Vieillissement de la population : risque inflationniste ou déflationniste ?

par Marie-Hélène Duprat, Economiste chez Société Générale

Le monde est confronté à un phénomène inédit de vieillissement de la population, fruit d’un double mouvement de baisse de la fécondité et d’allongement de l’espérance de vie. Ce phénomène touche tous les pays, bien qu’avec une ampleur variable. Le Japon est aux avant-postes de la transition démographique, mais le reste du monde avancé lui emboîte désormais le pas.

La démographie dans le monde développé est à un tournant. D’après l’ONU, la population en âge de travailler des économies avancées a vraisemblablement atteint un pic et devrait reculer de plus de 5 % dans les cinq prochaines décennies. En Chine, elle devrait s’effondrer d’un tiers d’ici 2065. Parallèlement, dans ces pays, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus va grimper en flèche.

Cette étude a pour objet d’examiner les effets du vieillissement de la population sur la dynamique des prix. Jusqu’ici, peu de travaux théoriques ou empiriques ont été consacrés à ce sujet, et les rares recherches existantes ne sont pas concluantes. Des études récentes suggèrent que les pays où la population vieillit rapidement pourraient être confrontés à des tensions inflationnistes croissantes, ce qui va à l’encontre de l’opinion générale, qui veut que le vieillissement de la population soit par nature déflationniste.

Au cours des deux dernières décennies, le Japon a connu la phase d’évolution démographique qui attend la majorité des économies développées dans les cinquante prochaines années, et le pays s’est enlisé dans la déflation. Aujourd’hui, de nombreux pays vieillissants sont aux prises avec une inflation faible, voire négative. S’il est possible que le vieillissement de la population entraîne des pressions inflationnistes à l’avenir, l’expérience nippone tend néanmoins à suggérer que le contraire reste plus probable.

Sept ans après la crise financière internationale, la croissance des économies avancées ne cesse de décevoir et l’inflation reste obstinément inférieure à l’objectif des banques centrales. Les économistes ont avancé toute une palette d’explications à cette fragilité macroéconomique : endettement excessif, dégradation progressive du potentiel de croissance ou encore réduction graduelle de la marge de manœuvre en matière de politique économique, tant sur le plan budgétaire que monétaire. Mais les observateurs sont de plus en plus nombreux à pointer le rôle potentiel des tendances démographiques dans cette contre- performance économique. Récemment, un certain nombre de banquiers centraux et de chercheurs ont émis l’hypothèse d’un lien entre faiblesse de l’inflation et vieillissement de la population.

Le Japon, dont la population diminue et vieillit plus vite que dans aucun autre pays du monde (voir encadré 1), est à l’avant-garde de la transition démographique, et ce pays s’est enlisé dans une déflation durable. Il est plus que probable que le déclin et le vieillissement de la population ont joué un rôle non négligeable dans la stagnation économique et la déflation dont souffre l’archipel depuis des décennies. Aujourd’hui, plusieurs pays européens emboîtent le pas du Japon, ayant accusé des baisses de leur taux de fécondité plus précoces et plus marquées que d’autres économies développées telles que les États-Unis. Cela a conduit un certain nombre d’observateurs à penser que, sauf augmentation significative de l’immigration, ces pays risquent un destin à la japonaise.

Si les économistes s’accordent généralement sur le fait que le vieillissement de la population engendre des coûts budgétaires et limite le potentiel de croissance1, rares sont les travaux théoriques ou empiriques portant sur le lien qui pourrait exister entre vieillissement et inflation. L’impact du vieillissement sur la dynamique des prix est ambigu sur le plan théorique en raison de la mise en œuvre de plusieurs mécanismes aux effets contradictoires.

Nous commencerons cette étude par une description rapide des grandes caractéristiques de la transition démographique que connaît actuellement le monde. Ensuite, nous examinerons les principaux mécanismes théoriques par le biais desquels la démographie est susceptible d’affecter l’inflation. Nous montrerons que le vieillissement de la population peut influencer la dynamique des prix au travers d’un large éventail de variables macroéconomiques clés. Au final, nous conclurons que la théorie ne permet pas de prouver de façon définitive comment l’évolution démographique peut peser sur l’évolution de l’inflation.

Quel impact – le cas échéant – le vieillissement sans précédent que connaît la population mondiale peut-il avoir sur l’inflation ? Nul doute que cette question a vocation à devenir un sujet brûlant d’actualité et un enjeu majeur de politique à moyen et long terme, tant les implications du vieillissement sont potentiellement importantes pour les États, les banques centrales et le secteur de la banque au sens large2.

Le vieillissement rapide de la population…

– La transition démographique

Le terme « transition démographique » désigne le processus de modernisation des sociétés, qui passent d’un régime pré-moderne caractérisé par des taux de natalité et de mortalité élevés à un régime post-moderne, où ces deux variables sont basses3. Avant le début de la transition, la population croît lentement en raison de l’importance de la natalité et de la mortalité. La transition débute lorsque le taux de mortalité commence à baisser (principalement en raison d’une augmentation du taux de survie des nourrissons et des enfants), entraînant une accélération de la croissance de la population. La part des jeunes (enfants et adultes) dans la population s’inscrit alors en hausse : c’est la génération du « boom ». Bien sûr, ce « surcroît » de jeunes lié au recul de la mortalité lors de la première phase de la transition démographique, n’est que temporaire, puisque cette génération avance progressivement dans la pyramide des âges.

Dans un second temps, à un stade intermédiaire de la transition, le taux de fécondité amorce un repli (en partie en raison des progrès éducatifs et d’un recours accru à la contraception), faisant reculer le nombre d’enfants et augmenter la proportion de personnes en âge de travailler (en règle générale, la tranche des 15- 64 ans). La population en âge de travailler produisant le plus gros de l’activité économique, le revenu par habitant progresse alors plus rapidement, générant ce que les économistes appellent souvent l’« embellie démographique» («sweet spot») ou le «dividende démographique ». Mais la génération du boom finit par vieillir. Conjuguée à la baisse de la fécondité et à l’allongement de l’espérance de vie, cette « vague de vieillissement » limite l’augmentation du nombre de personnes en âge de travailler et dope celle du nombre de personnes âgées : le dividende démographique disparaît, pour finalement s’inverser.

Pendant la dernière phase de la transition démographique, la faiblesse des taux de mortalité et de fécondité se traduit par une progression de la proportion de personnes âgées (le phénomène dit du « vieillissement de la population »), ce qui entraîne une accentuation de la dépendance et accroît la pression sur les systèmes de soutien aux familles et les programmes de transferts publics (retraite et maladie).

Aujourd’hui, un vieillissement inédit de la population est à l’œuvre dans la majeure partie des pays développés. L’embellie démographique que le monde avancé a connue depuis les années 1970, époque où la grande cohorte du baby-boom d’après-guerre (née entre 1946 et 1964) est entrée sur le marché du travail, touche désormais à sa fin. Associé aux conséquences de la baisse passée du taux de natalité, le départ en retraite de la vague des baby-boomers entraîne une inversion du ratio population en âge de travailler/personnes âgées, alors que le nombre des plus de 65 ans dans les économies avancées progresse à un rythme inédit.

– Ralentissement de la croissance de la population

Jusqu’au début du XX siècle, la croissance de la population mondiale était lente4. Elle a ensuite accéléré pour atteindre un pic à2% par an au milieu des années 1960 en raison de la baisse inédite des taux de mortalité5. L’augmentation de l’espérance de vie a débuté dans les pays avancés, puis s’est propagée aux zones moins favorisées. Elle est le fruit de multiples facteurs tels que l’amélioration du niveau de vie, une meilleure nutrition, les progrès de la technologie médicale, l’augmentation du niveau de formation et, surtout, dans les pays à faible revenu, les progrès réalisés en matière d’assainissement, de traitement de l’eau et de prévention-traitement des maladies infectieuses (sida, malaria, polio, etc.).

Le taux de croissance de la population mondiale a commencé à décliner à partir des années1960 (passant d’un point haut à 2,1 % par an entre 1965 et1970 à1,1% à l’heure actuelle) en raison d’une chute inédite de la fécondité dans presque toutes les régions du monde7. Entre la fin des années 1960 et le début des années1970, la majorité des pays industrialisés a connu une forte baisse du taux de fécondité liée à de nombreux facteurs tels que, entre autres, la disponibilité de la contraception, l’évolution des mentalités vis-à-vis du statut des femmes ou l’augmentation du nombre d’opportunités professionnelles pour ces dernières.

Au Japon, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans tous les pays européens, le taux de fécondité est désormais inférieur à celui qui est nécessaire pour renouveler la population dans la durée (2,1 enfants par femme en moyenne)8.

D’après les projections de l’ONU, la croissance de la population mondiale devrait tomber à 1 % en 2020 (son taux le plus bas depuis les années1950) et à seulement 0,25 % d’ici 2080 (un chiffre proche de ceux des XVIIe et XVIIIe siècles). Bien sûr, ces évolutions globales masquent des disparités importantes entre les pays et les régions, notamment entre monde développé et zones moins avancées. Ainsi, l’Afrique (région qui affiche la plus forte croissance), le Moyen-Orient et certains pays asiatiques continuent d’afficher des taux solides, conséquence de leurs taux plus élevés de la fécondité, tandis qu’en Europe, la population ne progresse quasiment plus et qu’au Japon, elle se contracte.

