Banques espagnoles : entrée en résistance

par Philippe Sabuco, économiste chez BNP Paribas

En juin, la qualité du crédit domestique s’est légèrement améliorée par rapport au mois précédent. Cette première inflexion ne doit pas masquer la tendance sous-jacente.

D’après nos estimations, la dégradation de la qualité du crédit devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2009. Une amélioration progressive est attendue à partir du premier semestre 2010.

Le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut pourrait néanmoins demeurer à un niveau historiquement élevé et se traduire par une hausse sensible des provisions.

Le système de provisionnement dynamique devrait toutefois permettre aux établissements de crédit espagnols de limiter le coût du risque au cours des prochains trimestres.

En juin, selon les estimations de la Banque d’Espagne, la qualité du crédit domestique – mesurée par le ratio encours de créances douteuses1 sur encours de crédits brut consentis aux agents privés résidents2 – s’est légèrement améliorée par rapport au mois précédent, passant de 4,8% en mai à 4,7% en juin. Cette amélioration passagère – très largement imputable à une première baisse des créances douteuses, après presque deux ans de hausse continue – ne doit pourtant pas masquer la tendance sous-jacente : depuis près de trois ans, le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut n’a cessé de progresser, passant de 0,7% en mars 2006 à 4,7% aujourd’hui.

Entre mars 2008 et mars 2009, le montant des créances douteuses a été multiplié par près de quatre. Malgré l’inflexion constatée en juin, nous estimons que l’orientation à la hausse devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2009. Le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut devrait baisser progressivement à partir du premier semestre 2010, tout en restant à un niveau historiquement élevé.

Dans le sillage de la récession, la qualité du crédit aux entreprises s’est détériorée

Au deuxième trimestre 2009, le PIB a enregistré sa quatrième baisse consécutive (-1,1% t/t, après -1,6% au premier trimestre). Depuis un an, le recul de l’activité s’est traduit par une progression très rapide des créances douteuses. Dans un contexte économique difficile, de nombreuses entreprises n’ont pu faire face à leurs engagements, notamment au sein des secteurs les plus touchés par la crise : services immobiliers, construction, industrie. A titre d’illustration, l’encours des créances douteuses dans les services immobiliers3 a été multiplié par plus de huit entre mars 2008 et mars 2009. Dans la construction et les services, les créances douteuses ont été multipliées par plus de cinq sur la même période. Plus généralement, les encours douteux devraient continuer de progresser au cours des prochains trimestres, mais à un rythme plus modéré. Le glissement annuel des encours de créances douteuses dans certains secteurs (construction et services notamment) a déjà nettement décéléré. Il est passé de 6,7% g.a. en décembre 2008 à 5,1% en mars 2009 dans la construction et de 6,3% à 5,6% sur la même période dans les services. Il devrait commencer à ralentir au deuxième semestre 2009 dans l’industrie.

Le retournement du marché immobilier a très largement contribué à la forte détérioration de la qualité du crédit. Depuis un an, plus de 20% des entreprises et près de 30% des employés du secteur immobilier ont disparu4. Dans les services immobiliers, le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut est ainsi passé de 0,3% en mars 2006 à 7,6% en mars 2009. Le secteur de la construction a également connu de graves difficultés qui se sont traduites par une forte hausse du ratio créances douteuses sur encours de crédits brut. Celui-ci est passé de 0,7% à 6,7% sur cette même période. La qualité du crédit s’est également fortement dégradée dans le secteur des services (de 0,7% à 4,9%) et, dans une moindre mesure, dans l’agriculture (de 1,2% à 3,0%). L’industrie a mieux résisté (de 1,3% à 2,7%) mais les difficultés rencontrées par certaines entreprises, notamment dans le secteur automobile, devraient conduire à une nouvelle hausse du ratio et son maintien à un niveau relativement élevé.

La qualité du crédit aux ménages s’est dégradée sous l’effet d’une forte hausse du taux de chômage

La forte progression – et le niveau particulièrement élevé – du taux de chômage a largement contribué à la dégradation de la qualité du crédit aux ménages. Entre mars 2006 et juin 2009, celui-ci a pratiquement doublé, passant de 9,1% de la population active à 17,9% (contre 9,3% dans la zone euro). Sur la même période, le ratio des créances douteuses à l’encours de crédits brut consentis aux ménages est passé de 0,7% à plus de 3,6%. La détérioration a été moins prononcée pour le crédit à l’habitat dont le ratio a progressé de 2,5pp (de 0,4% à 2,9%). De son côté, le crédit à la consommation a particulièrement souffert de la dégradation de la conjoncture. Il a bondi sur cette même période, s’établissant à 6,6% en mars 2009, contre 1,8% en début de période. Comme observé traditionnellement, les ménages en situation d’arbitrage contraint privilégient généralement le remboursement de leur crédit immobilier, au détriment des crédits à la consommation. Autre élément remarquable, la baisse des taux – importante dans un pays où les agents économiques s’endettent majoritairement à taux variables – n’a pas empêché l’augmentation des créances douteuses liée au recul de l’activité et à la hausse du chômage.

Elle en a sans doute limité l’ampleur.Institutions financières spécialisées et caisses d’épargne en première ligne

L’augmentation des créances douteuses par type d’établissements reflète très largement l’exposition sectorielle de ces derniers. Les institutions financières spécialisées5, plus particulièrement présentes sur le marché du crédit à la consommation, ont été particulièrement affectées par la dégradation de la conjoncture. Leur ratio créances douteuses sur encours de crédits brut est passé de 2,4% en mars 2006 à près de 8% aujourd’hui. La situation s’est également dégradée pour les caisses d’épargne – particulièrement exposées au marché immobilier et au secteur de la construction – dont le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut est passé de 0,7% en mars 2006 à 5% en juin 2009. Le mouvement de concentration désormais à l’œuvre au sein des caisses d’épargne régionales témoigne de ces difficultés. La situation des banques commerciales privées et des banques coopératives a connu une évolution moins défavorable.

