par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
La BCE et la BoE ont depuis le début de l’année haussé le ton à l’égard du risque inflationniste. Si le risque de dérive généralisée des prix est minime, il n’est pas question pour ces deux Banques centrales de perdre du crédit en se montrant trop laxistes vis-à-vis de l’inflation. S’il n’y a pas d’urgence, il semble néanmoins que la BCE et la BoE devraient agir plus précocement qu’anticipé avec une première hausse de taux dès mai au Royaume-Uni et en septembre en zone euro.
BCE : première hausse de taux en septembre
Depuis janvier, la BCE a nettement durci le ton a l’égard du risque inflationniste, au point de se demander si cette rhétorique plus agressive n’était pas le prélude à une action plus précoce qu’anticipé. S’il n’y a pas d’urgence, il semble néanmoins que la BCE pourrait opérer un premier tour de vis au deuxième semestre (avec un premier geste de 25 pdb en septembre suivi d’un second en décembre) si, comme nous le pensons, l’inflation se maintient au-dessus de sa cible et que la croissance se montre résiliente. Certes, le risque que l’actuelle poussée inflationniste en amont ne dégénère en une dérive généralisée des prix est minime, compte tenu de la faiblesse des fondamentaux sous-jacents (croissance sans entrain, taux de chômage élevé, surcapacités latentes, offre et demande de crédits sous contraintes). Certes, la BCE est démunie face à une hausse des prix relatifs, avec une dérive des prix du pétrole sur laquelle elle n’a aucune emprise. Mais, le dérapage récent des anticipations est problématique pour une banque centrale ayant un mandat exclusif d’ancrage nominal.
Et surtout, la BCE a toujours considéré le niveau extrêmement bas de son taux directeur comme une réponse exceptionnelle face à une crise tout aussi exceptionnelle. L’urgence étant passée, il lui tarde sans doute de revenir sur des niveaux de taux plus conformes au schéma de reprise actuelle, aussi mou et hétérogène soit-il. Il est donc plus question d’un retour à la normale que de normalisation ! Encore faut-il que l’Europe apporte une réponse suffisamment crédible pour mettre un terme à la crise des dettes souveraines. Ceci permettra, en effet, à la BCE de mettre en pratique son principe de séparation entre sa politique de taux, utilisée à des fins de réglage cyclique (avec un seul taux pour toute la zone euro), et sa politique de gestion de la liquidité Banques centrales qui permet de huiler les circuits de financement dans les économies fragiles (une manière de différencier sa politique face à des situations très hétérogènes).
BoE : première hausse de taux en mai
La BCE n’est pas la seule grande Banque centrale à agiter la menace inflationniste, la BoE qui a également un objectif de stabilité des prix à moyen terme semble également prise au piège. Depuis les années 70, la lutte contre l’inflation a été au cœur des stratégies des Banques centrales qui ont vu là le moyen le plus efficace d’assurer simultanément stabilité économique et financière. Cibler l’inflation revenait à lutter contre le principal stigmate des excès cycliques dans la sphère réelle lorsque phases de surchauffe et de récession se succèdent par à-coups. La stabilisation des prix a bien permis de lisser les cycles d’activité au point de parler ces quinze dernières années de « grande modération ». Aujourd’hui l’inflation est de retour mais ne constitue en rien le symptôme d’économies en surchauffe. Au contraire, la montée des prix amonts, en grignotant le pouvoir d’achat réel des ménages, met en danger la croissance. C’est bien aujourd’hui le dilemme auquel fait face la BoE qui enregistre une inflation au-dessus de sa cible depuis plusieurs années alors que les fondamentaux restent fragiles, avec une économie toujours en phase de convalescence. Ne rien faire risque d’entamer sa crédibilité pour longtemps, mais agir relève de la gageure dans une économie qui a abusé de l’effet de levier pour croître avec, comme héritage, un stock de dette, privée et publique, excessivement élevé. La faiblesse des taux d’intérêt a permis jusqu’à présent de soutenir cet édifice de dette, tout en favorisant un processus de désendettement long mais ordonné.
La BoE a longtemps communiqué sur la faiblesse de la croissance avec la conviction selon laquelle les forces désinflationnistes allaient finir par l’emporter pour ramener l’inflation sous la cible des 2%. Mais un tel reflux des prix ne s’est pas matérialisé et l’inflation a même continué à accélérer pour atteindre 4% en janvier, mettant au défi l’analyse de la BoE. Si les membres du MPC parient toujours sur une atténuation des tensions inflationnistes à moyen terme, leur degré de confort face au dérapage des prix à court terme semble avoir nettement diminué. Il est donc probable que la BoE entame son cycle de resserrement dès le mois de mai, selon un processus lent et graduel qui amènerait son taux cible à 1% fin 2011.
En définitive, les Banques centrales ont construit leur crédibilité autour de la lutte contre l’inflation, qui au cours des années 70 constituait le principal stigmate des excès cycliques. Ce fut long et difficile si bien qu’il n’est pas question pour elles de perdre du crédit en se montrant trop laxistes vis-à-vis du risque inflationniste. Pourtant, on est en droit de se demander si elles ne trompent pas de bataille dans des économies convalescentes où le niveau élevé du taux de chômage, l’ampleur des ressources inutilisées, l’insuffisance de crédits sont autant de frein à l’enclenchement d’une spirale haussière sur les prix. En revanche, ces économies font face à une problématique commune d’excès d’endettement, privé et/ou public, dont la purge fait théoriquement courir un risque de nature déflationniste.