Russie : la fin du contre-choc pétrolier implique-t-elle le retour de la croissance ?

par Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis

L’économie russe se relève peu à peu après avoir subi une sévère récession. L’effondrement des prix des matières premières durant l’année 2008 a été le catalyseur d’un arrêt soudain de l’activité. Le pays est entré brutalement en récession au premier trimestre 2009 en raison des corollaires de la crise : gel du commerce mondial, crise du crédit, fuites de capitaux, tensions sur les marchés interbancaires…

Pour autant, même si la récession à été plus sévère que celle de 1998, la manne pétrolière cumulée entre 2002 et 2008 à permis d’éviter le pire sur le plan financier. L’État russe est loin d’être en situation de faillite et l’affaiblissement du change a été maîtrisé, contrairement à ce qui s’est produit lors de la dernière crise. Cependant, la solvabilité des ménages et des entreprises a été durement touchée, un point en commun entre les deux crises. Les salaires réels reculent significativement (-4,5% sur un an en octobre) et le crédit, notamment aux ménages, se contracte (-7% en glissement annuel en août).

A l’instar de nombreux pays d’Europe émergente, le pays a enregistré une forte chute de son PIB au troisième trimestre (-8,9% a/a). La Russie montre toutefois quelques signes encourageants car la récession semble s’affaiblir. Bien qu’en zone de contraction, la production industrielle se redresse depuis le mois de mai et les exportations depuis juillet.

La croissance russe, largement tributaire de l’évolution du cours des matières premières a bénéficié de la hausse de baril de pétrole (+74% pour l’Ural) depuis le début de l’année. Celle-ci s’est par ailleurs accompagnée d’une remarquable performance des principaux indices boursiers (+123% et +113% respectivement pour le RTS et le Micex depuis janvier) sur fond de recul de l’aversion pour le risque, à l’exception du récent épisode de Dubaï world.

Après une longue période de fort affaiblissement, le rouble (RUB) s’est enfin stabilisé. Au passage, la Banque Centrale Russe a épuisé plus d’un tiers de ses réserves de change (222 Mds USD entre août 2008 et mars 2009) et a opté pour un élargissement progressif de la bande de fluctuation de la devise.

Le RUB demeure toutefois vulnérable à horizon 2010 face à la conjonction de plusieurs éléments :

  1. L’instabilité des variables financières. Nous prévoyons une hausse de l’aversion au risque compte tenu de notre scénario de reprise mondiale en W et d’un retour du risque pays (Dubaï World, dette grecque…),
  2. Le dérapage budgétaire risque de se poursuivre,
  3. Les fluctuations des devises qui composent le panier de référence du RUB (dollar à 55% et euro à 45%),
  4. La volatilité du cours des matières premières.

Sur le plan macro-économique, la Russie dispose de nombreux atouts : des réserves de change élevées (450 Mds USD fin novembre), une dette publique faible, une croissance soutenue entre 1998 et 2008 (7% en moyenne), des marges de manœuvre en matière fiscale et un endettement privé en devises contenu.

Néanmoins, le pays semble pâtir de sa dépendance aux matières premières (le pétrole et le gaz représentent 60% des exportations totales). La Russie est donc exposée au risque de « maladie hollandaise1 ». Même si certains symptômes sont apparus entre 1999 et 2008, son diagnostic n’est pas certain. L’appréciation réelle du rouble peut être aussi attribuée à un effet de rattrapage de type Balassa-Samuelson.

De même, l’essor des services peut être attribué à son faible développement à l’époque soviétique et la perte de compétitivité limitée (croissance de la production industrielle malgré certains symptômes). Quoi qu’il en soit la sortie de crise s’annonce hautement concurrentielle et donc rude pour l’industrie russe.

Même si l’activité semble avoir atteint son point bas au deuxième trimestre 2009, la reprise risque d’être modérée en 2010. La croissance devrait se situer bien en-dessous du potentiel, à 1,7% en 2010 après -8,5% en 2009. Il est clair que le pays demeure à la merci de l’évolution des prix des matières premières. Sur cet horizon, le redémarrage du crédit est nécessaire pour assurer une reprise durable (hors matières premières), et ce, d’autant plus que les marges de manœuvre en matière fiscale risquent de se tarir progressivement.
 

NOTE

  1. Elle frappe les pays ayant une croissance tirée par l’exportation des matières premières. Les symptômes sont : une rapide appréciation du taux de change nominal, une hausse des salaires réels, un développement du secteur des services et un ralentissement de la production industrielle.

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