Sous-continent indien : l’émergence dans les économies périphériques

par Delphine Cavalier, économiste chez BNP Paribas

L’Asie du Sud, telle qu’elle fut définie il y a vingt-cinq ans par la création de la SAARC (South Asia Association for Regional Cooperation), forme un ensemble hétérogène de sept pays (Bangladesh, Bhutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka) rejoints en 2007 par l’Afghanistan, se répartissant autour d’un vaste centre indien et totalisant une population de 1,6 milliard d’habitants pour un PIB de 1 600 milliards de dollars courants. Par comparaison, l’Asie de l’Est, qui englobe l’Asie du Nord-Est et les dix pays de l’Asean, compte 2 milliards d’habitants pour un PIB de 7 900 milliards de dollars.

Les écarts de taille de population et de structure économique entre les pays d’Asie du Sud sont considérables. D’un côté, l’Inde (1,2 milliard d’habitants), le Pakistan (160 millions), le Bangladesh (160 millions) et Sri Lanka (20 millions) sont les économies les plus diversifiées et, au moins jusqu’en 2007, les plus dynamiques de la région. De l’autre, le Bhutan (0,7 million) et les Maldives (0,3 million) sont deux très petites économies, tandis que l’Afghanistan et le Népal (28 millions chacun) sont les plus pauvres. Il s’agit de la région la moins développée d’Asie, une situation que les guerres et les conflits qui marquent l’histoire du sous-continent n’ont pas amélioré et qui l’expliquent même en partie. C’est aussi l’une des zones les plus militarisées de la planète et qui compte deux puissances nucléaires, l’Inde et le Pakistan, hostiles l’une à l’autre.

Malgré un environnement socio-politique difficile et de fortes contraintes structurelles, les économies périphériques ont conservé un rythme de croissance soutenu depuis les années 1980 et qui a légèrement accéléré au cours des dix dernières années. L’Asie du Sud hors Inde a, notamment, su exploiter de nouvelles sources de croissance à partir de l’essor de leurs exportations manufacturières vers les grands marchés développés.

Depuis 2008, les crises alimentaire, énergétique et financière et la récession mondiale qui a suivi, doublées parfois de difficultés politiques et de catastrophes naturelles, n’ont pas épargné cette partie du globe. La capacité de résistance aux chocs a cependant varié sensiblement d’un pays à l’autre, le FMI ayant notamment été appelé à débloquer des plans d’aide en faveur du Pakistan (novembre 2008), de Sri Lanka (juillet 2009) et des Maldives (décembre 2009). Les trois principales économies subrégionales (Bangladesh, Pakistan et Sri Lanka) ressortent de ces épreuves dans des conditions économiques et sociopolitiques différenciées qui vont peser sur leurs trajectoires de croissance et de développement à l’horizon des prochaines années.

Au-delà de la reprise, les fragilités structurelles mises en lumière par cette succession de crises montrent que l’Asie du Sud aurait tout avantage à accroître le commerce intra-zone, qui recèle un important potentiel de croissance. Malgré plusieurs accords régionaux passés depuis les années 1990, les engagements en faveur des échanges intra-régionaux sont pratiquement restés lettre morte, et l’Asie du Sud est aujourd’hui économiquement très peu intégrée. Un regain d’intérêt pour le sujet se fait jour parmi certains pays membres de la SAARC, outre de récentes initiatives bilatérales de rapprochement avec l’Inde, et alors que l’Inde et le Pakistan ont repris le dialogue. Le commerce intra-zone contribuerait de plus, via le rôle pivot de l’Inde, à améliorer l’intégration au reste de l’Asie. La Chine, dont l’influence en Asie du Sud se développe de longue date, tend à y renforcer son ancrage économique, ce qui ne peut qu’inciter l’Inde à approfondir, elle aussi, sa coopération avec ses voisins.

Une croissance soutenue malgré des contraintes fortes

Depuis le milieu des années 1980, l’Asie du Sud a dégagé dans son ensemble une croissance annuelle moyenne voisine de 6% (5% en excluant l’Inde) contre une croissance moitié moindre entre 1960 et 1980, ce qui représente une transformation remarquable pour cette région qui, jusqu’aux années 1970, faisait davantage parler d’elle par ses conflits, sa violence et son extrême pauvreté. La majeure partie de la main-d’œuvre était occupée par des emplois à bas revenu dans l’agriculture ou les services informels, alors que la moitié de la population vivait sous le seuil de pauvreté.

Dans les premières années qui ont suivi leur indépendance, les pays du sous-continent ont fondé leur stratégie de croissance sur le modèle de substitution aux importations, marqué par un fort protectionnisme, un contrôle strict du secteur privé et une grande rigidité du marché du travail. Trois décennies plus tard, ces politiques se sont révélées un échec, illustré par une croissance faible, une dépendance persistante à une agriculture peu productive, une industrialisation limitée, de médiocres performances à l’exportation et une main-d’œuvre qualifiée trop peu nombreuse sur fond de croissance démographique rapide. Les tensions politiques nées de la partition sont également restées palpables entre l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, et un climat de méfiance s’est installé.

Les perspectives économiques de la région se sont améliorées à partir des années 1980 lorsque les pays ont mis en œuvre des politiques plus favorables à la croissance via la dérégulation et la libéralisation de leur marché domestique à plus ou moins grande échelle, et la levée partielle des restrictions au commerce extérieur (barrières tarifaires) 1 . Les réformes ont permis une hausse de l’investissement privé et de la productivité. L’augmentation du revenu des ménages a dynamisé la consommation privée, conduisant parfois à une élévation du taux d’épargne (Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka).

Toutefois, comme en Inde, la diminution de la part de l’agriculture dans l’économie et l’augmentation concomitante de celle du secteur des services ont finalement laissé peu de place à une véritable industrialisation. Depuis le début des années 1990, la part de l’agriculture dans la valeur ajoutée a baissé en moyenne de onze points à environ 20%, tout en restant plus importante que celle de l’industrie hors construction et énergie, qui a stagné autour de 15%, alors que celle des services a augmenté à près de 50%. En termes d’emploi, la diminution de douze points de la part de la main-d’œuvre dans le secteur primaire a profité en majorité aux services et très marginalement à l’industrie. Au Bangladesh et au Pakistan, la part de l’emploi dans l’industrie est même restée inchangée à respectivement 11% et 19%. Au final, si les services dominent à présent les économies subrégionales, une part importante de l’emploi reste concentrée dans l’agriculture.

