Royaume-Uni : un budget d’urgence crédible, au coût économique sous-estimé

par Nathalie Dezeure et Cyril Regnat , économistes chez Natixis

Les mesures annoncées par le gouvernement Cameron depuis les élections avaient donné le ton. Le budget « d’urgence » du 22 juin a confirmé le retour de la rigueur budgétaire au Royaume-Uni. Le chancelier de l’échiquier George Osborne a ainsi présenté un plan visant à réduire le déficit de 116 milliards £ (8,2%du PIB) en cinq ans, essentiellement via une réduction drastique des dépenses mais également via la hausse des prélèvements avec notamment le relèvement de la TVA (déjà relevé à 17,5% en janvier 2010, après une baisse temporaire à 15% et l’instauration d’une taxe sur les banques en janvier 2011.

Toutefois, en dépit d’une plus grande crédibilité et malgré la réaction positive des marchés, le risque baissier sur les projections du gouvernement Cameron n’est pas négligeable. Le redressement des finances publiques, s’il est bel et bien engagé, pourrait être plus lent que prévu.

Principaux éléments du budget d’urgence

Les objectifs

  • solde budgétaire courant équilibré en 2015-2016 (pour un déficit de 1,2% au sens de Maastricht) ;
  • repli du ratio dette publique sur PIB à partir de 2014-2015 ;
  • 116 milliards£ (8,2% du PIB) d’économies réalisées entre 2010-2011 et 2014-2015 par rapport au budget présenté par le Labour en mars dernier, pour un plan de consolidation qui atteint au total 128 milliards£ (9% du PIB).

Les moyens

Une grande partie de l’ajustement repose sur la baisse des dépenses (77% de la consolidation totale). Toutefois l’ampleur de la charge d’intérêts ne permet pas une baisse des dépenses (en valeur) sur l’horizon budgétaire.

Leur rythme de progression ralentirait sensiblement passant de 6,2% en moyenne en 2009-2010 et 2010-2011, à 2,2% aux cours des cinq années suivantes. En conséquence, le ratio dépenses courantes/PIB devrait sensiblement diminuer

Dans le même temps, le gouvernement Cameron prévoit une hausse de 6,1% en moyenne des recettes permettant une quasi égalisation des ratios recettes/PIB et dépenses/PIB d’ici 2015-2016.

Baisse des dépenses

  • gel pendant deux ans des salaires dans la fonction publique (excepté pour les fonctionnaires gagnant moins de 21 000£) ;
  • accélération du relèvement de l’âge de la retraite à 68 ans ;
  • baisse des allocations familiales versées : gel pendant trois ans, radiation des familles dont les revenus dépassent 40 000£ ;
  • suppression du programme Health and Pregnancy Grant destiné aux femmes enceintes ;
  • indexation des allocations versées à l’inflation ;
  • versement de l’allocation pour les personnes handicapées sous appréciation médicale à partir de 2013 ;
  • plafonnement des allocations logement à 400£ par semaine ;
  • réduction des crédits d’impôts pour les ménages gagnant plus de 40 000£ ;
  • gel à 7,9 milliards£ par an du Civil List (argent public versé à la Reine).

Hausse des prélèvements

  • mise en place d’un impôt sur les banques et sociétés de crédit immobilier à partir du premier janvier 2011 (taux de 0,07% appliqué sur le bilan des banques avec un taux initial de 0,04% en 2011) ;
  • hausse du taux standard de TVA à 20% le 4 janvier 2011 (contre 17,5% actuellement), les produits alimentaires, les vêtements pour enfants, les journaux et livres en restent exempts ;
  • augmentation de l’impôt sur les gains en capital à 28% (contre 18% actuellement) pour les contribuables soumis au taux d’impôt le plus élevé ; abattement fixe à 10 000£
  • abandon de l’exemption fiscale pour l’industrie des jeux vidéo ;
  • Mais réduction des cotisations sociales sur les 10 premiers employés pour les entreprises s’installant en dehors du South-East.

Mesures de soutien aux entreprises

  • baisse de l’impôt sur les entreprises de 1% chaque année à partir de 2011-2012 (de 28% à 24%). Baisse à 20% dès le prochain exercice pour les entreprises à faible profit ;
  • augmentation du fonds de garantie Enterprise Finance Guarantee ;
  • création d’un nouveau fond de financement, Growth Capital Fund ;
  • compensation de la hausse de 1% des cotisations sociales des employeurs (National Insurance Contributions), mise en place par le gouvernement sortant et effective en avril 2011, en augmentant le seuil de cotisation à 21£ par semaine.

Un budget crédible au coût économique sous-estimé

Les recettes utilisées par le gouvernement sont connues et a priori efficaces. Elles permettent notamment de limiter la sensibilité des finances publiques au cycle économique. Ainsi, selon les projections du budget, la réduction du déficit structurel devrait largement contribuer à la baisse du déficit total (82% de la baisse du déficit s’expliquait par le déficit structurel).

Par ailleurs, les projections du gouvernement Cameron reposent sur un scénario macro-économique plus réaliste que celui de son prédécesseur, en particulier, en ce qui concerne les prévisions de croissance. En outre, on peut également noter que la croissance potentielle pour 2011-2015 est désormais estimée à 2,1%, contre 2,6% selon les hypothèses qui avaient été retenues par le Labour.

La quasi neutralisation des effets de cycle rend crédible les projections du nouveau gouvernement, même si on peut s’interroger sur la réduction désormais nettement plus rapide de l’output gap (par rapport au budget de mars 2010), en raison des effets de la révision baissière de la croissance potentielle mais surtout d’un acquis 2009 nettement moins défavorable (-4,1% en 2009 versus -6,4%). Les estimations de l’Office for Budget Responsibility 1 (OBR), sont vraisemblablement plus optimistes que celles des institutions internationales (output gap 2009 estimé à -6,4% par l’OCDE et à -5,5% par le FMI).

