de 3%, 34% et 63% respectivement en 2005, soit une structure se rapprochant de celle des premiers membres de la zone euro où elles s’établissaient à 1%, 27% et 71%6.

Par-delà cette similarité accrue, on peut nuancer le constat si l’on analyse l’activité à un niveau plus fin : la part des industries manufacturières dans la valeur ajoutée est ainsi passée de 12% à 26% entre 1995 et 20057, alors que dans le même temps elle avait tendance à diminuer dans la zone euro où elle est de l’ordre de 20%. On voit par là qu’une dynamique de délocalisations / relocalisations dans les PECO s’est mise en œuvre, corollaire de spécialisations régionales différentes au sein de l’Europe. De manière analogue, certains services se sont considérablement développés, comme le commerce de détail, l’hôtellerie-restauration, l’immobilier ou encore les services aux entreprises. Mais cette dernière catégorie garde une marge de progression importante, dans la mesure où elle représentait, en 2005, 11% du PIB (c’était 1,5%dix ans plus tôt), contre environ 20% dans la zone euro.

Parallèlement, la qualité des biens produits dans les PECO a connu une amélioration régulière, au triple sens d’une évolution de la production vers des secteurs plus intensifs en technologie, vers des biens plus complexes au sein de ces secteurs et, pour un bien de consommation donné, d’une plus grande valeur ajoutée8. On doit cependant nuancer ce résultat très global, dans la mesure où la Bulgarie, la Roumanie et les Etats baltes, tout en se reconvertissant vers des secteurs plus intensifs en technologie, se sont plutôt spécialisés dans les produits les moins élaborés. A quelques nuances près, force est en tout cas de constater que les grandes caractéristiques de la production dans les PECO sont considérablement plus proches de celles de l’Europe occidentale aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

 – L’ouverture au commerce international

Le même constat d’une intégration européenne accrue peut être illustré par l’intensification des échanges commerciaux. Le taux d’ouverture des PECO9 est ainsi passé de 39% en 1989 à 65% en 1990, atteignant 116% en 2007, et de 53% à 80%dans la zone euro pendant la même période. Bien sûr, la taille limitée de la plupart des économies de la zone explique pour une part ces proportions élevées, mais la vitesse du changement traduit le rythme auquel ces économies se sont tournées vers l’Europe, partenaire commercial privilégié. Localement, l’intensification de ces échanges a contribué à l’amélioration des conditions de vie, en accroissant la variété des biens disponibles pour les consommateurs.

Plus généralement, l’étendue de la crise de 2008-2009 a mis à mal toute idée de découplage entre Europe occidentale et Europe émergente. Avant de s’interroger sur les mécanismes de propagation de cette crise de la zone euro vers les PECO toutefois, on doit tenter de mieux comprendre en quoi, inversement, la dynamique de l’intégration européenne a pu, jusqu’en 2008, contribuer à la convergence réelle que nous venons de décrire.

Les échanges qui se sont développés relèvent surtout du commerce intra-branche et révèlent que cette intégration commerciale participe essentiellement d’une division internationale des processus productifs, laquelle s’est structurée sur la base d’investissements directs étrangers (IDE). On constate, dans certains pays, une spécialisation marquée: le secteur automobile, très présent également en République tchèque et en Hongrie, représente environ 40% des exportations slovaques, mais on pourrait également citer le poids croissant du secteur informatique en Pologne.

– Une plus étroite synchronisation des cycles

La proximité accrue des structures économiques avec l’Europe occidentale, l’intensification des liens commerciaux et l’intégration croissante des processus productifs se sont traduites par une plus forte synchronisation des cycles économiques, déjà manifeste au milieu des années 200010. La littérature théorique pointe toutefois l’ambivalence d’une plus forte intégration du commerce international et des flux d’IDE, qui peut induire, pour certains pays, une spécialisation sectorielle éventuellement contraire à la synchronisation des cycles11. A cet égard, l’importance systémique du secteur automobile pour la Slovaquie et, dans une moindre mesure, la République tchèque et la Hongrie, représente un facteur de fragilité spécifique pour ces pays, qui pourrait devenir plus sensible avec la fin des « primes à la casse » en France et en Allemagne.

L’intégration à l’UE, un facteur de convergence et de rattrapage

La mutation des PECO au fil des années qui ont suivi la chute du mur s’inscrivait dans un contexte de mondialisation dont il n’est pas absurde de penser qu’il a pu contribuer en grande partie à la rapidité de ces évolutions. Des études12 se sont toutefois attachées à mettre au jour l’impact particulier de la dynamique d’intégration à l’UE. Les résultats sont certes fragiles, en l’absence de tout point de comparaison qui permettrait d’isoler l’effet de l’entrée dans l’Union, mais on conclut généralement à un effet significatif, d’environ 1% de croissance annuelle du PIB par tête. Cet effet global d’entraînement dû à l’intégration européenne recouvre en réalité des processus divers, manifestes, d’une part, dans l’évolution des institutions et du cadre de la politique macroéconomique et, d’autre part, dans d’importants flux financiers.

– L’apport des réformes institutionnelles

Les modifications survenues dans le cadre institutionnel au sens large ont aussi joué leur rôle.

L’acquis communautaire apparaît ainsi, en lui-même, comme un facteur d’évolution structurelle, avec les garanties qu’il entraîne en matière, par exemple, d’indépendance des banques centrales ou de défense des droits de propriété. L’indicateur de transition défini par la BERD permet de constater l’ampleur des progrès réalisés au regard de critères très généraux13. Sur une échelle de notes s’étendant de 1 à 4,33, alors qu’aucun score ne dépassait 2,5 en 1991, tous sont compris depuis 2000 entre 3 et 4, l’éventail ayant même eu tendance à se resserrer ces dernières années.

