par Bei XU, économiste chez Natixis
L’indice boursier chinois n’a cessé d’augmenter et a fini par monter de 84% (Shanghai SE) par rapport au début d’année le 4 août. En ce même mois, la tendance semble s’inverser, et l’indice de Shanghai a enregistré sa plus forte chute journalière (-6,74%) le 31 août depuis juin 2008, ceci a provoqué des répercussions négatives sur les marchés mondiaux. Qu’est-ce qui se passe alors sur le marché boursier chinois pour qu’il y ait des évolutions si contrastés ?
Nous proposons d’une part des explications conjoncturelles (reprise économique, abondance de liquidité notamment évolution du crédit) et des explications structurelles (marché d’actions encore en évolution et abondance de l’épargne) d’autre part. En prenant en compte l’origine de l’évolution du marché boursier chinois, nous pensons que la forte correction observée récemment serait plutôt temporaire.
Le marché boursier de la Chine n’a cessé d’augmenter à un rythme soutenu en sortant de la crise jusqu’au début août. La Bourse chinoise a ainsi enregistré une performance de 84% pour l’indice de Shanghai et de 101% pour l’indice de Shenzhen entre le début d’année et le 4 août. Dans le courant du mois d’août, il semblerait que cette tendance se voit inverser, le 17 août, la Bourse chinoise a enregistré sa première forte chute (- 5,79% de chute journalière à Shanghai) et le 31 août, la plus forte chute depuis le début d’année et aussi depuis juin 2008 (- 6,47% en termes journaliers pour Shanghai et -7,14% pour Shenzhen). Ces deux fortes chutes ont eu des effets immédiats sur les marchés boursiers mondiaux et même sur les marchés de matières premières. Qu’est-ce qui se passe alors en Chine pour qu’il y ait cette forte hausse de marché boursier dans un premier temps et une forte correction qui a intervenu ces derniers temps ? Nous tentons de les expliquer par des éléments conjoncturels qui sont la perspective de la reprise économique et l’évolution du crédit ; à ces derniers se rajoutent des éléments plus structurels liés à l’abondance de l’épargne et à la phase du développement du marché bousier chinois.
Le schéma 1 montre les mécanismes conduisant à la hausse boursière observée lors des 8 premiers mois de l’année.
La reprise économique est l’explication intrinsèque de la forte hausse boursière. Le plan de relance de 4000 milliards de RMB représentant 14% du PIB chinois sur deux ans ainsi que sa mise en place progressive accompagnée d’une politique monétaire accommodante ont permis à l’économie chinoise d’enregistrer un taux de croissance exceptionnel (6.1% et 7.9% en T1 et T2 09 en GA) dans ce contexte de crise.
L’abondance de liquidité a vivement alimenté cette hausse. Face à la crise économique, les autorités monétaires y compris la banque centrale chinoise pratiquent une politique monétaire expansionniste afin de financer l’économie, ce qui a contribué à une abondance de liquidité sur les marchés. En Chine, cette liquidité a des origines interne et externe.
Le crédit en Chine a connu un essor sans précédent : le total de nouveaux crédits contractés en RMB lors des 6 premiers mois de l’année est de 7370 milliards de Yuan, un montant qui est supérieur au total annuel des nouveaux crédits des années précédentes. Ainsi l’en-cours du crédit a augmenté de 30% par rapport au juin 2008. Une partie de crédits initialement accordés et censés financer l’économie réelle est partie à la Bourse, cette « fuite » est estimée à la hauteur de presque 20% selon des économistes (prudents). D’une manière grossière, la capitalisation boursière du marché d’actions chinois était d’environ 12 000 milliards de Yuan début janvier. Au cours des 6 premiers mois, si on estime à 1474 milliards de Yuan les crédits investis en actions et si la quantité des actions reste inchangée (en effet, les IPO ne se sont repris qu’en fin juin), ces crédits réorientés en Bourse seraient responsables d’une hausse de prix des actions de 12%.
A ce boom du crédit se rajoutent les entrées de capitaux dues à la liquidité abondante sur les marchés internationaux.
En effet, pour les 6 premiers mois, les réserves de change ont augmenté de 185,58 milliards de dollar, la part de la hausse non expliquée par le solde courant et les IDE est de 45,53 milliards de dollar, soit 310 milliards de Yuan. On peut penser que la liquidité abondante résultant de la politique monétaire expansionniste du reste du monde est à la recherche du rendement meilleur et est intéressée par le taux de croissance économique de la Chine. Non seulement ces entrées de capitaux contribuent eux-mêmes à l’augmentation de liquidité contribuant à la hausse du marché boursier en Chine, elles sont aussi en partie l’explication du boom de crédit car en augmentant les avoirs des banques chinoises, elles leur permettent d’attribuer encore plus de crédit.
Le graphique 1 montre l’évolution de la liquidité en accord avec les montants importants de nouveaux crédits et la hausse boursière qui en résulte à partir de fin 2008.
