Questions-réponses sur la crise de la zone euro

par John Velis, Directeur Capital Markets Research Europe chez Russell Investments

Le marché s'est montré très volatil ces deux dernières semaines, sous l'effet de trois principaux facteurs : le déclassement de la note de crédit américaine, les craintes de ralentissement économique mondial et la persistance des pressions dans la zone euro, où la crise fait toujours rage. 

Il y a quelques semaines, à la veille du sommet (majeur) du 21 juillet, nous avions tenté d'éclairer nos lecteurs sur les questions les plus importantes. Afin de garder nos investisseurs informés, nous venons d'élaborer un deuxième guide de questions-réponses sur les dernières évolutions.

1. Que s'est-il passé ces deux dernières semaines ?

Dans un sens pas grand-chose, dans un autre beaucoup. Pas grand-chose dans le sens où aucune nouvelle politique coordonnée n'a été décidée par les États européens à l'exception des promesses et de l'engagement d’une BCE plus active, au champ d'action élargi. Certes, le Président français M. Sarkozy et la Chancelière allemande Mme Merkel se sont réunis le 16 août, mais l'issue de cette rencontre a déçu les marchés et n'a débouché sur aucune solution immédiate pour les difficultés de la zone euro. Beaucoup dans le sens où les investisseurs ont été relativement ébranlés, contribuant dans une large mesure aux pics de volatilité observés sur les marchés internationaux. Il est vrai que ces derniers ont aussi réagi au déclassement de la note de crédit américaine de AAA à AA+ par Standard and Poor's, mais pas plus qu'au désordre de la zone euro, selon nous.

2. Que fait la BCE?

Après l'effondrement des bourses le 8 août, sous l'effet du déclassement des États-Unis et des nouvelles pressions sur la dette espagnole et italienne, la BCE a annoncé qu'elle interviendrait sur les marchés secondaires pour acquérir des obligations italiennes et espagnoles. En retour, les autorités italiennes ont accepté d'accélérer leurs efforts de consolidation budgétaire. Comme nous l'avions déjà évoqué dans le premier guide, le premier plan d'austérité italien avait été tièdement accueilli par les marchés car il repoussait l'essentiel des efforts aux dernières années du dispositif. Cette fois-ci, les Italiens ont donc avancé leur calendrier de coupes budgétaires, rendant ainsi leur programme plus offensif. Les marchés ont salué cette initiative en se redressant dès le 9 août.

3. Quel montant d’obligations a acheté la BCE, et cette mesure est-elle efficace ?

À travers son programme pour les marchés de titres (SMP), la BCE intervient massivement sur les marchés des obligations d'Europe périphérique, notamment, ces derniers temps, sur la dette espagnole et italienne. Le 21 juillet, l'UE a tenu un sommet extraordinaire qui a principalement débouché sur un renforcement des engagements en faveur de la Grèce, notamment via l'ISP et l'extension du champ d'application du FESF (sous réserve d'approbation des parlements nationaux). Par la suite, les titres de dette espagnole et italienne ont connu de nouvelles pressions, en partie parce que les marchés ont jugé que le sommet avait prêté trop peu d'attention aux difficultés budgétaires de ces deux grands pays.

L'une des issues du sommet européen a été l'extension du FESF, afin de permettre à ce dernier d'acheter des obligations sur les marchés secondaires pour soutenir la dette souveraine de pays ne faisant pas l'objet d'un « renflouement » formel aux termes du FESF : concrètement, ces dispositions lui permettent d'acquérir désormais de la dette espagnole et italienne. Toutefois, ce nouveau mandat du FESF doit préalablement recueillir l'approbation des parlements nationaux, ce qui ne sera pas possible avant septembre, au plus tôt. En attendant, la BCE est le seul acteur doté des ressources et des pouvoirs nécessaires pour intervenir.

Jusqu'ici, la frappe la plus offensive des autorités monétaires via le SMP avait eu lieu en mai 2010, après le ficelage du premier plan de sauvetage de la Grèce. La BCE a alors acheté l'équivalent de 9 % de l'encours de dette total de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, soit un montant d'environ 40 milliards d'euros1. Si la banque devait racheter une proportion identique de la dette espagnole et italienne, ses acquisitions se monteraient à près de 300 milliards d'euros, une somme bien supérieure à celle déboursée en mai 2010.

Depuis la réouverture du SMP, la BCE a racheté pour 22 milliards d'euros de dette publique pendant la première semaine d'août uniquement. (La BCE ne donne pas le détail des émetteurs, mais nous pensons qu'il s'agit d'obligations espagnoles et italiennes).