– Un cadre de gouvernance économique

Au plan de la stabilité macroéconomique, les critères dits de « convergence» définis par le traité de Maastricht, qui imposent la maîtrise de l’inflation, du déficit et de la dette publics, la stabilité du taux de change et la convergence des taux d’intérêt à long terme, apportent un cadre à la conduite de la politique économique14. On observe cependant des différences selon les pays : ainsi l’inflation a pu être globalement contenue dans les pays ayant adopté des politiques de ciblage, grâce à une appréciation nominale de la devise. A contrario, elle s’est envolée dans les pays ayant fait le choix d’arrimer leur devise à l’euro, les Etats baltes et la Bulgarie. On observait aussi, jusqu’en 2008, une plus forte discipline budgétaire dans les plus petits pays – non seulement ceux où elle était contrainte par la défense d’un taux de change fixe, mais aussi la République tchèque et la Slovaquie, où des déficits historiquement minimes avaient permis de cantonner la dette publique en dessous de 30% du PIB – alors que les grands pays de la zone avaient du mal à contenir leurs dépenses publiques. 

 – Les perspectives d’adoption de l’euro

Indépendamment du rôle d’ancrage nominal fourni par le Pacte de stabilité et de croissance pour la conduite des politiques économiques, l’objectif d’adoption de l’euro, d’ailleurs déjà atteint par la Slovénie et par la Slovaquie depuis 2007 et 2009 respectivement, était, par lui-même, propre à encourager les flux de capitaux. En dehors de ces deux pays, les problèmes de convergence nominale mentionnés ci-dessus empêchaient l’entrée dans l’UEM, ouvrant même un débat sur la pertinence des critères de Maastricht pour les économies en transition. Malgré tout, la perception de délais relativement brefs d’adoption de la monnaie unique pour la plupart des pays, qui prévalait avant la crise, s’est traduite jusqu’à l’automne 2008 par un effet de « halo». Les marchés, confiants dans les mécanismes de discipline budgétaire inhérents au Pacte et surtout estimant que le passage à l’euro, jugé imminent, entraînait des garanties implicites de l’UE, avaient en effet eu tendance à assimiler les nouveaux Etats membres à ceux de la zone euro, aboutissant à des spreads inférieurs à ce qu’auraient justifié les fondamentaux et stimulant le financement externe de ces économies, très abondant par ailleurs.

– Des flux financiers massifs

L’ancrage à l’UE a, en effet, accéléré le rattrapage des PECO par d’importants transferts de ressources, essentiels au financement de l’économie, qui ont pris plusieurs formes.

* Le soutien des fonds structurels

L’Union elle-même a bien sûr contribué directement à ces transferts grâce à la politique de cohésion financée par les fonds structurels, le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion. Les sommes qui leur sont allouées pour la période 2007-2013 représentent ainsi en moyenne 2,4%de leur PIB chaque année.

* Une forte présence des banques européennes

Les capitaux ouest-européens, misant sur le phénomène de rattrapage, ont été attirés par les perspectives d’une croissance forte, avec des dotations initiales en capital insuffisantes, qui garantissaient des rendements élevés. C’est la raison pour laquelle les banques européennes ont été de plus en plus présentes sur ces marchés, notamment les banques suédoises dans les pays baltes et les banques autrichiennes en Europe centrale, facilitant à la fois leur approfondissement et un meilleur accès aux marchés mondiaux. En 2008, les banques étrangères détenaient ainsi environ 67% des actifs bancaires en Pologne, 84% en Hongrie et 96%en Slovaquie.

 * Un afflux d’IDE

On a déjà mentionné l’importance de l’investissement en général dans le phénomène de rattrapage et celle des IDE en particulier pour l’évolution du tissu économique. Les IDE ont souvent pris la forme de projets greenfield15 au crédit desquels il faut porter, par-delà leur pure incidence financière, des transferts de technologie vecteurs d’une amélioration de la productivité dans les PECO16, et rendus possibles en particulier par le bon niveau d’éducation général de la main-d’œuvre. Le stock d’IDE rapporté au PIB a considérablement crû sur la période, mais dans des proportions différentes selon les pays: de 1995à 2008, il a bondi de 2%à 96% du PIB en Bulgarie, explosant surtout au moment de l’entrée dans l’UE. Sur la même période, le stock d’IDE est ainsi passé de 27% à 60% du PIB en Hongrie, atteignant en fin de période 55% en République tchèque et 48% en Slovaquie, cependant qu’il ne dépassait pas 33% en Pologne et restait limité à 38% en Roumanie.

 Au total, il apparaît que le rattrapage des PECO résume un processus d’intégration commerciale, financière et institutionnelle à l’espace européen. La crise mondiale, en induisant un ralentissement des échanges internationaux et un tarissement des flux financiers, a contrarié l’ensemble de cette dynamique.

Des fragilités latentes exacerbées par la crise

La convergence des PECO était sous-tendue par une expansion économique rapide, dont le régime était en fait déséquilibré, tant en termes de tensions inflationnistes que de déséquilibres extérieurs. La crise, d’abord importée de la zone euro, a été d’autant plus violente dans les PECO qu’elle a révélé les fragilités latentes de leur modèle de croissance.

Des tensions inflationnistes induites par une situation de surchauffe.

– Une forte croissance du crédit

L’abondance des financements extérieurs a permis une croissance rapide du crédit, qui s’interprète dans une large mesure en termes de rattrapage: dans la mesure où l’intermédiation financière était embryonnaire au début de la transition, elle est restée comparativement modeste, malgré l’importance des progrès enregistrés. C’est ainsi que, si le ratio de crédit sur PIB a augmenté, entre 2000 et 2008, progressant de 54%à 81% en Hongrie ou de 35% à 96% en Estonie, le dernier pourcentage reflétant l’agressivité des banques scandinaves dans les Etats baltes, il est en revanche resté stable autour de 50% en République tchèque, à 57% en Slovaquie, et il est passé de 27% à 50% en Pologne. En Roumanie, où la progression du crédit a été spectaculaire au long de ces années, le ratio a crû de 14% à 40%.

