Scénario 2010-2011 : ralentissement n’est pas rupture

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

  • Notre scénario écarte l’hypothèse d’une rechute de l’économie américaine en récession. Cependant, si nous avons toujours défendu l’idée d’un scénario de croissance molle post- bulle, les 3% affichés jusqu'à présent aux Etats- Unis semblent trop optimistes. Avec une révision en baisse à 2% ces deux prochaines années, notre nouveau scénario colle davantage avec cette idée de régime mou de croissance. 
  • La bonne performance de l’Europe en première partie d’année semble difficilement extrapolable et un atterrissage en douceur est prévisible au deuxième semestre sur fond de ralentissement global. Nous tablons sur une croissance autour de 1,5% cette année et la suivante en zone euro.

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

  • Notre scénario écarte l’hypothèse d’une rechute de l’économie américaine en récession. Cependant, si nous avons toujours défendu l’idée d’un scénario de croissance molle post- bulle, les 3% affichés jusqu'à présent aux Etats- Unis semblent trop optimistes. Avec une révision en baisse à 2% ces deux prochaines années, notre nouveau scénario colle davantage avec cette idée de régime mou de croissance. 
  • La bonne performance de l’Europe en première partie d’année semble difficilement extrapolable et un atterrissage en douceur est prévisible au deuxième semestre sur fond de ralentissement global. Nous tablons sur une croissance autour de 1,5% cette année et la suivante en zone euro.
  • Avec ce changement de scénario américain, nous avons décalé le calendrier de la première hausse de taux de la Fed au T1 2012. Avec une croissance plafonnant à 2 %, le taux de chômage devrait peiner à refluer et pousser la Fed à plus d’attentisme.
  • En revanche, la BCE pourrait agir plus tôt pressée qu’elle est de normaliser les conditions de liquidité et de retrouver un niveau de taux directeur plus conforme à ce schéma de reprise même molle. Nous anticipons une cible de taux Refi à 1,5% en fin d’année avec un premier geste en septembre.
  • Il est aussi question d’une normalisation des marchés obligataires une fois dissipées les craintes de rechute de la croissance américaine. Nous voyons toujours les taux sans risque remonter (2,75% pour le Bund allemand et 3,10 % pour le 10 ans américain fin 2010, respectivement 4,0% et 3,80% en décembre 2011) mais le manque d’allant de la reprise et l’absence d’inflation devraient caper ce mouvement.
  • Enfin, une fois que les marchés auront intégré l’idée d’un ralentissement sans rupture aux Etats-Unis, le dollar devrait regagner du terrain. La parité EUR/USD reviendrait sur ses niveaux d’équilibre autour de 1, 22 fin 2010 et 1,15 en décembre 2011.

 

Le risque de rechute en récession de l’économie mondiale, le célèbre double-dip, demeure au centre des préoccupations. Notre scénario écarte cette hypothèse et table sur un enclenchement naturel des différentes étapes de la reprise. La première phase d’accélération, liée au redémarrage mécanique et assez rapide de l’activité, lui-même aidé par l’action volontariste des pouvoirs publics, a probablement atteint un pic au premier trimestre de cette année et va selon nous laisser progressivement place à une phase de consolidation caractérisée par une croissance ralentie mais aussi plus autonome et donc plus solide. Les entreprises qui sont entrées dans la crise saines financièrement ont réalisé des efforts d’ajustement soutenus, ce qui leur a permis de restaurer leur profitabilité. La recherche de gains de productivité, qui soutient cette tendance, n’est pas une bonne nouvelle pour l’emploi qui peine à se redresser.

Mais cette quête a ses limites et la logique du cycle voudrait que les créations d’emplois et la hausse des revenus finissent par prendre le relais pour soutenir la demande et déboucher sur un processus auto-entretenu de croissance. Néanmoins ces facteurs autonomes de croissance vont être bridés par des freins structurels importants avec en particulier la nécessité de purger les excès d’endettement passés, privé et public. Si nous avons toujours défendu un scénario de croissance molle post-bulle, les statistiques récentes suggèrent que ce passage de relais entre forces cycliques et autonomes de croissance est plus laborieux qu’anticipé, surtout aux Etats-Unis ou la contrainte de désendettement privé est forte.

