2011, l’année de tous les défis

par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management

Depuis la récession de l'automne 2008, l'économie globale oscille entre coopération et affrontement.

Coopération

Lorsque, durant l'hiver 2008/2009, la situation paraissait inextricable, la mise en place de stratégies coordonnées avait permis le retour de la croissance. Les gouvernements et banques centrales des pays industrialisés et émergents s'étaient mobilisés conjointement et avec succès. La réussite de la réunion du G20 à Londres, en avril 2009, traduisait la volonté de tous les membres de travailler côte à côte.

Affrontement

À partir du printemps 2010, cette dynamique collective s'est progressivement épuisée, laissant à chacun l'obligation de rechercher les ressorts nécessaires pour faciliter le retour de la croissance et de l'équilibre sur le marché du travail. L'échec du G20 de Séoul en novembre 2010 reflète bien ce contexte particulier. Chacun espérait pouvoir bénéficier d'un environnement porteur pour trouver des solutions à ses propres déséquilibres. Ce ne fut pas le cas.

Les pays émergents ont gagné en autonomie durant toute cette période, alors que pour les pays industrialisés la situation est plus complexe. Si la reprise constatée en 2009 a permis une amélioration conjoncturelle significative, elle n’a toutefois pas atténué les déséquilibres nés de la récession et de la crise bancaire et financière.

En cette fin d'année 2010, les pays émergents cherchent pour la plupart à gérer leur cycle économique et à converger vers un taux de croissance soutenable à moyen terme. Pour les pays industrialisés, à l'exception de l'Allemagne, le cycle de reprise suit un rythme insuffisant, incapable de réduire rapidement les déséquilibres nés de la crise. Dès lors, le changement de rapport de force entre pays industrialisés et pays émergents se reflète dans l'incapacité des leaders mondiaux à partager des orientations communes.

2010 : développés versus émergents ?

L'économie en 2010 est marquée par une très grande hétérogénéité. Contrairement à ce qui était observé avant la crise, elle ne porte plus uniquement sur les modes de croissance, même si la distinction sur les ressorts de la croissance entre pays industrialisés et émergents est toujours pertinente.

Il faut en effet ajouter à cela davantage d'incertitude sur le modèle qui est à l'œuvre au sein des pays industrialisés. Le choc subi lors de la crise bancaire et financière persiste et engendre des dynamiques différentes de celles d'avant-crise. Les comportements des acteurs économiques ont été affectés car les contraintes subies ne sont plus les mêmes. La trajectoire de l'économie est désormais sous le sceau d'une incertitude nouvelle et l'horizon économique quelque peu incertain limite les prises de risques. Sur ce plan, la distinction est nette entre pays développés et émergents, la trajectoire de ces derniers étant perçue comme plus déterministe que celle des pays industrialisés. Cela peut devenir une source d'arbitrage en leur faveur sur les marchés financiers.

2011 : pays industrialisés et croissance modérée

L’horizon économique incertain se traduira par une croissance encore modérée dans les pays industrialisés pour l’année qui s’ouvre. Un taux de croissance positif y est attendu, mais un peu au-dessous de celui observé avant la crise. La probabilité d'une rechute en récession paraît cependant très limitée, tant aux États-Unis qu’en Europe.

La problématique de ce scénario réside dans le fait qu'il ne permet pas la mise en place d’une dynamique “habituelle” de sortie de crise qui calerait rapidement l'activité sur un sentier de croissance robuste.

En sortie de récession (en l'absence de crise financière) un fort rebond de la croissance est généralement constaté, à l'image de ce qui a été observé dans les pays émergents. Le choc négatif est alors rapidement effacé et l'économie peut repartir de l'avant. Mais dans le cas d’une crise financière et bancaire, un tel rebond est moins évident puisqu’il faut au préalable corriger les excès financiers qui ont mené à la crise. Ce processus prend du temps.

La résorption des excès passe souvent par une première période de dégradation des indicateurs budgétaires, marqués par une hausse de la dette publique. La correction budgétaire qui s'ensuit limite le rebond de l'activité et nécessite, pour être efficace, le maintien d'une politique monétaire très accommodante. C'est le schéma dans lequel devraient s'inscrire les économies américaines et européennes.

Deux remarques à ce stade :

  • l'adoption par la Fed d'une politique monétaire encore plus accommodante avec le quantitative easing suggère la nécessité d'une stratégie plus accommodante du côté des pays européens afin d'être en phase au sein des pays industrialisés ;
  • une stratégie monétaire plus accommodante en Europe peut quant à elle permettre de compenser les effets très restrictifs des politiques budgétaires mises en œuvre dans les différents pays uropéens. Elle nécessite néanmoins un arbitrage qui, à court terme, ne doit pas se faire au détriment de l’activité et de l’emploi.

Focus sur les États-Unis et l’Europe

– Aux États-Unis

La dynamique du marché du travail va rester fragile. À fin 2010, le niveau d'emploi y est toujours très inférieur à ce qu'il était avant la crise. Le marché de l'immobilier sera également très long à redémarrer. Le quantitative easing peut limiter la fragilité de la demande intérieure dont la dynamique reste néanmoins incertaine.

L'un des objectifs de la Federal Reserve dans l'adoption de sa nouvelle stratégie monétaire est de réduire le risque de déflation. Il y a sur ce point un enjeu conjoncturel fort. En effet, les ménages américains sont toujours très endettés malgré une dynamique de désendettement amorcée il y a plus de deux ans. Si l'économie venait à entrer en déflation, l'impact sur la dynamique interne serait extrêmement négatif et viendrait fortement pénaliser la phase cyclique actuelle. C'est une situation que la Fed veut absolument éviter et cela explique probablement l’essentiel de sa nouvelle stratégie.

– En Europe

L'hétérogénéité semble être le maître mot en cette fin 2010 avec la distinction entre trois modes de croissance :

  • en Allemagne, avec une croissance dépendante de l'activité globale qui continuera de bénéficier de cette situation en 2011 si l'ajustement des pays émergents vers un sentier de croissance soutenable s'achève ;
  • en France où la croissance est tout à la fois modérée et limitée, avec une demande interne robuste mais aussi une forte dégradation des échanges à l'exportation (la croissance ne peut alors pas connaître de réelle reprise); 
  • dans les pays dits "périphériques" où la situation est complexe. En effet, leur modèle de croissance ne fonctionne plus et les déséquilibres des finances publiques se sont accumulés. Leur capacité à résoudre cette équation s’en retrouve d’autant plus limitée.

Une solution collective s’avère donc nécessaire. Mais cela signifie qu'il faut créer de nouvelles institutions au sein desquelles l'ensemble des participants au financement des pays "périphériques" trouve son compte : gouvernements comme investisseurs. Cette nouvelle construction devrait permettre de solidifier la dynamique européenne.

Conclusion

La situation globale est complexe car le choc subi lors d'une crise financière est toujours très long à absorber. Cette absorption exige des politiques qui ne soient pas toutes systématiquement contraignantes, car la dynamique de l'activité et de l'emploi reste fragile dans cette phase d'ajustement. Or, dans un monde qui bouge et où les équilibres évoluent entre pays industrialisés et émergents, prendre le risque d'une dynamique interne durablement fragile est périlleux.