Pour l'instant, il semble que cette politique soit efficace. Le 5 août, le rendement à 10 ans des obligations publiques espagnoles se montait à 6,03 %. À la fin de la séance du 8 août, il était descendu à 5,1 %, et il représentait 4,93 % à la fin de la séance du 17 août2. Les rendements italiens ont affiché la même tendance : 6,1 % le 5 août, 5,3 % le 7 et 4,92 % à la fin de la séance du 17 août.

4. Quel montant maximal la BCE peut-elle acquérir ?

En principe, il n'y a pas de limite au montant que peut acheter la BCE, car il s'agit simplement d'une opération qui accroît la taille de son bilan. (Voir la question ci-dessous sur l'assouplissement quantitatif et la stérilisation des capitaux).

Conclusion : même si les gouvernements nationaux évaluent et démarrent le processus d'approbation d'élargissement des pouvoirs du FESF, la BCE est la seule entité, au travers de son SMP, à être en mesure de stabiliser les marchés jusqu’à ce que le nouveau mandat du FESF soit approuvé. De plus, à la différence du FESF, qui se doit juridiquement de conserver sa note AAA, la BCE peut se permettre d'acheter tout type de titre indépendamment de sa note de crédit ou de son impact potentiel sur le bilan. Enfin, il semble que la BCE intervienne sur la base du donnant-donnant : en tentant d'encourager les États à plus de sobriété budgétaire, elle récompense les bons élèves en leur offrant son soutien sur les marchés secondaires.

Avec cette incursion dans les politiques budgétaires nationales, la banque est dans une situation inconfortable, les responsables ayant clairement expliqué que leur mandat officiel et légal consistait à garantir la stabilité des prix. Toutefois, la BCE dispose également de pouvoirs plus souples pour garantir le fonctionnement ordonné du marché monétaire en Europe : c'est donc dans ce cadre qu'elle fait usage du SMP. Cette capacité lui a été explicitement accordée lors du sommet du 21 juillet. Mais quoi qu'il en soit, il est clair que la BCE n'accepte pas franchement cet engagement ouvert. Quatre membres du conseil font notamment part de leur opposition à l'usage ambitieux du SMP.

Selon nous, la BCE sait qu'elle n'a pas d'autre choix pour préserver un minimum le fonctionnement de la zone euro sans risquer une crise majeure. Elle se doit donc d'intervenir, même si elle désapprouve sa propre action, en attendant que le nouveau mandat du FESF soit approuvé et en l'absence d'un plan à long terme de l'UE pour lutter contre la crise.

5. L'action de la BCE est-elle comparable au plan d'assouplissem ent quantitatif (QE) des États-Unis ?

Non, le QE est une extension du bilan des banques centrales au travers de l'achat de titres en échange de liquidités. Dans ce cadre, les banques centrales achètent des obligations souveraines soit à des banques commerciales, soit directement sur le marché secondaire, et en retour, elles émettent de la liquidité. Cette augmentation de la masse monétaire a pour but de stimuler l'activité de crédit et de générer des anticipations d'inflation suffisantes pour pousser les ménages à consommer, donnant ainsi une impulsion à l'économie.

Dans le cas de la BCE, les liquidités injectées sur le marché lorsque la BCE rachète des obligations sont réabsorbées par la BCE via l'émission d'obligations à taux fixe à une semaine, placées auprès des banques. Cela signifie qu'en échange de ces obligations à une semaine, les banques restituent des liquidités à la BCE. À la fin de cette opération, le montant d'argent en circulation dans l'économie est inchangé : les seules choses qui changent sont la composition des actifs composant la masse monétaire et l'identité de ceux qui les détiennent.

De plus, la BCE soutient depuis toujours qu'elle détiendra jusqu'à échéance toutes les obligations souveraines qu'elle a achetées en les comptant comme actifs à son bilan : elle n'a donc pas l'intention de les revendre sur le marché. Par conséquent, aux yeux de Francfort, le risque que la BCE devienne une bad bank n'est pas justifié dans un horizon de court à moyen terme. Les éventuelles dépréciations qui pourraient découler de la détention d'obligations seraient implicitement compensées par une recapitalisation proportionnelle de bilan par les banques centrales des États-membres de l'Eurosystème.

Même si cela devait arriver, la situation pourrait être considérée comme une augmentation de la masse monétaire comparable à ce qui se passe avec un plan d'assouplissement quantitatif, mais il ne s'agit pas d'un risque immédiat tant que les obligations détenues par la BCE sont remboursées dans leur intégralité à échéance.

6. Quel était le l’objectif de la rencontre très médiatisée entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ?

En toute franchise, il n'y en avait pas vraiment. Bon nombre d'investisseurs tablaient (en toute illusion, il s'est avéré) sur l'annonce de nouvelles initiatives anticrise majeures. Hormis l'engagement sans réserve habituel à l'intégrité et à la stabilité de la zone euro, ce qui est ressorti de la réunion était vague et portait principalement sur les enjeux de gouvernance économique à plus long terme.