Conjoncture : ralentissement sans rupture

Nous avons révisé en conséquence notre scénario économique avec une croissance américaine qui ne devrait guère dépasser les 2 % aux Etats-Unis tant en 2010 qu’en 2011. La croissance en zone euro a de son coté peu de chance de réitérer sa prouesse du deuxième trimestre (1% en variation trimestrielle). L’économie allemande et celles des petits pays du Nord de l’Europe, les plus vertueux, fonctionnent à plein régime, portées par les performances exceptionnelles de leurs exportations et les effets d’entrainement induits sur l’emploi et la demande domestique. Les chiffres de la croissance au deuxième trimestre signalent en effet un rebond marqué de la demande domestique en zone euro. Si la consommation privée a pu être dopée par anticipation des hausses de TVA dans plusieurs pays, les dépenses d'investissement montrent quant à elles des signes d'amélioration plus larges, en réponse à une politique monétaire ultra accommodante et à une demande finale moins sinistrée.

Ces rythmes de croissance sont cependant difficilement extrapolables et un scénario d’atterrissage en douceur est le plus probable dans un environnement global qui s’annonce moins porteur. Mais il n’est ici question que de ralentissement et non de rupture. Dans les pays du Sud de l’Europe, sous contraintes d’ajustement, la reprise reste cahoteuse et si les signaux sont encourageants sur le front budgétaire, il est encore trop tôt pour crier victoire vu les défis à relever pour retrouver le chemin d’une croissance saine et durable. Nous tablons sur une croissance autour de 1,5% cette année et la suivante en zone euro.

Cette croissance moyenne revêt des réalités très différentes avec d’un coté une locomotive allemande qui devrait afficher des taux de croissance flatteurs de 3,1% en 2010 et 2,2% en 2011 tandis que la Grèce resterait en récession.

Policy-mix : du coté accommodant de la force

Dans ce contexte de croissance molle sans inflation, les politiques monétaires devraient rester durablement accommodantes. Les banques centrales vont d’abord chercher à retirer de manière graduelle la liquidité excédentaire avant d’envisager de premières hausses de taux.

La BCE, qui a déjà esquissé sa stratégie de sortie en raccourcissant les maturités de ses opérations de refinancement illimitées et à taux fixe, devrait accélérer le mouvement début 2011 avant de relever ses taux en septembre. La BCE avec ses deux piliers est plus sensible que la Fed à l’impact potentiellement inflationniste de l’excès de liquidité.

De plus, la BCE ne serait considérée le niveau extrêmement bas de son taux directeur, actuellement à 1 %, autrement que comme une réponse exceptionnelle face à une crise d’ampleur historique. L’urgence étant passée, il lui tarde sans doute de retrouver un niveau de taux plus conforme au schéma de reprise, même molle, actuellement à l’œuvre. Il n’est donc pas question pour elle de resserrer sa politique mais seulement d’ôter l’extra de stimulus concédé en pleine tourmente financière, ce qui devrait l’amener à remonter très graduellement ses taux, avec une cible de 1,5 % en fin d’année 2011.

En vertu de son double mandat (croissance/inflation), la Fed donne un poids plus important à l’évolution de la situation sur le marché du travail et elle n’a d’ailleurs jamais remonté les Fed Funds avant de constater un mieux sensible sur le front de l’emploi. Elle ne devrait pas, cette fois-ci encore, déroger à cette règle. Avec une croissance plafonnant à 2 %, la reprise de l’emploi s’annonce plus poussive qu’initialement anticipé et le taux de chômage devrait peiner à refluer, l’ensemble devrait pousser la Fed à l’attentisme avec un premier geste seulement début 2012. La Fed laisse par ailleurs la porte ouverte à plus d’assouplissement quantitatif en cas de dégradation de la conjoncture plus forte qu’anticipé avec en toile de fond le risque de matérialisation d’un scénario de déflation. Quoique peu probable, ce scénario constitue un risque évident dans une économie qui n’a pas encore purgé une bulle de crédit majeure, vu le niveau toujours élevé (mais néanmoins en repli) des ratios d’endettement des ménages.

