par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
A la fin de l'année 2009 la dynamique de l'économie globale a une allure très particulière et plutôt originale. Plusieurs pays émergents ont déjà absorbé le choc violent qui a affecté l'ensemble du monde à la fin de l'année 2008, Leur niveau d'activité est supérieur ou égal à celui constaté avant cette crise. C'est le cas de la Chine mais aussi de la Corée ou du Brésil.
Les pays développés sont encore loin d'une telle situation. Pour eux, un retournement a été constaté au printemps 2009. Cependant, en dépit de cette reprise le niveau d'activité restait à la fin du 3ème trimestre de 3 à 8 % au dessous du point haut observé durant la première partie de 2008.
Pour les Etats-Unis et pour l'Europe cet état des lieux se traduit par un recul marqué de l'emploi.
Les entreprises, pour restaurer leurs marges, ont ajusté celui-ci à la baisse pour qu'il soit cohérent avec le niveau de l'activité. Cela se traduit par un taux de chômage généralement très élevé. La reprise de l'activité va changer la donne et engendrer au premier semestre 2010 de nouvelles créations d'emplois, notamment aux USA. Ce phénomène sera moins perceptible en Europe. Toutefois les ruptures de l'activité et de l'emploi ont été telles que la résorption du taux de chômage prendra un temps très long. Il y aura probablement une dissociation dans la dynamique du marché du travail. L'emploi pourrait reprendre mais restera très éloigné du niveau d'avant crise. En conséquence, le taux de chômage restera élevé. Cette situation qui dure entretient une grande incertitude du côté des ménages. Associé à des prix d'actifs, immobiliers notamment, encore très bas, cet environnement a plutôt tendance à provoquer une hausse du taux d'épargne.
La situation macroéconomique des pays développés devient alors très lisible. Les entreprises ajustent leur comportement au nouvel environnement notamment via l'emploi. Elles retrouvent ainsi des marges et des degrés de liberté pour satisfaire à la demande lorsque celle-ci se manifestera. Les ménages ont adopté un comportement prudent et contraint au regard de la dynamique médiocre du marché du travail. En conséquence, le changement d'orientation de l'activité constaté à partir du printemps 2009 doit beaucoup aux supports massifs en provenance des banques centrales et des gouvernements. La dynamique vertueuse entre les entreprises et les ménages ne s'est pas encore remise en place. C'est la raison pour laquelle le retrait des politiques économiques accommodantes est complexe à mettre en œuvre et ne doit pas être précipité. Ce sont elles qui déterminent la demande adressée aux entreprises. Cette dynamique va se poursuivre en 2010. Elle pourrait cependant être amendée si les pays industrialisés réussissaient à capter l'expansion durable de l'activité des pays émergents. L'Allemagne réussit déjà à le mettre en œuvre. C'est ce que l'on observe sur la dynamique des commandes à l'industrie mais c'est encore probablement insuffisant.
L'interaction entre pays développés et pays émergents, va être une des clés de l'année 2010. On constate que les seconds ont pu retrouver un niveau d'activité élevé en dépit de la récession qui affectait les premiers. Cette situation traduit une autonomie plus grande des pays émergents, des politiques volontaristes et la mise en place de liens commerciaux et financiers entre ces mêmes pays émergents, provoquant ainsi des effets d'entrainements très favorables.
Face à leurs difficultés internes issues de la crise, les pays industrialisés souhaiteraient pouvoir capter plus directement la robustesse des pays émergents.
Cela sera d'autant plus nécessaire que l'on ne perçoit pas une reprise homogène aux Etats-Unis et en Europe. On constate que la reprise dans les PME est bien moins marquée que celle de la moyenne des entreprises. C'est une fragilité et potentiellement une perte de substance qui se reflète dans la fermeture de PME. Il y a dans cette hétérogénéité un facteur d'incertitude.
L'activité s'améliorera en 2010 mais à un rythme modéré et très en deçà de celui qui aurait dû être observé en sortie de récession. La combinaison des trois crises, financière, bancaire et économique a affecté très profondément les comportements. De la sorte, l'ensemble des chocs subis crée de la persistance ne permettant pas spontanément un retour à la tendance antérieure.
