Peut-on vraiment parler de l’Allemagne comme d’un “modèle économique” ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

On présente souvent l’Allemagne comme un modèle économique pour les autres pays de la zone euro. Cette affirmation peut toutefois paraître un peu rapide ou, en tout cas, incomplète. Certes, sur le plan budgétaire, le premier pays de la zone euro fait figure, depuis quelques années, d’exemple pour ses voisins. Fruit d’un accord entre le SPD et la CDU-CSU lors de l’épisode de « Grande Coalition » (2005-2009), la politique budgétaire a été très rigoureuse avant la crise.

Grâce à une maitrise de ses dépenses (déjà initiée par le gouvernement Schröder, en complément des réformes structurelles de « l’Agenda 2010 ») et à une augmentation de ses recettes (hausse du taux de TVA de trois points en 2006, par exemple), l’Allemagne a enregistré un budget à l’équilibre en 2007 et 2008, là où la France, obnubilée par la baisse des prélèvements obligatoires, voyait son déficit déraper (- 2,7 % et – 3,3 % du PIB).

De même, le plan de relance allemand, moins ambitieux que dans certains pays (l’Espagne, par exemple), a valu à la première économie européenne une dégradation relativement limitée de ses finances (déficit de 3,3 % en 2009, contre 7,5 % en France). En conséquence, même s’il ne faut pas oublier que la dette publique allemande, qui s’est très fortement dégradée au cours des quinze années qui ont suivi la réunification, est très proche des standards européens (73,2 % du PIB en 2009, contre 78,7 % en zone euro et 77,6 % en France), il faut reconnaître qu’en matière budgétaire, l’Allemagne représente très certainement un exemple.

Sur le plan du modèle de croissance, le même argument est toutefois plus délicat à soutenir. En effet, l’Allemagne ne brille pas par ses performances. Malgré un épisode relativement favorable entre 2006 et 2007, la croissance moyenne allemande est, sur les dix dernières années, après l’Italie, la plus faible des vingt-sept pays de l’Union européenne : à peine 0,8 % par an. Et, même en intégrant l’handicap démographique du pays, le PIB par habitant, qui représentait 124,2 % de la moyenne de l’UE-27 en 1997, n’atteint plus désormais que 115,6 %… Cette faiblesse économique s’explique par le choix stratégique fait par l’Allemagne à la fin des années 1990. A l’instar d’un « petit pays », l’Allemagne, qui compte un marché intérieur de 82 millions de consommateurs, a décidé de « sacrifier » sa demande intérieure, au profit du commerce extérieur.

On reproche souvent aux stratégies économiques de ne pas porter leurs fruits. Dans le cas allemand, le reproche ne peut être fait. En effet, la réussite à l’international est impressionnante : malgré une population seize fois moindre, les exportations allemandes sont équivalentes à leurs homologues chinoises. D’ailleurs, de tous les « pays développés », l’Allemagne est la seule à avoir maintenu sa part de marché dans le commerce mondial (autour de 10 %). Toutefois, ce succès a un double prix. D’une part, il s’est opéré en échange d’une modération salariale stricte (à peine + 0,3 % par an en termes réels en moyenne depuis dix ans) qui a complètement déprimé la consommation des ménages (+ 0,1 % par an depuis huit ans, contre + 2 % dans le cas français…). D’autre part, les performances allemandes à l’exportation se sont réalisées au détriment des autres pays de la zone euro. Fonctionnant sur le principe des vases communicants, l’amélioration du solde commercial allemand s’est effectuée en symétrie des déficits commerciaux français, italiens, espagnols… D’ailleurs, le solde commercial de la zone euro dans son ensemble n’a enregistré aucune franche amélioration durant la période d’euphorie du commerce extérieur allemand.

En fait, on pourrait dire que, sur le marché européen, l’Allemagne a profité de l’explosion de l’endettement privé chez ses principaux partenaires commerciaux, alors qu’en dehors du Vieux Continent, ses gains de parts de marché (ou leur maintien) s’est fait « sur le dos » des autres pays européens. En somme, il est difficile de dire que la zone euro dans son ensemble ait pu profiter de cette stratégie…

Bref, au total, la stratégie économique allemande, en plus de ne pas avoir été coopérative par rapport à ses partenaires européens1, n’aboutit pas, malgré ce qu’affirment certains dirigeants outre-Rhin, à une stimulation de la croissance. En fait, comme l’Allemagne assume désormais, sur la scène internationale, le fait d’être un « grand pays », elle devrait faire de même sur le plan économique et ne plus « sacrifier » le premier marché de la zone euro : le sien…

NOTES

  1. Qui eux-mêmes, il faut le souligner, n’ont pas été coopératifs sur le plan budgétaire…

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