USA et Chine, les ennemis préférés

par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM

Le mandat de Donald Trump a été marqué par sa bataille avec la Chine. L’Empire du milieu bouscule l’Amérique, sur le plan économique, technologique et politique. Ces tensions ne sont pas récentes mais se sont accentuées avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Le prochain président, qu’il soit républicain ou démocrate, ne remettra pas en question ce meilleur ennemi. Les Etats-Unis sont bousculés et, tous, réagissent de façon cohérente mais pas toujours efficace pour maintenir la prééminence américaine.

Le résultat de l’élection présidentielle américaine est encore très incertain. Les pronostics sont difficiles à faire et il serait hasardeux de s’y engager. En revanche, ce que l’on sait, c’est que les tensions avec la Chine vont rester quel que soit le vainqueur. Depuis presque 20 ans, la Chine est le partenaire privilégié et l’ennemi préféré de l’Amérique. Partenaires: de nombreuses entreprises américaines y ont développé une activité rentable pour les américains et les chinois. Ennemis car si la Chine était considérée comme un industriel de second rang, juste capable de faire de la copie de produits occidentaux, ce n’est plus le cas. Désormais, la Chine est un rival des Etats-Unis dans de nombreux secteurs qui façonnent l’avenir du secteur industriel. L’Empire du milieu devient ainsi un rival de l’économie américaine sur la capacité à innover et sur la possibilité de mettre en route des industries très diverses. La Chine est le concurrent de l’Amérique et les réactions récentes de Donald Trump vis à vis des entreprises chinoises vont dans ce sens.

La dépendance américaine

La relation économique entre les deux pays est cependant très déséquilibrée. Le graphique donne une photographie des échanges commerciaux entre les deux pays. Depuis le début des années 2000 et l’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les importations chinoises aux USA ont progressé très vivement. Dans le même temps, les exportations américaines vers la Chine ont augmenté mais à un rythme nettement moindre. De la sorte, le solde, en 2019, était déficitaire de 345 milliards de dollars pour les Etats-Unis. C’est un chiffre très important qui montre la dépendance des américains aux produits chinois. De nombreuses entreprises américaines produisent en Chine dans des conditions plus favorables qu’aux USA puis elles réexportent une partie de leur production. Il n’empêche que cela passe par la Chine et c’est parce que cela fonctionne de la sorte que l’Amérique est devenue dépendante.

Un des objectifs de Donald Trump à son arrivée à la Maison Blanche était de rapatrier aux USA une partie des emplois associés à cette production. Quand on voit l’allure des échanges avec la Chine, cette stratégie est clairement un échec, la dépendance est restée.

Une histoire complexe

Deux points importants dans l’histoire entre les USA et la Chine. Le premier est durant la première décennie des années 2000 lorsque les américains accusaient les chinois de dumping avec une monnaie sous-évaluée. Les discussions et les tensions étaient fortes mais les chinois, forts de la leçon des japonais, ne voulaient pas laisser leur monnaie s’apprécier trop vite. Les japonais en acceptant la réévaluation du yen avaient été pénalisés sur leur compétitivité. Cela a marqué aussi la dimension politique autant qu’économique des relations entre les deux pays.

L’autre point marquant est la lecture de la globalisation comme une source de fragilité de la classe moyenne américaine. Depuis la fin des années 1980, les chinois se sont enrichis alors que les classes moyennes US ont vu leurs revenus progresser plus lentement. Le transfert d’activité vers la Chine et d’autres pays émergents a été un facteur majeur de cette distorsion. Cet effet de la globalisation est probablement un facteur politique important pour comprendre les évolutions des états manufacturiers qui, au nord des Etats-Unis, ont basculé du côté républicain.

Un accord commercial pour réduire le déséquilibre

Après la mise en place de barrières douanières, la Maison Blanche s’est aperçue qu’une telle stratégie était un échec. Les consommateurs américains payaient leurs produits plus chers sans que cela ne pénalise les exportations chinoises. L’étape suivante a été la mise d’un accord commercial, le 14 février 2020 par lequel la Chine s’engageait à acheter davantage de produits américains en 2020 et 2021 (200 milliards par rapport au niveau de 2017). Selon le Peterson Institute for International Economics (PIIE) cet accord, à la fin du mois de septembre n’est pas très efficace. En retraçant ce que devrait être les achats chinois aux USA, on observe que l’accord ne fonctionne pas. Les achats chinois représentent un peu plus de 50% de ce qu’ils auraient dû être à la fin septembre en suivant le protocole. Les chinois ont changé de stratégie de développement privilégiant le marché intérieur.

Quid de l’innovation ?

La Maison Blanche veut bannir, aux USA, les sociétés technologiques chinoises qui sur certains domaines sont en avance sur les américains (5G; IA). C’est un choix peu judicieux. Les entreprises chinoises soutenues par un investissement public très fort et un marché toujours en forte croissance ont toutes les chances de définir la référence standard de ces technologies, celle qui s’imposera à l’échelle internationale. Le choix américain de se concentrer sur sa technologie un peu en retard (5G par exemple) risque, à terme, de les marginaliser et finalement de les rendre dépendantes de la technologie chinoise.