Aux États-Unis, la croissance de la population reste robuste par rapport aux autres économies avancées, en grande partie grâce aux immigrants récents, qui ont tendance à avoir plus d’enfants que les familles qui vivent depuis plusieurs générations sur le sol américain. Pourtant, dans les prochaines décennies, le taux de croissance américain devrait atteindre tout juste un tiers du 1 % annuel qu’a connu le pays de 2000 à 2013.

Entre 2020 et 2045, la population des vingt-sept pays de l’Union européenne devrait reculer de 0,2 % par an, avec une contraction particulièrement marquée en Italie et en Allemagne. Et, d’ici 2050, la population japonaise devrait, elle, avoir décliné de plus de 15 %. La population de la zone OCDE dans son ensemble devrait commencer à baisser autour de 2050.

En théorie, l’immigration pourrait ralentir le tassement de la croissance démographique dans le monde développé. Compte tenu de la relative jeunesse des migrants et de leur taux de fécondité plus élevé, elle pourrait avoir un effet fort et durable sur la croissance et la composition de la population. La réalité cependant, c’est que les politiques d’immigration dans les pays développés sont souvent restrictives, ces pays craignant notamment que de larges mouvements de population donnent lieu à des tensions sociales. À l’heure actuelle, seulement 3,3 % de la population mondiale vit dans un pays différent de son pays de naissance9. Pour maintenir la taille de leur population totale constante, le Japon et l’Europe devraient augmenter leur niveau d’immigration plusieurs fois par rapport aux niveaux actuels, ce qui semble difficilement réalisable. L’immigration nette vers les pays développés ayant probablement vocation à rester limitée par rapport à la population totale10 et le taux de fertilité du monde avancé ayant peu de chance de rebondir dans un avenir prévisible, la tendance actuelle de déclin démographique de ces pays semble irréversible.

– Vieillissement rapide de la population

Mais le ralentissement ou le déclin démographique n’est pas la seule conséquence de la baisse des taux de mortalité et de fécondité. Des évolutions interviennent également au niveau de la pyramide des âges, avec l’augmentation de la proportion des personnes âgées et le recul de la proportion d’enfants. Dans toutes les régions du monde, la proportion d’adolescents et de jeunes adultes décroît; dans certains pays, le nombre absolu de 15-24 ans recule. Dans le même temps, à l’échelle mondiale, la proportion de personnes âgées de 60ans et plus augmente à un rythme annuel de 3,26 %.

Les plus de 60 ans sont ainsi passés de 8 % de la population mondiale en 1950 à 12 % à l’heure actuelle ; ce chiffre devrait atteindre 22% en 2050 et 28% en 2100. D’ici 2050, toutes les grandes régions du monde, exception faite de l’Afrique, compteront au moins un quart de personnes âgées de 60 ans et plus. Et la proportion de personnes âgées de 80 ans et plus, qui atteint 1,7 % de la population mondiale aujourd’hui, devrait s’élever à 4,5 % d’ici 2050 et 8,4 % d’ici 2100. Non seulement la population mondiale vieillit, mais la population âgée vieillit aussi. Mais une fois encore, les disparités sont importantes en fonction des pays et régions.

Dans le monde développé, le nombre de personnes âgées (65 ans et plus) et très âgées (80 ans et plus)11 augmente aujourd’hui beaucoup plus vite que le nombre de jeunes. Le Japon, les pays d’Europe occidentale et les États-Unis sont les pays qui vieillissent le plus rapidement. À l’heure actuelle, c’est au Japon et en Europe que la proportion de personnes âgées de 60ans et plus est la plus importante (33 % et 24 % respectivement). D’ici 2030, le Japon aura vieilli de cinq ans : l’âge médian s’établira, selon les projections, à 51,5 ans contre 46,5 ans aujourd’hui. En Allemagne, qui arrive juste après le Japon au niveau mondial, l’âge médian passera de 46,2 ans aujourd’hui à 48,6 ans en 2030. Plusieurs autres pays européens, ainsi que de grands pays émergents (notamment la Chine), subiront un destin similaire12. Dans les cinquante prochaines années, la Chine connaîtra des bouleversements majeurs, fruits de la politique de l’enfant unique : le nombre de Chinois âgés de 65 ans et plus devrait tripler, passant de 131 millions à environ 406 millions.

– Baisse de la population en âge de travailler

Conjugué à la baisse du taux de fécondité, le vieillissement de la population a des répercussions profondes sur la croissance de la population en âge de travailler. D’ici 2030, tous les pays, exception faite de certains pays d’Afrique subsaharienne, seront confrontés à une moindre croissance, voire à un déclin, de la population en âge de travailler13. Cette population qui s’est contractée au cours des quinze dernières années au Japon et en Allemagne devrait continuer de s’inscrire en baisse dans ces deux pays dans les quinze prochaines années. En France, la population en âge de travailler a progressé durant les quinze dernières années, mais elle devrait rester plus ou moins stable dans les quinze années à venir. Le Royaume-Uni et les États-Unis continueront de bénéficier d’une démographie plus favorable, car leur population en âge de travailler devrait continuer de progresser entre 2015 et 2030, bien qu’à un rythme nettement plus faible que par le passé. En Chine, le taux de croissance de la population en âge de travailler a ralenti depuis la fin des années 1980 et est passé en territoire négatif en 2015. D’ici 2065, le nombre de Chinois en âge de travailler devrait s’effondrer d’un tiers.

La démographie dans les pays avancés est aujourd’hui à un tournant décisif. D’après l’ONU, la population en âge de travailler des économies avancées a vraisemblablement atteint un pic et devrait baisser de plus de 5 % sur les cinquante prochaines années, tandis que la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus devrait progresser de 80 %. D’ici 2050, les projections donnent une population en âge de travailler en baisse de 28 % au Japon, de 23 % en Allemagne et en Italie, et de 21 % en Chine. Aux États-Unis, elle devrait progresser de 10 %, mais elle ne représentera plus alors que 60 % de la population totale, contre 66 % aujourd’hui.

– Hausse du taux de dépendance des personnes âgées

La baisse du nombre de personnes en âge de travailler, conjuguée à la forte progression de la part des personnes âgées, entraîne une dégradation marquée du taux de dépendance des personnes âgées (c’est-à- dire le rapport entre personnes âgées et personnes en âge de travailler)14. En2014, le Japon comptait 42 personnes âgées de 65 ans et plus pour 100 adultes de 25 à 64 ans. Selon l’ONU, ce chiffre atteindra 69 d’ici 2035. À cette date, il ressortira à 66 pour 100 en Allemagne (contre 32 en 2014) et à 44 en Amérique (contre22). En Chine, le taux de dépendance des personnes âgées triplera, passant de 12 en 2014 à 36 en 2035.

D’ici 2050, de nombreux pays avancés compteront moins de deux adultes en âge de travailler par personne âgée de 65 ans et plus, ce qui représentera, si les flux sociaux intergénérationnels à destination des seniors devaient être maintenus, une pression considérable sur les actifs. Il convient toutefois de noter que les chiffres actuels de la dépendance, qui supposent que personne ne travaillera après 65 ans dans les prochaines décennies, surestiment vraisemblablement la charge financière future, car il est fortement probable que, tant les comportements individuels que les politiques publiques s’adapteront à l’évolution démographique. En effet, les travailleurs âgés jouissant généralement d’une meilleure santé que les générations précédentes voudront probablement retarder leur départ en retraite afin de s’assurer un niveau de vie adéquat une fois à la retraite, tandis que les pouvoirs publics devront vraisemblablement allonger la durée de vie active en raison du surcoût budgétaire lié au vieillissement de la population.

… qui aura un impact sur la dynamique des prix

La sagesse conventionnelle en macroéconomie veut que la démographie n’affecte pas l’inflation, car l’inflation est toujours un phénomène monétaire qui peut être régulé par la politique monétaire. Pourtant, la maîtrise de l’inflation n’a généralement pas été chose aisée, notamment dans le sillage de la crise financière de 2008. Depuis l’éclatement de la crise financière en effet, la majeure partie des économies avancées se sont trouvées confrontées à des taux d’inflation bien inférieurs aux attentes en dépit de politiques monétaires ultra-accommodantes. Cela pourrait suggérer que d’autres forces que les actions des banques centrales affectent l’inflation. Jusqu’à récemment, il y a eu peu de recherches menées sur l’impact de l’évolution démographique sur l’inflation, la majorité des travaux se concentrant sur les conséquences du vieillissement démographique sur la croissance économique ou la « soutenabilité » budgétaire15. Mais un nombre grandissant d’études s’intéressent désormais au lien entre prix et vieillissement. Aucun consensus n’émerge cependant entre les économistes sur la question de savoir si le vieillissement de la population est, par essence, inflationniste ou déflationniste.

La raison en est que le déclin et le vieillissement démographique peuvent influencer la dynamique des prix via une multiplicité de canaux, aussi bien du côté de l’offre que de la demande, certains canaux de transmission pouvant s’avérer inflationnistes, d’autres déflationnistes et d’autres encore pouvant avoir un effet ambigu, de sorte que l’impact net sur les prix n’est en aucun cas simple et direct. Un changement séculaire de la démographie induit une trajectoire complète de transition qui altère d’une manière qui n’a a priori rien d’évident, les comportements d’épargne et d’investissement, les habitudes de consommation, la taille de la main-d’œuvre (et, partant, le potentiel de croissance de l’emploi et de l’activité), l’évolution du taux de productivité, le rendement des facteurs de production (capitaux et terres, notamment) ainsi que d’autres variables macroéconomiques clés. En outre, l’importance de ces différents effets dépend, elle- même, de nombreux facteurstels que les vitesses relatives d’ajustement de l’offre et de la demande globales, les caractéristiques du marché du travail, et l’ampleur des réactions comportementales et réponses apportées par les États. Au stade actuel des connaissances, la question de savoir si le vieillissement de la population a un impact déflationniste ou inflationniste est largement indéterminée. Le sujet, à l’évidence, mériterait d’être étudié plus avant.

