Philippines : perspectives macro-économiques et financières au lendemain des élections présidentielles

par Edgardo Torija Zane et Lois Chan, économistes chez Natixis

Après l’impact de la crise économique et financière mondiale, le PIB des Philippines a rebondi en 2010, affichant une croissance de 7,9 % au 2ème trimestre 2010. Le nouveau gouvernement de Noynoy Aquino a un défi à relever : maintenir une croissance forte tout en jugulant un déficit fiscal qui ne cesse de se creuser. Si l’environnement macro-économique s’est amélioré ces dernières années, particulièrement en ce qui concerne la solvabilité extérieure, la croissance, sur le long terme, dépendra de la capacité du pays à développer un tissu infrastructurel, à améliorer l’environnement opérationnel et à réduire les hauts niveaux de pauvreté.

Benigno « Noynoy » Aquino (Parti Libéral, PL) est devenu président le 30 juin en battant Joseph Estrada (Parti des Masses Philippines, PMP), ancien président, par plus de 5 millions de voix. Aquino pourra donc s’atteler à la réalisation de ses engagements de campagne fort d'un soutien solide.

La plus grande gageure sera de s'attaquer à la corruption et de mettre en œuvre des réformes institutionnelles dans un pays au système politique instable et aux institutions politiques civiles jugées faibles. Pendant la campagne électorale, Aquino a promis de poursuivre les programmes actuels de lutte contre l’évasion fiscale, tels que le programme « Chasse à l’évasion fiscale », visant à abaisser le taux d’imposition sur le long terme en élargissant la base d’imposition.

Préserver la croissance actuelle (l’économie s’est fortement redressée en 2010) et s’attaquer à un déficit fiscal qui ne cesse de se creuser tout en augmentant l’investissement dans les infrastructures : autant de défis majeurs pour la politique économique du nouveau gouvernement.

Le développement des infrastructures apparaît comme le point névralgique. En effet, la compétitivité des Philippines est grevée par les lacunes de son infrastructure, dues entre autres à de faibles taux d’investissement (17% du PIB en 2009). À l’heure actuelle, les Philippines attire moins d’investissement étranger direct que les autres pays de la région. Combler l’écart infrastructurel facilitera l’investissement étranger (accueilli à bras ouverts par le gouvernement) et permettra au pays d’accueillir lui aussi les liquidités se déversent à flot dans la région.

Même si le président Aquino a confortablement remporté les élections, il pourrait avoir du mal à conquérir un appui fort au Congrès (le pouvoir législatif). Il devrait trouver un certain soutien dans le parti de Macapagal Arroyo (Lakas-Kampi- CMD) pour faire voter des lois par le Congrès. Cependant, cela ne garantit pas la ratification automatique des nouveaux textes, le contrôle du Sénat (la chambre haute) dépendant d’accords difficiles : seuls 4 des 24 membres appartiennent au Parti Libéral. De fait, le Sénat a réélu Juan Ponce Enrile (PMP) au poste de Président le 26 juillet, le candidat du gouvernement ayant échoué à rallier un soutien suffisant.

L’économie s’est fortement redressée en 2010 mais la croissance du PIB devrait ralentir au 2ème semestre 2010

Le PIB des Philippines a rebondi en 2010, affichant une croissance de 7,9% au 2ème trimestre 2010, après un gain révisé de 7,8% au 1er trimestre. Comme le reste de ses pairs asiatiques, l’économie philippine se remet du ralentissement qui l'a frappée en 2009, année qui a vu la croissance du PIB du pays tomber à 1,1% sur fond de crise économique internationale. La consommation des ménages affiche une progression de 4,9% en glissement annuel au second trimestre, contre 5,5% au trimestre précédent. Parallèlement à cette baisse de la consommation des ménages, celle du gouvernement a elle aussi perdu de son dynamisme, augmentant de 5,6% au deuxième trimestre, contre 11,9% au premier. Les investissements poursuivent leur redressement, gagnant 11% au 2ème trimestre, après une ascension de 21% au premier trimestre. Les exportations ont grimpé en flèche, avec une progression de 27,4% (+22% au premier trimestre).