Malgré le degré encore modeste d’intermédiation financière atteint par la zone, la forte croissance du crédit s’est révélée déstabilisatrice pour au moins deux raisons. D’une part, en soutenant la demande domestique, elle a contribué aux tensions sur les prix à la consommation et sur les prix du logement. D’autre part, et nous y reviendrons, dans la mesure où le secteur privé avait massivement recours au crédit en devises, il augmentait son exposition au risque de change alors même que s’accumulaient des déséquilibres extérieurs susceptibles d’accroître la volatilité des changes.

– Des pressions à la hausse sur les prix

Cette évolution du crédit s’est parfois accompagnée de politiques budgétaires pro-cycliques: en 2008, le déficit de la Pologne atteignait 3,6% du PIB en 2008, celui de la Hongrie 3,8% malgré les efforts consentis depuis l’automne 2006, et celui de la Roumanie 5,5%. Certains pays, notamment ceux qui connaissaient des régimes de changes fixes mais pas uniquement, ont alors connu des tensions inflationnistes, supérieures à ce qu’aurait induit mécaniquement le seul effet Balassa-Samuelson. Sans même parler du régime d’hyperinflation que connaissait la Roumanie jusqu’au milieu des années 2000, l’inflation, au sens de l’IPCH, a ainsi atteint, en 2008, 12% (cas de la Bulgarie), 10,6% (Estonie), 11,1% (Lituanie) ou même 15,3% (Lettonie). En Hongrie, elle était, en 2007, de 7,9%.

Les tensions inflationnistes, caractéristiques du régime de surchauffe qui affectait de nombreux pays de la région avant la crise, se sont aussi traduites par la formation de bulles de prix d’actifs. Cela a été le cas sur le marché immobilier, particulièrement dans les pays baltes mais aussi en Pologne où la progression nominale des prix du logement excédait 30% en 2005 et 2006, ou en Bulgarie où l’on a connu des évolutions comparables de mi-2007 à mi-2008, dans les deux cas malgré de fortes disparités régionales. Des phénomènes de bulle sont aussi apparus sur plusieurs marchés boursiers, notamment les plus petits, les indices de référence ayant été multipliés par plus de 3,5 en Bulgarie ou en Roumanie entre avril 2004 et 2007 tandis qu’ils doublaient en Pologne, en Slovaquie, en République tchèque ou en Hongrie.

 – Un problème de compétitivité

Avec les tensions inflationnistes s’est mise en place dans plusieurs pays une boucle prix-salaires. Dans un marché du travail tendu, où les pressions démographiques impliquaient de pouvoir attirer une main-d’œuvre étrangère, le rapport de force de la négociation salariale a été d’autant plus favorable aux employés que la négociation est le plus souvent décentralisée et prend pour référence le salaire des fonctionnaires, lequel était particulièrement dynamique dans certains pays. C’est ainsi que les salaires ont pu connaître les très rapides progressions mentionnées plus haut.

L’augmentation du coût du travail, d’autant plus forte que les devises flottantes des PECO s’appréciaient tendanciellement par rapport à l’euro, tandis que le yen et le dollar se dépréciaient, a excédé dans la plupart des cas celle de la productivité, bornée en moyenne par l’insuffisance du stock de capital disponible. On a alors assisté à des hausses des coûts salariaux unitaires préjudiciables à la compétitivité-prix: +16,2% en Bulgarie en 2008, 15,2% en 2007 en Roumanie et 27% la même année en Lettonie. On perçoit avec acuité, au vu de ces statistiques, l’importance des gains de qualité mentionnés plus haut et des transferts technologiques occasionnés par les IDE, pour la compétitivité des PECO et leur positionnement dans le commerce international.

La surchauffe des économies d’Europe centrale et orientale, perceptible dans les tensions inflationnistes et une dégradation de leur compétitivité, s’est aussi traduite par une dégradation de leur situation extérieure.

Des déséquilibres extérieurs peu soutenables

– Une dette extérieure explosive

Le financement de l’économie dans les PECO par des capitaux étrangers, s’il est allé de pair avec une intégration à l’espace européen qui, par bien des aspects, était favorable au processus de convergence, a aussi entraîné une augmentation de la dette extérieure.

De fait, les flux d’IDE, non générateurs de dette, ne correspondaient qu’à une partie des capitaux entrants.

Cet endettement extérieur a progressivement atteint des niveaux peu soutenables, en Hongrie surtout où il s’établissait fin 2008 à 136%du PIB, mais aussi en Lettonie (près de 130%), en Estonie (120%) ainsi qu’en Bulgarie (102%). Si l’on raisonne non plus par rapport au PIB mais en pourcentage des exportations, le degré d’endettement extérieur de la Pologne (117% des exports) et de la Roumanie (155%) paraît également relativement élevé.

– Un creusement des déficits courants

Une part importante des investissements, IDE inclus, s’est dirigée vers le secteur abrité, notamment l’immobilier, le commerce de détail ou les services financiers, reflétant logiquement la bulle immobilière, le boom de la consommation des ménages et l’émergence de nouveaux circuits de financement de l’économie.

Mais, plus généralement, le dynamisme de la demande domestique et, en particulier, les besoins de l’économie en biens d’équipement ont induit un creusement des déficits courants. Cette dégradation a été particulièrement marquée dans les pays dont les devises étaient arrimées à l’euro, puisque les déficits de balance courante ont atteint en 2008 23% du PIB en Bulgarie, 13% en Lettonie (après 22,5% durant les deux années précédentes), 12,4% en Lituanie et 9,1% en Estonie (où ils étaient à 17% en 2006 et 2007).