– Pour certaines, le vieillissement démographique va créer un environnement inflationniste dans les années à venir

* Hausse du ratio de la dépendance (dépendants/actifs)

Dans un article récent pour la Banque des règlements internationaux (BRI), Juselius et Takats soutiennent que la forte progression du taux de dépendance devrait se traduire par une accélération des taux d’inflation, dans un avenir prévisible16. S’appuyant sur un échantillon de vingt-deux pays avancés entre 1955 et 2010, les auteurs dégagent une corrélation statistiquement solide entre pyramide des âges et inflation : plus la proportion de personnes dépendantes (jeunes ou âgées) est élevée, plus l’inflation augmente, alors que faiblesse de l’inflation et proportion importante de personnes en âge de travailler coïncident régulièrement17. Selon Juselius et Takats, la démographie explique environ un tiers de la variation de l’inflation et la majeure partie du ralentissement des prix entre la fin des années 1970 et le début des années 1990.

Leur explication est simple : les besoins et contributions économiques des personnes varient au fur et à mesure de leur vie et, en règle générale, le ratio consommation/production est élevé chez les jeunes et les personnes âgées, et bas chez les adultes en âge de travailler. Enfants et personnes âgées consommant plus de biens et services qu’ils n’en produisent, l’augmentation de leur proportion doit engendrer un surcroît de demande, donc une tendance à l’inflation. Inversement, les actifs tendent à consommer moins qu’ils ne produisent, à la fois par leur travail et leur épargne (laquelle favorise l’accumulation de capital). Ainsi, s’ils sont plus nombreux, l’offre de biens et de services surpasse la demande, avec à la clé un excédent d’offre, donc une trajectoire déflationniste. En conséquence, ces deux auteurs estiment que la progression des taux de dépendance des personnes âgées devrait générer des tensions inflationnistes substantielles dans les prochaines décennies.

* Baisse de la croissance de la main-d’œuvre

Toutes choses égales par ailleurs, le vieillissement de la population doit faire baisser l’offre de main-d’œuvre18 donc, renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs et, partant, favoriser une hausse des salaires relativement à la rémunération des autres facteurs de production (capital et terres). C’est le mécanisme que soulignent Goodhart, Pradhan et Pardeshi (2015)19. Goodhart et al. arguent avec force que le « dividende démographique » (lorsque la population en âge de travailler représente une part importante de la population totale) qui a caractérisé l’économie mondiale au cours des quarante dernières années, et dont les bénéfices ont été renforcés par l’entrée de la Chine et de l’ancien bloc soviétique dans le commerce mondial, est en train de s’inverser, sonnant le glas de plusieurs décennies de travail bon marché et de pressions baissières sur l’inflation.

Au cours des quarante dernières années, la mondialisation s’est traduite par une offre inhabituellement élevée de main-d’œuvre, entraînant un effondrement du pouvoir de négociation des travailleurs dans les pays développés et, donc, une baisse des salaires, d’où des pressions désinflationnistes marquées. Mais, affirment Goodhart et al., cet excédent d’offre de main-d’œuvre est en train de se résorber, pour deux raisons : la proportion des personnes en âge de travailler commence à se contracter du fait des évolutions démographiques ; l’entrée de la Chine dans l’économie mondiale a été un choc d’offre ponctuel qui ne se reproduira pas. Le choc positif des dernières décennies étant en train de se transformer en choc négatif, arguent ces auteurs, le pouvoir de négociation de la main-d’œuvre ne peut désormais qu’augmenter, avec à la clé une revalorisation des salaires réels, qui fera cesser puis s’inverser les tendances désinflationnistes de ces trente dernières années.

Le pronostic de Goodhart et al. pourrait bien sûr s’avérer correct, mais il va à l’encontre de la réalité que connaît le Japon depuis plusieurs années, à savoir une baisse des prix malgré un vieillissement rapide de sa population et une contraction de sa main-d’œuvre. Pour Goodhart et al., l’absence d’inflation au Japon s’explique par des circonstances très particulières.

Lorsque le déclin démographique nippon a commencé au début des années 1970, expliquent-ils, les pays voisins du Japon bénéficiaient alors à plein de leur dividende démographique, avec une main-d’œuvre en forte expansion. Cette abondance de l’offre étrangère de main-d’œuvre a, selon ces auteurs, incité les entreprises nippones à délocaliser leur production, empêchant toute hausse des salaires locaux. Mais aujourd’hui, affirment-ils, les choses sont bien différentes,car la plupart des pays du monde connaissent un ralentissement de la croissance de leur main-d’œuvre. Aussi la main d’œuvre va-t-elle se raréfier au niveau mondial, ce qui fera inéluctablement monter les enchères salariales, gonflant les coûts de production dans le monde développé et alimentant l’inflation.

Que va-t-il advenir du pouvoir de négociation des travailleurs dans les années à venir ? Cette question revêt à l’évidence une importance décisive pour la dynamique future des prix. Quelques éléments cependant méritent d’être rappelés. Tout d’abord, il existe vraisemblablement une armée de réserve de main-d’œuvre au niveau mondial, notamment une partie de la population en Chine (où des millions de personnes, dans les villes et les campagnes, sont au chômage ou sous-employées) et un immense vivier de travailleurs non chinois bon marché. Ensuite, il est fort possible que l’intégration de la Chine et des autres pays émergents tels que l’Inde à l’économie mondiale ait entraîné une évolution profonde du pouvoir de négociation des travailleurs en Occident. Plus spécifiquement, la perte de puissance des syndicats dans une grande partie du monde développé et la tendance à une flexibilité accrue du marché du travail n’ont probablement pas vocation à s’inverser, ce qui ne devrait pas plaider en faveur de hausses substantielles des salaires dans les années à venir. Enfin, la réduction future de la main-d’œuvre pourrait s’avérer moins brutale que prévu, dans la mesure où les projections actuelles ne tiennent pas compte des évolutions comportementales et des réponses institutionnelles à la modification de la pyramide des âges et l’allongement de l’espérance de vie (voir encadré 3).

– Pour d’autres, une population déclinante et vieillissante est intrinsèquement déflationniste

* Perte de capital humain

Pour d’autres auteurs, les évolutions démographiques actuelles auront des répercussions principalement déflationnistes dans les pays à population âgée. Fujita et Fujiwara (2014)27 ont élaboré un modèle qui intègre la transition de la démographie et des compétences de la main d’œuvre, en faisant intervenir le savoir spécialisé (c’est-à-dire des compétences spécialisées dans un domaine particulier). Dans leur modèle, les compétences que possède un travailleur sont propres à une entreprise, ce qui signifie que si celui-ci perd son emploi, il perd également ses compétences. Les auteurs étudient les évolutions de la productivité au fur et à mesure de la transition démographique. Initialement, la baisse du taux de fécondité se traduit par une sur-représentation des travailleurs plus âgés, donc plus expérimentés et plus productifs, au sein de la main-d’œuvre, ce qui stimule la production et les salaires réels, et donc l’inflation. Avec le temps, toutefois, le vieillissement de la force de travail s’accentue, et la spécialisation des compétences (spécifiques à une entreprise dans le modèle) rend les travailleurs âgés de plus en plus vulnérables à une dépréciation du capital humain, car lorsqu’ils quittent leur emploi, ils perdent leur capital humain et deviennent donc moins productifs28 . Pour Fujita et Fujiwara, la plus forte proportion de travailleurs âgés en fin de cycle de vieillissement de la main-d’œuvre est synonyme de proportion plus importante de travailleurs inexpérimentés (en raison de la dépréciation de leurs compétences lorsqu’ils perdent leur emploi), avec pour onséquences, une baisse de la productivité du travail (au niveau national) et un recul des salaires réels, lequel est source de pressions déflationnistes. Lorsque le rythme des destructions d’emplois augmente substantiellement (à l’image de l’expérience nippone des années 1990 et 2000), le modèle prévoit une accentuation de la déflation, et une contraction plus marquée de la taille de la main-d’œuvre renforce l’ampleur de la déflation.

* Dégradation des anticipations de croissance future

Masaaki Shirakawa, ancien gouverneur de la Banque du Japon, affirme depuis longtemps que le vieillissement et le déclin de la population généreront des pressions déflationnistes. Pour le citer : « La comparaison des économies avancées révèle un élément intrigant : entre 2000 et 2010, taux de croissance de la population et taux d’inflation ont affiché une corrélation positive dans vingt-quatre économies avancées […]. Un examen plus approfondi du cas du Japon confirme une corrélation de plus en plus positive entre inflation et croissance de la population depuis les années 1990 » [voir Shirakawa (2012)]29. Pour Shirakawa, la dégradation des anticipations de revenus futurs constitue la clé du lien entre vieillissement de la population et déflation. Il y a consensus général sur le fait qu’un ralentissement de la croissance de la main- d’œuvre réduit la capacité d’un pays à croître30, d’où des inquiétudes inéluctables quant à la croissance économique future et, donc, quant aux revenus à venir.

