par Frédéric Buzaré, Responsable de la gestion Actions chez Dexia Asset Management
Il se peut que la crise soit parvenue à un tournant. Les investisseurs ont à présent l'espoir qu'une solution pour sortir de la crise souveraine se profile et que cette solution soit annoncée avant la réunion du G20 qui se tiendra à Cannes début novembre. Ils attendent une stratégie précise. La réponse politique qui se met actuellement en place pourrait s'avérer plus agressive mais ceci ne signifie pas pour autant que nous sommes tirés d'affaire.
Le débat avance mais il reste à prendre des décisions claires. Il semble que les meilleures options aient été mises sur la table (restructuration en profondeur de la dette grecque, poursuite de la recapitalisation des banques, FESF étendu et plus flexible) mais la décision est difficile à prendre sur le plan politique. Les dirigeants politiques ont fait beaucoup de promesses ces derniers jours et ils sont censés proposer des solutions avant le 3 novembre, date de la réunion du G20. À l'assemblée annuelle du FMI et à celle de la Banque mondiale à Washington, les ministres des finances européens et les gouverneurs des banques centrales se sont engagés à « augmenter la flexibilité du FESF, optimiser son impact et améliorer la gestion de crise et la gouvernance dans la zone euro ».
Les solutions économiques les plus plausibles sont souvent inacceptables sur le plan politique, ou du moins très difficiles à défendre. La voie du désendettement est forcément douloureuse. La plupart des pays développés doivent maintenant faire un choix entre plusieurs mauvaises options, certaines étant pires que d'autres.
Aujourd'hui la question n'est plus seulement de résoudre la crise de la dette souveraine mais aussi de bâtir un nouveau modèle économique en Europe et une nouvelle gouvernance institutionnelle pour l'Union européenne. Les problèmes à court terme et les problèmes à long terme sont interdépendants.
Le tout est de choisir une direction claire. Deux options se présentent déjà : réécrire les règles de la zone euro ou réécrire les règles du cadre bancaire. Une recapitalisation directe du secteur bancaire est-elle préférable à une revue radicale des règles de la zone euro, à travers la création d'euro-obligations transnationales ? Les contribuables allemands ne seraient sans doute pas enchantés de recapitaliser leurs banques mais nous pensons que cette option les dérangerait moins que celle consistant à soutenir la politique d'endettement et les dépenses d'Athènes, de Lisbonne ou de Rome.
Les décideurs politiques doivent travailler sur plusieurs autres fronts en marge de la crise bancaire, parmi lesquels la gouvernance de la zone euro et le potentiel de croissance sous-jacente.
La pression du marché est un mal nécessaire. Le problème en Europe est que les politiciens croient qu'ils peuvent tromper les marchés. L'Italie a refusé d'entreprendre les réformes structurelles qui permettraient de mettre fin à une décennie de stagnation économique. La Grèce a promis de privatiser une grande partie de son économie mais jusque là elle n'a vendu aucun actif important. Tout bien considéré, le marché n'est pas impressionné par les efforts de l'Italie pour s'attaquer à son problème d'endettement et il est sceptique, à juste titre, quant à la volonté politique de Rome de prendre des décisions drastiques.
Les aléas moraux ne sont pas réservés aux investisseurs privés ou aux traders. L'Allemagne et ses alliés du nord de l'Europe pensent que seule une pression intense de la part des marchés pourrait contraindre les économies faibles à réduire leurs dépenses et améliorer leur compétitivité. Mais la Grèce a appris que chaque fois que la crise de la périphérie européenne menaçait de se propager aux pays centraux, l'Europe fermait les yeux sur les promesses non tenues et proposait un nouveau plan de sauvetage. Il semble que l'Italie fasse le même calcul. Le gouvernement affirme qu'il honorera son engagement d'équilibrer le budget d'ici 2013 mais les dirigeants politiques italiens traînent des pieds pour mettre en place les mesures d'austérité requises. Si un plan ambitieux a été dévoilé mi-août, sous la pression du marché, les mesures d'austérité ont été tempérées sitôt que les rendements obligataires italiens ont commencé à faiblir suite à l'intervention de la BCE.
