Perspectives de croissance de deux économies émergentes

par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Senior Marchés Emergents chez ING IM

Le rebond alimenté par un retour de l’appétit pour le risque, qui a commencé au début de l’année, s’est affaibli au cours de ces dernières semaines. Dans notre publication de février, nous avions souligné que ce rebond était essentiellement tiré par les attentes de nouvelles injections de liquidités par les grandes banques centrales. Nous restons d’avis que les liquidités abondantes constituent actuellement l’élément clé pour les actifs risqués. Alors que les indices de surprises économiques se détériorent aux États-Unis et en Europe et que les risques pesant sur la croissance augmentent en Chine, nous estimons que les facteurs fondamentaux ne sont guère susceptibles de soutenir les marchés.

Dans notre publication précédente, nous avions mentionné que la morosité du commerce mondial, la décélération de la croissance en Chine et la hausse de l’inflation attendue dans les marchés émergents au second semestre de l’année pesaient sur les perspectives de croissance du monde émergent, Dans cette publication, nous illustrons ceci par l’analyse des perspectives de croissance de deux grandes économies émergentes : la Chine et le Brésil.

Chine : pas d’assouplissement agressif

La semaine passée, l’annonce par le gouvernement chinois de l’abaissement de son objectif de croissance pour le PIB en 2012 de 8% à 7,5% n’a pas surpris. Cette nouvelle n’était cependant pas sans importance. Un objectif de croissance plus faible suggère en effet que les autorités souhaitent laisser la croissance économique ralentir jusqu’à des niveaux plus compatibles avec la situation démographique (croissance négative de la main-d’œuvre au cours des prochaines années), la rapide hausse de l’endettement (la dette intérieure en pourcentage du PIB a augmenté de 30% depuis 2008) et les perspectives plus modérées pour la croissance mondiale.

En Chine, la croissance ralentit progressivement depuis le sommet de 11,9% atteint après la crise au premier trimestre de 2010. Alors que la croissance de la consommation des ménages reste stable à des niveaux élevés, le principal moteur de la croissance au cours des dernières décennies, la croissance des investissements en actifs fixes, décélère rapidement. Après l’assouplissement très marqué des années 2008-2009, avec une croissance des crédits qui avait atteint pas moins de 34%, un ralentissement était inévitable et nécessaire pour éviter une crise de la dette et une bulle spéculative encore plus importante au niveau des prix des actifs.

La croissance des investissements en infrastructure a d’abord commencé à décélérer au deuxième semestre de 2009, alors que la dette des gouvernements locaux avait atteint des niveaux dangereux. En 2011, la croissance des investissements immobiliers s’est finalement orientée à la baisse car le gouvernement central est intervenu pour obliger le marché immobilier à croître à un rythme plus modéré afin de faire baisser les prix. Aujourd’hui, la croissance globale des investissements en actifs fixes ralentit clairement : la croissance des investissements en infrastructure se situe à son niveau le plus faible depuis des décennies et la croissance des investissements immobiliers est toujours élevée, mais décélère rapidement.

Les autorités sont conscientes de l’impact négatif du secteur immobilier sur la croissance globale des investissements. Le choix de provoquer une correction a été pris en connaissance de cause car l’une des priorités du gouvernement est que le logement reste abordable pour les Chinois. Quand on sait que les investissements immobiliers représentent près de 20% du PIB, il est clair que d’autres secteurs de l’économie devront prendre le relais pour éviter un net déclin de la croissance du PIB. Par conséquent, nous nous attendons à un nouvel assouplissement de la politique économique via un relèvement des quotas de crédit pour les banques et des stimulants ciblant la consommation des ménages et les investissements en infrastructure.

Le problème est que la dernière série de mesures de stimulation ne remonte qu’à trois ans et que le système financier est toujours en train de digérer les excès de deux années de croissance très rapide des crédits. Ceci explique pourquoi les autorités hésitent à ce stade à procéder à un assouplissement agressif de leur politique économique. Elles préfèrent accélérer le processus visant à rendre l’économie plus dépendante de la consommation privée, tout en laissant la croissance du PIB redescendre à des niveaux plus tenables.

Pour cette année, nous prévoyons une croissance du PIB de 7,9%, avec trois trimestres de croissance inférieure à 8% à partir du deuxième trimestre. Pour les années 2013 à 2016, nous tablons sur un repli graduel de la croissance jusqu’à un niveau de 6%.