Pour Shirakawa, les anticipations négatives de revenus futurs produites par le vieillissement et le déclin de la population engendrent des pressions déflationnistes en incitant les ménages prévoyants à consommer moins aujourd’hui et épargner davantage. De plus, souligne-t- il, le public tend généralement à sous-estimer l’impact négatif des évolutions démographiques, ce qui est susceptible d’amplifier les pressions baissières sur les prix. En effet, au fur et à mesure que le public prend conscience du ralentissement à venir de la croissance du PIB, des comportements prospectifs entrent en jeu qui tendent à précipiter une contraction immédiate de la demande privée, avec les conséquences déflationnistes qui en découlent.

* La démographie comme source de chocs sous-estimés

Katagiri (2012) souligne également les implications d’un vieillissement démographique plus rapide que prévu pour la dynamique des prix31. Pour cet auteur, les révisions à la hausse répétées des prévisions officielles japonaises en matière de vitesse de vieillissement démographique ont constitué des chocs de demande non-anticipés, qui ont engendré des pressions déflationnistes d’environ 0,3 point de pourcentage par an. Son raisonnement est le suivant : les jeunes ont tendance à acheter plus de biens manufacturés (voitures ou appareils électriques, par exemple) que les seniors, qui dépensent davantage en matière de services (soins médicaux ou tourisme notamment). Il s’ensuit que le vieillissement de la population tend à provoquer un déplacement de la demande du secteur manufacturier vers le secteur tertiaire lequel est susceptible de conduire à une (ré)allocation des ressources (facteur travail) du secteur manufacturier vers le secteur tertiaire32. Mais, la productivité du secteur des services est typiquement inférieure à celle du secteur manufacturier.

Il en résulte, d’après Katagiri, que le vieillissement de la population doit entraîner une réallocation substantielle des ressources de secteurs à forte productivité vers des secteurs à plus faible productivité et, donc, un repli de la productivité globale. Mais, un ralentissement de la productivité globale réduit la croissance potentielle de l’économie (c’est-à-dire le taux de croissance tendanciel du PIB) ce qui, d’après la théorie économique classique, entraîne une baisse du taux d’intérêt naturel33. Katagiri avance que, parce que le vieillissement de la population nippone s’est constamment révélé supérieur aux attentes, la banque centrale n’a vraisemblablement pas suffisamment assoupli sa politique monétaire pour accommoder la baisse du taux d’intérêt naturel, créant ainsi un écart de production négatif (avec un PIB inférieur au potentiel à long terme) qui a alimenté les pressions déflationnistes.

* Evolution des habitudes de consommation

D’après la théorie du cycle de vie développée par Franco Modigliani, les individus lissent leur consommation sur les différentes périodes de leur vie, achetant un logement et s’endettant lorsqu’ils sont jeunes, puis épargnant et achetant des actifs pendant leur vie d’adultes et, enfin, dépensant leur épargne et vendant leurs actifs une fois à la retraite34. Aussi est-il souvent affirmé que la demande des ménages en services et capitaux immobiliers (comme vecteur d’épargne) suit un cycle de vie : elle culmine pendant la vie professionnelle, lorsque les individus fondent et entretiennent une famille, puis recule lorsqu’ils prennent leur retraite, car ils déménagent dans un logement plus petit ou plus éloigné, ou passent de la propriété à la location35. Si cela est vrai, ces changements doivent se refléter dans l’évolution des prix des logements et des terrains.

Utilisant le modèle monétaire et budgétaire intégré global du Fonds monétaire international (FMI), Anderson, Botman et Hunt (2014) concluent qu’au Japon, le vieillissement et le déclin de la population entraînent des pressions déflationnistes substantielles via principalement la baisse des prix des terrains et le ralentissement de la croissance économique36. Ils montrent également que le rapatriement de volumes considérables d’actifs étrangers par les retraités japonais, afin de financer leur consommation pendant leur retraite, s’est traduit par une appréciation du taux de change réel, qui a accentué les pressions déflationnistes en faisant baisser le prix des importations. Enfin, ils soulignent que les pressions déflationnistes au Japon ont été amplifiées par les importants besoins de consolidation budgétaire du pays. S’appuyant sur un échantillon de trente pays de l’OCDE sur la période 1960-2013, Yoon, Kim et Lee (2014) concluent également que le vieillissement ou le déclin de la population constitue un facteur déflationniste majeur37. Selon ces auteurs, si une population vieillissante ou en repli tend à accentuer les tensions inflationnistes en réduisant l’offre effective de travail dans l’économie, elle a également de multiples répercussions déflationnistes sur la demande : baisse de la consommation, évolution des prix relatifs en raison de l’évolution des préférences de consommation38 et effet de richesse négatif découlant de la baisse des prix des actifs. Tout en soulignant que les vecteurs d’influence spécifiques du vieillissement de la population sur le taux d’inflation doivent être étudiés plus avant, Yoon et al. estiment que les effets déflationnistes devraient l’emporter sur les effets inflationnistes, car l’offre totale s’ajuste plus lentement que la demande totale.

* Baisse de la propension à investir et à épargner

À la fin des années 1930, Alvin Hansen défendait l’idée selon laquelle la baisse du taux de natalité aux États- Unis comptait parmi les principales causes du déficit d’investissement, donc du manque de demande, caractéristique de la Grande Dépression39. Les entreprises ont besoin d’un stock de capital donné (matériel, structures, terrains) par travailleur, ce qui signifie qu’un ralentissement de la croissance de la population se traduit par un recul de la demande en logements, bureaux et biens d’équipement neufs. C’est pourquoi Hansen, à l’époque, avertissait que les États-Unis pouvaient être menacés d’une « stagnation séculaire»40. Pour lui, le ralentissement de la croissance démographique engendre une baisse durable de la demande en investissement qui peut créer une surabondance chronique d’épargne susceptible de plonger l’économie dans un marasme semi-permanent, avec les conséquences déflationnistes qui en découlent.

Le baby-boom (surprise) intervenu au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale a modifié la dynamique démographique des États-Unis et réfuté les prévisions de Hansen, mais le paysage démographique actuel redonne toute sa pertinence à l’hypothèse de la stagnation séculaire, comme le pensent Summers (2016)41 et d’autres économistes. Une économie est confrontée à une stagnation séculaire lorsque le niveau d’investissement (national) désiré est durablement inférieur au niveau d’épargne (national) désiré, ce qui entraîne un déficit chronique de demande globale et, donc, des pressions déflationnistes.

Aussi la question de savoir si un ralentissement de la croissance, voire le recul, de la main-d’œuvre et de la population conduit à une réduction du taux d’investissement plus forte que celle du taux d’épargne est-elle essentielle pour déterminer l’orientation future des prix. Il y a peu de doute chez les économistes qu’une baisse du taux de croissance de la population réduit la demande en nouveaux investissements et le taux de croissance potentiel de l’économie. Mais, dans le même temps, de nombreux économistes s’attendent à ce que la part de l’épargne totale dans le revenu national recule au fur et à mesure que la population vieillit42. C’est ce que prédit la (largement acceptée) théorie du cycle de vie de l’épargne43. Selon cette théorie, les habitudes d’épargne des ménages suivent le cycle de vie : les ménages accumulent de l’épargne durant leur vie active pour financer leur retraite, d’où une augmentation de l’épargne nationale, qui atteint un pic lorsque les ménages sont en milieu/fin de carrière professionnelle, avant de baisser lorsque les ménages désépargnent pendant leur retraite. Aussi, selon cette théorie, les pays dont la population vieillit doivent s’attendre à une baisse de l’épargne totale à terme.

C’est sur la base de cet argument que Goodhart et Erfuth (2014) prédisent que le vieillissement de la population entraînera un recul des taux d’épargne et un rebond des taux d’intérêt réels44. Pour eux, la désépargne des ménages retraités devrait engendrer des pressions haussières sur l’inflation en soutenant la consommation/demande, à un moment où l’offre de biens et services doit s’inscrire en baisse, du fait de la contraction de la main d’œuvre disponible. Goodhart et Erfuth s’attendent ainsi à ce que, au fur et à mesure du vieillissement de la population, le surcroît de demande découlant de la baisse de l’épargne totale se conjugue à la hausse des salaires consécutive à la raréfaction de la main-d’œuvre pour générer des tensions inflationnistes pérennes. Pour ces auteurs, si le désir d’investir ex ante devrait reculer quelque peu avec le vieillissement de la population, ce recul devrait être moins important que la contraction du désir d’épargne. D’où leur conclusion : les taux d’intérêt réels repartiront inévitablement à la hausse45.

Pour autant, la question de savoir si le ratio d’épargne totale progressera ou diminuera lorsque la population avancera en âge est sujette à controverses. Sur la base d’un échantillon de six pays de l’OCDE46 entre 1970 et 1991, Poterba (1994), par exemple, trouve peu de preuves à l’appui de la théorie du cycle de vie47. En particulier, il observe que, virtuellement partout, les seniors ne désépargnent pas pour financer leur consommation pendant leur retraite (peut-être en raison d’une volonté de transmettre leur patrimoine à leurs enfants) et que les familles jeunes (entre 20 et 40 ans) épargnent une part positive et croissante de leur revenu, deux observations qui sont en totale contradiction avec la courbe d’épargne « en bosse » décrite par l’hypothèse du cycle de vie. D’une manière générale, les données microéconomiques empiriques apparues ces vingt dernières années tendent à suggérer que les personnes âgées désépargnent moins que la version originale de la théorie du cycle de vie ne l’annonce48.