L’industrialisation, limitée mais tout de même réelle, s’est concentrée sur le développement de quelques secteurs exportateurs de matières premières et/ou de biens manufacturés issus d’industries intensives en main-d’œuvre, principalement le textile et l’habillement, dans certains cas avec l’apport initial d’investissements directs étrangers comme au Bangladesh. Dans ces secteurs, l’Asie du Sud a mis à profit son avantage comparatif que constituent ses coûts du travail parmi les plus faibles au monde, tirés d’une main-d’œuvre abondante et peu qualifiée. Grâce à leur compétitivité, les exportations textiles d’Asie du Sud, majoritairement destinées aux marchés européen et américain, ont continué de gagner des parts de marché mondial même après l’expiration programmée de l’accord Multifibres en 20052.

Bien que la part des exportations ne représente aujourd’hui encore que 22% du PIB en moyenne, celles-ci contribuent largement à la vitalité de la demande interne par leur contenu intensif en main-d’œuvre et par la demande de services qu’elles génèrent (transport, vente au détail, services financiers, etc.). D’autres activités tertiaires se sont développées telles que les télécommunications, l’informatique et l’outsourcing (Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka) ou le tourisme (Bhutan, Maldives, Népal, Sri Lanka). L’industrialisation s’est également étendue à de nouveaux secteurs tels que le démantèlement des navires en fin de vie, la construction navale et la sidérurgie au Bangladesh, les engrais et le ciment au Pakistan, et l’énergie hydroélectrique dans les Etats himalayens du Népal et du Bhutan, principalement exportée vers l’Inde à laquelle ces deux pays sont de facto intégrés3.

Néanmoins, la structure monoproduit des exportations, notamment au Bangladesh et au Pakistan, entraîne nécessairement une vulnérabilité à la demande extérieure et aux cours mondiaux de matières premières. Hormis le Népal et le Bhutan, ces économies sont aussi importatrices nettes de la majeure partie de leurs besoins énergétiques. De même, une demande interne essentiellement rurale est fragile dès lors que les performances de l’agriculture dépendent des moussons, poussant certains pays y compris l’Inde à devoir importer des denrées alimentaires de base les mauvaises années.

De 2003 à 2007, la forte demande mondiale et le voisinage d’une Inde en plein décollage industriel ont profité à l’Asie du Sud, qui a dégagé une croissance robuste, de 5,6% par an en moyenne. Toutefois, l’accélération (d’un point par rapport aux années 1990) a été limitée par la stagnation de la part de l’investissement dans le PIB autour de 25% en raison d’une hausse modeste du taux d’épargne, resté en deçà de 20% du PIB, et de l’intérêt relatif des investisseurs étrangers pour cette région. Le manque d’investissement chronique explique la carence de la zone en infrastructures de qualité. Par comparaison, en Inde, le taux d’investissement est monté de 25% à 37%.

La croissance a été la plus forte au Pakistan, au Bangladesh et à Sri Lanka, qui comptent pour respectivement 50%, 30% et 10% du PIB régional hors Inde. Si la croissance du Bangladesh a peu oscillé autour de 6%, celle du Pakistan a accéléré jusqu’à 9% en 2005 et celle de Sri Lanka jusqu’à 7,7% en 2006. Ces performances sont d’autant plus notables qu’au cours des années 2000 la région a connu une importante dégradation du climat de sécurité (montée du militantisme au Pakistan et guerre anti-terroriste menée avec les Etats-Unis en Afghanistan à partir de 2001, guerre au Sri Lanka contre les rebelles tamouls de 1983 à 2009, rébellions maoïstes en Inde et au Népal 4 ), et a dû faire face à de graves catastrophes naturelles (tsunami en 2004, tremblement de terre au Cachemire pakistanais en 2005), qui se sont ajoutés aux fléaux plus coutumiers dans cette zone que sont les inondations (Bangladesh principalement) et les sécheresses.

Alors que l’Inde a financé sa croissance par l’élévation de son taux d’épargne et grâce aux afflux importants de capitaux étrangers privés, il en a été différemment pour les autres économies, ou l’investissement direct est resté marginal. Au Bangladesh, l’économie a pu largement s’appuyer sur les flux croissants des transferts financiers des travailleurs émigrés et des recettes d’exportations, complétés par des prêts concessionnels des institutions financières internationales au titre de la lutte contre la pauvreté. En revanche, pour couvrir leurs déséquilibres extérieurs et budgétaires, le Pakistan et Sri Lanka ont dû davantage faire appel aux marchés de capitaux internationaux, développant une certaine vulnérabilité externe qui s’est aggravée par la suite sous l’effet de la crise mondiale.

A l’épreuve des crises de 2008- 2009

La crise financière mondiale qui a débuté fin 2008 a touché l’Asie du Sud au moment où celle-ci venait déjà de subir un choc sévère des termes de l’échange au premier semestre de la même année, poussant les pays à adopter des mesures drastiques combinant hausse des prix de l’essence, restriction des dépenses publiques d’investissement et resserrement monétaire. L’impact négatif du double choc externe s’est révélé substantiel, se payant d’une forte poussée de l’inflation, d’un ralentissement de la croissance, d’une détérioration des équilibres macroéconomiques, voire dans certains cas d’une aggravation des déséquilibres exacerbant les risques de défaut sur les paiements extérieurs.