La liquidité devient abondante, trop abondante avec une évolution en GA de M2 de plus de 28% par mois en juin et juillet. A travers des opérations d’open-market, la banque centrale commence à retirer des capitaux, le marché quant à lui commence à anticiper un resserrement de politique monétaire, la tendance haussière commence à s’inverser. Effectivement, quand le chiffre de nouveaux crédits du mois de juillet est sorti (seulement 356 milliards de Yuan sachant que la moyenne des 6 premiers mois es de 1223 milliards de Yuan), le marché d’actions a fait sa première forte chute de l’année (le 17 août) ; à peine deux semaines plus tard certaines estimations montrent que les nouveaux crédits d’août seraient d’environ 200 milliards, le marché a fait sa plus forte chute depuis juin 2008 (le 31 août) (voir le graphique 1). En même temps, il y a eu l’appel des autorités chinoises de contrôle d’accord de crédit, et d’utilisation de crédit qui s’est avéré très efficace (sans changement de taux de réserves obligatoires ni de taux d’intérêt). Le marché anticipe et intègre donc moins de crédit, et moins de possibilité de tourner les crédits à la Bourse. A cette anticipation purement spéculative se rajoute la crainte du manque de financement de réels projets économiques à cause des restrictions d’attribution de crédit qui entraveraient la croissance économique. La Bourse chinoise enregistre ainsi de fortes corrections.
Du côté structurel, le niveau d’épargne élevé (aussi bien les ménages que les entreprises, environ 50% du PIB) et le niveau de développement des marchés financiers (peu de possibilités de placement) font que dès qu’il y ait des signes positifs de tendance haussière du marché boursier, avec l’arrivée de ressources sur le marché cette hausse serait amplifiée sans être justifiée économiquement1. D’ailleurs, un nombre important d’investisseurs (retraités, fonctionnaires, ouvriers etc. il est très répandu d’investir en Bourse en Chine) ne sont pas vraiment des investisseurs avertis, le comportement moutonnier de suiveur est donc assez important, ce qui est aussi bien vrai pour la hausse que pour la baisse. Rappelons aussi que le marché boursier chinois est un marché très jeune (à peine 19 ans d’existence), sa forte volatilité est aussi expliquée par certains dysfonctionnements comme manque de transparence, intervention des autorités, problèmes d’actions non échangeables etc.
Cette correction est-elle temporaire ou durable ?
Nous avons vu que ce qui a provoqué cette forte chute du marché boursier est la forte baisse du crédit. Or il s’agit d’un retour à la normale pour le crédit.
- Les montants des nouveaux crédits ne sont pas si faibles en juillet et août par rapport aux années précédentes. En effet, Le revenu bancaire2 est directement lié au montant du crédit des 6 premiers mois de l’année car les crédits qui génèrent du revenu d’intérêt sont principalement ceux accordés lors des 3 premiers trimestres. Ainsi il y a toujours eu un ralentissement des accords de crédit en T3 et encore plus en T4. En moyenne, les nouveaux crédits accordés lors des 6 derniers mois ont pour moyenne mensuelle de 166, 181, 4093 milliards de Yuan pour 2006, 2007 et 2008. Le montant de 356 milliards en juillet est plutôt correct. Il y a eu donc une surréaction du marché à la baisse (pour des raisons de forte volatilité évoquées précédemment).
- Parmi les crédits accordés pendant la première moitié de l’année, certains étaient même inutiles. Le montant du crédit est un indicateur de performance des banques commerciales (porteur de revenu, part de marché), les banques commerciales peuvent demander à des entreprises solvables de souscrire des prêts même si ces derniers n’en ont pas besoin. Ces clients pour maintenir une bonne relation avec leurs banques sont « obligées » d’accepter ces crédits « offerts ». Une autre catégorie de crédits inutiles sont des crédits demandés par des entreprises sans qu’il y ait de réels besoins ou même sans que l’entreprise existe réellement. Tous ces crédits finiront bien sûr par être investis en Bourse. Ces crédits inefficacement alloués ne devraient plus ou peu exister avec le renforcement du contrôle, ce qui est le cas en juillet.
- Les craintes de restrictions de crédit qui entraverait le financement de l’économie ne sont pas vraiment justifiées. Il y a eu « simplement » des contrôles d’autorités chinoises sur leurs banques commerciales en ce qui concerne l’accord de crédit. Il n’y a pas eu de hausse de taux de réserves obligatoires ni de hausse du taux d’intérêt. D’après les déclarations officielles des autorités chinoises, ces changements ne sont pas encore à envisager. Ainsi le financement des vrais projets économiques n’est pas pénalisé par ces mesures.
Par conséquent, la baisse du crédit correspond à un retour à la normale, sans vraiment pénaliser des projets économiques. Ce retour à la normale du crédit a provoqué la forte correction du marché boursier chinois, ce qui n’est pas si mauvais étant donné que la perspective de l’économie n’est pas remise en question. La correction du marché devrait être temporaire jusqu’à ce que la hausse alimentée par des crédits inefficacement alloués soit purgée et elle serait bien sûr accompagnée d’une importante volatilité.
NOTES
- Ce qui explique aussi le pourquoi du prix cher des actions chinoises.
- Actuellement, le revenu bancaire des banques chinoises est essentiellement généré par l’activité d’intermédiation.
- Le robinet du crédit est déjà ouvert en décembre 2009.