Certains avancent que l’épargne totale pourrait même augmenter avec le vieillissement de la population. Bloom et al. (2003, 2009), par exemple, estiment que l’allongement de l’espérance de vie (donc de la durée de la retraite) va généralement de pair avec une progression des taux d’épargne49. L’augmentation du taux de survie des adultes et l’anticipation d’une retraite plus longue, combinées à l’incertitude entourant le versement des prestations de sécurité sociale, risquent en effet d’inciter les individus à épargner plus tout au long de leur vie professionnelle (notamment dans les pays où les politiques et institutions découragent les gens de travailler après 60 ou 65 ans) afin de conserver le même niveau de vie après la fin de leur carrière professionnelle. Cela pourrait également les inciter à rester plus longtemps en activité et à puiser plus tardivement dans leur épargne. Les compétences et la formation devraient aussi jouer un rôle, car les seniors plus diplômés sont beaucoup plus susceptibles de travailler plus longtemps et d’accumuler plus d’épargne/d’actifs qu’ils n’en utiliseront pendant leur retraite. Au final, l’allongement de l’espérance de vie, la réforme des retraites et la proportion croissante de personnes âgées diplômées devraient constituer autant de vecteurs de croissance de l’épargne, les individus souhaitant se préparer à la perspective d’une retraite longue.

Au stade actuel des connaissances, la question de savoir si le ralentissement de la croissance de la main- d’œuvre diminuera le désir d’investir plus fortement que le désir d’épargner reste largement indéterminée. Si les seniors travaillent plus longtemps et préfèrent détenir un niveau d’épargne plus élevé que par le passé en prévision de leur retraite, alors que les intentions d’investissement reculent en raison d’un ralentissement de la croissance de la main-d’œuvre, alors le scénario envisagé par Hansen d’une croissance durablement faible, avec sous-emploi des ressources et pressions déflationnistes, a toute chance de se matérialiser.

* Influence renforcée des groupes de pression visant à maintenir l’inflation à un niveau faible

Bullard, Garriga et Waller (2012) ont recours à une hypothèse politico-économique pour arguer que le vieillissement de la population peut exercer des pressions baissières sur l’inflation, voire générer une déflation50. Généralement, les seniors sont plus riches en capital financier ou réel, alors que les jeunes sont plus riches en capital humain. Les premiers auront donc tendance à dépendre davantage du rendement de leurs actifs, tandis que les seconds compteront plus sur leurs salaires comme source principale de revenu. De ce fait, l’inflation doit a priori être une source de préoccupation, voire d’aversion, dans les sociétés vieillissantes dont le patrimoine financier est comparativement plus élevé.

Inversement, les sociétés dont la population est dominée par les jeunes auront une préférence pour des niveaux de salaires et d’inflation élevés, puisque les jeunes ménages n’ont typiquement pas d’actifs, mais ont des dettes. Pour Bullard et al., l’aversion croissante à l’inflation engendrée par le vieillissement de la population pourrait influer sur la manière dont les banques centrales perçoivent leur mandat (objectifs ou règles de comportement) et aboutir à une cible optimale d’inflation plus faible. Selon ces auteurs, les banques centrales pourraient être enclines à satisfaire les préférences du groupe démographique dominant, utilisant des mesures plus agressives pour lutter contre la hausse des prix. Le cas échéant, le vieillissement de la population pourrait aller de pair avec une baisse de l’inflation.

Dans la même veine, Katagiri, Konishi et Ueda (2014) suggèrent que les politiques budgétaires pourraient refléter les préférences des électeurs. Ces auteurs distinguent le vieillissement résultant d’un allongement de l’espérance de vie et celui qui découle d’une baisse du taux de natalité51. Selon eux, l’allongement de l’espérance de vie se traduit par une augmentation du nombre de retraités, dont l’influence politique s’accroît, ce qui peut inciter le gouvernement à mener une politique de rigueur budgétaire privilégiant le durcissement de la pression fiscale sur les salaires (ce qui pénalise la jeune génération) afin d’empêcher l’inflation de grignoter la valeur réelle des actifs des seniors. A contrario, lorsque le vieillissement provient d’une baisse de la fécondité, qui se reflète dans une réduction de la base imposable, un gouvernement à courte vue pourrait être tenté de monétiser sa dette, faisant grimper l’inflation, ce qui profite aux jeunes au détriment des seniors. Ces auteurs estiment qu’au Japon, l’impact déflationniste de l’allongement de l’espérance de vie l’emporte sur l’effet inflationniste de la baisse de la fécondité. Cela provient en partie du fait, selon eux, que la principale surprise en matière de démographie nippone est venue d’un allongement constant de l’espérance de vie. Les simulations de ces auteurs montrent que le vieillissement de la population japonaise a coûté environ 0,6 point de pourcentage par an à l’inflation sur les quarante dernières années.

– Une influence variable selon les politiques budgétaires

Le vieillissement de la population exercera inévitablement des pressions haussières sur les finances publiques: il dégrade en effet les soldes budgétaires en entraînant une augmentation des dépenses en pensions de retraite, soins de santé et autres programmes sociaux à destination des personnes âgées, au moment où la contraction de la proportion d’actifs productifs dans la population entrave la croissance économique, donc réduit la base imposable. Pour faire face à ces pressions budgétaires croissantes, certains États pourraient choisir d’adopter des mesures de consolidation (potentiellement en raison de l’influence politique de plus en plus forte des seniors), ce qui se solderait par des pressions déflationnistes en pénalisant la croissance et creusant l’écart de production [voir notamment Anderson et al. (2014)52. Mais d’autres États pourraient se tourner vers la planche à billets qui, elle, aurait un impact inflationniste. Ainsi, en fonction de la réponse apportée par les pouvoirs publics, les évolutions démographiques pourront avoir des conséquences inflationnistes ou déflationnistes.

Une avancée en terrain inconnu

La transition démographique actuelle est un phénomène inédit dans l’histoire du monde, de par sa nature et son ampleur. Aussi l’analyse des effets du vieillissement attendu de la population sur l’inflation nous amène-t-elle en terrain largement inconnu. Pour l’heure, seul le Japon est entré dans ce nouveau monde aux multiples défis. L’expérience déflationniste japonaise est-elle reproductible aux autres économies avancées ? Telle est la question d’importance qui se pose aujourd’hui aux chercheurs et dirigeants du monde développé. L’influence du vieillissement de la population sur l’inflation deviendra, à n’en pas douter, un sujet brûlant du débat public des années à venir. Le débat théorique, lui, est loin d’être terminé.

ENCADRÉ 1 : LE TSUNAMI DÉMOGRAPHIQUE DU JAPON

Avec une population en déclin et qui vieillit plus vite que partout ailleurs dans le monde, le Japon est aux avant-postes de la transition démographique et peut, par conséquent, devenir un laboratoire d’étude des défis démographiques qui attendent la planète. Depuis quarante ans, le taux de fécondité y est inférieur au niveau nécessaire pour renouveler la population (2,1 enfants par femme). La fécondité a commencé à baisser dès les années 1920, a rebondi dans les années 1940, puis s’est effondrée à partir de 1949, correspondant à la fin du (premier) baby-boom nippon. Le taux de natalité est alors resté stable à environ deux enfants par femme jusqu’au milieu des années 1970, avant d’afficher une baisse spectaculaire.

En 2005, le taux de fécondité total6 du Japon est tombé à 1,26 enfant par femme. Il a ensuite amorcé un rebond modéré mais constant, pour atteindre 1,43 en 2013. La chute du taux de natalité nippon s’explique par de multiples facteurs : généralisation de la contraception, augmentation du niveau d’études des femmes, baisse du taux de mariage, progression de l’âge du mariage, accroissement de la participation des femmes au marché du travail, manque de structures de garde d’enfants, environnement professionnel peu favorable à la vie de famille, stagnation économique et hausse du coût de l’éducation des enfants, pour n’en citer que les principaux.

Pour autant, le taux de fécondité nippon n’est pas le plus bas des pays de l’OCDE. En 2013, en effet, le Japon, avec son taux de fécondité à 1,43, faisait mieux que la Corée du Sud et Singapour (1,19), Hong Kong (1,12) et l’Allemagne (1,38) [Source : DataBank/Banque mondiale]. Mais, parce que ce taux est très faible depuis longtemps, le rythme de ralentissement de la croissance de la population au Japon est virtuellement inégalé au niveau mondial.

Une immigration soutenue aurait pu retarder la contraction de la population, mais le Japon se caractérise depuis longtemps par une immigration très limitée, principalement en raison de politiques extrêmement restrictives en matière d’arrivée de travailleurs non qualifiés. Les immigrants ne représentaient que 1,61 % de la population nippone en 2015, deux fois plus qu’une décennie plus tôt, mais bien loin des ratios affichés par d’autres pays : 22 % pour le Canada, 14 % pour l’Amérique du Nord (mais 26 % si l’on additionne immigrants et enfants d’immigrants nés aux États-Unis), 13 % pour le Royaume-Uni, 15 % pour l’Allemagne, 12 % pour la France ou 10 % pour l’Italie. Depuis 1975, la baisse de la fécondité, conjuguée à l’extrême faiblesse de l’immigration, s’est traduite par un déclin continu du taux de croissance de la population japonaise. Ce taux est tombé à zéro en 2011 et, depuis lors, la population nippone se contracte. Parallèlement, le Japon, depuis le début des années 1950, a vu l’espérance de vie de sa population augmenter de manière très substantielle. Aujourd’hui, les Japonais peuvent espérer vivre jusqu’à 85 ans – un record mondial -, un chiffre qui pourrait atteindre 94 ans d’ici 2095, selon l’ONU. Aussi, la population du pays, comme sa main-d’œuvre, est devenue la plus âgée au monde.