– La hausse des prix des matières premières et ses effets

 * Evolution des termes de l’échange entre 2003 et 2008 : de l’érosion lente au choc sévère

Les termes de l’échange dans le sous-continent se sont dégradés tout au long des années 2000. Entre 2003 et la mi-2008, l’Asie du Sud a souffert d’une perte de revenu considérable due à la hausse sensible des prix mondiaux des matières premières, notamment énergétiques et alimentaires. Les comparaisons entre régions réalisées par la Banque mondiale montrent que, si les autres zones émergentes ont tiré de ces hausses de cours un bénéfice net nul (Asie de l’Est) ou positif (toutes les autres zones), l’Asie du Sud est non seulement la seule région à enregistrer une perte nette mais, en outre, une perte substantielle, de l’ordre de 10% du PIB en moyenne par pays, avec des écarts importants entre les Maldives (30%) et le Bangladesh (8%). Les prix du pétrole ont pénalisé tous les pays, alors que les prix à l’alimentation ont surtout pesé sur la balance extérieure du Bangladesh et, dans une moindre mesure, sur celle du Népal et de Sri Lanka. A l’inverse, le Pakistan, exportateur net de riz, en a bénéficié.

* Dégradation des soldes courants et budgétaires et pic d’inflation

Même en étant partiellement compensées par l’augmentation des transferts des travailleurs émigrés, les balances courantes se sont détériorées dans la plupart des pays. La détérioration a été la plus significative au Pakistan, où le solde courant est passé d’un excédent de 4% du PIB en 2004 à un déficit de plus de 9% en 2008. A Sri Lanka, le déficit courant s’est creusé de 4% à 6% du PIB sur la même période. Seul le Bangladesh a, jusqu’à présent, préservé un excédent, exception faite du léger déficit de 2005.

Ces évolutions reflètent le jeu de différents facteurs parmi lesquels l’importance du choc de prix mais aussi la robustesse des flux de transferts et les choix antérieurs de politique économique. Les transferts vers le Bangladesh ont continué de croître en 2008, alors que le Pakistan et Sri Lanka se sont trouvés piégés par le laxisme de leurs politiques budgétaires et monétaires, reflété par les tensions sur la demande intérieure et la forte croissance des importations, sur fond de situation délicate des finances publiques.

Les déficits budgétaires se sont creusés partout sous l’effet de la hausse des subventions publiques destinées à contenir les prix domestiques des carburants. Au Pakistan, le déficit s’est aggravé le plus fortement, passant de 2,4% du PIB en 2004 à plus de 7% en 2008. Au Bangladesh, le déficit du budget a augmenté marginalement d’un seul point de PIB, car les dépenses publiques ont été gelées pendant le contrôle provisoire du pays par l’armée en 2007 et 2008. Au Népal, la hausse du déficit s’est effectuée à partir d’un niveau bas. A Sri Lanka, les déficits déjà très élevés au moment de la flambée des prix n’ont laissé d’autre choix au gouvernement que d’ajuster les prix de l’essence, faisant porter l’effort sur les consommateurs.

La hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation a, en effet, constitué une source majeure d’inflation à travers l’ensemble du sous-continent. Compte tenu de l’incidence des subventions sur les prix intérieurs du pétrole, l’inflation en Afghanistan, au Pakistan, au Bangladesh et au Népal a surtout évolué avec les prix alimentaires (notamment du blé). Une décrue s’est amorcée au deuxième semestre 2008 grâce à de bonnes récoltes et au repli des cours mondiaux du pétrole (de 150 à 70 dollars par baril), et grâce aussi à des mesures de ralentissement de la demande interne. L’exception du Pakistan, où l’inflation a certes ralenti mais demeure bien plus élevée que sa moyenne de long terme, s’explique par la persistance de profondes difficultés budgétaires.

La décrue de l’inflation qui s’est dessinée à travers la région après la mi-2008 a constitué une bouffée d’oxygène avant le déclenchement des turbulences financières et la propagation de la crise économique en Asie du Sud.

Contagion de la crise financière mondiale sur fond de fragilités structurelles exacerbées

Les retombées de la crise financière de la fin-2008 ont aggravé des fragilités déjà accentuées par le choc de prix des matières premières.

* Effets sur la sphère financière

La propagation s’est d’abord effectuée via les marchés financiers locaux. Un degré d’intégration financière et de sophistication des systèmes bancaires bien moindre dans les pays du sous-continent que dans le reste de l’Asie émergente, l’absence d’exposition directe aux produits « subprime » et l’existence de contrôles de capitaux dans certains cas (Bangladesh notamment) ont, en effet, laissé la majeure partie de l’Asie du Sud à l’écart des fuites massives de capitaux étrangers à l’automne 2008. Néanmoins, outre l’Inde, la contagion a touché le Pakistan et Sri Lanka, les pays les plus financiarisés et les plus dépendants des capitaux étrangers, et qui présentaient déjà une vulnérabilité extérieure marquée. Les sorties nettes d’investissements étrangers de portefeuille ont provoqué la chute des Bourses de Mumbai, de Karachi et de Colombo, entraîné de fortes tensions sur les taux interbancaires en Inde et au Pakistan ainsi que sur les rendements de la dette publique en monnaie locale à Sri Lanka. Les primes de risque sur les obligations souveraines libellées en dollar du Pakistan et de Sri Lanka se sont aussi envolées.

* Effets sur la sphère réelle

Les effets réels ont suivi peu après du fait du gel des circuits de financement du commerce mondial et de l’effondrement de la demande en provenance des économies développées, entraînant une mise à l’arrêt de la production. Dans les petits pays comme les Maldives, le Bhutan et le Népal, les pertes pour l’économie réelle se sont cantonnées au secteur du tourisme. Les autres pays ont enregistré des baisses drastiques de leurs exportations, notamment de textile et de prêt-à-porter, sauf au Bangladesh. Début 2009, la production industrielle et l’investissement ont fortement ralenti.

Au total, la croissance dans le sous-continent indien a chuté de quatre points de pourcentage, de 9,3% en 2007 à 5,3% en 2009. Hors Inde, la perte ressort à trois points, de 6,8% à 3,6%, alors qu’en Asie de l’Est la croissance a ralenti de plus de cinq points. La production et les exportations ont aussi bien moins souffert. Certains facteurs tels que les transferts de la main-d’œuvre émigrée, la résistance des exportations textiles et l’ajustement du policy-mix ont permis d’amortir le choc au moins temporairement.