Ainsi, en dépit d’une plus grande crédibilité, le risque baissier sur les projections du gouvernement Cameron n’est pas négligeable.

D’une part, en considérant, l’estimation de l’OCDE pour l’output gap 2009 (-6,4%) et les projections de croissance et de croissance potentielle du gouvernement, les projections de déficit public seraient nettement plus élevées.

D’autre part, même si les projections de croissance considérées par le Trésor sont plus réalistes, elles restent selon nous optimistes. En effet, selon nos projections, la croissance britannique ne devrait pas dépasser 1% cette année et 1,7% en 2011, avant une accélération à 2,5% en 2012, pesant sur la réduction du déficit. La baisse du ratio dette publique/PIB serait ainsi reportée au-delà de l’horizon de prévision du budget.

Enfin, les mesures annoncées par le gouvernement vont probablement affaiblir encore la demande des ménages en raison de l’effet baissier sur le revenu disponible réel de la hausse de la TVA combinée à la baisse de prestations sociales perçues. L’hypothèse ricardienne selon laquelle les ménages sont alors incités à augmenter leurs dépenses via une baisse de l’épargne (pour compenser la baisse des transferts publics) a peu de chance d’être vérifiée, dans la mesure où la baisse des transferts touche plus les revenus directs (allocations familiale) que des subventions de biens.

La croissance devrait donc s’en trouver ralentie alors que le rééquilibrage, certes nécessaire, de la demande interne (surpondération de la demande interne dans le PIB) au profit de la demande externe est un processus long (recherche de nouveau marché, modification de la structure productive pour une meilleure adaptation à la demande mondiale…). Or si les entreprises ne sont pas en mesure de capter une nouvelle demande, les soutiens fiscaux et les dispositifs de financement dont elles bénéficient risquent de ne pas produire les effets escomptés.

Pour l’heure, le nouveau gouvernement britannique a toutefois remporté la première bataille, puisqu’il semble avoir (re)gagné la confiance des marchés et éloigné ainsi les risques d’une dégradation de sa note souveraine. Le taux 10 ans est tombé le 22 juin à 3,46%, son plus bas niveau depuis le 13 octobre 2009 et les agences Fitch et Moody’s ont salué les efforts du gouvernement britannique et indiqué qu’ils soutiennent la notation AAA du Royaume-Uni. Pour autant, S&P n’a toujours pas enlevé son outlook négatif sur la dette.

 Des perspectives plus favorables pour les Gilts

La forte chute des besoins de financement s’accompagne donc d’une forte réduction du programme d’émission du DMO. Le Trésor britannique a en effet annoncé qu’il allait réduire la taille de son programme obligataire de £20Mds, faisant ainsi passer ce dernier de £185Mds à £165Mds. 

Par rapport aux £223Mds adjugés en 2009, ceci constitue au final une réduction de 26% pour cette année 2010 (vs -17% initialement anticipé) ce qui vient placer le Royaume-Uni comme le meilleur AAA en termes de supply (tous les autres émetteurs AAA augmentent cette année leur programme d’émissions).

En termes nets, le DMO émettra donc £126Mds de Gilts pour cette année fiscale 2010 soit une baisse de 39% par rapport à 2009.

Selon les projections de déficits annoncées par le gouvernement, le volume d’émissions de Gilts pourrait néanmoins augmenter en 2011 du fait notamment d’une forte hausse des remboursements (£49Mds vs £39Mds en 2010). A plus long terme, la dynamique reste tout de même favorable aux Gilts. D’ici 4 ans, les émissions pourraient avoisiner les £87Mds soit près de la moitié des volumes actuels, si les hypothèses du gouvernement se réalisent.

En termes de maturité, le Trésor britannique continuera à mettre l’accent cette année sur la zone +15 ans qui représentera à elle seule 43% du programme annuel d’émissions. Après deux années de disette, le segment des indexées inflation verra son poids passer de 12% à 20%. Ce recentrage vers les émissions longues et indexées est en ligne avec les récentes tendances observées chez les autres émetteurs AAA (notamment les Etats-Unis). Le DMO a fait savoir qu’il maintenait son objectif concernant la réduction de son stock de TBills de £2.5Mds cette année.

Le Trésor se contentera donc de roller ses lignes de bons du Trésor sur les mois à venir.

Toutefois, il ne serait pas surprenant de voir le DMO réduire son stock de TBills dès 2011. Ces derniers devraient en effet souffrir des premiers resserrements monétaires de la BoE et d’une éventuelle désaffection de la part des investisseurs.

Assurément, la réduction des volumes d’émissions devrait favoriser un rebond des swap spreads britanniques à moyen terme. Ainsi, sur la zone 10 ans, ces derniers traitent encore sur des niveaux proches de 0 alors qu’en moyenne, sur les 5 dernières années, le swap spread 10 ans avoisine les 35 pb.

Les meilleures perspectives du Royaume Uni en termes d’émissions n’aboutiront néanmoins pas sur une surperformance des Gilts sur les autres dettes AAA. Le fait que la Banque d’Angleterre puisse adopter une politique monétaire plus agressive que la BCE joue par exemple davantage en faveur des papiers allemands ou français.

C’est don bien au travers d’une réappréciation des swap spreads que nous préférons profiter des meilleures perspectives budgétaires britanniques.

NOTES

  1. Bureau chargé de fournir des projections économiques indépendantes au trésor britannique lors de la préparation du budget.

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