Leur ratio créances douteuses sur encours de crédits brut a néanmoins fortement progressé. Il est passé de 0,6% en mars 2006 à 4% en juin 2009 pour les banques commerciales et de 1% à 3,6% pour les banques coopératives sur la même période. La situation des banques commerciales privées ainsi que des institutions financières spécialisées, plus exposées au marché du crédit à la consommation, pourrait continuer de se dégrader au cours des prochains trimestres.

Détérioration durable de la qualité du crédit domestique et hausse sensible des provisions

D’après nos calculs, le ratio créances douteuses sur encours de crédits brut consentis aux agents privés résidents devrait continuer de progresser au cours du deuxième semestre 2009, pour atteindre environ 6% en décembre, contre 4,3% au deuxième trimestre. Il pourrait diminuer progressivement à partir du premier semestre 2010 à la faveur d’une moindre détérioration du PIB, d’une baisse plus modérée des prix immobiliers, et d’une moindre progression du taux de chômage. Le ratio pourrait néanmoins rester durablement élevé (supérieur à 4,0% jusqu’en 2011). Le maintien d’un taux d’impayé à un niveau historiquement élevé impliquant une hausse sensible des provisions dans le bilan des établissements de crédit espagnols.

L’augmentation des créances douteuses des agents privés résidents s’est traduite par une hausse mécanique des provisions. Les provisions spécifiques6 publiées par la Banque d’Espagne sont passées de 4,2 milliards d’euros en mars 2006 à 23,6 milliards d’euros en mars 2009 (dernières données disponibles). Rapportées aux encours de crédits bruts, elles sont passées de 0,3% à 1,3% sur la même période. En ligne avec les résultats obtenus pour les créances douteuses, ce sont les institutions financières spécialisées qui ont vu leur ratio provisions sur encours de crédits brut progresser le plus vite. Ce dernier s’est établi à 3,4% en mars 2009, contre 1,0% en mars 2006.

Derrière, la hiérarchie est demeurée inchangée : le ratio des caisses d’épargne s’est élevé à 1,4%, celui des banques coopératives à 1,2% et celui des banques commerciales privées à 1,0%. Selon nos estimations, le ratio provisions spécifiques sur encours de crédits brut consentis aux agents privés résidents pourrait atteindre 2,2% fin 2009 (contre 1,3% au deuxième trimestre) et diminuer progressivement à partir de l’année 2010. Il devrait néanmoins rester relativement élevé jusqu’en 2011 (compris entre 2,0% et 1,5%).

Des vertus du provisionnement dynamique

Jusqu’à présent, la hausse des provisions totales a été limitée par les reprises sur provisions génériques. Ces dernières visent à contrarier la pro-cyclicité du provisionnement en permettant de constituer des provisions ex ante, c'est-à-dire avant que le risque de défaut ne se matérialise. Elles ont vocation à couvrir les risques inhérents au crédit (couverture statistique du risque). Les provisions génériques permettent de constituer un matelas de sécurité lors des phases de boom du crédit et de puiser dans ce matelas lors des phases de retournement du cycle. Ainsi, lorsque les provisions spécifiques augmentent (situation actuelle), l’établissement de crédit peut reprendre les provisions génériques pour limiter l’alourdissement du coût du risque. Ce mécanisme permet donc de lisser le montant des provisions et, par là même, des résultats. Les principaux établissements de crédit espagnols7 ont commencé à puiser dans leur matelas de provisions génériques, qui demeure néanmoins encore confortable (près de 45% des provisions au deuxième trimestre 2009).

NOTES

  1. Une créance douteuse est une créance qui présente un risque probable ou certain de non-recouvrement total ou partiel. En général, elle est considérée comme telle lorsqu’une échéance n’est pas réglée 90 jours après son terme.
  2. Le périmètre retenu ici ne prend pas en compte les crédits accordés aux agents non-résidents (qui ne représentent que 7,3% du total des crédits accordés par l’ensemble des établissements de crédit espagnols) ainsi que les crédits accordés aux administrations publiques et aux autres établissements de crédit.
  3. Les services immobiliers regroupent notamment les activités de promotion immobilière, de gestion et d’administration de biens immobiliers, de transactions immobilières (achats, ventes, locations…). 
  4. Source : José Manuel Galindo, président de l’Association des promoteurs et constructeurs espagnols.
  5. Les institutions financières spécialisées regroupent des institutions de crédit dont l’activité est limitée à certaines opérations de banque (leasing, affacturage, crédits à la consommation, crédits hypothécaires…). A la différence des autres établissements de crédit, elles ne peuvent recevoir de dépôt de la part du public et le montant du capital social nécessaire à leur constitution est relativement faible.
  6. Les provisions spécifiques correspondent aux provisions constituées selon la méthode comptable standard. Les établissements de crédit provisionnent pour chaque créance douteuse, en fonction de la nature du prêt et du profil de risque de la contrepartie. Les banques provisionnent donc ex post, c'est- à-dire lorsque que le risque s’est déjà matérialisé, totalement ou partiellement. Ces dernières ne concernent ici que les agents privés résidents.
  7. Notre échantillon se compose de Banco Santander, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA), Banco Popular, Caja de Ahorros y Pensiones de Barcelona (La Caixa) et Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (Caja Madrid).
  8. Le périmètre retenu ici concerne l’ensemble des agents économiques, résidents et non-résidents, privés et publics.

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