Zone euro : tensions budgétaires

par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas

•  La Commission européenne a publié ses prévisions d’automne. Son diagnostic sur la zone euro est un peu plus optimiste que le nôtre, avec une croissance du PIB attendue à 1,8% en 2016 après 1,6% cette année.

•  Les prévisions en matière de finances publiques de la Commission vont être comparées aux plans budgétaires pour 2016 soumis par les Etats membres. La Commission rendra fin novembre son verdict sur ces plans, et leur conformité aux règles européennes.

•  Alors que l’Allemagne s’apprête une fois encore à dégager un excédent plus important que prévu, un débat s’est amorcé à propos de l’orientation des politiques budgétaires des autres grands pays de la zone (France, Espagne et Italie) en 2016.

La Commission européenne a récemment publié ses Prévisions d’Automne. A Bruxelles, on table désormais sur une croissance du PIB de 1,6% en 2015 et de 1,8% en 2016. Par rapport au printemps dernier, la révision est faible (+0,1 point de pourcentage pour cette année et -0,1 l’an prochain). Comme la plupart des autres observateurs, les experts de la Commission ont souligné que, si le ralentissement de l’activité dans les zones émergentes allait constituer un frein, il ne remettait pas en cause la reprise de l’activité dans la zone euro, par ailleurs toujours soutenue par la baisse des prix du pétrole, la politique monétaire très expansionniste de la BCE et la faiblesse de l’euro.

En matière de finances publiques, la Commission considère que l’amélioration constatée depuis plusieurs années va se poursuivre. Deux facteurs sont désormais à l’œuvre : la reprise de l’activité, qui a un impact cyclique sur la réduction du déficit agrégé de la zone euro, et la baisse des taux d’intérêt permise par la politique monétaire très expansionniste de la BCE, qui se traduit par une diminution de la charge de la dette des Etats membres. La Commission estime ainsi qu’en 2015 déjà, le premier effet a contribué à hauteur de 0,4 pp de PIB à la réduction du déficit moyen de la zone euro, et le second à hauteur de 0,3 pp. La baisse cyclique du déficit serait de même ampleur en 2016, tandis que, tout en restant faible, la charge d’intérêts ne se réduirait plus que marginalement (0,1 pp). Le constat fait par la Commission est que ces deux facteurs sont désormais les moteurs essentiels de la réduction des déficits publics, tandis que la politique budgétaire proprement dite1 est quasiment neutre en 2015 et devrait le rester l’an prochain. A l’échelle de la zone euro, cette évolution est bienvenue. Elle reflète l’amélioration générale des finances publiques européennes et va permettre de conforter la reprise de l’activité après plusieurs années durant lesquelles la consolidation budgétaire a lourdement pesé sur la croissance. De fait, le déficit des finances publiques de la zone est attendu par la Commission autour de 2% du PIB cette année, et devrait encore se réduire de quelques dixièmes de points l’an prochain. De même, le ratio de dette publique devrait enfin se réduire en 2015, à 94% du PIB, puis à nouveau en 2016, pour la première fois depuis 2007.

Les plans budgétaires des Etats membres sur la sellette

Pays par pays, les prévisions de finances publiques de la Commission vont servir de point de comparaison pour l’évaluation des Plans budgétaires pour 2016, plans que les Etats membres de la zone euro ont soumis à Bruxelles à la mi-octobre2. La Commission rendra fin novembre son verdict sur leur faisabilité et leur conformité aux règles européennes. Nous comparons les plans budgétaires des Etats membres et les prévisions de la Commission dans le tableau 2. Dans l’ensemble, la Commission se félicite du fait qu’à partir de l’an prochain, la zone euro ne comptera plus que trois Etats affichant un déficit général des administrations publiques supérieur à 3% du PIB (la France, l’Espagne et la Grèce). A l’autre bout du spectre, on trouve le Luxembourg et l’Estonie, à l’équilibre, et surtout l’Allemagne, en très net excédent budgétaire. Il est, dès lors, assez naturel que ces derniers pays prévoient de mener une politique budgétaire neutre, voire légèrement expansionniste l’an prochain3. (…) ils ne seront toutefois pas les seuls : l’Italie et les Pays-Bas, peut être également l’Autriche et le Portugal si l’on en croit les prévisions de la Commission, pourraient faire de même en 2016.

Moins d’efforts que prévu en France, une politique budgétaire neutre en Espagne, expansionniste en Italie

En France, la Commission européenne estime que l’amélioration du solde structurel atteindra 0,3 pp de PIB en 2016, soit moins que 0,5 pp, le minimum requis pour un pays dans sa situation, et moins que 0,8 pp, comme demandé par la Commission au printemps dernier lors de la mise à jour du programme de stabilité et de croissance.

En fait, le gouvernement table sur une croissance de 1,5% l’an prochain, qui lui permettrait de tenir ses engagements de réduction du déficit en terme nominaux ce qui, vu de Paris, est l’essentiel, et de se conformer ainsi à la lettre, sinon à l’esprit, des règles européennes. Reste que, s’il venait à manquer son objectif du fait d’une croissance moins favorable que prévu4, il lui sera difficile d’arguer du respect de « son obligation de moyen » visant la mise en œuvre des efforts structurels adéquats5.