Des facteurs de résistance plus ou moins durables

Les transferts des travailleurs expatriés jouent un rôle de premier ordre pour la consommation des ménages dans le sous-continent, davantage que dans toute autre région. Les populations de migrants en provenance d’Inde, du Népal, du Pakistan et du Bangladesh se concentrent dans les pays développés et/ou à hauts revenus, mais l’Inde accueille aussi des travailleurs venus des pays limitrophes. Les flux ont grossi considérablement dans les années 1990, et les recettes correspondent actuellement à environ 10% du PIB en moyenne. Au Bangladesh et au Népal, le ratio est proche de 14% contre 3% il y a vingt ans. Sans cette source de revenu, la demande intérieure aurait fortement ralenti, voire se serait effondrée en 2009. En Inde, au Pakistan et à Sri Lanka, les flux sont moins importants et stables sur la durée (7% du PIB au Pakistan, 6% à Sri Lanka, 4% en Inde). Hors Inde, les montants sont partout largement supérieurs aux entrées nettes de capitaux et, en particulier, cinq fois plus élevés que les entrées nettes d’investissements directs étrangers. Malgré la crise, les flux ont continué de progresser, alors qu’ils baissaient dans d’autres zones, probablement grâce à la concentration des travailleurs du bâtiment dans les pays du Golfe, dont le décalage de cycle avec l’économie mondiale leur a permis d’échapper à la récession en 2009.

Les exportations du Pakistan et du Bangladesh se sont également bien tenues pendant la crise. Celles du Pakistan ont été soutenues par les exportations de denrées alimentaires portées par les prix mondiaux au premier semestre 2008, alors que les exportations textiles croissaient faiblement, voire reculaient, avant 2008. Même s’ils ont ralenti par la suite, les revenus agricoles se sont trouvés améliorés et ont aidé à passer la crise l’année suivante. Au Bangladesh, les exportations textiles ont accéléré en 2008 grâce à leur compétitivité-prix, gonflant les carnets de commandes et faisant gagner des parts de marché.

En réaction aux événements extérieurs de la fin 2008, les pays sud-asiatiques ayant les marges de manœuvre nécessaires ont pu s’engager dans un assouplissement de leurs politiques économiques. Imitant l’Inde, qui a mis en œuvre le plus important plan de relance de la région (près de 4% du PIB), le Bangladesh et, dans une moindre mesure, Sri Lanka, ont pu débloquer des aides spécifiques. Les deux pays ont ciblé une hausse des subventions à l’exportation pour les secteurs en difficulté, et le Bangladesh a complété le dispositif par des versements directs en espèces. Au total, le plan de relance du Bangladesh a représenté 1,5% du PIB contre 0,6% pour Sri Lanka.

Il ressort au final de cette grille de lecture que, parmi les principaux pays, le Pakistan est le plus affaibli selon les trois critères de l’inflation, des finances publiques et des comptes extérieurs. Les fondamentaux économiques sont le moins détériorés au Bangladesh et au Népal. Sri Lanka occupe une position intermédiaire avec comme principal point noir son déficit budgétaire. 

Perspectives : une reprise inégale, de nombreux risques

La reprise s’est esquissée dès le premier semestre 2009 grâce aux facteurs précités et au redressement de la demande mondiale. L’Inde a ouvert la marche et est revenue depuis le quatrième trimestre 2009 sur une tendance supérieure à 8% en variation annuelle grâce au redémarrage de l’investissement. Autour de l’Inde, la reprise ne connaît pas la même vigueur. Les perspectives sont soumises à des difficultés intrinsèques mais aussi à des risques communs (tendances des exportations, des transferts opérés par les travailleurs émigrés et des prix de matières premières).

Sri Lanka : opportunités et défis de l’après-guerre civile

Même sous le coup d’un plan de réformes drastiques avec le FMI (pour un montant d’aide totale de 2,6 milliards de dollars), Sri Lanka semble présenter les meilleures perspectives régionales à l’horizon de deux ans. L’économie tire profit de la fin de la guerre civile contre les Tigres tamouls en juillet 2009 qui suscite un élan sans précédent d’investissement pour la reconstruction et le développement. Au deuxième trimestre 2010, le PIB en volume est ressorti en hausse de 8,5% en glissement annuel, en accélération constante depuis le point bas touché au premier trimestre 2009 à 1,6%. La reconquête des territoires du nord et du nord-est a mécaniquement augmenté la production agricole et la pêche. Le tourisme et le commerce extérieur se sont redressés.

L’inflation s’est rapprochée de sa moyenne de longue période de 6%, encourageant la Banque centrale à baisser fortement ses taux pour faire repartir le crédit, quoique la remontée des prix de matières premières incite à la vigilance. L’indice de la Bourse de Colombo a triplé depuis début 2009, tiré par le retour des investisseurs étrangers. Cependant, les valorisations atteignent des niveaux qui ne sont peut-être pas soutenables au regard des sous-jacents économiques.

Si le déficit courant s’est réduit à 2,5% du PIB au premier trimestre2010 après un creux à 6,8% au quatrième trimestre 2008, les comptes publics restent dans une situation sérieuse. Le déficit ne devrait baisser que faiblement, de 10% du PIB en 2009 à 8% en 2010, et se maintenir à 7% en 2011. Le niveau élevé de la dette publique (près de 90% du PIB) et sa structure portent un double risque. En premier lieu, il existe un risque de refinancement de la dette publique à court terme en monnaie locale dont la part a augmenté à 50% du total dans les années récentes. En second lieu, les 10% de l’encours de cette dette à court terme détenus par les investisseurs non résidents contraignent les autorités à maintenir un montant adéquat de réserves officielles de changes pour parer à l’éventualité d’une liquidation massive en cas de revirement du sentiment des marchés financiers (ce qui s’était produit fin 2008), en l’absence de tout contrôles de capitaux. Si ces risques semblent écartés dans les deux prochaines années grâce à l’amélioration de la balance des paiements, la remontée des avoirs de réserve et les efforts d’allongement de la maturité de la dette, Sri Lanka reste, néanmoins, tributaire de la confiance des marchés et le gouvernement devra poursuivre l’assainissement budgétaire recommandé par le FMI. Une importante réforme fiscale est attendue en 2011 et un ajustement pénible des dépenses et des recettes est à prévoir d’ici à 2013.