Dans le sillage d’une demande domestique en phase de récupération, les importations ont elles aussi enregistré une forte hausse (23% au 2ème trimestre). La dynamique de l’offre montre que la croissance du PIB était essentiellement due à l’expansion du secteur industriel (15,8 % au deuxième trimestre en glissement annuel), elle-même alimentée par la reprise de la production manufacturière (12%) et du bâtiment (22%), ainsi que par la progression de la production de services (6,3%). A l’inverse, le secteur agricole s’est contracté de 3 % par rapport à l’année précédente, en raison des effets dévastateurs de « El Niño ».

A l’avenir, la croissance actuelle du PIB en glissement annuel devrait ralentir, car la demande extérieure devrait pâtir du ralentissement mondial et de la hausse plus modérée des dépenses publiques (voir ci-dessous). Selon des données détaillées, le ralentissement a d’ailleurs d’ores et déjà commencé : le PIB corrigé des variations saisonnières a progressé de 1,3% entre le deuxième et le 1er trimestre, contre un chiffre de 3,8% entre le 1er trimestre 2010 et le 600 4ème trimestre 09).

Le gouvernement vise la réduction du déficit fiscal

Parmi les principaux défis de la nouvelle administration : améliorer les ratios de solvabilité du gouvernement sans pour autant pénaliser la croissance économique et l’investissement dans les infrastructures. Le budget, auquel on a relâché les rênes en réponse à la crise de 2008-2009, est déficitaire depuis plus de dix ans. En conséquence, le ratio de la dette publique par rapport au PIB et les spreads des obligations souveraines restent parmi les plus élevés d’Asie du Sud-est.

Le gouvernement du président Aquino ne pourra totalement rééquilibrer le budget, mais ambitionne de le réduire : il attend un déficit budgétaire de 3,75% en 2010, puis de 3,3%, selon les prévisions du gouvernement, qui reposent cependant sur une prévision de croissance très optimiste (7-8% en 2011). Le gouvernement espère contenir le déficit en augmentant les recettes, en luttant contre l’évasion fiscale et grâce à la croissance économique. A priori, il ne prévoit pas de limiter les dépenses actuelles.

Perspectives monétaires et financières

Depuis la fin 2008, la Bangko Sentral ng Pilipinas (BSP) a abaissé de 200 points de base, amenant le taux de prise en pension à 4%, pour amortir les répercussions de la crise économique mondiale. Contrairement à d’autres économies asiatiques, le taux d’intérêt monétaire de référence reste stable depuis juillet 2009, dans un contexte d’inflation relativement modérée1.

L’inflation des prix à la consommation a augmenté au premier semestre 2010, principalement du fait d’une hausse des prix des denrées alimentaires et des matières premières, mais reste cependant dans les limites de l’objectif officiel de 4,5 +/-1%. Une demande domestique robuste et les demandes de révision des tarifs de l’électricité constituent le principal risque de facteur d’augmentation de l’inflation, bien que la perspective d’un ralentissement de la croissance économique mondiale soit susceptible de limiter les pressions sur les prix.

Le marché financier connaît un relatif retour à la normale après la crise, avec des cours des actions proches de leur 800 niveau d’avant crise, conformément aux tendances régionales. Les spreads des obligations 400 souveraines se sont resserrés, soutenus par la masse de liquidités dans les économies avancées, même s’ils restent néanmoins parmi les plus hauts d’Asie du Sud-est et sont soumis à une certaine volatilité, liée a l’aversion au risque sur les marchés mondiaux. Le peso a évolué plus ou moins parallèlement aux autres devises d’Asie du Sud-est ces deux dernières années (voir paraphe page 7), pâtissant des différents épisodes de recrudescence de l’aversion au risque.

La situation actuelle des marchés financiers pourrait devenir source d’inquiétude à l’avenir, les faibles taux d’intérêts réels du moment risquant de favoriser l’apparition de bulles sur le marché de capitaux domestique. La croissance des crédits bancaires reste jusqu’à présent morose ; toutefois, l’expansion de la base monétaire après l’accumulation de réserves internationales -en dépit d’efforts de stérilisation à travers des opérations de « reverse repo », pourrait à son tour générer les conditions propices à une augmentation des investissements financiers avec effet de levier et à une future détérioration de la qualité des actifs bancaires.