En réalité, le recours aux euro-obligations ne devrait pas être envisagé tant que les membres de la zone euro n'auront pas repris confiance. La solution passe par l'intégration budgétaire et économique mais cette intégration n'est pas facile à mettre en place. L'intégration budgétaire ne consiste pas uniquement à laisser les pays perdre leur souveraineté nationale. La question est aussi de savoir qui assumera ce pouvoir. S'agira-t-il d'un organisme supranational comme la Commission européenne, ou d'un organisme intergouvernemental comme le Conseil européen ?
Un éventuel défaut de la Grèce ne devrait pas avoir un effet énorme sur les marchés mondiaux, dans la mesure où cette probabilité à court terme est d'ores et déjà anticipée (le marché obligataire l'ayant incluse dans les prix à hauteur de plus de 95 %). Il reste deux incertitudes : à quel moment le défaut surviendra-t-il et quelles seront ses conséquences ? Une fois que le FESF 2.0 aura été lancé, le défaut de la Grèce ne pourra se dérouler que d'une manière ordonnée. Le plus effrayant sont les conséquences secondaires, contagieuses et imprévues d'un défaut.
Des garde-fous doivent être mis en place pour éviter la contagion. Cela implique que les gouvernements et les banques fassent tout leur possible pour renforcer leurs bilans.
Comme l'a illustré la crise de 2008, les effets d'amplification peuvent causer plus de dommages que le choc initial. De même, deux axes de contagion ont été mis en évidence par des études récentes sur la répercussion des chocs financiers sur le système bancaire :
- le désendettement, par lequel les banques procèdent à des ventes massives dans le but de conserver un minimum de capitaux propres par rapport au total de leur bilan ;
- le choc du financement interbancaire, lequel amplifie le désendettement.
Au début de la crise, les décideurs politiques ont sous-estimé le fait que le risque souverain pouvait se transmettre aux banques et à l'économie par le biais du financement. Les banques sont cruciales pour les économies européennes, à l'inverse des États-Unis où les marchés ont beaucoup plus d'importance.
La principale menace pour les entreprises est le manque de clarté plutôt que la crise souveraine. Les sociétés sont confrontées à un environnement réglementaire et fiscal très incertain. La dernière enquête du NIFB indique que les entreprises s'inquiètent du durcissement de la réglementation, et cette crainte est bel et bien fondée. Plus de 260 nouvelles réglementations ayant un coût économique important sont émises chaque année, presque 80 % plus nombreuses que les réglementations émises avant la crise de 2008.
Le monde de l'investissement est devenu tellement dépendant des politiques de soutien macroéconomique qu'il se repose systématiquement sur ces solutions chaque fois que les marchés sont désorientés. Les investisseurs ne croient plus en l'efficacité des politiques accommodantes. La dernière décennie a vu fondre le bénéfice des stimulations macroéconomiques et a été marquée par une protestation populaire contre le capitalisme garanti par de l'argent public.
Bien que la sagesse conventionnelle anticipe un scénario économique maussade pour 2012, nous pourrions nous trouver dans une situation en demi-teinte : ni une reprise, ni une récession. L'économie mondiale marche sur un fil, menacée par la contraction des nouvelles commandes et des exportations. En même temps l'économie américaine s'avère résiliente. Si l'emploi privé ne se développe pas assez vite pour compenser la détérioration de l'emploi public local, et si par conséquent le taux de chômage reste élevé, l'économie est loin de s'effondrer et les demandes hebdomadaires d'allocation de chômage restent bien en dessous de la barre des 400 000.
Les marchés des actions tiennent actuellement compte d'une « récession normale » du type de celle qui a été observée au début des années 1990 et en 2001, lorsque la croissance mondiale avoisinait les 2,5 %. Les mouvements de marché peuvent être amplifiés par un positionnement extrême du marché. Le sentiment général des investisseurs est globalement morose, raison pour laquelle nous pourrions assister sous peu à une liquidation forcée des positions courtes. Les mouvements violents sont plutôt caractéristiques d'un marché baissier que d'un marché haussier.
