Zone euro : réformes structurelles sur la table

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyses d'Amundi

Les efforts concertés des pays européens pour trouver une solution durable et crédible aux problèmes de dettes souveraines en zone euro ont un impact très favorable sur les marchés. Parmi les effets visibles, on notera le resserrement des spreads de crédit, des CDS souverains, mais aussi et surtout la facilité d’accès au financement des banques (notamment espagnoles), et le succès remarqué de la première émission du FESF.

Le passage de risque spécifique à un ou deux pays à un risque systémique (engageant l’ensemble de la zone euro, voire pour certains Cassandre la fin de la zone monétaire et de l’euro) était un des grands enjeux de ce début d’année, ainsi que nous le signalions dans le précédent numéro du « Cross asset investment strategy ». Encore une fois, il semble bien que nombre d’observateurs et d’analystes – notamment anglo-saxons – par goût du spectaculaire ou du fait d’une mauvaise compréhension de la situation – aient sous-estimé l’importance de la dimension politique, ainsi que la volonté et la capacité des États européens à trouver des solutions aux problèmes qui se posent.

La zone euro n’est pas une zone de fédéralisme, c’est une certitude. La notion de prêteur en dernier ressort y est sans doute plus floue qu’aux États-Unis, c’est un fait. La BCE a été moins active que la Fed (en termes d’achats de dettes), c’est certain. La zone euro paraît moins homogène (à première vue) que les États-Unis, pourquoi pas ? Autant de facteurs qui incitent certains à douter de la viabilité de ce système. Il faut noter pourtant que cela fait près de 60 ans que la convergence économique est en œuvre. Si l’on regarde de plus près, il est aisé de constater qu’au cours des 10 dernières années, il y a eu plus de convergence entre la Grèce et l’Allemagne (pays pourtant considérés comme étant aux antipodes) qu’entre certains États américains, aussi bien en termes de PIB que d’emploi …

Cela fait plus de 30 ans qu’ont été mises en place des mesures concrètes de convergence monétaire et financière. Cela fait plus de 10 ans que l’euro a pris sa place sur la scène internationale. Il est d’ailleurs frappant d’observer que, contrairement au dollar US, l’euro n’a pas cédé de terrain en 2010 dans les réserves de change des pays émergents (voir graphique page 8). C’est la preuve de l’absence d’impact de la crise de dette sur la crédibilité de la zone. A chaque crise, nombreux ont été ceux – toujours les mêmes en fait – qui ont prédit, avec conviction la fin de « l’aventure européenne » … à tort, bien évidemment. L’objectif n’est pas ici de nier les difficultés « économiques » de la zone euro, mais de les replacer dans leur contexte politique.

Nul doute que depuis un an, c’est la viabilité même de la zone euro qui est en question. La crise des dettes souveraines révèle en définitive une crise du modèle européen, mais tout problème a plusieurs solutions.

Il y a aura sans doute d’autres poussées de fièvre sur le sujet de la dette européenne, et l’accalmie actuelle ne doit pas cacher le fait que les solutions ne sont pas encore connues, ou encore qu’elles ne résoudront pas tous les problèmes de tous les pays. Il nous semble cependant que, à ce stade, les vraies questions sont de savoir s’il y a encore une fois la volonté politique de résoudre le problème, et à quel prix une zone monétaire telle que l’UEM peut survivre avec des divergences aussi profondes. A l’automne dernier, les autorités européennes ont cru pouvoir se débarrasser de la question en mettant en avant le mécanisme des clauses d’actions collectives permettant d’organiser des restructurations de dettes en douceur. Mais rien n’est encore en place. Et loin de calmer les marchés, la proposition n’a pas été jugée à la hauteur.

Par ailleurs, dans sa forme actuelle, le FESF n’est opérationnel que jusqu’à fin juin 2013, et le débat continue sur les modalités de fonctionnement du nouveau fonds. La BCE et la Commission européenne voudraient que ce dernier puisse acheter directement les emprunts des États en difficulté. Mais le gouvernement allemand préférerait, quant à lui, que le fonds prête à un taux modeste aux États afin que ceux-ci rachètent eux-mêmes leurs obligations sur le marché (ce qui aurait a priori l’avantage de ne pas déclencher d’événement de crédit dans les contrats de CDS).