Indépendamment même de la question du régime de change, qui accentue le problème en empêchant la dépréciation de la monnaie, tous les pays de la zone ont dû structurellement faire face à des situations de déficit courant, du fait même du processus de rattrapage dans lequel ils se trouvaient, y compris la République tchèque et la Pologne (avec respectivement des déficits de 3,1% et 5,5% du PIB en 2008) et, à plus forte raison, la Hongrie (6,6%) et la Roumanie (12,4%).

– Un risque de volatilité accrue dutauxde change

Ces déséquilibres extérieurs faisaient peser un risque sur l’évolution des changes dans la zone: alors que les devises flottantes s’appréciaient tendanciellement sous l’effet de la dynamique de rattrapage, la situation extérieure induisait une possible remise en cause de ce mouvement, devenu très sensible aux entrées de capitaux étrangers. Dès lors étaient réunies les conditions d’une volatilité accrue de ces monnaies et, simultanément d’une pression aggravée sur les pegs, surtout en Lettonie. Au plan macroéconomique, cela n’est pas neutre : il apparaît que, dans la brève histoire de la convergence des PECO, la volatilité du change s’est plutôt accompagnée, toutes choses égales par ailleurs, d’une croissance plus faible, avec des IDE eux-mêmes moins importants17.

Surtout, le risque de volatilité des changes augmentait dans un contexte d’endettement massif du secteur privé en devises. De fait, durant les années qui ont précédé la crise, ménages et entreprises se sont massivement endettés en euro, parfois en dollar ou, notamment en Hongrie, en franc suisse, souhaitant bénéficier de taux d’intérêt plus bas que ceux pratiqués en monnaie locale et négligeant de se couvrir contre le risque de change car ils anticipaient la poursuite d’évolutions favorables, qu’il s’agisse de l’appréciation du forint hongrois, du leu roumain ou du zloty polonais, ou du maintien du peg sur l’euro des devises baltes et du lev bulgare. On a ainsi vu croître dans l’ensemble de la zone la part du crédit libellée en devises qui, en 2008, atteignait 34%en Pologne, 57% en Roumanie et en Bulgarie, 65% en Hongrie et en Lituanie, 85 à 90% en Estonie et en Lettonie. Dès lors, l’exposition des ménages et des entreprises à un aléa accru sur le change fragilisait leur solvabilité, résultant in fine en une augmentation du risque de crédit.

Les PECO se trouvaient donc, avant même que la crise ne les affecte, fragilisés par les déséquilibres inhérents à leur modèle de croissance. La convergence décrite dans la première partie de cet article n’était donc probablement pas un processus intrinsèquement soutenable, du moins au rythme où elle s’est produite dans les dernières années. Mais il aura fallu le révélateur de la crise pour que cela apparaisse clairement.

Une crise violente, à l’impact différencié selon les pays.

– Une typologie de la crise dans les PECO

La crise mondiale survenue à l’automne 2008 a affecté de manière variable les différents pays d’Europe centrale et orientale, selon le degré de fragilité dans lequel ils se trouvaient ex ante. Aussi, ni son calendrier ni son ampleur n’ont été uniformes sur l’ensemble de la zone.

 * Etats baltes

Les pays baltes, où la surchauffe était la plus manifeste, ont connu un retournement conjoncturel courant 2008, avant même la faillite de Lehman Brothers dans le cas de l’Estonie et de la Lettonie, entrées en récession respectivement au premier et au deuxième trimestre, cependant que le PIB de la Lituanie, qui pouvait apparaître la mieux armée, ne se contractait qu’à partir du quatrième trimestre. Sur l’ensemble de l’année 2009, les Etats baltes auront connu la récession la plus violente, avec une contraction du PIB qui pourrait atteindre 14% en Estonie, 16% en Lituanie et 18%en Lettonie. 

 * Hongrie et Roumanie

La Hongrie, de son côté, connaissait depuis 2007 une rupture de son trend de croissance et, partant, du processus de convergence, induite par le choix de la rigueur budgétaire fait par le gouvernement Gyurcsany à l’automne 2006. La crise est donc survenue dans un contexte de croissance déprimée et a amplifié la perception des faiblesses structurelles du pays, au regard à la fois de sa dette extérieure et de ses finances publiques qui peinaient à se redresser. Les sorties de capitaux ont alors accéléré le déclenchement d’une crise de balance des paiements d’une ampleur telle que le FMI a dû intervenir dès novembre, soutenu par l’UE, la BERD et des bailleurs bilatéraux, comme il l’a fait en décembre en Lettonie et, au printemps 2009, en Roumanie. Les pays les plus affectés par la crise ont donc été ceux qui présentaient des situations dégradées à la fois en matière de déficit courant et de déficit public, le PIB Hongrois se contractant en 2009 d’environ 6,5% (contre une croissance atone de 0,6% en 2008) et celui de la Roumanie de 7,5% (contre +6,2% l’année précédente).

 * Bulgarie

La Bulgarie se trouve, au regard de cette typologie, dans une situation particulière : handicapée par son régime de change, elle endurait à la veille de la crise des déficits courants très élevés mais, justement soucieuse du maintien de son peg, s’évertuait à dégager année après année des excédents budgétaires. Elle a été profondément affectée par la crise, avec une récession de 6% (à opposer à une croissance de 6% en 2008), mais sans que son peg soit réellement remis en cause et sans avoir à recourir à l’aide du FMI.

– République tchèque, Slovaquie et Slovénie Enfin, l’absence de forte dégradation de la dette extérieure et de la situation budgétaire avant la crise en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie n’a pas empêché des récessions de 4, 5 et 7,5%en 2009 (contre +2,5, +6,4% et 3,5% l’année précédente). Cette chute reflète l’importance cruciale des échanges commerciaux pour ces petites économies très ouvertes; symétriquement, la reprise en Europe occidentale marquera assez rapidement pour ces pays la fin de la récession, à l’issue d’un délai d’ajustement de quelques mois.