La croissance est attendue en hausse à 6,5-7% en 2010-2011, mais elle devrait se modérer lorsque l’euphorie de l’après-guerre retombera et que les exportations s’ajusteront au ralentissement mondial. La réunification de l’île après trois décennies de guerre civile est un facteur essentiel d’amélioration de son potentiel économique de moyen terme. Le pays bénéficie aussi de partenariats privilégiés avec la Chine (infrastructures) et l’Inde, avec laquelle il a signé un fructueux accord de libre-échange en 2000. Le contexte sociopolitique d’après-guerre civile est stable en surface, représenté par un Etat central fort qui a pris le parti de renforcer l’armée malgré la paix. Des problèmes futurs pourraient cependant surgir de l’éviction des minorités tamoules et musulmanes de la redistribution des terres.

– Bangladesh : une course aux infrastructures s’engage

L’économie du Bangladesh est orientée vers son vaste marché intérieur et jouit d’une certaine marge de manœuvre budgétaire qui lui a permis de soutenir les secteurs en difficulté pendant la crise. Les exportations textiles, qui étaient restées robustes en 2008 ont toutefois été rattrapées par une demande mondiale morose en 2009 et ont commencé à se replier sur les premiers mois de 2010. Plus inquiétant, le pays fait également face à la baisse des transferts pour la première fois depuis 2003, ce qui s’explique par le rapatriement de nombreux Bangladais du Golfe où l’activité dans la construction marque le pas. Deux sources importantes de devises et de revenus pour les ménages sont donc touchées, ce qui fera dépendre davantage la croissance des revenus agricoles dans l’année à venir avant une éventuelle amélioration sur le plan extérieur. Pour 2010-2011, la croissance pourrait légèrement fléchir à 5,5%, compte tenu également d’un risque de résurgence de l’inflation.

La balance des paiements devrait pouvoir supporter une diminution de l’excédent courant (actuellement de 3% du PIB) alors que le Bangladesh va recevoir une aide accrue de la Banque mondiale pour le développement des infrastructures dans les quatre ans à venir.

Fondamentalement, la croissance d’un pays pauvre de 160 millions d’habitants reposant sur une base étroite d’exportations et les salaires des travailleurs à l’étranger n’est pas viable, et la crise aura permis aux autorités d’en prendre toute la mesure. Le gouvernement prévoit de développer davantage les services, notamment les télécommunications.

Par ailleurs, le Bangladesh souffre d’un déficit énergétique, et la croissance moyenne de 6% par an depuis les années 1990 ne sera plus longtemps soutenable sans l’installation de nouvelles capacités. Le manque d’infrastructures concourt, avec les luttes politiques récurrentes et un climat social agité, à un environnement des affaires difficile. Néanmoins, les liens entretenus de longue date avec la Chine et un réchauffement récent avec l’Inde devraient ouvrir la voie à plusieurs projets d’envergure dans le domaine des transports (routes, terminaux portuaires) et, à terme, contribuer au déblocage au moins partiel du potentiel économique du pays.

– Pakistan : un avenir en question

Au Pakistan, les difficultés sociopolitiques et la campagne militaire contre les talibans avec l’aide des Américains dominent la vie du pays depuis 2007 sans perspective d’amélioration à court et moyen terme. L’affaiblissement considérable de la croissance depuis 2008 et les inondations catastrophiques du mois d’août dernier sont une source d’inquiétude supplémentaire. La croissance est tombée à 2% sur l’exercice budgétaire 2008/09 et a rebondi à 4,1% en 2009/10 après une moyenne de près de 7% au cours des cinq années précédentes sous la présidence du général Musharraf.

Le contexte politique s’est détérioré dès 2007 alors que le pays se préparait aux élections présidentielles. Le général Musharraf aurait pu facilement renouveler son mandat sans le retour d’exil de ses deux rivaux, Benazir Bhutto et Nawaz Sharif. La bataille des élections s’est déroulée sur fond de redoublement d’activité du militantisme religieux et de reprise des attentats, dont un coûta la vie à Benazir Bhutto, selon la version officielle. C’est finalement son mari, Asif Ali Zardari, candidat à sa place, qui a remporté la présidence. Toutefois, manquant de charisme et contesté pour d’anciennes affaires de corruption, il est à la tête d’un exécutif extrêmement faible. L’armée paraît le seul recours en cas de menace talibane sérieuse sur l’arsenal nucléaire.

Sans véritable gouvernance au niveau de l’Etat central, l’économie manque de direction et ne s’est pas remise du choc des prix des matières premières et de la crise financière qui ont sévèrement détérioré les comptes extérieurs et publics. Fin 2008, le FMI lui a octroyé une aide d’urgence de 11,3 milliards de dollars pour éviter un défaut de paiement. Cependant, l’amorce d’ajustement des déséquilibres et le léger redressement de la croissance grâce aux exportations en 2009/10 sont remis en question par la plus grave crue de l’Indus de l’histoire contemporaine. La croissance ne devrait pas dépasser 2% en 2010/11 selon l’ampleur de la récession dans l’agriculture. L’inflation, qui restait élevée à cause de la poursuite du financement monétaire du déficit budgétaire et de la remontée des prix de matières premières, devrait s’aggraver devant la situation de pénurie.

Le Pakistan apparaît donc durablement affaibli par les difficultés économiques après trois ans d’une profonde crise d’un Etat dysfonctionnel et d’extension du djihadisme. La conséquence des inondations sur la population est de nature à entraîner des bouleversements sociaux dans le Pakistan rural5. Le pays va toutefois bénéficier d’une assistance extérieure accrue, d’autant qu’il reste le premier allié des Etats- Unis en Afghanistan malgré des mésententes. La Banque Mondiale vient d’approuver le projet d’extension du port de Karachi, alors que la Chine construit déjà elle aussi des infrastructures portuaires et énergétiques.