Fruit de l’allongement de l’espérance de vie et du repli de la fécondité, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus s’est inscrite en forte hausse depuis le début des années 1990, passant de 12 % en 1990 à 25 % en 2013. Elle devrait continuer d’augmenter pour atteindre, selon les projections, 40 % en 2060. Parallèlement, la proportion de jeunes de moins de 15 ans a chuté de 16 % en 1995 à 13 % en 2013, et devrait tomber à 10 % en 2060.

Le recul de la fécondité s’est également traduit, avec un décalage de quinze à vingt ans, par une forte baisse de la proportion de la population en âge de travailler (15-64 ans), qui est passée d’un point haut à 69,5 % en 1995 à 60,8 % en 2015.

ENCADRÉ 2 : L’IMMIGRATION PEUT-ELLE CHANGER LE DESTIN DE L’ALLEMAGNE ?

Quatre années consécutives d’une immigration nette de plus en plus élevée ont permis à l’Allemagne d’inverser une décennie de baisse de sa population. Depuis 2011, l’immigration nette outre-Rhin a, chaque année, dépassé 300 000 personnes, avec un record de 1 139 000 personnes en 2015. L’augmentation de l’immigration a ainsi permis au pays d’enrayer le déclin de son taux de natalité et de frôler, en 2015, les 82 millions d’habitants, chiffre qu’il n’avait plus atteint depuis 2009. En 2015, le pays a enregistré sa plus forte augmentation annuelle de population depuis plus de vingt ans (+1,2 %), une croissance qui se concentre sur les personnes en âge de travailler.

Pourtant, les tendances de long terme continuent d’annoncer un déclin démographique en Allemagne. D’après l’institut allemand des statistiques (Destatis), même un million de migrants ne suffira pas à inverser le repli de la population dans la durée. D’après les calculs de Destatis, le déficit de natalité se creusera à partir de 2020, au moment où la génération du baby-boom commencera de décéder. Et même si le taux de natalité passait de 1,4 à 1,6 enfant par femme, le nombre total de naissances reculerait à long terme. Pour compenser ce déclin, l’Allemagne aurait besoin de 470 000 immigrants chaque année jusqu’en 2040, un flux qui, toujours selon Destatis, a fort peu de chance d’être maintenu année après année sur longue durée. La population allemande devrait donc baisser à partir de 2020, comme le décrit le scénario de « continuité dans un contexte d’immigration plus limitée » de la treizième projection coordonnée de Destatis.

ENCADRÉ 3 : LA DÉMOGRAPHIE, (PAS TOUT À FAIT) UNE DESTINÉE

L’offre de main d’œuvre émanant naturellement davantage de la population en âge de travailler que des personnes âgées ou des jeunes, un pays dont la proportion de seniors augmente doit s’attendre à un ralentissement de la croissance, voire à une contraction de sa main-d’œuvre future. De fait, le taux de croissance de la main-d’œuvre ralentit dans l’ensemble du monde développé, prenant même le chemin de la baisse au Japon et dans certains pays européens.

Il existe néanmoins un certain nombre de remèdes potentiels aux tensions créées par le vieillissement de la population sur le marché du travail20. Spécifiquement, les pouvoirs publics peuvent limiter l’impact du vieillissement en dopant le taux de participation21 des personnes économiquement inactives, notamment au sein de la population des femmes et des travailleurs en fin de carrière :

  • Allongeant la durée du travail
  • Augmentant l’immigration nette
  • Renforçant l’investissement dans l’éducation et la santé.

Taux de participation des femmes

Favoriser la participation des femmes au marché du travail peut permettre d’accroître la taille effective de la population active. Par exemple, Bloom et al. (2009) estiment que le taux moyen de participation des femmes augmente lorsque le nombre d’enfants par femme recule22. Les projections démographiques actuelles tablant sur une baisse significative des taux de fécondité totaux dans les prochaines décennies, le taux de participation des femmes devrait naturellement augmenter.

À l’heure actuelle, dans les pays de l’OCDE, 63 % des femmes âgées de 15 à 64 ans travaillent (67 % en France, au Japon et aux États-Unis, 73 % en Allemagne) et le chiffre moyen pour les femmes âgées de 65 à 69 ans s’établit à tout juste 20 % (5 % en France, 11 % en Allemagne, 28 % aux États-Unis et 32 % au Japon), contre 32 % pour les hommes (7 % en France, 19 % en Allemagne, 37 % aux États-Unis et 54 % au Japon). Les femmes restent donc un réservoir important de main-d’œuvre potentielle. Il est essentiel cependant d’éviter que leur participation au marché du travail ne se fasse au détriment du taux de fécondité, ce qui pourrait requérir la mise en place de dispositifs professionnels dits « favorables à la famille ».

Taux de participation des seniors

D’autres domaines d’action prioritaires incluent une participation croissante des seniors au marché du travail et l’allongement de la durée de vie professionnelle. Dans les pays de l’OCDE, seuls 50 % des 60-64 ans (hommes et femmes confondus) travaillent (30 % en France, 56 % en Allemagne, 55 % aux États-Unis et 65%au Japon), et ce chiffre tombe à tout juste26% pour les 65-69ans (6%en France, 15%en Allemagne, 32 % aux États-Unis et 42 % au Japon).

L’allongement de l’espérance de vie, conjuguée à la tendance à l’amélioration de l’état de santé des personnes âgées pourrait amener les travailleurs à choisir de rester plus longtemps en activité23. Une flexibilité accrue des régimes de retraite, combinée à des ajustements des politiques fiscales et sociales pourrait modifier le système d’incitations de façon à encourager un taux de participation accru des « jeunes seniors » au marché du travail24. Reculer l’âge officiel de la retraite forcerait effectivement les gens à travailler plus longtemps.

Avec 42 % des Japonais âgés de 65 à 69 ans qui travaillent, le Japon montre qu’il y a encore, en Europe et aux États-Unis, un potentiel important de main-d’œuvre inutilisée qui pourrait être activé grâce au recul de l’âge de départ à la retraite. La contraction anticipée du ratio population en âge de travailler/somme des moins de 15 ans et des plus de 65 ans est beaucoup moins brutale si, au lieu de définir la population en âge de travailler comme correspondant à la classe d’âge des 15-64 ans, l’on se réfère à celle des 15-70 ans (un développement que l’amélioration du niveau de vie et de la médecine devrait faciliter) afin de refléter la perspective d’un départ plus tardif en retraite.

Immigration nette

Renforcer l’immigration pourrait également permettre de limiter les tensions sur le marché du travail liées au vieillissement dans les pays à population âgée. En 2015, avec l’arrivée de plus d’un million de Syriens, l’Europe, et notamment l’Allemagne, a connu l’un des plus grands mouvements intercontinentaux de populations de l’histoire récente. À l’avenir cependant, l’opposition sociale et politique à une immigration de masse (en raison notamment des peurs de tensions sociales et d’un possible contrecoup politique) devrait empêcher les mouvements migratoires à grande échelle qui seraient nécessaires pour contrecarrer les effets économiques potentiels du vieillissement démographique dans la plupart des pays avancés.

Investissements dans la santé et l’éducation25.

Enfin, accroître les investissements dans la santé et l’éducation pourrait aider à contrer la réduction de la main-d’œuvre découlant de l’évolution démographique. Prettner et al. (2012), par exemple, montrent que la baisse de la fécondité va de pair avec une augmentation de la dotation en capital humain par personne (santé et éducation), ce qui peut, à terme, se traduire par une force effective de travail plus large et plus productive26. Ce type de travaux repose sur l’idée que la croissance économique n’est pas seulement liée à la quantité de travail, mais aussi à sa qualité, qui est dopée lorsque la main-d’œuvre est mieux formée et en meilleure santé.

Au final, nul doute que l’évolution des comportements individuels et des politiques publiques limitera les retombées négatives du vieillissement démographique sur la taille future de la main-d’œuvre. Pour autant, il est peu probable que ces adaptations permettent d’inverser totalement la tendance à la baisse de la force de travail que les projections actuelles de population (taille et structure) annoncent pour les prochaines décennies dans le monde développé.