* Pologne

Parmi les PECO, seule la Pologne connaît une croissance positive, de l’ordre de 1,5% environ (elle était de 5% en 2008), soutenue par la profondeur de son marché domestique, qui a amorti le choc sur la demande externe au premier trimestre, cependant que la dépréciation du zloty par rapport à l’euro apportait un soutien aux exportations. Surtout, la solidité financière des entreprises, en particulier des PME très peu endettées, a permis à la Pologne, comparativement à ses concurrents régionaux, de limiter le ralentissement de son activité.

– Les canaux de transmission de la crise

Si l’on tente, au-delà des différences entre pays, d’esquisser un schéma global de la crise dans les PECO, il apparaît qu’en l’absence quasi totale d’exposition au problème des subprimes ils ont, jusqu’à l’été 2008, globalement été épargnés par la tourmente. Depuis lors, en revanche, l’Europe centrale et orientale figure parmi les régions les plus durement frappées, d’autant plus sévèrement en fait que les années précédentes avaient été caractérisées par une situation de surchauffe.

* Un choc sur les exportations

Son intégration à l’économie européenne a entraîné la zone euro, son premier partenaire commercial, ce qui a induit un ralentissement des exportations. La demande domestique a été très vite affectée, à proportion de l’importance du secteur exportateur, avec une contraction de l’investissement et une rapide montée du taux de chômage, de l’ordre de 2 à 3 points en République tchèque, en Slovénie ou en Slovaquie, mais de 8 à 9 points dans les pays baltes.

* Des flux de capitaux défavorables

Au mécanisme de transmission de la crise, par le commerce international, se sont ajoutés des sorties de capitaux volatils et un tarissement des entrées d’investissements, qui ont mis en péril la soutenabilité de la situation extérieure. Ces flux peuvent s’expliquer par une prise de conscience, de la part des investisseurs, des fragilités de certains pays, à un moment où la crise se traduisait par une aversion au risque plus aiguë. De tels mouvements ont joué un rôle crucial dans le déclenchement de la crise hongroise en octobre 2008.

* Un problème de soutenabilité de l’endettement en devises du secteur privé

Corrélativement, la croissance du crédit a commencé à ralentir, en partie sous l’effet de la contrainte de liquidité à laquelle les maisons mères étaient elles-mêmes soumises. Même si elles ont pris soin de ne pas se retirer massivement de la zone, dans le cadre notamment du processus de Vienne initié par le FMI et la BERD en avril 2009, elles se sont néanmoins montrées d’une sélectivité croissante dans l’octroi de nouveaux crédits. On aboutit ainsi depuis le printemps ou l’été 2009, dans les baltes, en Hongrie et en Roumanie notamment, à des situations de credit crunch qui ont rendu difficile le refinancement du secteur privé et, ainsi, contribué à affaiblir la demande domestique, même s’il est difficile de faire la part des politiques de crédit restrictives et des anticipations pessimistes des ménages et des entreprises qui les conduisent à moins solliciter les banques. Parallèlement, la dépréciation des monnaies flottantes a posé aux débiteurs un problème de valorisation en monnaie locale de leur dette en devises et de poids de leurs engagements.

Au total, hormis le cas de la Pologne, la région dans son ensemble connaît du fait de la crise mondiale une très profonde récession, plus aiguë que celle de l’Europe occidentale. Après des années de forte croissance dans les PECO, 2009 marque donc une interruption dans le processus de rattrapage. Dans ces conditions, il est légitime de s’interroger sur les éventuels effets induits à plus long terme par la crise.

Les risques d’un ralentissement du processus de convergence

La crise s’est certes traduite par une réduction des déséquilibres macroéconomiques qui tenaient à la situation de surchauffe, avec une diminution desdéficits courants (lesquels restent néanmoins élevés dans certains pays, notamment dans les baltes et en Bulgarie) et des pressions inflationnistes, le danger résidant plutôt aujourd’hui pour plusieurs pays dans un risque de déflation. D’amples corrections ont aussi eu lieu sur plusieurs marchés boursiers et immobiliers.

Mais la conjoncture récente a également accru les tensions sur les finances publiques et sur les taux de change, éloignant les perspectives d’adoption de l’euro. Devant les difficultés rencontrées par l’ensemble des pays de la zone, des doutes surgissent quant au dynamisme de la croissance dans les années à venir.

Des politiques budgétaires sous contrainte

Malgré le cadre institutionnel et financier qui s’applique aux finances publiques des PECO, celles-ci pourraient être d’autant plus durablement dégradées que des incertitudes politiques planent sur beaucoup de pays de la région.

– Des garde-fous opposés à la dérive des dépenses publiques

Les politiques budgétaires sont dans bien des cas contraintes par des mécanismes internationaux. C’est notamment le fait des engagements qui lient la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie aux bailleurs de fonds internationaux venus à leur chevet, coordonnés par le FMI, et regroupant également l’UE, la BERD et des partenaires bilatéraux. Indépendamment de la discipline exigée par le FMI, peut-être plus adaptable que par le passé mais pas inexistante18, la volonté d’entrer dans l’UEM, qui implique le respect des critères de convergence, est aussi un facteur important à cet égard.

La Pologne voit même peser sur elle une contrainte supplémentaire, avec l’obligation inscrite dans le droit interne de ne pas laisser la dette publique augmenter au-delà de 55% du PIB, faute de quoi il appartient au gouvernement de proposer des mesures d’austérité budgétaire adaptées.

