par Claudia von Türk, Analyste recherche actions senior, secteur bancaire, chez Lombard Odier
- Les banques américaines ont enregistré des résultats solides au premier trimestre, mais les inquiétudes concernant les bilans des petites banques persistent
- Les mesures prises par la Fed pour endiguer la contagion du secteur financier ont été utiles ; de nouvelles mesures pourraient inclure une augmentation des garanties de dépôt. Cependant, un renforcement de la réglementation est très probable et pèsera sur la rentabilité des banques américaines
- Le durcissement des conditions de prêt ralentit l’activité économique et augmente la probabilité d’une récession modérée aux États-Unis
- Si les risques de contagion semblent limités aux banques de petite taille, nous conservons une posture prudente à l’égard du secteur bancaire américain et privilégions les valeurs bancaires européennes.
La crise bancaire du mois de mars n’est pas encore terminée. Les investisseurs surveillent de près les valeurs bancaires américaines. En effet, les inquiétudes demeurent concernant la baisse des dépôts auprès des prêteurs régionaux. La remontée des taux d’intérêt et le resserrement des conditions de crédit limitent la capacité des petits prêteurs à consolider leurs bilans, et l’ensemble des banques américaines sont confrontées à l’éventualité d’une hausse des coûts réglementaires. Toutefois, la crise semble limitée et le secteur bancaire européen est beaucoup plus sain.
En dépit de ces inquiétudes, les banques américaines ont affiché de solides résultats durant les trois premiers mois de 2023. Cette situation est due en grande partie à la hausse des taux d’intérêt, ce qui s’est traduit par une augmentation de 33% des revenus d’intérêts nets et une amélioration de 15% des revenus. Cependant, les estimations du bénéfice par action ont légèrement diminué, les investisseurs ayant pris en compte les prévisions de baisse des revenus d’intérêts nets. De nombreuses banques indiquent qu’elles prévoient d’arrêter, ou du moins de ralentir, les rachats d’actions face aux incertitudes économiques et à l’augmentation des coûts réglementaires.
Les préoccupations concernant les bilans ont toutefois éclipsé les résultats trimestriels. Après les faillites de la Silicon Valley Bank, de la Silvergate Bank et de la Signature Bank en mars, les efforts de la Réserve fédérale pour contenir les craintes des investisseurs ont semblé porter leurs fruits. La banque centrale américaine a mis en place une facilité de prêt pour permettre aux banques d’accéder aux liquidités et de répondre à la demande de leurs clients en la matière. JPMorgan est ensuite intervenue pour racheter les actifs de la First Republic Bank le 1er mai et, la semaine dernière, après avoir annoncé qu’elle examinait ses options et qu’elle avait initié des pourparlers avec des investisseurs potentiels, la Pacific Western Bank a signalé le retrait de 9,5% de ses dépôts.
Qu’est-ce qui pourrait mettre fin à cette boucle de réaction négative ? La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), étudie les options àsa disposition pour relever la garantie existante de 250 000 USD sur les dépôts afin de renforcer la confiance des clients dans le système bancaire. Les banques dont les dépôts dépassent ce seuil, y compris PacWest, ont jusqu’à présent supporté l’essentiel des sorties de fonds, que les clients ont ensuite placés auprès d’établissements plus importants (voir graphique 1). L’option privilégiée par la FDIC semble être une augmentation de la garantie pour des segments spécifiques, notamment pour les comptes de paiement des entreprises. L’assurance fédérale couvre déjà un montant record de 10 400 milliards USD d’épargne des clients et toute modification du plafond d’assurance, voire sa suppression, nécessiterait l’approbation du Congrès. Cela comporte un risque politique à un moment où le plafond de la dette nationale est remis en question.
La rentabilité des banques américaines sera également mise à l’épreuve par des exigences réglementaires plus strictes. Cela devrait impacter en particulier les prêteurs dont les actifs sont inférieurs à 250 milliards USD. Ces banques bénéficient d’une réglementation plus souple : elles ne sont, par exemple, pas soumises aux exigences américaines en matière de Total Loss Absorbing Capacity (TLAC), datant de 2015 et visant à garantir que les banques d’importance systémique disposent de suffisamment de fonds propres pour absorber ou « recapitaliser » les pertes par le biais d’un « renflouement interne » (« bail-in »), plutôt que de dépendre d’une « recapitalisation » par l’État. Les grandes banques américaines et la plupart des prêteurs européens sont déjà soumis, quelle que soit leur taille, à des exigences en matière de « dette cautionnable ». Cette situation est susceptible de changer. Et le renforcement de la réglementation sur un certain nombre de fronts pourrait réduire la rentabilité des banques et les inciter à constituer des fonds propres, ce qui ralentira également la croissance des prêts. Si ce renforcement est échelonné sur plusieurs années, il devrait s’avérer gérable.