– Du côté des petites économies régionales, l’avantage va aux deux économies intégrées à l’Inde

Le Bhutan et son potentiel hydroélectrique, qui en font le « château d’eau » de l’Asie du Sud, font l’objet de projets d’investissements directs indiens à l’horizon des prochaines années. Le tourisme devient une source secondaire de revenu importante, et une tentative de diversification se fait jour dans le domaine des hautes technologies à travers la construction d’un parc d’activités dédié.

Le Népal, dépendant des moussons pour son agriculture et des revenus de ses travailleurs à l’étranger, dégage une croissance potentielle plus faible que le Bhutan mais mène une politique macroéconomique prudente qui lui a évité des difficultés malgré les multiples chocs récents. Ses ressources hydroéléctriques sont encore pratiquement inexploitées.

Les Maldives vont demeurer une économie fragile à travers une forte dépendance vis-à-vis du tourisme et une situation budgétaire très dégradée, qui risquent de compliquer l’éxécution du train de réformes annoncées. En décembre 2009, le FMI a accordé une facilité de 93 millions de dollars pour faire face à la crise.

Enfin, les perspectives de l’économie afghane restent très en retrait à cause du conflit et de son sous- développement malgré l’aide internationale et un certain potentiel minier.

Vers une intégration commerciale accrue ?

Les chocs de 2008-2009, sans systématiquement affecter la dynamique de croissance, ont mis à mal les équilibres économiques et sociaux fragiles de l’Asie du Sud. La crise a notamment effacé une partie des progrès accomplis en termes de réduction de la pauvreté, qui reste de toute façon très élevée, surtout au Bangladesh. S’il on parle beaucoup de politiques économiques plus inclusives pour réduire les inégalités et la pauvreté, l’impératif de croissance reste lui aussi très fort. Alors que l’Asie du Sud est une région encore peu ouverte aux échanges mondiaux et dont les pays commercent peu entre eux, l’intégration des marchés contribuerait pourtant à mieux exploiter le potentiel économique régional.

Etat des lieux : malgré la SAARC, des échanges intra-zone faibles et asymétriquement développés

En 2009, les échanges (exportations et importations) de l’Asie du Sud représentaient 540 milliards de dollars (2% du commerce mondial), dont seulement 4,6% s’effectuaient entre pays membres de la SAARC. Par comparaison, les échanges intra-zone de l’ASEAN représentent 22% de son commerce extérieur, et celui de l’Union européenne 67%. Même en tenant compte d’un commerce informel ou non enregistré important (échappant aux douanes ou transitant par des pays tiers pour contourner les barrières tarifaires ou règlementaires) entre pays du sous-continent, le commerce intra-zone en Asie du Sud reste extrêmement modeste6.

* Les accords commerciaux et la structure des échanges au sein de l’Asie du Sud

L’idée d’une coopération régionale a été discutée pour la première fois en 1980 et s’est concrétisée en 1985. Cependant, parmi les domaines de coopération initialement identifiés, aucun ne concernait le commerce. La première expression de marché sud- asiatique n’a abouti que dix ans plus tard, en 1995, avec la signature du premier accord, le SAPTA (SAARC Preferential Trading Agreement), censée jeter les bases d’une future union économique (SAEU, South Asia Economic Union). Néanmoins, cet accord reposait sur la base étroite du commerce existant. Les concessions tarifaires étaient très restreintes et accompagnées de règles d’origine contraignantes. Par conséquent, les échanges intra-zone n’ont guère augmenté et les marchandises couvertes par l’accord n’ont pas pris d’importance particulière dans la composition des échanges.

Le deuxième accord régional, le SAFTA (South Asia Free Trade Agreement), qui a succédé au SAPTA en 2006, n’a pas davantage fait progresser l’intégration commerciale. Malgré des réductions tarifaires plus intéressantes, le texte de l’accord conservait une liste de produits sensibles et les investissements continuaient d’être exclus. Le SAFTA a cependant permis quelques avancées, en harmonisant les barrières non tarifaires et, pour les pays les moins avancés, en introduisant des règles de compensation des pertes de recettes fiscales liées à la baisse des droits de douane et des dispositifs d’aide au développement sous la forme d’assistance technique.

A côté de ces initiatives régionales, tous les pays de la SAARC, à l’exception du Pakistan pour raisons politiques, se sont efforcés dans les années 1980 et 1990 de bâtir des relations bilatérales avec l’Inde, sous la forme de simples arrangements commerciaux (Maldives, 1981; Bangladesh, 2006), d’accords commerciaux préférentiels (Afghanistan, 2003) ou de libre-échange (Népal, 1991 ; Bhutan, 1995 ; Sri Lanka, 1998). Le Pakistan a, de son côté, conclu des accords de libre-échange avec une majorité de pays de la SAARC hors Inde. Pour autant, le commerce entre l’Inde et le Pakistan n’est pas nul mais reste très sommaire7.

Il en résulte finalement un schéma des échanges en étoile autour de l’Inde, qui réalise 40% du commerce intra-zone. Les plus petits pays (Bhutan et Népal) en tirent les plus grands bénéfices, l’Inde étant leur premier client. Pour les autres, y compris le Pakistan, l’Inde exporte plus chez eux qu’elle importe, d’où un excédent avec la SAARC en faveur de l’Inde. La croissance du commerce entre l’Inde et sa périphérie a été particulièrement rapide entre 1990 et 2007 (année record), ses échanges passant de 700millions à 10,4milliards de dollars (8,8milliards en 2009). Les exportations indiennes vers ses voisins sont surtout composées de produits minéraux, végétaux, textiles et chimiques, et de métaux.

Hors Inde, les échanges intra-zone sont faibles entre pays. Les produits échangés sont issus de l’agriculture et des secteurs textile et sidérurgique. Le Pakistan, deuxième puissance commerciale de la région, ne réalise que 10% de ses exportations et moins de 1% de ses importations avec l’Afghanistan, le Bangladesh et Sri Lanka. Seul ce dernier a réussi à développer significativement son commerce avec la SAARC, et notamment avec l’Inde grâce au succès de son accord de libre-échange (ISFTA, India-Sri Lanka Free Trade Agreement, voir encadré).