Les règles institutionnelles limitant les possibilités de relance budgétaire se doublent d’une contrainte financière, le coût du recours à l’endettement ayant augmenté depuis la crise. Les spreads souverains, après s’être considérablement écartés début 2009, ont peu à peu diminué mais restent, fin 2009, sensiblement plus élevés qu’avant la crise, de 200 à 300 points de base en Bulgarie, Hongrie et Roumanie, et d’environ 120 points de base en Pologne. A cet égard, l’effet de « halo» mentionné plus haut n’a plus cours aujourd’hui : depuis l’intervention du FMI en Hongrie, les PECO sont de nouveau assimilés par les marchés financiers à des émergents.

 – Une dégradation des ratios de déficit et de dette

Malgré les contraintes qui s’imposent à eux, les PECO ont vu leur situation budgétaire se dégrader depuis l’automne 2008. En 2009, l’ampleur de la récession est telle que les stabilisateurs automatiques ont abouti à un fort creusement des déficits, alors même que des mesures d’austérité budgétaire étaient prises dans plusieurs pays, au premier rang desquels la Hongrie, qui avait déjà franchi le pas de la rigueur depuis deux ans, ou la Lettonie. C’est même le cas de la Pologne, dont le déficit public avait commencé à se détériorer dès 2008, atteignant 3,6% sous l’effet d’une politique budgétaire laxiste, alors même que le pays connaissait encore une croissance brillante de l’ordre de 5%.

Plus généralement, à l’exception de la République tchèque, de la Slovaquie ou de la Bulgarie qui, avant la crise, dégageaient des excédents ou se trouvaient proches de l’équilibre, les pays de la zone pratiquaient souvent des politiques pro-cycliques qui, la crise venue, limitent cruellement leurs marges de manœuvre. Aussi les efforts consentis aujourd’hui dans la plupart des pays, alors qu’ils sont plus coûteux, ne permettent pas réellement un redressement, puisque l’on devrait enregistrer des déficits de l’ordre de 6% du PIB en Pologne et en Slovaquie, 7% en République tchèque et 8% en Roumanie.

Dans ce contexte, la dette publique connaît une croissance très rapide, relativement bénigne dans les pays où elle était initialement faible, à moins de 30%du PIB comme en République tchèque ou en Slovaquie, mais plus problématique lorsqu’elle avoisine les 80% du PIB, comme en Hongrie, ou approche le seuil de 55% en Pologne. Alors que les émergents voient en moyenne leurs dettes publiques se stabiliser ou diminuer, les PECO sont donc, en la matière, plus proches des pays développés. Mais ces évolutions défavorables des finances publiques reflètent l’impact mécanique de la conjoncture, sans même que les Etats aient réellement envisagé des politiques de relance d’importance significative. En un sens, les exigences de la convergence nominale s’opposent ici aux perspectives de convergence réelle, lesquelles auraient pu requérir une stimulation budgétaire de grande ampleur. 

– Un manque de visibilité politique

La visibilité à moyen terme sur les grands équilibres budgétaires de la région est en outre brouillée par des aléas politiques qui rendent plus incertaine la mise en œuvre cohérente de politiques d’ajustement. Les derniers mois ont vu se nouer dans la zone plusieurs crises ministérielles: chute du gouvernement letton en février 2009, chute du gouvernement hongrois puis du gouvernement tchèque, avec un gouvernement intérimaire appelé à diriger le pays jusqu’au printemps prochain, faute d’accord sur la date des élections, puis éclatement de la coalition qui soutenait le gouvernement roumain, alors que l’urgence imposerait de voter le budget pour répondre aux demandes du FMI.

L’exemple hongrois a montré que cette instabilité politique n’entraînait pas nécessairement un laxisme budgétaire. Mais avec les échéances électorales qui s’approchent dans la plupart de ces pays (et également en Pologne, avec des élections présidentielles en 2010 et des législatives en 2011), la tentation risque de s’accroître de relâcher la politique budgétaire.

Une volatilité des changes persistante

– Une volatilité forte depuis l’été 2008

En déstabilisant la situation extérieure des pays de la zone, la crise a induit, dans les pays dont le change est flexible, une forte dépréciation des devises, prenant à revers les anticipations d’appréciation fermement ancrées qui soutenaient la dynamique de l’endettement des ménages et des entreprises en devises. Entre l’été 2008 et l’hiver 2009, le zloty s’est déprécié de plus de 50% contre euro, le forint de près de 40%, la couronne tchèque de près de 30% et le leu roumain de 25%. La solvabilité du secteur privé s’est alors trouvée érodée, dans un contexte de contraction de l’activité économique et de tensions sur la liquidité, ce qui a induit la hausse du risque de crédit déjà mentionnée.

Depuis février / mars 2009, les monnaies locales s’apprécient de nouveau, sous l’effet d’un redressement des balances courantes. Elle ont retrouvé fin 2009 leurs niveaux de parité par rapport à l’euro de début d’année.

Mais les incertitudes entourant l’évolution des finances publiques, et un possible retour à la dégradation des comptes courants dès lors que la demande interne aura renoué avec un certain dynamisme, suggèrent que les changes devraient rester volatils dans les mois à venir. Même si les banques de la région semblent s’engager dans une réduction des prêts en devises, les problèmes posés en matière de risque de crédit pourraient persister dans les prochaines années. En particulier, le statut de la dette en euros dans les PECO reste d’autant plus précaire que l’horizon d’adoption de la monnaie unique semble s’éloigner.