NOTES

  1. Voir, par exemple, Fonds monétaire international (2004), La transition démographique mondiale, Perspectives de l’économie mondiale, Washington D.C., septembre. Voir le chapitre III, « Quelle influence la transition démographique aura-t-elle sur l’économie mondiale ? », pp. 145- 186.
  2. Pour l’ONU, une population « vieillit » lorsque les personnes âgées de 65 ans et plus représentent plus de 7 % de la population totale. Lorsque ce pourcentage passe à 14 %, elle parle de « population âgée » puis, au-delà de 20 %, de « population très âgée ».
  3. Voir notamment Notestein, Frank (1945), « Population : The long view », in Food for the World, T. Schultz (ed.), Chicago, pp. 36-57, et Thompson, W.S. (1929), « Population », in American Journal of Sociology, n°34, pp. 959-975.
  4. La population mondiale a augmenté d’environ 0,05 % par an pendant 10000 ans. Aux XVII et XVIII siècles, le taux de croissance de la population s’est établi à environ0,5% par an, puis0,7% après1900. En1900, la Terre comptait 1,6milliard d’habitants, contre 6,1milliards en 2000. D’après les prévisions de l’ONU, d’ici 2100, la population mondiale atteindra 11,5 milliards d’individus.
  5. Au niveau mondial, l’espérance de vie a plus que doublé, passant d’environ 30 ans en 1900 à 71 ans à l’heure actuelle. Elle devrait s’élever à 78 ans en 2050-55 et près de 83 ans en 2095-2100. Mais ce chiffre varie très fortement en fonction des régions, avec un minimum de 61 ans en Afrique et un maximum de 80 ans en Amérique du Nord.
  6. Le taux de fécondité total est le nombre moyen d’enfants auxquels une femme donnera naissance pendant qu’elle est en âge de procréer, entre 15 et 49 ans.
  7. Le taux de fécondité mondial est tombé à 2,43 enfants par femme, contre 4,85 en 1970, avec de fortes disparités en fonction des régions (1,6 en Europe contre 4,6 en Afrique) et des pays (1,2 à Singapour contre 7,6 au Niger).
  8. En 2010-2015, le taux de fécondité s’établissait à 1,4 enfant par femme au Japon, 1,55 en Chine, 1,6 en Europe (1,28 au Portugal, 1,32 en Espagne, 1,39 en Allemagne, 2 en France), 1,89 aux États-Unis et 1,92 au Royaume- Uni.
  9. Près de 20 % des migrants internationaux se trouvent aux États-Unis, en Allemagne et en Russie.
  10. Les migrations nettes devraient, toutefois, contribuer à l’augmentation ou à la limitation du déclin des populations de pays tels que les États-Unis, l’Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, la Russie et l’Italie, qui devraient être les principaux pays récepteurs nets de migrants dans les prochaines décennies (avec plus de 100 000 personnes par an).
  11. Au niveau mondial, les personnes âgées de plus de 80 ans sont le groupe démographique qui affiche la plus forte croissance. D’ici 2050, les centenaires seront seize fois plus nombreux qu’en 2000 (2,2 millions contre 135 000).
  12. En Espagne, par exemple, l’âge médian passera de 43,2 ans à l’heure actuelle à 50,1 ans d’ici 2030 ; en Italie, il passera de 45,9 à 50,8, au Portugal, de 44 à 50,2 et en Chine, de 43,2 à 48,6 sur la même période
  13. Voir Moody’s (2014), « Population Aging will Dampen Economic Growth over the Next Two Decades », Special Comment, 6 août. Les prévisions de l’ONU utilisées par Moody’s reposent sur l’hypothèse de taux de fécondité moyens ainsi que de taux de mortalité et d’immigration « normaux » (en d’autres termes, la trajectoire future des migrations internationales est fixée sur la base des données passées et d’hypothèses sur la posture des différents pays vis-à-vis des flux migratoires futurs). Voir http://data.un.org/Resources/Methodology/PopDiv.htm#_A._Fertility_assumptions
  14. Le taux de dépendance total donne une indication approximative du poids qui pèse sur la population en âge de travailler (15-64 ans), en comparant cette classe d’âge aux jeunes et aux personnes âgées. Il traduit le nombre de personnes dépendantes pour 100 personnes en âge de travailler.
  15. Voir notamment Bloom, David E., Canning, David et Fink, Gunther (2011), « Implications of Population Aging for Economic Growth », PGDA Working Paper n°64, janvier.
  16. Voir Juselius, Mikael et Takats, Elod (2016), « The age-structure-inflation puzzle », Bank of Finland Research Discussion Paper, 1 mars ; Juselius, Mikael et Takats, Elod (2015), «Can demography affect inflation and monetary policy? », BIS Working Papers, n°485, février. Voir également Juselius, Mikael et Takats, Elod (2016), « Age and inflation », Finance & Development, vol. 53, n°1, mars.
  17. Par exemple, ces auteurs estiment qu’aux États-Unis, la génération du baby-boom a engendré une progression de six points de pourcentage de l’inflation entre1955 et1975, mais lui a coûté cinq points entre1975 et 1990, lors de son entrée sur le marché du travail.
  18. La croissance de la main-d’œuvre est sous-tendue par une combinaison d’évolutions du taux de participation au marché du travail (c’est-à-dire la proportion de la population qui travaille) et de la population. Le taux de participation des 16-19 ans est typiquement plus faible que celui des autres classes d’âge. Le taux de participation augmente pendant les premières années d’activité professionnelle puis chute brutalement à partir de 55 ans, les travailleurs sortant du marché du travail. Dans la plupart des pays avancés, le marché du travail souffre actuellement d’un effet démographique négatif : une grande partie de la population passe d’une classe d’âge à participation élevée à une classe d’âge (plus senior) à participation plus faible, d’où une baisse du taux de participation global, source d’un ralentissement de la croissance de la main-d’œuvre.
  19. Voir Goodhart, Charles, Pradhan, Manoj et Pardeshi, Pratyancha (2015), « Could Demographics Reverse Three Multi-Decade Trends? », Global Issues, Morgan Stanley, septembre2015. Voir également Goodhart, Charles et Erfurth, Philipp (2014), « Demography and economics: Look past the past », Vox, 4 novembre, et Greenspan, Alan (2007), « The Age of Turbulence: Adventures in a New World », Penguin Press.
  20. Voir notamment Börsch-Supan, Axel, Härtl, Klaus et Ludwig, Alexander (2014), « Aging in Europe: Reforms, International Diversification, and Behavioral Reactions », American Economic Review, 104(5): 224-29.
  21. Le taux de participation au marché du travail correspond au rapport entre personnes économiques actives (c’est-à-dire actifs et chômeurs) et population en âge de travailler. Il illustre donc la propension générale des individus à se rendre disponibles pour travailler.
  22. Voir notamment Bloom, D. E., Canning, D., Fink, G. et Finlay, J.E. (2009), « Fertility, Female Labor Force Participation, and the Demographic Dividend », Journal of Economic Growth 14(2): 79-101.
  23. Voir notamment Bloom, D. E., Canning, D., Fink, G. et Finlay, J.E. (2007), « Demographic Change, Institutional Settings, and Labor Supply », mimeo. Ces auteurs montrent que la réponse théoriquement optimale à l’allongement de l’espérance de vie est une augmentation proportionnelle de la vie active, sans hausse des taux d’épargne. Cependant, en raison de multiples facteurs, y compris les difficultés sur le marché du travail et les systèmes de sécurité sociale, cette réponse n’a jusqu’à présent pas réussi à se concrétiser. Dans de nombreux pays, les systèmes de sécurité sociale rendent la retraite plus avantageuse que la vie active. En pratique, à l’heure actuelle, les sanctions appliquées lorsque les gens travaillent après l’âge légal de départ à la retraite et les incertitudes accrues qui entourent le versement effectif des pensions incitent souvent les populations à épargner plus pour financer leur consommation une fois à la retraite.
  24. Voir notamment Imrohoroğlu, Selahattin et Kitao, Sagiri (2012) « Social Security Reforms: Benefit Claiming, Labor Force Participation, and Long-Run Sustainability », American Economic Journal: Macroeconomics, 4(3): 96-127 ; Sánchez-Romero, Miguel, Sambt, Jože et Prskawetz, Alexia (2013), « Quantifying the Role of Alternative Pension Reforms on the Austrian Economy », Labor Economics, vol. 22, juin, pp. 94-114. Sánchez-Romero et al. montrent qu’une augmentation du niveau de formation de la main-d’œuvre renforcerait l’incitation à travailler plus longtemps et permettrait donc de contrecarrer la baisse d’offre en main-d’œuvre qui découle de la baisse de la fécondité.
  25. Selon le Fonds monétaire international (FMI), pour stabiliser la proportion de personnes âgées dans les économies avancées, il faudrait multiplier l’immigration depuis des pays moins développés par huit à très brève échéance.
  26. Voir Prettner, Klaus, Bloom, David E. Strulik, Holger (2012), « Declining Fertility and Economic Well-Being: Do Education and Health Ride to the Rescue? », IZA Discussion Paper n°6527, avril. S’appuyant sur un échantillon de 118 pays entre 1980 et 2005, ces auteurs montrent qu’un meilleur investissement dans le capital humain permet de compenser partiellement l’impact négatif du taux de fécondité sur la taille effective de la main-d’œuvre. Voir également Ahituv, A. (2001), « Be Fruitful or Multiply: On the Interplay between Fertility and Economic Development », Journal of Population Economics, vol. 14:51-71 ; Bloom, D. E. et Canning, D. (2000), « The Health and Wealth of Nations », Science, vol. 287:1207-1209 ; Lee, R. et Mason, A. (2010), « Fertility, Human Capital and Economic Growth over the Demographic Transition », European Journal of Population 26: 159-182.
  27. Voir Fujita, Shigeru et Fujiwara (2014) « Aging and Deflation : Japanese Experience », document non publié, juillet.
