La France en sursis ?

par Eric Bourguignon,
Directeur de la gestion de Taux et Crédit chez Swiss Life AM

Le récent virage social-démocrate du Président Hollande ne doit sans doute rien au hasard. Le décrochage économique de notre pays est en effet très préoccupant, et il était donc urgent de tenter de l’enrayer, car l’indulgence actuelle des marchés financiers à l’égard de la France pourrait ne pas durer.

Le mystère des spreads

Les français et leurs dirigeants n’aiment pas les marchés financiers
(« Mon ennemi, c’est la finance »…). Leur animosité envers cette corporation, au demeurant largement partagée dans le monde, n’est pas
sans fondement compte tenu
de la responsabilité qu’elle a eu
dans le déclenchement de la crise des subprimes. Cette hostilité nous semble cependant exagérée car la France peut aujourd’hui emprunter sur les marchés de capitaux à des conditions
de financement particulièrement avantageuses, preuve de la bienveillance dont nous bénéficions de la part de ceux que nous jugeons si sévèrement. Rarement la rémunération
que nous devons consentir pour lever des capitaux sur les marchés
n’a effectivement été aussi faible. Rarement les primes de risque
(les fameux spreads) exigées par nos créanciers pour qu’ils acceptent
de nous prêter n’ont été aussi serrées. La France est quasiment traitée par les marchés à l’égal
de l’Allemagne pourtant considérée comme un des débiteurs les plus sûrs du monde.

Cet engouement pour la dette française interpelle. Notre pays n’a certes
pas fait défaut depuis 1797 (épisode
de la Banqueroute des Deux Tiers), mais il est loin de rivaliser avec nos voisins germaniques, que ce soit sur le plan économique, ou sur le plan financier.

Le décrochage de la France

Il n’est d’ailleurs pas exagéré de dire que notre situation relative s’est plutôt détériorée au cours des dernières années, non seulement vis-à-vis de l’Allemagne, mais également vis-à-vis des autres membres de l’Union.
Nos coûts unitaires de production et notre compétitivité se sont érodés, tandis qu’ils s’amélioraient sensiblement chez nos partenaires. Malgré le poids considérable des prélèvements obligatoires, les déficits publics restent très élevés dans l’Hexagone alors qu’ils ont disparu Outre-Rhin, et s’amenuisent dans la périphérie de la zone euro. La rentabilité de nos entreprises est très inférieure à la moyenne européenne, ce qui pèse sur l’investissement et l’emploi.
Plus grave, nos parts de marché
à l’exportation ne cessent de reculer, et la France est le seul grand pays européen qui affiche encore un déficit extérieur important (correspondant à 1.7 % de son PIB).

Dépendance financière

Conséquence mécanique de la persistance de ce déficit extérieur, notre pays continue de s’endetter. Un déficit extérieur traduit en effet un excès de demande intérieure par rapport à la production nationale, autrement dit
un excès de dépenses par rapport aux revenus distribués qui oblige les agents économiques à recourir à l’emprunt pour pallier à l’insuffisance de leurs revenus. Cette situation nous met évidemment en état de dépendance par rapport
aux marchés financiers, puisque c’est auprès d’eux que nous empruntons les ressources qui nous manquent. Elle nous oblige en outre à satisfaire à leurs exigences de rigueur et d’assainissement budgétaire, car comme le disait fort justement Bonaparte : « Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent
la situation, puisque la main qui donne
est au-dessus de la main qui reçoit ».