Les deux dirigeants ont appelé à une gouvernance économique plus coordonnée, et à un renforcement des mécanismes d'application du Pacte de Stabilité et de Croissance, qui définit des objectifs de dettes et déficits publics. Rien ne permet de dire si cela se produira un jour à l'échelle de l'UE, et même si cela arrivait, cela n'aura pas d'impact immédiat.

Monsieur Sarkozy et Madame Merkel ont également évoqué la possibilité d'une taxe bancaire européenne sur les transactions financières, y compris dans des pays ne faisant pas partie de l'union monétaire. Cette proposition vise probablement à accroître les recettes de l'UE afin de financer les futurs sauvetages, voire d'établir une autorité budgétaire centrale. C'est peut- être aussi une forme de sanction pour les banques : l'ISP est un principe important, mais au vu de la capitalisation précaire de nombreuses banques européennes, une réduction importante des titres de dette périphérique affecterait considérablement leurs bilans. La taxation de leurs activités serait un moyen déguisé de faire participer les banques à la résolution de la crise, et il est peu probable qu'elle soit adoptée. Des pays comme le Royaume-Uni qui considèrent les services financiers comme un secteur stratégique feront front, tandis que d'autres ont déjà fait part de leur désapprobation.

7. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ne devaient-ils pas parler de la création d'une euro- obligation ?

En réalité, les valeurs financières européennes sont en difficulté depuis le début de l'année, puisque l'indice financier Russell Global Europe ex-UK a chuté de 16 % depuis le mois de janvier en monnaie locale. Incontestablement toutefois, leurs problèmes se sont intensifiés depuis quelques semaines. Depuis début juillet, le même indice a plongé de plus de 14 % et depuis début août, il a encore chuté de près de 10 %.

Certes, les banques européennes sont lourdement exposées à la dette HYPES, et leurs fonds propres sont sujets à éveiller des soupçons. Récemment toutefois, elles ont eu beaucoup de mal à se financer sur le marché interbancaire à court terme.

Plusieurs indicateurs (taux de prêts interbancaires à court terme, taux de swap, etc.) ont progressé et selon la BCE, les banques européennes préfèrent détenir des liquidités sous forme de dépôts au jour le jour auprès de cette dernière plutôt que de les prêter. Sur la première moitié de cette semaine, elles ont ainsi placé quelques 80 milliards d'euros, après avoir déposé un total de 145 milliards d'euros la semaine dernière. Cela faisait des mois que ces chiffres n'avaient pas atteint de tels niveaux, ce qui tend à indiquer qu'en les amassant plutôt que de les échanger entre elles, les banques accordent un rôle prépondérant aux liquidités3.

Le Financial Times (18 août) a annoncé qu'une banque, dont le nom n'a pas été divulgué, a demandé une ligne de crédit en dollar de 500 millions de dollars. Le marché du financement en dollar est donc tendu pour les banques européennes, un phénomène également mis en évidence dans les indicateurs de prime pour les financements en dollar par rapport aux financements en euro. La BCE a proposé aux banques européennes des prêts illimités en dollar d'échéance une semaine, à un taux d'intérêt effectif de 1,11 %. Si elles avaient pu accéder à de tels financements sur les marchés ordinaires du LIBOR en dollar, elles n'auraient dû payer que 0,18 %. Le fait que les banques empruntent des dollars auprès de la BCE à un taux supérieur à celui des marchés du LIBOR semble indiquer l'existence de restrictions sur les lignes LIBOR.

9. Faut-il s'en inquiéter des rumeurs de la dégradation de la note de la France ?

Les banques françaises ont été particulièrement malmenées. Elles figurent parmi les principaux détenteurs de dette grecque et sont fortement exposées au marché italien. La semaine dernière, des murmures de mécontentement ont été entendus : face aux craintes concernant le secteur bancaire français, la note de la dette publique du pays pourrait être dégradée car l'État serait contraint de supporter le coût d'éventuelles difficultés des établissements bancaires français.

Ces derniers jours cependant, les trois principales agence de notation ont réaffirmé le triple A de la France, et le Président Sarkozy s'est confondu en promesses de poursuite et d'intensification de la discipline budgétaire de la France à court et moyen terme.