Brésil : croissance affectée par la Chine et l’inflation

Le Brésil est l’une des économies émergentes ayant pleinement bénéficié de la forte croissance des investissements en actifs fixes de la Chine au cours de la décennie écoulée. La forte croissance de la demande chinoise de minerai de fer et de soja a entraîné une hausse moyenne des exportations de plus de 20% durant la période 2001-2011. Les solides performances des exportations ont permis une rapide croissance des importations sans détérioration sensible de la balance des paiements. Les termes de l’échange favorables grâce à la hausse des prix des matières premières qui a duré pendant des années ont contribué à la formation d’une spirale positive d’appréciation de la devise, d’attentes d’une poursuite de cette appréciation et de solides flux d’investissements de portefeuille.

Alors que la croissance de la demande chinoise de matières premières devrait ralentir au cours des prochains trimestres et des prochaines années, le contexte se détériore pour l’économie brésilienne. Les facteurs bénéfiques dont cette dernière a profité depuis 2002 s’amoindrissent. Ceci a des implications importantes pour la croissance, les flux de capitaux et la devise. Si le gouvernement continue de négliger les réformes structurelles, le contexte mondial moins favorable entrainera un ralentissement de la croissance. Il devrait également provoquer un repli des flux de capitaux étrangers et une dépréciation du real. Ceci est toutefois une vue stratégique à plus long terme et à court et moyen terme, les perspectives de croissance ne sont pas si mauvaises. Elles sont déterminées par les développements sur le marché du travail, l’inflation et les taux d’intérêt.

La consommation des ménages, qui représente 64% du PIB, a été le principal moteur de la croissance au cours de ces dernières années. Sa croissance reste soutenue par la croissance de l’emploi, des salaires et des crédits. Le marché du travail demeure serré. En outre, le gouvernement a donné un coup de pouce supplémentaire en relevant le salaire minimal de 14% cette année. Compte tenu de tous ces éléments, il est improbable que la croissance de la consommation privée ralentisse substantiellement au cours des prochains trimestres. Le niveau élevé de la confiance des consommateurs témoigne du climat exceptionnellement positif pour la consommation. Les principaux risques sont l’inflation (à moyen terme) et la rapide hausse de l’endettement des ménages (à plus long terme).

Les investissements en capital fixe restent peu convaincants. Les programmes d’investissements en infrastructure sont ambitieux, mais leur réalisation ne correspond pas à ce à quoi on pourrait s’attendre deux ans seulement avant la Coupe du monde de football et quatre ans avant les Jeux olympiques. La bureaucratie et le contexte peu favorable aux investissements constituent deux obstacles majeurs. L’inflation et les taux nominaux élevés jouent également un rôle négatif. Les banques privées se sont concentrées sur les prêts à la consommation, ce qui rend les investissements en capital fixe largement dépendants du financement via la banque nationale de développement (BNDES).

Après la faible croissance de la croissance des investissements observée depuis l’été dernier, nous distinguons néanmoins depuis peu des signes précoces d’amélioration. La confiance des entreprises est ainsi orientée à la hausse depuis le début de l’année, tandis que l’indicateur avancé de la banque centrale a dépassé son sommet en novembre. Ceci suggère une accélération de la croissance des investissements en capital fixe au cours des prochains mois, d’autant plus que la banque centrale a abaissé les taux de 275 points de base depuis septembre dernier. Le climat peu favorable aux investissements et la structure de coût élevée de l’économie devraient cependant maintenir la croissance des investissements à des niveaux relativement faibles, certainement inférieurs au taux de croissance de la consommation des ménages.

La robuste croissance de la consommation, le marché du travail serré et la croissance insuffisante des investissements ont propulsé l’inflation à la hausse au cours de ces dernières années. L’inflation générale s’élève actuellement à 6%, ce qui se situe juste sous le plafond (6,5%) de la fourchette de la banque centrale. La semaine passée, la banque centrale a décidé d’abaisser le taux officiel de 75 points de base à 9,75%. Cette mesure plus drastique qu’anticipé est intervenue après quatre abaissements de 50 points de base depuis l’été dernier.

Cet assouplissement monétaire agressif est réalisé en dépit d’une forte croissance de la consommation et d’une inflation élevée. Ceci s’explique surtout par le taux de change, qui est élevé et considéré par les autorités comme le principal responsable des médiocres performances de l’industrie manufacturière brésilienne. Les taux d’intérêt sont ainsi abaissés afin de réduire l’attrait de la dette en devise locale pour les investisseurs étrangers et d’éviter une nouvelle appréciation de la devise.

