par Michel de Fabiani, président du Club des présidents de comités de rémunération à l’IFA
Le débat sur le fameux « Say on Pay » (vote consultatif ou contraignant, en AG, des actionnaires sur la rémunération des dirigeants de l’entreprise) bat son plein, alors que l’opinion réclame que les pouvoirs publics traitent le problème de l’inflation des rémunérations. Réflexions de l’IFA sur la question.
Notons au préalable qu’en France, le « Say on Pay » existe déjà en partie avec l’approbation (autorisation donnée au Conseil) par l’Assemblée Générale des attributions d’actions gratuites, des stock- options et des avantages exceptionnels (retraite complémentaire, indemnités de départ). C’est aussi l’AG qui vote l’enveloppe des jetons de présence pour les administrateurs. Mais il est vrai que ce n’est pas encore le cas pour la partie rémunération fixe et variable des dirigeants (Président et DG), qui reste fixée par le Conseil d'administration.
Ceci étant dit, les actionnaires ont raison d’exiger une information complète afin d’opérer un contrôle attentif du travail de leurs représentants au Conseil. C’est indiscutablement positif en termes de transparence. Correctement informés, doivent-ils, pour autant, aussi se prononcer sur la rémunération des dirigeants, aspect important de la gouvernance de leur entreprise ? Les partisans du « Say on Pay » le revendiquent afin d’améliorer le contrôle des rémunérations. L’argument repose sur l’idée que la « démocratie actionnariale » directe serait mieux à même de ramener la sagesse dans les rémunérations. Pas évident.
Royaume-Uni : le contre exemple
Force est, en effet, de constater que ce dispositif, là où il est déjà appliqué, n’a pas conduit, sauf dans quelques cas exceptionnels, à prévenir les excès ni à modérer l’évolution des dites rémunérations. Ainsi, par exemple, c’est au Royaume-Uni que les rémunérations sont les plus élevées alors même que le Say on Pay y a été instauré en 2002. Depuis cette date, les actionnaires exercent leurs prérogatives avec mesure, comme le prouvent les votes négatifs (refusant la proposition du Conseil) qui se sont stabilisés à environ 5% par an, en moyenne.
Responsabilité du Conseil d’Administration
Si l’AG a son rôle à jouer – notamment en termes d’informations – sur le sujet des rémunérations, il ne faut pas sous-estimer le rôle du Conseil d’administration et le déresponsabiliser sous peine d’être contre-productif. Il est, en effet, de la responsabilité première des Conseils de sélectionner les dirigeants, d’évaluer leur performance et de fixer leurs rémunérations. Celles-ci sont déterminées en fonction de nombreux critères étudiés avec rigueur par le Conseil ou le comité des rémunérations, lorsqu’il existe. Les Conseils doivent, peut-être, à ce propos, faire leur mea culpa : sans doute n’expliquent-ils pas assez en détails, au cours des AG, le cheminement qui les a menés à déterminer la rémunération des dirigeants. Car la perception d’ « excessive » est aléatoire… Et peut finalement être acceptée comme « juste », après explication des paramètres de décision.
La comparaison avec le traitement de postes similaires dans d’autres pays est l’un d’eux. Ce benchmark ne doit toutefois pas constituer l’unique critère. La situation et la culture de l’entreprise en sont d’autres. Les compétences du dirigeant, sa personnalité et son aura (qui peuvent être décisives dans des problématiques de regroupement avec d’autres sociétés ou de financement), ce qu’il va apporter à l’entreprise pour l’aider à poursuivre son développement ou parfois à se redresser, sont également des paramètres importants. A quel prix estime-t-on le redressement d’une entreprise et le sauvetage, par la même occasion, des emplois ? Une rémunération qui paraissait, a priori, « excessive » peut sembler plus que correcte, après réflexion, au regard des enjeux et des victoires obtenues…
Il s’agit donc aujourd’hui de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Oui, sans doute, certaines rémunérations ont-elles justement choqué nos concitoyens. Oui, certaines étaient excessives. Mais la grande majorité des rémunérations est juste et répond à des exigences qui vont bien au-delà de simples considérations en liaison, par exemple, avec le salaire de base dans l’entreprise…
Pour répondre à la tendance actuelle de plafonnement des rémunérations, le Conseil peut encourager les bonnes pratiques en publiant, dans le cadre de la politique de rémunération, un multiple maximum du salaire moyen ou médian de la société : mode de calcul qui aligne la rémunération du dirigeant, de ses principaux collaborateurs et de l’ensemble des salariés de l’entreprise. Si on retient cette perspective, le Conseil devra toutefois répondre aux questions suivantes : quel ratio est-il vraiment révélateur ? Où est la limite ? Où est l’équilibre ? Quels sont les éléments de comparaison possible ? Sur quelle période d’adaptation ?
Mise en œuvre du « Say on Pay »
Sur ces questions d’une grande complexité et très techniques qui nécessitent de la confidentialité et de l’autonomie pour un débat constructif, le législateur devrait dans sa sagesse s’en tenir à poser des principes (transparence, droits des actionnaires) et renvoyer les modalités de mise en œuvre au code de gouvernance et au devoir de rendre compte qui s’impose aux Conseils et aux dirigeants vis-à-vis des actionnaires et de toutes les parties prenantes de l’entreprise.
Ainsi, le vote consultatif est, semble-t-il, suffisant. Dans la pratique, sans aller jusqu’au rejet, un pourcentage de 20 à 30 % de votes contre l’approbation de la politique de rémunération constitue déjà un « désaveu » pour le Conseil d’administration de la société et conduira nécessairement le Conseil à prendre ses responsabilités et à modifier ses choix.
En conclusion, la question du vote consultatif ou contraignant en AG cache un enjeu beaucoup plus important que ce simple Say on Pay. Le véritable enjeu est de permettre au Conseil de toujours prendre des décisions importantes pour la pérennité de l’entreprise (comme le recrutement d’un DG) sans attendre l’Assemblée Générale ; décisions qu’il peut, le cas échéant, modifier si l’AG n’approuve pas les résolutions qui lui sont soumises. »