* L’Asie du Sud davantage tournée vers les marchés développés et l’Asie de l’Est

Toutefois, les pays d’Asie du Sud pris individuellement exportent davantage vers les marchés américain et européen, qui sont leurs marchés traditionnels et qui leur garantissent un accès privilégié. En 2009, le Bangladesh y destinait 70% de ses exportations, le Sri Lanka 60%, le Pakistan 40% et le Népal 25%. Cependant, les exportations vers les marchés développés ralentissent au fur et à mesure qu’accélèrent celles vers l’Asie de l’Est. L’Asie du Sud a en effet toujours cherché à jeter des ponts vers l’Extrême-Orient, comme en témoigne le foisonnement des accords ou projets d’accords (APTA ou Asia-Pacific Trade Agreement, 1975, qui associe l’Inde, le Bangladesh et Sri Lanka à la Chine et la Corée du Sud ; BIMSTEC (Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral echnical Economic Cooperation, 2008, regroupant la SAARC hors Pakistan et Afghanistan et qui introduit des dispositions particulières sur les services et les investissements ; plus les nombreux accords bilatéraux entre l’Inde, l’Asie de l’Est, mais aussi le Japon et l’Océanie signés ou à venir). Cette évolution s’accompagne d’un changement de composition des exportations sud-asiatiques se traduisant par une part grandissante des produits industriels de base, et qui reflète bien la nature de la demande chinoise. Elle est aussi la conséquence de coûts de transports trop élevés empêchant l’Asie du Sud de produire des biens à plus forte valeur ajoutée, auxquels s’ajoutent d’autres problèmes de compétitivité spécifiques. Après l’Inde, dont les parts de marchés en Asie de l’Est s’élèvent déjà à plus de 20%, celles du Pakistan sont les plus importantes, passées à 14% en 2009 contre 10% quelques années plus tôt. Celles du Bangladesh et de Sri Lanka ne dépassent pas 5% mais ont progressé d’un ou deux points.

L’intégration, pourquoi faire ? Pauvreté, disparités de croissance, inégalités de revenus

En Asie du Sud, les différences entre pays en termes de population, de taille de l’économie et de revenu par habitant, on l’a vu, sont substantielles. Les disparités de revenu se retrouvent aussi à l’échelle nationale et sous-tendent l’idée d’une Asie du Sud duale : les régions avancées croissent et s’urbanisent rapidement et sont globalement intégrées. Les régions en retard sont rurales, dépendent d’activités à faible valeur ajoutée et sont peu intégrées aux marchés nationaux, régionaux et mondiaux. Les régions les moins avancées ont les taux de pauvreté les plus élevés. Il en résulte qu’en dépit d’une réduction visible des taux de pauvreté depuis les années 1970 grâce a une croissance plus soutenue, la pauvreté reste extrêmement concentrée dans les régions économiquement délaissées. En outre, les régions avancées sont celles situées dans des zones côtières dotées de ports ou à proximité de fleuves. Ces zones sont souvent les plus urbanisées et de fait bénéficient d’infrastructures relativement meilleures que le reste du territoire, ce qui renforce leur avance sur des zones enclavées et rurales. Aux disparités de croissance s’ajoutent des inégalités de revenus qui s’accroissent, mais moins fortement qu’en Asie de l’Est. Ces inégalités se creusent généralement au cours des phases de transition de l’agriculture vers l’industrie manufacturière, même si dans certains cas les transferts des expatriés peuvent compenser partiellement les écarts entre régions.

– Atouts contre handicaps
* Densité et répartition de population

L’exemple de l’Asie de l’Est montre que lorsqu’elle est tirée par l’investissement et l’amélioration de la productivité, la croissance est généralement plus rapide. L’Asie du Sud hors Inde a suivi la même voie avec un succès mitigé malgré des atouts considérables que peuvent constituer la densité de sa population et la répartition de celle-ci. La densité de population est en effet la plus élevée au monde : sur l’équivalent de 3% de la surface de la terre, le sous-continent rassemble 20% de la population mondiale. De plus, une part significative de la population vit dans les régions frontalières, un trait partagé avec les pays de l’Union européenne, et qui favorise en principe les échanges.

Les régions les moins avancées d’Asie du Sud sont soit enclavées (Afghanistan, Népal) soit bordent un des trois plus grands pays de la région, l’Inde, le Pakistan ou le Bangladesh. Ainsi, l’Afghanistan et le Népal ont le PIB par habitant le plus bas du sous-continent ; sur les quatorze Etats indiens ayant des frontières avec un pays voisin, douze ont un PIB par habitant égal ou inférieur à la moyenne nationale ; au Pakistan, le revenu moyen dans les provinces frontières et dans le Sindh rural (loin du port de Karachi) est plus bas que la moyenne nationale ; au Bangladesh, le revenu moyen est le plus faible aux zones frontalières.

Ces régions répertoriées pauvres et sous-développées ne l’ont pas toujours été. L’Afghanistan et le Népal étaient des régions prospères aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, lorsqu’ils commerçaient avec leurs voisins d’Asie centrale, le Moyen-Orient, le reste du sous-continent indien et la Chine. Au fil des années, les conflits et la fermeture des frontières ont supprimé cette source de croissance. Le meilleur exemple est celui des sept Etats indiens du Nord-Est. La partition du sous-continent indien entre l’Inde et le Pakistan occidental et oriental (futur Bangladesh) a mis à terre l’économie de ces Etats en leur coupant l’accès à la mer et en augmentant fortement les distances avec le reste de l’Inde. La vallée du Cachemire était aussi une région touristique très calme jusqu’au conflit indo-pakistanais.

L’intégration effective des marchés apporterait une croissance plus forte et plus homogène entre pays, entre régions dynamiques et régions en retard. Outre les guerres, la déficience des infrastructures est l’autre raison majeure ayant enfreint la réalisation de cette intégration. Les coûts de transport élevés, la mauvaise connectivité, la faible mobilité des facteurs et les restrictions règlementaires ont empêché la fluidité du marché et les économies d’échelle pour les entreprises (qui sont dans leur immense majorité de petite taille).