Aux Etats-Unis, la mise en place d'un nouveau plan de soutien qui pourrait être centré sur l'emploi dans les PME permettra de rassurer sur la robustesse et la pérennité de la reprise. Associé à la reconstitution des stocks constatée actuellement une telle mesure pourrait limiter l'impact négatif attendu au 2ème semestre 2010 du plan de soutien mis en place en 2009 par l'administration Obama. La conjugaison des deux phénomènes pourrait faciliter la convergence de l'activité vers son potentiel.
En Europe, au-delà des fragilités provoquées par la dégradation du marché du travail, la situation est hétérogène sur le plan géographique. Plusieurs pays ont un modèle de croissance qui ne fonctionne plus de la même façon qu'avant la crise. L'Espagne, l'Irlande, la Grèce et le Portugal doivent définir les sources nouvelles qui alimenteront la dynamique de leur économie remplaçant l'ancien modèle devenu inefficace.
C'est frein à l'amélioration rapide des perspectives de croissance pour l'ensemble de l'Europe. En outre la volatilité des taux d'intérêt de ces pays, notamment la Grèce et l'Irlande, sont des sources d'incertitudes qui pénalisent l'ensemble du vieux continent.
Cette situation de fragilité constatée sur l'économie des pays industrialisés se reflète dans une absence de tensions sur l'appareil productif et sur le marché du travail. En conséquence, l'accélération du taux d'inflation constatée au début de l'année en raison d'une comparaison défavorable des prix de l'énergie n'aura pas de persistance. Le taux d'inflation va évoluer en cohérence avec le prix du pétrole. Si celui-ci se stabilise même autour de 80 dollars le baril, le taux d'inflation restera bas en moyenne sur l'ensemble de l'année.
Pour les banques centrales des pays industrialisés, la situation globale incite à la stabilité du taux d'intérêt de référence à un niveau très bas. Les autorités monétaires réitèrent régulièrement ce message afin de stabiliser les anticipations des investisseurs sur les marchés. Il y a là une volonté marquée de prendre des engagements afin de maintenir des taux d'intérêt les plus bas possibles et ne pas contrarier la reprise de l'activité. Ce leitmotiv des banquiers centraux est perçu comme rationnel et crédible de la part des intervenants sur les marchés financiers puisque les anticipations d'inflation restent très modérées et limitées. En conséquence, les taux d'intérêt devraient être plutôt stables et réduits tout au long de l'année.
Sur un autre plan, la difficulté des autorités va être de soutenir l'activité, pour les raisons évoquées dans la première partie du texte, tout en indiquant la façon dont elles infléchiront ces stratégies pour les rendre soutenables à moyen et long terme. Il y aura une sorte de schizophrénie des autorités alimentant la demande à court terme mais prenant les mesures pour rendre ces excès soutenables à moyen terme. Une telle stratégie permettra aux gouvernements de limiter les situations de défiance qui se traduiraient inéluctablement par des taux d'intérêt plus élevés. Ces annonces seront très attendues du coté des gouvernements pour indiquer comment elles pourront gérer la dynamique actuellement explosive de la dette publique. La Grèce en a fait l'expérience. Tout le monde ne connaîtra pas une telle situation mais il faut la prévenir.
Du côté des émergents, la situation sera plus complexe car le cycle économique est déjà avancé et générateur de contrainte comme cela a été expliqué par la Banque d'Australie qui, à l'automne 2009, a remonté son taux de référence à trois reprises afin de inscrire sa politique monétaire dans le cycle économique. On ne peut exclure d'autres mouvements en 2010 au Brésil, en Corée ou encore en Argentine. Le caractère particulier du cycle actuel apparaitrait alors immédiatement puisque les pays émergents adopteraient des stratégies plus agressives, plus rapidement que les pays industrialisés. Associé à une plus grande intensité des échanges de biens et une accentuation des liens financiers entre pays émergents, cette situation reflètera un face à face différent avec les pays industrialisés. Avec des vitesses d'ajustements très différenciées, le rapport de force entre pays émergents et développés se modifie en profondeur. Il traduit un monde qui change avec un nouvel équilibre qui se construit.