Quelle réaction de la BCE à l’instabilité des prix ?

par Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo, Christian Ott et Cédric Thellier, économistes chez Natixis

La thématique du risque inflationniste fait irruption en zone euro : l’indice des prix à la consommation (IPCH) a affiché une progression annuelle de 2,2% en décembre1, dépassant l’objectif de stabilité des prix de la BCE. La réaction, très prononcée dans un premier temps, de J.-C. Trichet agite les marchés qui anticipent, à tort selon nous, une voire deux hausses du taux refi d’ici fin 2011.

Les tensions sous-jacentes demeurent faibles

Conséquence de la forte hausse des prix des matières premières, la contribution des composantes non-core de l’IPCH, « énergie » et « alimentation non transformée », s’accroît sensiblement depuis un an et devrait avoir atteint 1,3 point en janvier.

De façon complémentaire, l’inflation sous-jacente demeure à des niveaux encore faibles historiquement dans les principaux pays de l’UEM (1,1% à l’échelle de la zone.

La «menace» inflationniste à court terme repose essentiellement sur des facteurs exogènes. 

Quelle est l’ampleur du risque exogène ?

En raison des fortes incertitudes macroéconomiques et géopolitiques, nous envisageons différents scénarii de Brent et d’EUR/USD, avec différents profils d’inflation associés, compte tenu des élasticités observées historiquement.

  • Notre scénario central table sur un Brent à 64 EUR en moyenne sur l’année, avec un baril à 87 USD et un EUR à 1,36 USD.
  • Un premier scénario alternatif avec un baril atteignant les 120 USD en fin d’année et un EUR maintenu à 1,36 USD.
  • Un second scénario alternatif avec un baril à 120 USD fin 2011 et un EUR/USD à 1,26 en moyenne.

En moyenne annuelle, l’inflation s’affiche à 1,7% dans notre scénario central, contre 2,7% et même 3,1% dans les scénarii alternatifs. Si l’on sait que la politique monétaire n’a que peu d’influence sur ces facteurs exogènes, en revanche, la BCE est particulièrement attentive aux potentiels effets de second tour.

Faibles risques d’endogénéisation

En juillet 2008, la BCE avait clairement mis en avant la volonté de contrer les effets de second tour pour justifier la hausse de 25 pb du principal taux de refinancement2. Lors de la dernière conférence de presse, le Président Trichet a souligné que les tensions inflationnistes, principalement dues aux prix des matières premières et de l’énergie, sont également observables en amont du processus de production. Cependant, la situation est sensiblement différente aujourd’hui : le taux de chômage est au plus haut, à 10% contre 7,5% mi-2008 et les capacités de production excédentaires sont significativement plus importantes. En outre, les termes de l’échange sont à peine dégradés, contrairement à 2008.

En corollaire, selon les données de l’enquête PMI, le comportement de marge des entreprises européennes demeure relativement contraint, avec une transmission limitée de l’augmentation des prix de production aux prix de vente.

Enfin, compte tenu d’une situation qui ne devrait pas s’améliorer rapidement et significativement sur le marché du travail, de réductions parfois prononcées dans le secteur public intégrées aux plans de consolidation budgétaire, la progression des salaires devrait demeurer modérée – l’Allemagne fait exception avec une dynamique de l’emploi bien plus heureuse ; néanmoins les hausses de salaires négociées pour 2011 (+1,5%) restent sages. Conjuguée au ralentissement des gains de productivité, elle impliquera certes un accroissement des coûts salariaux unitaires à l’échelle de la zone cette année (principal déterminant de l’inflation sous-jacente), sans commune mesure néanmoins avec les niveaux records atteints en 2008, avant un nouveau ralentissement en 2012.

Les effets de second tour apparaissent donc très peu probables à court / moyen terme.

Enfin, l’inflation par la demande et la monnaie est limitée.

Dans un contexte de chômage élevé, de modération salariale, de moindres transferts sociaux, de ralentissement du commerce mondial, d’absence de reprise significative du crédit d’un côté, de consolidation budgétaire de l’autre, la croissance du PIB devrait s’afficher autour de 1,2% en 2011; un rythme insuffisant pour créer des tensions inflationnistes significatives à court terme.

Quant aux potentielles tensions d’origine monétaire, elles apparaissent nettement moindres qu’en 2008, à l’image de l’agrégat M3 (très inférieur à son niveau théorique de 4,5% de progression annuelle), et du « real money gap3 », indicateur défini par la BCE pour estimer l’ampleur de l’excès de liquidité, qui continue de dégonfler tendanciellement depuis fin 2008.

Quelle réponse de la BCE ?

Finalement, notre scénario central table sur une inflation moyenne à 1,7% cette année. De son côté, la BCE a communiqué en décembre dernier sur 1,8%, un chiffre qui devrait toutefois être révisé à la hausse lors des projections de mars prochain, comme le suggèrent l’évolution des Brent futures (qui alimentent les prévisions de la BCE) ainsi que les récents propos du Président Trichet. Cependant, de nature essentiellement exogène et temporaire, la perspective du non-respect de l’objectif des 2% en moyenne sur l’année ne constituerait pas une raison suffisante pour impliquer une hausse du principal taux de refinancement. La seule raison qui pousserait la BCE à l’acte serait un désancrage marqué des anticipations d’inflation, à l’instar de l’épisode de juillet 2008, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

La situation macroéconomique (marché du travail en particulier) ne justifiera pas un resserrement avant le second semestre 2012 au plus tôt. La stratégie adoptée par le Conseil des Gouverneurs semble être alors axée sur une communication ferme visant à prévenir une accélération de l’inflation anticipée et éviter les effets de second tour. Le coût macroéconomique d’une augmentation des taux pour préserver la crédibilité historique semble aujourd’hui bien plus élevé qu’en juillet 2008.

NOTES

  1. Et même 2,4% en janvier selon la première estimation d’Eurostat.
  2. “The Governing Council’s decision was taken to prevent broadly based second-round effects and to counteract the increasing upside risks to price stability over the medium term”, Introductory statement, ECB, 3 juillet 2008.
  3. Pour plus de détails, cf. Flash 2009-116 « Quels sont les liens entre monnaie et inflation ? »

Retrouvez les études économiques de Natixis