Une croissance soutenue des remises des travailleurs à l'étranger augmente l’excédent des paiements courants

Les exportations ont augmenté de 37,7% en glissement annuel en janvier-juin 2010, essentiellement tirées par de fortes ventes d’électronique, qui représentent 60% de toutes les exportations. Une croissance rapide a également été enregistrée dans les semi-conducteurs. En dépit d’un fort redressement des importations (+28% en janvier-juin 2010), le déficit commercial a diminué sur le premier semestre de l’année (2,5 milliards USD au 1er semestre 2010 vs 3,2 milliards USD au 1er semestre 2009), et devrait atteindre 6 milliards USD en 2010 (2,4 % du PIB).

La balance des transferts courants fait plus que contrebalancer le déficit commercial. De fait, grâce à l’accélération des remises de travailleurs à l’étranger (qui ont augmenté de 8,3% en juin 2010 par rapport aux niveaux d’une année auparavant, à 1,6 milliard USD) l'excédent des paiements courants est susceptible de demeurer fort en 2010 (3,9% du PIB attendu contre 4,9% du PIB en 2009). L’importance macroéconomique des remises aux Philippines (très haute selon les standards macroéconomiques) est évidente ; c’est une donnée fondamentale dans le soutien de la consommation domestique durant la crise et une source de flux entrants en devises étrangères2.

Les flux d’investissements de portefeuilles à destination des Philippines ont récupéré depuis le 2ème trimestre 2009 (tableau 2), bien que le pays ait connu des flux nets sortants au 1er trimestre 2010, du fait de l’augmentation de l’aversion au risque. Les IED entrants en janvier-avril s’élevaient à 481 millions contre 873 millions USD sur la même période un an auparavant. L'excédent des paiements courants fait plus que contrebalancer les flux nets sortants de capitaux depuis le 1er trimestre 2009 (ce n’était pas le cas au 4ème trimestre 2008) et la BSP a continué d'accumuler les réserves de change même durant les épisodes de recrudescence de l'aversion au risque.

L’environnement financier extérieur s’est amélioré ces dernières années, comme le suggère le resserrement des spreads des obligations philippines. Grâce à l’accumulation d’importantes réserves de change dans les années 2000, les conséquences pour le système financier domestique des volte-face des liquidités externes ont été relativement isolées. La position de réserve de change comparativement robuste et la restructuration des engagements vers l’étranger à des conditions plus favorables (notamment avec une réduction partielle des encours) ont amélioré les ratios de solvabilité externes du pays.

Perspectives économiques

Bien que l’économie ait récemment connu un rebond des exportations parallèlement à une demande domestique forte, la croissance devrait s'étioler au 2ème semestre, dans le contexte d'une reprise économique mondiale fragile, menaçant le dynamisme des exportations. La croissance sur l’année entière pourrait cependant légèrement dépasser l’objectif de 5-6% du gouvernement. Avec une croissance du PIB dénuée de tensions inflationnistes importantes, il est peu probable que la BSP relève les taux de référence cette année, conservant une politique monétaire accommodante.

Le nouveau gouvernement devra préserver l'équilibre entre la nécessité d'uneaugmentation des dépenses infrastructurelles (condition préalable à la croissance à moyen terme) et le besoin d'une consolidation fiscale. Sur le long terme, la performance de l’économie dépendra du développement du tissu infrastructurel et de l'amélioration de l'environnement opérationnel du pays qui, selon la plupart des indicateurs de gouvernance, est inférieur à la moyenne pour les économies d’Asie de l'Est à revenu intermédiaire.

NOTES

  1. Toutefois, certaines mesures de soutien aux liquidités ont été mises en œuvre en 2010. La BSP a déjà relevé le taux de réescompte du peso en janvier 2010. En mars, elle a aussi restauré la valeur de prêt de tous les effets de réescompte éligibles de 90 % à 80 % du crédit de la banque d’emprunt, et a réinstauré le plafond de taux de défaut des prêts à 2 points de pourcentage, en baisse de 10 points, au-dessus du dernier taux moyen de défaut des prêts pour le secteur disponible pour les banques souhaitant utiliser la facilité de crédit.
  2. Pour une discussion sur les effets à court et long terme des flux de remises, voir Flash N°193-April 2009 (Natixis).

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