Concernant l’Espagne, la Commission européenne ne croit pas que le pays atteindra ses objectifs de réduction du déficit, ni en 2015, ni en 2016. Les sources de divergences sont multiples (prise en compte de données dont ne disposait pas le gouvernement au moment de l’établissement de son projet, prévisions de croissance moins optimistes, craintes d’un dérapage au niveau des régions et, pour 2015 notamment, divergences d’opinion sur le caractère structurel ou exceptionnel de certaines mesures). Toujours est-il que, cumulés sur deux années, ces éléments aboutissent à des prévisions très différentes. En fait, le pays bénéficie depuis cette année d’une forte accélération de l’activité, et se repose de plus en plus sur celle-ci pour assurer la réduction de ses déficits publics, au point que la politique budgétaire devrait être quasiment neutre l’an prochain. On est effectivement loin des engagements auxquels est tenu un pays, encore sous procédure pour déficit excessif, mais est-ce vraiment une mauvaise stratégie alors que le taux de chômage reste supérieur à 20% de la population active ? En outre, il nous semble que la vigueur de la reprise actuelle reste finalement la meilleure assurance que le déficit repassera sous peu et durablement en deçà de 3% du PIB, fut-ce en 2017, soit un an après la date limite fixée par Bruxelles.

Enfin, s’agissant de l’Italie, nous avions souligné, à l’époque, qu’elle serait la principale bénéficiaire des mesures de flexibilité dans les règles budgétaires introduites par la Commission en janvier dernier6. Ce sera bien le cas. Après avoir déjà fait valoir l’impact budgétaire de toute une série de réformes structurelles au printemps lors de la mise à jour de son programme de stabilité et de croissance, le gouvernement italien revient devant la Commission cet automne en cherchant notamment à faire jouer « la clause d’investissement » pour s’écarter encore un peu plus de sa trajectoire d’ajustement, à hauteur, cette fois, du coût de certains investissements bénéficiant de co-financements européens. Au total, Matteo Renzi prévoit une détérioration du solde structurel des finances publiques italiennes de l’ordre de 0,4 pp de PIB l’an prochain (plutôt qu’une amélioration de 0,5 pp) et espère que la Commission va valider cet objectif.

Celle-ci doit rendre ses recommandations sur les plans budgétaires de chaque Etat membre d’ici le 23 novembre, date à laquelle ses avis seront discutés au sein de l’Eurogroupe. Elle a d’ores et déjà demandé au gouvernement espagnol de revoir sa copie, mais il est tout à fait possible que, tout en se montrant en alerte, elle valide globalement les projets français et italien. Dans ce contexte, des voix commencent à s’élever pour regretter que certains, notamment parmi les grands pays de la zone, relâchent leurs efforts avant de satisfaire l’ensemble des règles européennes. Au point que le président de l’Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem, s’est récemment inquiété d’une éventuelle politisation des avis de la Commission européenne en matières de finances publiques. A elle de prouver le contraire et de rappeler qu’il y a encore un an, tous les leaders européens appelaient de leur vœux à une utilisation pleine et entière de toutes les marges de flexibilité offertes par le Pacte de Stabilité et de Croissance.

ENCADRE : Et pendant ce temps-là, en Allemagne….

L’Allemagne reste à contre-courant. Comme souvent dans les années récentes, elle a sous-estimé la robustesse de ses finances publiques en 2015, en partie, mais sans doute pas seulement parce que la croissance du PIB y a été plus forte que prévu. Attendu à l’équilibre il y a un an, l’excédent budgétaire pourrait finalement atteindre presque 1% du PIB en 2015. Pour l’an prochain, la Chancellerie continue de tabler sur un solde à l’équilibre, ce qui supposerait un relâchement de la politique budgétaire de 0,75 pp de PIB. La Commission européenne tout en évaluant le coût budgétaire de l’accueil massif des réfugiés outre-Rhin à 0,25 pp en 2016 après 0,1 pp en 2015, table sur une impulsion moins importante et un excédent d’encore un demi-point de PIB l’an prochain. Dans ces conditions, le ratio d’endettement va continuer de se réduire très rapidement et sera vraisemblablement revenu en deçà de 60% du PIB d’ici la fin de la décennie. C’est du côté des déséquilibres macroéconomiques que le pays fait de plus en plus figure de mauvais élève, avec un excédent courant qui devrait se maintenir au-delà de 8% du PIB à l’horizon de la prévision. Le solde de référence de 6% a été franchi en 2012, mais la Commission, qui fait donc également preuve de mansuétude outre-Rhin, ne s’est toujours pas attaquée au problème.

NOTES

  1. Qui a un impact sur le solde budgétaire via la variation du solde primaire structurel.
  2. La Grèce et Chypre n’ont pas eu à fournir de tels plans car leur surveillance budgétaire se fait dans le cadre des programmes d’ajustement et de financement européens dont ils bénéficient. En raison des élections législatives récentes, et de la difficulté à mettre en place un gouvernement depuis, le Portugal n’a pas été en mesure de fournir son plan budgétaire à la Commission à ce jour. Celle–ci a donc réalisé ses prévisions à politique inchangée dès 2016.
  3. Les Etats qui mèneront une politique budgétaire expansionniste sont ceux dont l’amélioration structurelle prévue en 2016 est négative (en rouge).
  4. A noter aussi, que, au-delà de la faiblesse de la croissance réelle, la faiblesse de l’inflation, et donc de la croissance nominale, limite l’efficacité de la politique de réduction des dépenses publiques françaises qui s’appuie beaucoup sur des mécanismes de gel ou de limitation des dépenses nominales.
  5. Plus de détails dans « Budget 2016 : de la rigueur et du soutien », Baudchon H., Ecoweek du 23/10/2015.
  6. Des éléments sur ces mesures dans « Zone euro : Plus de souplesse budgétaire, pour plus de réformes et d’investissements », Ecoweek du 16 janvier 2015.

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