La guerre du quadruple play

par Adrien Bourreau, consultant senior chez Kurt Salmon

Un forfait quadruple play est un forfait regroupant une offre triple play (internet + TV + téléphone fixe) ainsi qu’un forfait mobile. Nouvelle lubie des opérateurs télécom français depuis plus de 2 ans (lancement d’ideo en mai 2009), ce type de forfait à vocation à contrecarrer la tendance baissière du marché télécom (taux de pénétration du mobile > 100% et ralentissement de la croissance de l’internet haut débit) et se préparer à l’arrivée d’un trublion sur le marché : Free mobile. En effet, suite à l’obtention de la 4ème licence mobile, Free devrait faire son entrée sur le marché mobile en 2012 et a déjà promis de diminuer par deux la facture télécom des foyers français en proposant des offres quadruple play à moins de 50 euros par mois.

Les opérateurs se sont alors mis en ordre de bataille afin de sécuriser leurs parts de marché. Et l’avantage des offres quadruple play est bien là : proposer une offre « tout compris » qui permet d’acquérir de nouveaux clients mobile ou internet en s’appuyant sur leurs bases internet ou mobile, mais surtout de fidéliser le client à la fois sur le mobile et sur l’internet, en contre partie d’une réduction tarifaire substantielle par l’association des deux offres. Bouygues Télécom a été le 1er à proposer (et à inventer) ce type d’offre en lançant ideo en mai 2009. Devant le succès de cette offre, SFR et Orange lui ont emboité le pas, en lançant, respectivement, les Multi packs et Orange Open.

Récemment, SFR a dégainé une offre quadruple play à 40,80 euros par mois qui, si elle s’avère séduisante sur le papier, ne propose en réalité qu’un forfait mobile mensuel de 1h seulement ainsi qu’une offre triple play n’incluant pas les appels illimités vers les mobiles depuis le téléphone fixe. Pour avoir une formule « tout illimité », l’addition s’avère plus importante : entre 100€ et 120€ chez Orange, SFR et Bouygues télécom pour une offre avec un forfait mobile illimité 24h/24, 7j/7. Offre quasi-similaire entre les trois opérateurs historiques afin de ne pas « grignoter » trop rapidement leurs marges avant l’arrivée de Free.

Mais les MVNO, opérateurs mobiles virtuels, n’ont pas opté pour la même stratégie de statu quo, il en va de leur survie car ils sont supposés être les premiers à pâtir de l’arrivée de Free. La hausse de la TVA sur les abonnements mobiles a été une aubaine pour eux car cela leur a permis de recruter en masse de nouveaux abonnés mobiles début 2011 (une part de marché qui atteint près de 10% alors qu’elle n’était que 7,2% il y a un an). Mais ce bond n’est que conjoncturel et 2012 risque de ne pas être du même acabit car ils ne pourront plus user des mêmes ruptures tarifaires – et promesses marketing associées – face à Free.En difficulté sur le marché fixe, Darty a ainsi lancé en février 2011 des offres mobiles réservées à leurs clients DartyBox. Sans prévenir, Prixtel s’est lancé il y a quelques semaines dans la bataille en proposant une offre « quadruple play hybride » car celle-ci n’intègre pas la TV. Mais le MVNO qui a fait sensation ces derniers jours est bien Numéricâble car il a préempté le credo tant annoncé par Free : « la révolution mobile » en dégainant une offre quadruple play « tout illimitée » à moins de 50 euros par mois.

Qu’intègre l’offre du câblo-opérateur pour un tel prix ? Appels illimités, SMS/MMS illimités, internet mobile 3G (limitation à 500 Mo) mais sans mobile subventionné (une offre dite « SIM-only ») et nécessitant un engagement 24 mois (5 euros supplémentaires par mois pour en engagement 12 mois), soit 24,90 euros par mois, à condition d’être déjà client d’un service Numéricâble. Le cas échéant, tout nouveau client devra se résoudre à débourser 49,90 euros par mois. Ce qui revient tout de même à une offre deux fois moins chère que celles de ses concurrents.

Si Numéricâble réussi à proposer une telle économie, c’est en raison de deux facteurs. Le premier est celui de ne pas subventionner les mobiles lors de la souscription du forfait. Le second est lié à la décision de l’ARCEP de diviser par quatre les tarifs de gros du mobile au cours des deux prochaines années. Aujourd’hui, Numéricâble verse 3 centimes d’euros par minute à SFR lorsque l’un de ses clients appelle un mobile SFR. Ce coût ne sera plus que de 0,8 centime par minute en 2013. C’est ce qui a notamment permis à Free de lancer sa Freebox Révolution qui intègre des appels illimités vers les mobiles depuis le téléphone fixe.

Dans cette guerre acharnée dans laquelle semblent s’enliser l’ensemble des opérateurs télécom en France, de nombreuses pertes sont à prévoir mais un grand gagnant pourrait émerger : le consommateur.