À court terme les marchés boursiers pourraient profiter d'une reprise, alimentée par les attentes entourant une résolution complète et coordonnée de la crise souveraine. Cela contribuerait à alléger les primes de risque. Mais le problème de la croissance structurellement basse ne serait pas pour autant résolu en Europe, origine de la crise. Les marchés boursiers seront confrontés à une douloureuse compression des valorisations. La plus grande incertitude est la prime de risque qui doit s'appliquer dans un monde en voie au désendettement et exposé à des risques extrêmes.
Le cœur du système est menacé
Les banques françaises sont soumises à une énorme pression et plusieurs métriques financières nous poussent à penser que nous approchons d'un moment crucial.
Un nouveau cadre économique est indispensable, au moment où la politique monétaire et la politique fiscale sont dans une impasse. Les hommes politiques et les bénéficiaires de leurs illusions fiscales ont abusé de la philosophie keynésienne, consistant pour le gouvernement à , d’une part, augmenter ses dépenses lorsque la demande du secteur privé s'affaiblit, et, d’autre part, stimuler la croissance de l'emploi.
Les banques centrales en Europe et aux États-Unis disent non à des mesures keynésiennes et font pression sur leurs autorités pour qu'elles mettent de l'ordre dans leur budget. Elles estiment qu'il est risqué de faire fonctionner la planche à billets pour monétiser la dette souveraine, mais c'est exactement ce que cherchent à faire les gouvernements. Aujourd'hui, dans un monde où un endettement excessif pousse les pays à faire des coupes dans leurs dépenses, les banques centrales sont une fois de plus sous pression pour assouplir encore leur politique monétaire. Cela les met dans une position inconfortable, dans la mesure où leur indépendance est menacée. La Chine et les États-Unis ont fait la leçon, ou du moins ont donné des conseils aux pays européens il y a quelques semaines. Une réflexion intense est en cours pour trouver la réponse politique qui convient. La conclusion est attendue pour la réunion imminente du G20, laquelle se tiendra à Cannes début novembre.
Certaines observations doivent être gardées à l'esprit :
- les bonnes politiques économiques sont politiquement impopulaires ; les politiques efficaces doivent être agressives… et flexibles ; une planification agressive permet d'économiser beaucoup d'argent des contribuables.
Une contraction du crédit est imminente
2012 et 2013 seront des années compliquées. Les 90 banques européennes qui ont récemment été soumises à une simulation de crise par l'Autorité bancaire européenne doivent renouveler une dette totale de 5400 milliards d'euros sur les 24 prochains mois. Il existe un grand décalage de financement à combler en 2012. Les besoins financiers sont importants, que ce soit au niveau souverain ou au niveau bancaire.
Les États-Unis : beaucoup de bruit pour rien ?
Les données macroéconomiques américaines constituent une bonne surprise. Les demandes d'allocation chômage, excellent indicateur de l'activité économique américaine, ne confirment pas la tendance récessionnaire qui est prise en compte dans le cours des obligations et des actions bancaires.
Les récentes nouvelles économiques provenant des États-Unis sont surprenantes, étant donnés le risque suspendu au-dessus de nos têtes et les prévisions pessimistes. Pourquoi les chiffres économiques témoignent-ils d'une telle résilience des États-Unis ? En 2008, la récession est apparue brusquement alors que cette fois les agents économiques étaient préparés à des conditions adverses. Aujourd'hui, l'éventualité d'une nouvelle récession est contredite par l'argument que l'économie américaine n'est pas particulièrement vulnérable à la dynamique cyclique des affaires. Dans le passé, l'élément de surprise a été un facteur important du déclenchement, ou du moins de l'amplification des récessions. Des entreprises positionnées pour une croissance de 3 à 4 % se situent plutôt aux alentours de 1 %. Cela incite à la réduction des stocks, des dépenses d'investissement et des embauches. Pour le moment, ce n'est pas le cas.
Le marché immobilier américain : le talon d'Achille
La Fed a baissé ses taux d'intérêt à leur niveau le plus bas depuis des décennies, et pourtant de nombreux emprunteurs n'ont pas pu en profiter pour renégocier leur prêt immobilier. Les propriétaires ne peuvent pas se refinancer pour la simple raison qu'il n'ont pas assez de capital, ou qu'ils ne répondent pas aux critères plus exigeants que les banques ont instaurés en matière de crédit suite à l'effondrement du marché.