Et comme pour prouver qu’il ne s’agit pas simplement de « rafistoler » la zone euro avec des solutions ad hoc de dernière minute, la France et l’Allemagne ont débattu le 4 février d’un « pacte de convergence et de compétitivité » pour réformer en profondeur la gouvernance européenne. Harmonisation de la fiscalité européenne, désindexation générale des salaires sur les prix, règles de contrôle budgétaire inscrites dans la Constitution, fixation de l’âge de départ à la retraite en lien avec la démographie… Toutes les réformes structurelles sont désormais sur la table.

En un mot, les Européens cherchent à convaincre les marchés qu’une étroite coordination des politiques économiques sera au rendez-vous. C’est le prix que l’Allemagne exige de ses partenaires pour être solidaire. Un petit pas pour les Allemands mais un grand pas pour l’Europe.

Rien n’est certes encore figé dans le marbre. La proposition franco-allemande est un ballon d’essai, d’ailleurs diversement appréciée dans les capitales européennes. Un sommet extraordinaire des dirigeants de la zone euro est prévu le 7 mars pour statuer en la matière. Puis on attend le sommet des Chefs d’État de l’UE les 24-25 mars pour clarifier le mécanisme de résolution des crises qui sera en place après juin 2013.

Les conséquences de marché sont déjà visibles. La BCE a été la première à comprendre que les gouvernements progressaient dans la bonne voie, ce qui lui a permis de durcir le ton et d’ancrer les anticipations d’une première hausse de taux avant la fin de l’année. Les investisseurs ont également vite saisi que la donne était en train de changer. La solidarité des dettes implique en effet un transfert des risques des pays de la périphérie vers les pays du cœur de la zone euro : les taux des emprunts d’État de ces derniers remontent tandis que ceux des pays périphériques se replient, notamment sur les maturités courtes. On ne retrouvera certes jamais les spreads souverains qui prévalaient avant la crise, mais le scénario catastrophe de délitement de l’euro est en train de disparaître des écrans.

Ceci dit, il faut bien comprendre qu’il y a des États qui font face à de vrais problèmes de solvabilité (Grèce et Irlande), tandis que d’autres États, à trajectoire de dette maîtrisée ou maîtrisable, n’ont aucun problème de solvabilité mais peuvent avoir des difficultés d’accès au marché des capitaux en cas de crise systémique (l’Espagne est un cas typique). D’autres États, enfin, ne sont en rien menacés.

Il est « amusant » de constater que bon nombre d’analystes et intervenants de marchés ont souvent tendance à surestimer actuellement les probabilités de défaut (parmi les pays ayant connu de grosses difficultés, il y a historiquement bien plus de pays qui n’ont pas fait défaut que de pays qui ont véritablement fait défaut) et à sous-estimer les problèmes liés à des défauts et restructurations (c’est toujours très long, toujours très compliqué, toujours très conflictuel …).

Outre l’atténuation des craintes systémiques, les nouvelles économiques sont plutôt bonnes : le désendettement du consommateur américain progresse et la croissance reste solidement ancrée, aux États-Unis comme en Allemagne ou encore dans les grands pays émergents. Dans cet environnement, les investisseurs sont naturellement portés à se positionner sur les actifs risqués. Les actions offrent encore de belles opportunités : voir particulièrement les actions des financières et les actions des pays dits « émergents ». Même chose pour le crédit, surtout sur le segment high yield, qui nous semble encore attractif. Le regain de vigueur de la croissance, la sous-évaluation du marché et l’appétit pour le risque redonnent de l’intérêt, par ailleurs, à un marché depuis longtemps oublié, le marché japonais.

Compte tenu de la remontée des taux qui se profile, les obligations convertibles offrent un profil de convexité idéal. Notons enfin que la perspective d’une solution pour la crise de la dette européenne permettra à la BCE de concentrer davantage sa communication sur la normalisation monétaire, ce qu’elle commence déjà à faire. Tout discours sur le risque de dérapage des prix apportera un soutien supplémentaire aux obligations indexées sur l’inflation, déjà attractives.

Il faudra rester attentif à la remontée des taux, courts et longs. Trop rapide, elle pourrait enrayer la reprise économique. La stratégie de sortie des banques centrales (notamment celle de la Fed) n’a jamais été aussi complexe. Quand on sait l’impact des mesures monétaires non conventionnelles sur les flux de capitaux et les prix des actifs risqués, la prudence est de règle et incite à privilégier certains pays avancés (notamment ceux du cœur de l’Europe et les États-Unis) à certains pays émergents désormais plus menacés.