– Un calendrier d’entrée dans la zone euro devenu aléatoire

L’instabilité du change pourrait en effet entrer en contradiction avec l’aspiration de la plupart des pays de la zone à entrer rapidement dans l’UEM. Cela suppose en effet, dans un premier temps, d’intégrer le mécanisme de change européen dit MCE 2, avec fixation d’une parité de référence vis-à-vis de l’euro, le change ne devant pas sortir de marges de fluctuation de plus ou moins 15% par rapport à ce taux de référence durant les deux ans qui suivent. Le précédent slovaque a montré qu’il est possible de redéfinir à la hausse la parité de référence durant cette période probatoire, à la suite de laquelle le pays adopte l’euro s’il satisfait aux critères de convergence nominale définis par le Pacte de stabilité et de croissance.

En tout état de cause, la récente volatilité des devises rendrait délicate aujourd’hui la définition d’une parité de référence. La souplesse octroyée par des changes flexibles et, notamment, les possibilités de dépréciation ayant vocation à soutenir les exports s’avèrent favorables dans une période de conjoncture troublée. En outre, si la crise a entraîné dans l’ensemble des pays de la zone une diminution de l’inflation, la dégradation des finances publiques devrait constituer pour plusieurs années un obstacle à l’adoption de l’euro. Actuellement, les trois Etats baltes font partie du MCE 2, mais seule l’Estonie semble en mesure d’éventuellement satisfaire aux critères de Maastricht dans un futur relativement proche, avec cependant beaucoup d’incertitudes en matière budgétaire. Plus généralement, dans la zone, seules l’Estonie, la République tchèque et la Bulgarie ne font pas aujourd’hui l’objet de procédures pour déficit excessif de la part de la Commission européenne ; la dégradation des finances publiques obère toute perspective d’adoption de l’euro pour les autres, en l’état actuel des critères de Maastricht dont une évolution semble peu probable dans la mesure où elle exigerait l’unanimité des Etats membres.

Jusqu’en avril dernier, la Pologne était très volontariste. Ainsi, le gouvernement plaidait pour une adoption de l’euro en 2012, mais il a dû progressivement reconsidérer cet objectif, pour l’abandonner explicitement au mois de juillet. Dans la mesure où le pays est tenu, par la procédure de déficit excessif, de rétablir ses finances publiques à l’horizon 2012, l’adoption de l’euro, sous réserve d’une vérification des autres critères, pourrait avoir lieu en 2014. La Hongrie doit ramener son déficit sous la barre des 3% à l’horizon 2011, mais sa dette publique constituera longtemps un obstacle diriment. La Bulgarie, de son côté, dispose certes d’une situation budgétaire saine, mais l’entrée dans le MCE 2 supposerait une résorption de ses déséquilibres macroéconomiques, et notamment du déficit courant, qui reste de l’ordre de 13% du PIB en 2009 et pourrait encore excéder 10% en 2010. Quant à la République tchèque, sa conjoncture dégradée se traduit par une forte augmentation du déficit budgétaire, déjà mentionnée et appelée à durer peut-être jusqu’en 2013. Il semble, en outre, que, politiquement, le consensus en faveur d’une adoption rapide de la monnaie unique fasse défaut dans ce pays. Au total, tant la détérioration des finances publiques que le recul du calendrier d’intégration à l’UEM sont susceptibles d’affecter la croissance dans les prochaines années.

Des perspectives de croissance plus modestes

– Vers une reprise molle

L’ampleur de la récession dans presque tous les PECO en 2009 traduit celle des ajustements nécessaires, après des années de surchauffe. La reprise en Europe occidentale devrait, au cours des prochains trimestres, stimuler les exportations dans l’ensemble de la zone. Mais, hormis peut-être dans les petites économies très ouvertes que constituent la République tchèque et la Slovaquie, et d’ailleurs sous réserve dans ce deuxième pays d’une bonne santé du secteur automobile, la contribution du commerce international ne suffira pas à ramener les rythmes d’expansion qui prévalaient à la veille de la crise.

Faute d’une demande domestique dynamique, la croissance devrait en 2010 rester inférieure à 2%dans l’ensemble de la zone. Les Etats baltes devraient connaître encore des récessions, peut-être de l’ordre de 4%, et il se pourrait que ce soit encore le cas de la Hongrie et de la Bulgarie, où les marges de manoeuvre sont les plus limitées du fait de l’ampleur des déséquilibres initiaux pour la Hongrie et de la contrainte du peg pour la Bulgarie.

– Des défis à relever pour la croissance potentielle

Au-delà de cet horizon immédiat, la croissance potentielle a été affectée par la crise. Le défaut d’adoption de l’euro et la volatilité des changes pourraient ainsi se traduire par une méfiance des investisseurs, même si la certitude demeure qu’à terme tous adopteront l’euro. De fait, il semble que la crise ait modifié leur approche des PECO, à partir du moment où la Hongrie était stigmatisée par l’appel au FMI. Or on a déjà pris note de l’importance des IDE dans les transferts de technologie et l’évolution du tissu productif.

Avec la relative étroitesse des marges de manœuvre dont bénéficie la dépense publique, les capitaux étrangers vont demeurer particulièrement nécessaires, aussi, en matière d’infrastructures et de R&D.

La poursuite de cette évolution qualitative est d’autant plus cruciale que les problèmes de compétitivité des PECO vont être récurrents dans les prochaines années. Leur évolution démographique prévisible constitue à cet égard un défi : l’âge moyen de la population devrait, à l’horizon 2030, croître de 5 à 7 ans par rapport à 2004, passant ainsi de 37,5 à 44,5 ans en Pologne, de 41 à 47,5 ans en Bulgarie ou de 40 à 45 ans en Hongrie. A titre de comparaison, il devrait augmenter en France de 39 à 43 ans. Ce vieillissement démographique va mettre à l’épreuve des marchés du travail déjà affectés de rigidités, en rendant plus aiguës les difficultés d’emploi des travailleurs âgés à mesure que leur part dans la population augmentera. La déformation en cours de la pyramide des âges va aussi accroître les dépenses de santé et de retraite, ajoutant aux difficultés que connaissent déjà les finances publiques et suscitant, éventuellement, une hausse des prélèvements obligatoires et du coût du travail.