Fannie Mae et Freddie Mac, lesquels garantissent environ la moitié des 11 000 milliards de dollars de crédit immobilier du pays, pourraient stimuler l'économie en permettant aux emprunteurs de refinancer leurs prêts plus facilement. Les ménages ne tirent aucun bénéfice des taux plus bas.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi le refinancement a été aussi faible. L'un des problèmes réside dans les accords de rachat entre d'une part Freddie Mae et Fannie Mac, et d'autre part les banques qui leur vendent les crédits immobiliers. Les banques ont peur de refinancer, en partie parce qu'elles devraient racheter des milliards de prêts impayés en conséquence de la crise immobilière. Les frais de garantie GSE constituent une autre barrière au refinancement, même si ces crédits immobiliers sont déjà couverts.
Barack Obama est soumis à une forte pression pour soumettre de nouvelles idées n'exigeant pas davantage d'argent de la part du Congrès. Une idée simple est de stimuler les dépenses des consommateurs et de limiter le désastre du marché immobilier en permettant à davantage de propriétaires de refinancer leur prêt. Le gouvernement américain pourrait utiliser le dispositif GSE pour refinancer des millions de prêts, libérant ainsi des liquidités pour davantage de consommateurs.
La Maison Blanche travaille sur un plan pour réaménager les programmes de refinancement, du fait que les taux immobiliers américains sont proches de leur niveau le plus bas depuis plus de 50 ans.
De nombreux propriétaires n'ont pas pu se refinancer pour la raison que leur propriété a perdu de la valeur ou parce qu'ils ne répondent pas aux critères de crédit devenus plus rigides depuis la date de leur premier prêt immobilier. Ce qui est avantageux pour les propriétaires est négatif pour les porteurs d'obligations. Les fonds de pension et les banques devraient accuser le coup.
Stratégie : s'attendre à des alertes sur les bénéfices
À l'approche des publications de bénéfices du troisième trimestre, les nouvelles microéconomiques devraient prendre le devant de l'actualité pendant quelques semaines. Nous observerons de près les chiffres du troisième trimestre, plusieurs sociétés pouvant être amenées à reconnaître que leurs objectifs sont exagérément optimistes au vu de la faiblesse de la conjoncture économique. L'accent sera mis sur les cycliques, en particulier dans le contexte des nouvelles négatives venant de Chine, lesquelles génèrent de nouvelles inquiétudes qui commencent à affecter les actions exposées aux marchés émergents comme les constructeurs automobiles allemands et LVMH. Ces noms sont surinvestis et par conséquent l'impact sur le marché pourrait être amplifié par des inquiétudes plus fondamentales. Les investisseurs vendront d'abord et réfléchiront ensuite. Bien que la crainte d'une récession fasse les gros titres, les actions cycliques n'ont pas tellement souffert.
Les cycliques touchent généralement le fonds avant la macro mais cette fois nous devons valoriser les sociétés cycliques dans un environnement de désendettement, ce qui complique la situation. Notre stratégie n'a pas été modifiée en septembre. Nous conservons un profil défensif avec un biais vers une qualité raisonnable. Nous avons pris nos profits sur des noms bien gérés comme Yara, négocié avec succès BNP Paribas et Société Générale et augmenté notre conviction sur EON.
Nous sommes attentifs aux signaux qui pourraient indiquer une phase de capitulation. Nous restons de l'avis qu'une vente massive sur les marchés émergents constituerait l'un de ces signaux. Le marché des actions aura touché le fonds lorsque les investisseurs auront la possibilité d'acheter ces titres à long terme dans de bonnes conditions. Les banques pourraient mener un rebond à court terme mais un rebond durable ne peut être alimenté que par des actions de croissance.
Notre scénario central reste celui d'une évolution de crise en crise, chaque crise étant en quelque sorte évitée en mettant plus d'argent sur la table, jusqu'à ce que la dette des gouvernements AAA commence à être remise en question par les marchés.
Pour que nous reprenions confiance, il faudrait que les dirigeants politiques paniquent. Ils progressent mais ne sont pas encore prêts à sortir l'artillerie lourde. Notre idée centrale, jusqu'à avis contraire, est de rester patient et de nous tenir prêts à passer à l'action.