Certes, il est trop tôt pour dire si nous avons assisté à la dernière faillite d’une banque américaine, mais nous n’observons pas de signes de contagion susceptible d’affecter le secteur bancaire américain et de créer des dommages économiques à large échelle.
Politique monétaire plus restrictive, resserrement du crédit
D’un point de vue macroéconomique, un accès plus restrictif au crédit pourrait augmenter la probabilité d’une récession modérée aux États-Unis avant fin 2023. Les conditions de prêt sont désormais conformes à la situation qui prévalait durant les ralentissements conjoncturels passées. Les secteurs économiques les plus sensibles aux taux d’intérêt, tels que l’industrie manufacturière, le logement et l’investissement privé, ainsi que l’immobilier commercial, présentent des vulnérabilités visibles. Ceci dit, la Fed a tenu compte des tensions sur le système bancaire et ajusté sa politique. Le risque d’un nouveau resserrement monétaire agressif a diminué après que la banque centrale américaine a signalé une pause le 3 mai, suivant un relèvement de 25 points de base de son taux directeur à 5,25%. Nous estimons que cette augmentation marque le pic de ce cycle de hausse des taux.
Les prêteurs les plus vulnérables aux pressions sur leurs dépôts sont les petites banques et les banques régionales dont les actifs sont inférieurs à 250 milliards USD. Elles jouent un rôle essentiel pour le financement du marché immobilier commercial américain. Depuis la grande crise financière, la part des petites banques dans ce marché a augmenté de 55% à 70% de l’ensemble des prêts et des baux.
Les dernières données hebdomadaires de la Fed suggèrent que tandis que les prêts accordés par les petites banques ne croissent que lentement, ils ne se sont pas effondrés (voir graphique 2). De même, alors que les études portant sur les prêts aux petites entreprises indiquent un accès plus difficile au crédit, nous ne voyons aucun signe indiquant un risque sérieux de crise systémique (voir graphique 3).
Cependant, contrairement à de nombreux cycles économiques du passé, la vigueur actuelle de l’économie américaine n’est pas attribuable au crédit. Malgré les tensions dans le système bancaire, des prêts continuent à être accordés, de sorte que l’impact d’un resserrement de la politique monétaire sur l’économie au sens large pourrait rester modeste. Nous anticipons toujours une récession modérée dans le courant de cette année, ce qui rend probable une pause dans les hausses de taux de la Fed au moins jusqu’à la fin de l’année.
Les conséquences de la crise bancaire de mars 2023 continueront à se faire sentir durant les mois à venir. Le secteur bancaire américain est confronté à de nombreux vents contraires et si les prêteurs régionaux en seront les plus affectés, les grandes banques américaines devraient en sortir relativement indemnes. De manière générale, à ce stade du cycle des taux d’intérêt, et même en faisant abstraction des événements de mars, le coût des dépôts augmente, tandis que leur croissance ralentit, voire devient négative. Même si cela pourrait rester gérable, nous conservons une posture prudente à l’égard des actions bancaires américaines, qui seront confrontées à moyen terme à des pressions sur la rentabilité dues à des dépôts plus coûteux, à des charges plus élevées en matière de garantie des dépôts après les récentes faillites bancaires, et à un durcissement probable de la réglementation.
Au sein du secteur financier mondial, nous privilégions les banques européennes et japonaises. Le secteur bancaire européen semble plus sain. Le cycle des taux d’intérêt du continent est en retard comparativement à celui des États-Unis, et les grandes et petites banques européennes sont déjà soumises à des exigences très strictes en matière de fonds propres. En outre, elles affichent des bilans plus liquides et restituent du capital à leurs actionnaires. Il en va de même pour les prêteurs japonais, qui augmentent leurs programmes de rachat d’actions. Ailleurs, alors que le secteur de la gestion d’actifs continue à faire face aux défis structurels liés à la baisse des frais, les plateformes d’échange et les sociétés de paiement présentent des opportunités à long terme.