  28. Plusieurs chercheurs arguent que le vieillissement de la main-d’œuvre a des répercussions négatives sur la productivité du travail du fait de facteurs tels que la dépréciation des connaissances, la détérioration des capacités physiques ou cognitives et la diminution de la capacité d’adaptation aux nouvelles technologies. Voir, par exemple, Fonds monétaire international (2016), « The Impact of Workforce Aging on Euro Area Productivity », rapport régional n°16/220, juillet ; Dixon, Sylvia (2003), « Implications of Population Aging for the Labor Market », Labor Market Trends, février. D’un autre côté, l’accumulation de l’expérience au fil du temps tend à augmenter la productivité. Voir, par exemple, Richard, Disney (1996), « Can we Afford to Grow Older? A Perspective on the Economics of Aging », MIT Press, Cambridge: Mass. On peut aisément soutenir que l’impact du vieillissement de la main-d’œuvre sur la productivité va différer d’un secteur à l’autre : probablement négatif dans les emplois peu qualifiés (par exemple les cultivateurs) mais positif pour des professions telles que la médecine ou le droit, où l’accumulation du savoir et de l’expérience peut avoir une influence positive sur l’efficacité. Une question clé pour les chercheurs est de savoir si une main-d’œuvre plus restreinte, mais plus âgée, à l’avenir, sera aussi productive que les générations précédentes. Un autre facteur à prendre en compte pour l’évaluation des perspectives de productivité dans un monde qui vieillit a trait au fait que la nouvelle génération de travailleurs tend à être plus diplômée, en moyenne, que celle qui prend sa retraite. Car une main- d’œuvre mieux formée est plus productive qu’une main-d’œuvre moins éduquée.
  29. Voir notamment Shirakawa, Masaaki (2012), « Demographic Changes and Macroeconomic Performance – Japanese Experiences », introduction de Masaaki Shirakawa lors d’édition 2012 de la conférence BOJ-IMES organisée par l’institut des études économiques et monétaires de la Banque du Japon, à Tokyo, le 30 mai.
  30. L’impact de la baisse et du vieillissement de la population sur le PIB total réel est évident en raison de l’impact direct de la taille du facteur travail.
  31. Voir Katagiri, Mitsuru (2012), « Economic Consequences of Population Aging in Japan: Effects through Changes in Demand Structure», Discussion Paper n°2012-E-3, institut des études économiques et monétaires de la Banque du Japon, mars. Katagiri note que les prévisions sont revues à la hausse à chaque fois que les dirigeants dévoilent une nouvelle projection.
  32. Sur l’impact de du vieillissement de la population sur l’offre de l’économie (expansion de secteur tertiaire par rapport au secteur manufacturier), voir notamment Siliverstovs, Boriss, Kholodilin, Konstantin et Thiessen, Ulrich (2011), « Does Aging Influence Structural Change? Evidence from panel data », Economic Systems, Elsevier, vol. 35(2), pp. 244-260, juin.
  33. Le taux d’intérêt naturel, un concept proposé par Wicksell en 1898, correspond au taux d’intérêt réel (c’est-à-dire corrigé de l’inflation) compatible avec le plein emploi et la stabilité des prix. Si le taux d’intérêt réel effectif est supérieur (ou inférieur) au taux naturel, alors les conditions monétaires sont restrictives (ou expansionnistes), ce qui entraîne une sous-utilisation (ou sur-utilisation) des ressources, donc une baisse (ou hausse) de l’inflation. Une dégradation du potentiel de croissance peut affecter le taux naturel par deux biais. D’une part, il réduit le rendement du capital, donc la demande en investissement. D’autre part, il baisse le revenu permanent des ménages et incite donc les ménages soucieux de leur avenir à consommer moins aujourd’hui et épargner plus. Une baisse de la demande en investissement conjuguée à une hausse de l’épargne fait reculer le taux d’intérêt naturel.
  34. Voir Modigliani, Franco et Brumberg, Richard (1954), « Utility Analysis and the Consumption Function: An interpretation of Cross-section Data », in Post-Keynesian Economics, ed. Kenneth K. Kurihara, 388-436. New Brunswick, N.J.: Rutgers University Press. Voir également Modigliani, F. et Ando, A. (1957), « Test of the Life-cycle Hypothesis of Savings », Bulletin of the Oxford University Institute of Economics and Statistics 19, pp. 99-124. Voir Modigliani, Franco (1970), « The Life-Cycle Hypothesis and Inter- country Differences in the Saving Ratio », pp. 197-225, in Eltis, W. A., Scott, M. FG. et Wolfe, J. N., eds., « Induction, Growth, and Trade: Essays in Honor of Sir Roy Harrod », (Oxford University Press).
  35. Voir notamment Pitkin, J.R et Myers, D. (1994), « The Specification of Demographic Effects on Housing Demand: Avoiding the Age-Cohort Fallacy», Journal of Housing Economics, 3(3):240-250; Flavin, M. et Yamashita, T. (2002), « Owner-Occupied Housing and the Composition of the Household Portfolio », American Economic Review, 92(1): 345-362 ; Kraft H. et Munk, C. (2011), «Optimal Housing, Consumption, and Investment Decisions over the Life Cycle», Management Science, 57(6): 1025-1041.
  36. Voir Anderson, Derek, Botman, Dennis et Hunt, Ben (2014), « Is Japan’s Population Aging Deflationary? », IMF Working Paper, WP/14/139, août.
  37. Voir Yoon, J. W., Kim, J. et Lee, J. (2014), « Impact of Demographic Changes on Inflation and the Macroeconomy», IMF Working Paper WP/14/210.
  38. En règle générale, les jeunes dépensent plus en logement, transports, communication et formation, tandis que les personnes âgées dépensent plus en services, notamment en soins médicaux et en voyages.
  39. Voir Hansen, Alvin (1939) « Economic progress and declining population growth », American Economic Review, 29(1): 1-15.
  40. Le terme « stagnation séculaire » a été inventée en 1938 par Alvin Hansen pour son allocution devant l’American Economic Association.
  41. Voir Summers, Lawrence H. (2013), Allocution lors de la quatorzième conférence annuelle des chercheurs du FMI en l’honneur de Stanley Fischer, 8 novembre. Voir également Summers, Lawrence H. (2016), « The Age of Secular Stagnation: What It Is and What to Do About It », Foreign Affairs, février.
  42. Voir notamment Bosworth, Barry P., Bryant, Ralph C. et Burtless, Gary (2004), « The Impact of Aging on Financial Markets and the Economy: A Survey», Brooking Institution Working Paper (Washington: Brookings Institution) ; Mc Morrow, K., et Roeger, W. (2004), « The Economic and Financial Market Consequences of Global Aging », Journal of Economics, vol. 83, n°2, pp. 202-204.
  43. Voir Modigliani, Franco et Brumberg (1954) (op. cit.).
  44. Op.cit. Goodhart and Erfurth (2014) estiment que, d’ici 2025, les taux d’intérêt réels devraient avoir renoué avec leur niveau historique d’équilibre de 2,5-3 %, pour des taux nominaux de 4,5-5 %.
  45. Goodhart and Erfurth (2014) prévoient une augmentation du coût du travail par rapport au coût du capital en raison d’une moindre disponibilité de la main-d’œuvre, avec à la clé un rebond du ratio capital/travail.
  46. Allemagne, Canada, Italie, Japon, États-Unis et Royaume-Uni.
  47. Voir Poterba, James M. (1994) « International Comparisons of Household Saving », Chicago, London: University of Chicago Press.
  48. Il existe des différences très substantielles entre les résultats des études basées sur des données macroéconomiques ou des échantillons transnationaux, qui confirment généralement les prévisions du modèle de cycle de vie, et celles qui reposent sur des données microéconomiques, qui concluent à un impact modeste ou nul du vieillissement de la population sur l’épargne. Ces différences s’expliquent, au moins en partie, par l’utilisation de méthodes et données différentes. Sur ce point, voir Bosworth et al. (2004) (op.cit.). Ces auteurs observent que la distribution des richesses et de l’épargne entre les ménages tend à être très inéquitable (notamment aux États-Unis, qui ont fait l’objet de nombreuses études) et que le faible pourcentage de ménages qui détient une part disproportionnée de l’épargne privée est très mal représenté dans la majorité des études microéconomiques. Pourtant, comme ils le soulignent, le comportement d’épargne des ménages les plus aisés tend à être très différent de celui du ménage moyen, ce qui pourrait expliquer, du moins en partie, les divergences de résultats entre études macroéconomiques et analyses microéconomiques.
  49. Voir Bloom, D. E., Canning, D. et Graham, B. (2003), « Longevity and Life-Cycle Savings », Scandinavian Journal of Economics 105(3): 319-38. Voir également Bloom, D. E., Canning, D., Mansfield, R. K., et Moore, M. (2007), « Demographic Change, Social Security Systems, and Savings », Journal of Monetary Economics, vol. 54, pp. 92-114.
  50. Voir Bullard, James, Garriga, Carlos et Waller, Christopher J. Waller (2012), « Demographics, Redistribution, and Optimal Inflation », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, novembre/décembre, vol. 94, n°6, pp. 419-39.
  51. Voir Katagiri, Hideki Konishi et Kozo Ueda (2014), « Aging and Deflation from a Fiscal Perspective », WINPEC Working Paper Series n°E1413, novembre.
  52. Anderson, Derek, Botman, Dennis et Hunt, Ben (2014), op.cit. Ces auteurs estiment que la dégradation des soldes budgétaires causée par le vieillissement de la population, qui vient grever des déficits et des dettes d’ores et déjà importants, peut se traduire par une augmentation de la prime de risque et/ou une consolidation budgétaire susceptible de faire passer l’activité totale sous son potentiel et, partant, d’alimenter des pressions déflationnistes.