Cette stratégie est compréhensible, en particulier dans le contexte mondial actuel, avec des banques centrales s’efforçant de maintenir les taux à un niveau proche de zéro et de procurer des liquidités abondantes. Selon nous, la compétitivité de l’industrie manufacturière brésilienne n’est toutefois pas seulement handicapée par la vigueur du real.

La structure de coût élevée en raison de la lourde fiscalité, de la bureaucratie, des infrastructures insuffisantes et de la main d’œuvre chère joue un rôle plus important. Ces problèmes doivent être résolus grâce à de nouvelles initiatives des autorités. En se concentrant uniquement sur le taux de change, les autorités omettent donc de réaliser les réformes qui importent vraiment.

Entre-temps, elles prennent d’énormes risques en -assouplissant la politique monétaire alors que la croissance -50 de la consommation et des crédits est élevée et que l’inflation dépasse le milieu de la fourchette de l’objectif d’inflation (4,5%) depuis deux ans déjà.

Un autre signe indiquant que la croissance de la demande domestique n’a plus réellement besoin de stimulation au Brésil est l’élargissement du déficit de la balance courante. En dépit d’une forte demande mondiale et des prix élevés des principaux produits d’exportation brésiliens au cours de ces dernières années, le déficit s’élargit depuis 2006. Exprimé en pourcentage du PIB, ce déficit reste raisonnable, entre 3% et 4% cette année, mais le fait qu’il s’élargisse alors que les exportations de matières premières ont été jusqu’à présent solides est révélateur. Il témoigne d’une très forte consommation des ménages et d’un manque de compétitivité de l’industrie nationale.

Tout bien considéré, nous ne pensons pas que la banque centrale dispose d’une marge de manœuvre pour abaisser les taux de façon agressive. L’inflation devrait en effet rester élevée cette année. Après une embellie de quelques mois, elle devrait recommencer à augmenter à partir du deuxième trimestre, pour s’installer à plus de 6%. Selon nous, le Brésil est l’un des pays susceptibles de connaître un problème d’inflation au second semestre de l’année, lorsque l’inflation de l’ensemble du monde émergent devrait à nouveau afficher une tendance haussière. Étant donné que le real est la devise émergente la plus chère et qu’il y a peu d’autres pays dans lesquels les flux de capitaux spéculatifs ont été si importants au cours de ces dernières années, il faut envisager la possibilité d’un changement complet de cap de la politique monétaire imposé par le marché plus tard dans l’année.

Les taux d’intérêt élevés et l’incertitude relative à la devise, combinés à la détérioration des perspectives de croissance en Chine, rendent un net rebond de la croissance brésilienne improbable cette année. Nous tablons sur une croissance du PIB de 2,7% en 2012. Pour 2013, nous prévoyons un taux de 3,8%, toujours inférieur au potentiel de croissance du Brésil que nous estimons à 4,5%.

Conclusion

Grâce à la politique monétaire plus agressive de la BCE, aux chiffres économiques américains dépassant les attentes et au redressement des indices PMI en Asie, les craintes relatives à la croissance mondiale ont été reléguées à l’arrière-plan. Les marchés d’actions du monde entier ont clairement bénéficié de ce contexte plus favorable, y compris les marchés d’actions du monde émergent, bien que leur surperformance par rapport aux marchés développés n’ait duré que jusque début février. Ceci suggère que l’euphorie initiale concernant les perspectives de la liquidité mondiale est retombée et que les investisseurs attendent de nouvelles preuves de l’amélioration des fondamentaux.

Dans l’ensemble du monde émergent, nous distinguons des signes d’amélioration de la croissance économique. Pour l’instant, les indicateurs avancés et les indices PMI sont prometteurs. Toutefois, la détérioration des perspectives de croissance de la Chine et la forte probabilité d’une hausse de l’inflation dans les marchés émergents au second semestre de l’année continuent à peser sur les perspectives de croissance de l’univers émergent à moyen terme. Alors que la valorisation des marchés émergents a renoué avec sa moyenne à 10 ans (rapport cours/bénéfices des 12 prochains mois de 10,5x) et que les attentes pour la croissance bénéficiaire du monde émergent s’élèvent à 12%, il n’y a dès lors guère de place pour les déceptions.