* Coûts salariaux

L’autre avantage déterminant de l’Asie du Sud est de disposer d’une population extrêmement jeune qui augmentera la population active de plusieurs millions d’individus dans les prochaines années. La taille restreinte des secteurs manufacturiers a, jusqu’à présent, empêché la région de convertir ce « dividende démographique » en opportunité, mais cette main- d’œuvre nombreuse et potentiellement productive peut devenir un facteur d’attractivité pour les centres de production mondiaux et régionaux (le textile en est le meilleur exemple), alors que les entreprises mondialisées doivent sans cesse ajuster leurs coûts de production. L’expansion du commerce intra-zone contribuerait aussi à mieux intégrer l’Asie du Sud au reste de l’Asie, via l’Inde qui joue déjà un rôle de pivot.

Alors que l’Asie de l’Est fait monter en gamme sa production industrielle et ses exportations, les industries intensives en main-d’œuvre seront plus facilement délocalisables vers le sous-continent si les marchandises peuvent s’échanger et circuler dans de bonnes conditions et à moindre coût8.

La croissance moyenne s’élève lentement à la périphérie du sous-continent, mais les obstacles structurels et politiques à un processus de développement soutenable restent extrêmement contraignants. En outre, les déséquilibres économiques se sont parfois fortement détériorés à la suite des chocs exogènes récents. Alors que les pays restent peu ouverts les uns aux autres et vis-à-vis du reste du monde, l’intégration des marchés au niveau subrégional et avec le reste de l’Asie semble fournir un cadre dans lequel le potentiel de croissance pourrait mieux se réaliser, en exploitant la forte densité de population, surtout aux frontières, et le gisement de main-d’œuvre.

Si ces économies périphériques ont vocation à se rapprocher entre elles pour mieux s’amarrer à la locomotive commerciale indochinoise, elles deviennent aussi un des terrains de la compétition silencieuse entre les deux superpuissances. Foyer d’instabilité politique et écologique majeur, l’Asie du Sud se situe aussi sur le tracé des oléoducs transrégionaux reliant l’Asie centrale à l’Asie de l’Est et sur les routes maritimes du pétrole entre le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est.

La Chine partage des frontières stratégiques avec le sous-continent (avec le Népal, proche du Tibet, avec l’Inde et le Pakistan dans le Cachemire) et convoite l’accès aux façades maritimes du Pakistan et de Sri Lanka. Sa présence ancienne s’est exercée à travers une promotion culturelle réciproque avec chaque pays, mais son influence économique a grandi au cours de la décennie passée, surtout via le financement et la construction d’infras- tructures (ports, centrales nucléaires) dans les principaux pays, au Pakistan, à Sri Lanka et au Bangladesh. L’Inde, en revanche, a suscité plus de méfiance, nourrie par le conflit avec le Pakistan, mais elle renouvelle son intérêt pour la coopération régionale via la relance du SAFTA, appuyée par le Bangladesh. Ces dernières années, elle a aussi considérablement accru ses investissements directs, notamment au Bangladesh et à Sri Lanka.

En termes d’intégration intra-zone toutefois, peu de progrès semblent pouvoir s’accomplir sans une amélioration des relations indopakistanaises, qui ont déjà lourdement entravé les ambitions commerciales de la région. Avec l’aide de la diplomatie américaine et la médiation du Bangladesh, les deux pays ont repris le dialogue à la suite des attentats de Mumbai de novembre 2008, et le Pakistan a notamment accepté la création d’un corridor de transit entre l’Inde et l’Afghanistan. D’autres problèmes cruciaux tels que la crise énergétique ou la question de l’eau mériteraient aussi d’être abordés en commun.

Le politique continue donc de dominer l’économique dans le sous-continent indien. Les chances de paix durable restent fragiles et avec elles les perspectives d’une véritable émergence.

NOTES

  1. L’ouverture unilatérale des marchés d’Asie du Sud débute à partir de la fin des années 1970 pour Sri Lanka, pendant les années 1980 pour le reste de la zone et en 1991 pour l’Inde, qui conserve toutefois encore une position assez protectionniste.
  2. Fin du régime des quotas textiles en janvier 2005. Ce régime fixait les parts de marché des petits pays exportateurs sur les marchés américain et européen. Son abolition a donné l’avantage aux pays les plus compétitifs d’Asie du Sud, qui ont aussi bénéficié des clauses de sauvegarde sur les exportations chinoises vers les marchés développés expirées en janvier 2009.
  3. Intégration économique du Népal et du Bhutan à l’Inde : accès non restreint aux marchés indiens du travail, des biens, et des capitaux ; roupie népalaise et ngultrum bhutanais ancrés à la roupie indienne.
  4. La guerre civile contre les Maoïstes au Népal s’est conclue en 2006 par un accord de paix mais l’instabilité sociopolitique persiste. En Inde, les Maoïstes (ou Naxalites) sont majoritairement actifs dans les Etats du nord-est et certains Etats de l’est (actions terroristes contre les multinationales dans le secteur minier, attentats contre les forces de l’ordre).
  5. Notamment, accélération de l’exode rural et émancipation des paysans pauvres sur les propriétaires terriens dans un système quasi féodal.
  6. D’après la Banque mondiale, les flux informels augmenteraient d’environ 30% la valeur du commerce intra-zone, quadruplant notamment les flux officiels entre l’Inde et le Pakistan.
  7. Le Pakistan exporte pour 300 millions de dollars vers l’Inde dont il importe pour moins de 2 milliards de dollars.
  8. Dans le textile, par exemple, les petits pays exportateurs tirent parti de la montée en gamme des exportations est-asiatiques. Toutefois, cela occasionne des besoins importants en importations de machines-outils et en infrastructures de transport pour répondre à la demande extérieure. La BAD souligne que le développement du commerce intra-zone en Asie du Sud et les échanges au sein de l’APTA mutualiseraient les coûts et réduiraient les délais et la dépendance aux marchés développés.

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