Le potentiel d’amélioration en matière d’institutions est par ailleurs limité, sauf peut-être pour ce qui est du fonctionnement de la justice, notamment en Roumanie et en Bulgarie dont les problèmes de corruption ont été soulignés par la Commission européenne à l’été 2008. D’une manière générale, ces deux Etats, derniers venus dans l’UE, sont peut-être ceux où les possibilités de progrès structurels sont les plus nettes.

La zone pourrait, par ailleurs, pâtir de la concurrence des Balkans, notamment des pays de l’ex-Yougoslavie, à mesure que leur situation politique se stabilisera et qu’ils seront appelés à rejoindre l’UE, bénéficiant à leur tour des fonds structurels et de l’intérêt des investisseurs pour un écart de rendement du capital favorable et pour le faible coût de la main d’œuvre. Par-delà les frontières de l’Europe, il faudra enfin que les PECO tiennent compte de la concurrence croissante de l’Asie ou d’un pays comme le Maroc, déjà très présent dans le secteur textile, et peut-être demain dans l’automobile.

L’intégration croissante des PECO à l’Europe, commerciale, financière, institutionnelle et politique, va dans le sens de l’histoire et ne sera pas remise en cause dans les années à venir. Encore faut-il s’interroger sur la portée de cette intégration : la division internationale des processus productifs a amené les PECO à connaître une industrialisation rapide et une spécialisation sur certains secteurs pour lesquels la concurrence de pays tiers risque de devenir croissante.

Alors que la crise pourrait bien avoir atténué leur potentiel de croissance à long terme, il importe donc que les PECO relèvent les défis d’une amélioration de leurs infrastructures et d’une poursuite de la montée en gamme de leur production.

NOTES

1 Le 1er mai 2004, outre Chypreet Malte qui ne sont pas traitées ici, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie intégraient l’UE, rejointes le 1er janvier 2007 par la Roumanie et la Bulgarie. La Slovénie et la Slovaquie ont adopté l’euro respectivement le 1er janvier 2007 et le 1er janvier 2009.
2 La parité de pouvoir d’achat est un taux de conversion monétaire qui permet de comparer des niveaux de vie entre pays. Ce taux exprime le rapport entre les quantités d’unités monétaires nécessaires dans des pays différents pour se procurer le même panier de biens et de services.
3 Le taux d’emploi se définit comme le ratio des effectifs employés à la population active totale (population en âge de travailler qui exerce une activité ou qui recherche un emploi).
4 Le taux d’activité est défini par le nombre d’actifs (occupés ou au chômage) rapporté au total de la population en âge de travailler.
5 Voir F. FerdinandHeinz et M. Ward-Warmedinger, Cross-border labour mobility within an enlarged EU,European Central Bank, Occasional Paper Series n° 52, 2006.
6 Voir D. Ritzberger-Grünwald et J. Wörz, “Macroconvergence in CESEE”, in Oesterreichische Nationalbank, 1989– 2009 Twenty years of East-West integration : Hopes and achievements, Focus on Europeaneconomic integration, Special issue 2009.
7 Voir M. Timmer, M. O’Mahony et B. van Ark, TheEU KLEMS growth and productivity accounts: an overview, University of Groningen et University of Birmingham,www.euklems.net, 2008.
8 Voir U. Dulleck, N. Foster, R. Stehrer et J. Wörz, “Dimensionsof qualityupgrading: evidence from CEECs”, in Economics of transition, 13(1), 2005.
9 Défini par la somme des exports et des imports rapportée au PIB.
10 Voir F. Faure, “L’intégration des pays d’Europe centrale dans l’UEM : le plus tôt serait-il le mieux? (I)”, in BNP Paribas, Conjoncture, septembre 2004.
11 Voir European Commission, Five years of an enlarged EU, economic achievements and challenges, European economy 1, 2009.
12 Voir M. Cihak et W. Fonteyne, Five years after : European Union membership and macro-financial stability in the new member States, International Monetary Fund, IMF working paper WP/09/68, 2009.
13 L’indicateur de transition de la BERD se base sur une évaluation des progrès en matière de privatisation, de restructuration des entreprises, de libéralisation des prix, de système commercial et de change, de politique de la concurrence, de réforme du secteur bancaire et de libéralisation des taux d’intérêt, demarché financiers et institutions financières non bancaires et enfin de réformes structurelles au sens large.
14 Le déficit public doit être inférieur à 3% du PIB, la dette publique inférieure à 60%du PIB, le taux d’inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5point l’inflation moyenne des trois Etats membres de l’UE où elle était la plus basse durant l’année précédente, et les taux d’intérêt à long terme ne doivent pas dépasser de plus de 2 points ce qu’ils étaient en moyenne dans ces trois mêmes Etats membres au cours de l’année précédente. En outre, le taux de change par rapport à l’euro doit, durant les deux années de participation au MCE 2, demeurer dans une fourchette de plus ou moins 15% par rapport à un taux de référence.
15 Les investissements greenfield correspondent à la création d’unités de production ex nihilo.
16 Voir K. E. O. Alho, V. Kaitila et M. Widgren, Offshoring, relocation and the speed of convergence in the enlarged European Union, Centre for Economic Policy Research, Discussion paper series n° 7000, 2008.
17 Voir O. Arratibel, D. Furceri et R. Martin, Real convergencein Central and Eastern European EU member states. Which role for exchange rate volatility ?, European Central Bank, Working Paper Series n° 929, 2008.
18 Voir V. Gligorov, “Thenew IMF approach andthe EU”, in V Grigorov, J. Pöschl, S. Richteret al., Where have all the shooting stars gone?, wiiw, Current analyses and forecasts, 4, 2009.

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