Si les politiques monétaires vont conserver un fort degré de souplesse, il n’en est rien des politiques budgétaires avec des programmes d’austérité qui vont battre leur plein courant 2011. Contraints par les marchés à devancer l’appel, seuls les pays du Sud de l’Europe vont opérer un tour de vis dès cette année avec une contraction de leur déficit allant de 0,3 point de PIB en Italie à plus de 5 points en Grèce.

Marchés : plus de peur que de mal

Au cours du premier semestre 2010, l’actualité a été dominée par la crise des dettes souveraines en Europe laquelle a pris sa source en Grèce avant de se propager à tous les pays lourdement endettés de la zone euro (Espagne, Irlande et Portugal). Cette bouffée de stress s’est traduite par une explosion des primes de risque sur les obligations des Etats jugés à risque et par des achats refuge sur les meilleures signatures souveraines (le Bund allemand a ainsi reflué sous les 2,6% à mi-année). Les préoccupa- tions se sont également progressivement déplacées vers les banques européennes qui portent ce risque souverain.

L’Euro a été fortement pénalisé et a perdu plus de 15% de sa valeur contre le dollar en six mois pour atteindre un point bas à 1,1923 début juin. Après des semaines d’atermoiements, les leaders européens ont finalement frappé un grand coup en décidant début mai de créer un fond de stabilisation totalisant 500 Mds EUR. Ce programme de stabilisation est dûment calibré pour faire face aux problèmes de refinancement des Etats au moins pour les deux prochaines années, ce qui a permis de ramener le calme sur les marchés. Par ailleurs, les résultats des stress tests rendus publics en juillet ont apaisé les craintes sur la capacité de résilience du système bancaire européen.

Les marchés obligataires devraient donc progressivement retrouver une configuration plus conforme à ce schéma de reprise, la normalisation ayant été retardée suite au regain d’inquiétudes sur la solidité de la reprise américaine : les taux sans risque vont remonter (2,75% pour le Bund allemand et 3,10 % pour le 10 ans américain fin 2010, respectivement 4,0 % et 3,80% en décembre 2011). Cependant, ces hausses vont rester limitées en ampleur dans un contexte ou le bon enclenchement dans la séquence de la reprise risque de subir quelques dératés ranimant épisodiquement craintes et incertitudes favorables à des achats refuge.

Une fois l’hypothèque levée, les anticipations de resserrement monétaire vont guider les marchés obligataires avec une réaction plus rapide des taux européens si la BCE devance comme nous le pensons la Fed. Sur les segments de marchés plus risqués, les spreads devraient finir par se dégonfler au fur et à mesure des progrès accomplis sur le front budgétaire. Mais l’épisode de remontée récente des primes de risque sur la Grèce ou l’Irlande montre que regagner la confiance des marchés est un processus qui pourrait s’avérer long et chaotique, toujours à la merci de la moindre rumeur.

La tentative de rebond de l’euro liée à cette rotation thématique, du risque souverain vers le thème de la rechute américaine, devrait faire long feu. Une fois que les marchés auront intégré l’idée d’un ralentissement sans rupture aux Etats-Unis, le dollar devrait regagner du terrain. Et ce d’autant que les ajustements budgétaires en Europe, quoiqu’en progrès, sont loin d’être achevés et qu’il s’agit pour certains pays du Sud d’aller au-delà et de repenser leur modèle économique trop dépendant du tandem crédit/immobilier. Cette crise de la dette en zone euro est également venue révéler les faiblesses de la gouvernance économique de l’union. Il va falloir tôt ou tard repenser le mode de fonctionnement de la zone euro afin de construire un espace plus solidaire sans pour autant faire preuve d’indulgence ou de laxisme.

C’est probablement une œuvre de longue haleine et dans l’intervalle, les marchés vont continuer à percevoir le risque euro comme un éventail de risques allant du meilleur (l’Allemagne) au pire (la Grèce), ce qui aura plutôt tendance à pénaliser la monnaie européenne avec une cible de 1, 22 fin 2010 et de 1,15 en décembre 2011.

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