10. Quelle est l'actualité du FESF ?

Comme nous l'avons déjà écrit, le sommet du 21 juillet a marqué l'extension des pouvoirs et de la portée du FESF. Cela dit, ce nouveau mandat doit être adopté par le parlement de chaque pays-membre. En Slovénie et notamment aux Pays-Bas, l'approbation suscite quelques doutes. Plus inquiétant encore, le parti libéral-démocrate allemand (un partenaire petit mais nécessaire au sein du gouvernement de coalition d'Angela Merkel) semble avoir une sombre opinion du nouveau FESF. Il est possible que la Chancelière doive compter sur les partis minoritaires des Verts et des Social-démocrates pour valider les nouveaux pouvoirs du FESF. Par ailleurs, il n'est pas prévu d'accroître le financement du FESF, ce qui pourrait pourtant s'avérer nécessaire si la crise s'étend au point de devoir renflouer l'Italie et l'Espagne, qui sont les troisième et quatrième économies d'Europe. Alors que nous attendons l'adoption du nouveau mandat du FESF (en septembre) par le corps législatif de chaque État membre, la BCE est comme nous l'avons déjà précisé, la seule entité en mesure de contenir la vague du marché.

11. La crise est-elle dissipée ?

Sur ces deux dernières semaines, c'est le cas dans le sens où les rendements des emprunts d'État de référence de l'Espagne et de l'Italie, qui constituent le meilleur indicateur de la confiance des investisseurs à l'égard de ces deux grandes économies, ont chuté depuis fin juillet / début août.

Outre la réaction positive des marchés secondaires, l'Espagne et l'Italie ont réalisé des enchères relativement réussies sur les marchés primaires. Le 10 août, l'Italie a vendu 6,5 milliards d'euros de bons à 1 an pour un rendement de 2,96 %, ce qui représente une baisse substantielle par rapport à une enchère de titres à 1 an effectuée un mois plus tôt à 3,67 %. Mardi dernier, l'Espagne a placé 5,7 milliards d'euros en obligations à 12 et 18 mois à des taux de 3,35 % et 3,59 % respectivement, soit une baisse notable des coûts d'emprunt par rapport à une émission semblable réalisée un mois plus tôt à 3,7 % et 3,91 % respectivement4.

Cela dit, avec des taux d'intérêt qui dépassent les taux de croissance prévus des économies espagnole et italienne à un horizon de deux ans, la viabilité de la dette à long terme reste incertaine. Pour compenser cette différence entre le coût du service de la dette et le taux de croissance de l'économie et stabiliser les ratios de dette rapportée au PIB, les deux pays devront générer un excédent primaire ces deux prochaines années, ce qui est peu probable. Des efforts supplémentaires sont donc à fournir au sein de chaque pays et au niveau européen pour stabiliser les perspectives à long terme des pays HYPES.

12. Quelles sont les perspectives boursières globales ?

La semaine dernière, l'équipe de stratégies en investissement de Russell a révisé à la baisse à 1 300 points son objectif concernant l'indice S&P 500, contre 1 372 en début d'année. Cette décision traduit le ralentissement de la croissance économique américaine et mondiale, et la probabilité accrue (même si elle reste faible) de croissance négative aux États-Unis d'ici la fin de l'année. Parmi les facteurs de préoccupation figurent la poursuite des tensions en Europe, le risque de haute voltige budgétaire aux États-Unis, et la dislocation des marchés engendrée par ces situations.

Nous renvoyons nos lecteurs à notre opinion de longue date selon laquelle une solution triple est requise pour démêler l'eurocrise. Pour rappel, il s'agit 1) de renforcer les capacités de renflouement du EFSF, en allant peut-être jusqu'à créer une autorité budgétaire centrale bien financée en Europe, 2) de reconnaître que la plupart des dettes des pays HYPES ne sont pas soutenables et qu'il faudra supporter quelques pertes, et 3) de poursuivre la réforme des environnements budgétaires et compétitifs des pays HYPES.

Nous sommes légèrement encouragés par le nombre croissant de références faites à différentes solutions dans ces domaines, mais les progrès réalisés pour leur mise en œuvre restent encore trop lents à notre goût ou à celui des marchés. Cela dit, comme nous l'avons déjà dit, le simple fait que l'alternative (un défaut chaotique et/ou la dissolution de la zone euro) soit nettement plus onéreuse et déstabilisante signifie que tôt ou (plutôt) tard, il sera nécessaire de mettre en œuvre cette triple solution.

À court terme, nous n'attendons pas de résolution imminente ou d'apaisement progressif des tensions d'ici la fin de l'année. En revanche, nous pensons que les crises et leurs réactions vont se succéder, tandis que les progrès réalisés vers un consensus politique européen permettant de résoudre complètement la situation avanceront à pas de tortue.

NOTES

  1. Source : BCE
  2. Source : FactSet
  3. Source : BCE
  4. SOURCE : Bloomberg, Reuters, 12 août