2011 : vers un monde tripolaire

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La forte reprise de la croissance mondiale, (déjà initiée au second semestre 2009), la dichotomie entre les rythmes de croissance des pays émergents et des pays développés, la crise des dettes souveraines européennes et le début de la guerre des monnaies auront été les principales caractéristiques de l’économie mondiale en 2010.

Certains de ces thèmes, qui ont dominé 2010, vont vraisemblablement rester d’actualité cette année. Pour autant, il nous semble que l’on pourrait passer d’un monde bipolaire en 2010 à un monde tripolaire en 2011. En effet, si la dichotomie dans les rythmes de croissance devrait continuer à perdurer en 2011 malgré le ralentissement attendu dans les pays émergents, nous aurions tendance à segmenter le monde en trois cette année, séparant les Etats-Unis de la zone euro, en raison des différences de politiques économiques qui vont y être menées.

Les grandes tendances de l’année 2011 devraient être, selon nous, les suivantes

  • La croissance dans les pays émergents devrait ralentir en 2011 comparé aux rythmes de 2010, mais elle resterait relativement dynamique, proche du rythme potentiel des économies. Certains pays émergents font face à une résurgence du risque inflationniste, en partie lié à la hausse du prix des matières premières mais aussi, pour certains, à des tensions domestiques (cycle de crédit). Confrontées au risque de surchauffe et au risque inflationniste, plusieurs banques centrales ont déjà commencé à resserrer leur politique monétaire en 2010 (via des restrictions de crédit, hausse du taux des réserves obligatoires et hausse des taux) et ce cycle de resserrement devrait continuer en 2011 dans les grands pays émergents, en particulier en Chine, Inde et Brésil. Les pays émergents vont continuer de devoir faire face aux problématiques d’entrées de capitaux (potentiellement déstabilisantes si elles sont à court-terme) et à l’appréciation induite de leur taux de change. Le triangle des incompatibilités de Mundell1 risque donc de rester un thème d’actualité en 2011.
  • Les nouvelles sur les Etats-Unis devraient être plutôt bonnes à court-terme, la croissance américaine étant soutenue par un policy-mix très expansionniste, permettant d’éviter le ralentissement que nous anticipions il ya encore un mois. En effet, les Etats-Unis vont bénéficier d’une politique budgétaire accommodante, avec de nouvelles mesures fiscales qui prévoient, outre l’extension pour deux ans des baisses d’impôts Bush de 2001/2003, d’allonger les prestations chômage pendant treize mois et de baisser la payroll tax payée par les ménages. La conséquence directe sera l’absence de consolidation budgétaire aux Etats-Unis en 2011 avec un déficit budgétaire de 9,4% (en % du PIB). Au total, la croissance américaine serait de 2,7% en moyenne en 2011, supérieure d’un demi-point à son rythme potentiel. Le marché du travail pourrait donc s’améliorer mais nous restons très prudents sur les perspectives à moyen terme de l’économie américaine avec la persistance de déséquilibres structurels qui pèseront tôt ou tard sur la croissance : marché immobilier toujours déprimé, désendettement insuffisant des ménages, situation dégradée des collectivités locales, absence de consolidation budgétaire,…
  • Contrairement aux Etats-Unis, la zone euro ne bénéficiera pas d’un policy-mix aussi accommodant. La BCE n’est pas décidée à aller plus loin dans la politique monétaire non conventionnelle, les achats de titres via le SMP étant opérés sous la contrainte des marchés. Par ailleurs, les politiques budgétaires vont rester contraintes par la défiance des marchés envers les dettes souveraines européennes. L’austérité budgétaire va donc continuer de peser sur les perspectives de croissance de la zone euro. Cette dernière enregistrera une croissance de 1,2% en moyenne en 2011, en ralentissement par rapport à 2010. La zone euro devrait rester caractérisée par d’importantes hétérogénéités, creusées par la politique monétaire unique qui se révèle trop expansionniste pour certains et trop restrictive pour d’autres…

Les économies vont donc être confrontées à des problématiques très différentes, avec d’un côté des pays émergents faisant face à l’inflation et à l’appréciation de leur change, de l’autre des pays faisant face au risque de déflation et de crise de dettes souveraines (Europe,…) et enfin les Etats-Unis qui pourraient être sauvés à court-terme par l’expansionnisme des politiques économiques mais qui ne font que repousser les ajustements nécessaires à plus tard.

NOTES

1 Impossibilité d’avoir simultanément une politique monétaire autonome, des changes administrés et une libre circulation des capitaux.

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