Allemagne, le taux sans risque ?

par Frédéric Penel, Responsable Gestion Taux chez CCR Asset Management

Depuis la crise des subprimes débutée à l’été 2007, chacun a pu découvrir le vrai sens de quelques mots et concepts appris sur les bancs de l’école mais jamais réellement mis à l’épreuve : liquidité, « too big to fail », taux sans risque. Ces leçons in situ donnent un peu le vertige tant elles ont fait vaciller nos certitudes, avec, de plus, un effet cumulatif qui met nos capacités de résistance et même de compréhension à l’épreuve. Nous avons tout d’abord appris que la liquidité, qui est une notion relative comme nous l’éprouvons tous les jours, peut devenir nulle. Nous mesurons mieux maintenant qu’elle a un prix, alors qu’elle fut longtemps « gratuite ».

Nous avons aussi vécu la défaillance d’une des principales banques d’investissement du pays le plus puissant du monde et l’amorce d’une réaction en chaîne qui semblait conduire à la faillite généralisée du système bancaire international. L’intervention simultanée de la puissance publique dans l’ensemble des économies occidentales a stoppé le mouvement, de sorte qu’aujourd’hui deux lectures de l’évènement cohabitent : les uns voient dans cet épisode une confirmation de la règle, « too big to fail » donc, par la démonstration du caractère insupportable pour nos économies de ce type de défaillance ; les autres retiennent surtout le précédent ainsi créé. Ils sont d’autant plus fondés à le faire que la pression qui pèse sur les dettes souveraines actuellement ne permet pas d’imaginer que le scénario de 2008 se rejoue. Les Etats concernés sont trop affaiblis pour apparaître comme des recours évidents et les banques centrales, pompiers de service, n’ont pas vocation à endosser durablement ce rôle.

Le dernier dogme mis à l’épreuve, et pour dire vrai, battu en brèche, assimile le rendement de la dette souveraine à un taux sans risque. Si le passé fourmille d’exemples de faillites étatiques, il s’agit généralement d’Etats économiquement et/ou politiquement faibles. Que l’espace économique européen – dont des pays membres du G8 – soit touché, bouscule un principe de base de la finance.

La tempête qui secoue les pays du sud de l’Europe, désignés depuis 2 ou 3 ans par un sigle méprisant voire injurieux, touche maintenant les rivages français et même ceux des pays réputés solides et arrimés à l’Allemagne. Le spread (écart de rendement) entre la dette française et la dette allemande atteint 200 points de base, pour un rendement de 3.80%, contre moins de 50 début juillet et dans le même temps la dette néerlandaise passe de 30 à près de 70 bps. Que nous dit le marché ? Si nous écartons les condamnations rituelles du personnel politique fustigeant les spéculateurs, écran de fumée visant surtout à les exonérer de leurs responsabilités devant leurs électeurs (qui définit et qui vote les budgets ?), la hausse des taux indique que la confiance décroît et que les mouvements de vente s’accélèrent pour alléger les portefeuilles de ces dettes souveraines. Les investisseurs démontrent qu’ils croient de moins en moins en la capacité des Etats concernés à restaurer l’équilibre de leurs comptes de manière autonome, alors que les mécanismes de transfert à l’intérieur de la zone n’existent pas (des pays excédentaires vers les pays déficitaires). Le marché s’alarme devant le spectacle offert par des dirigeants politiques qui peinent, c’est un euphémisme, à trouver les solutions pour sortir la zone Euro de l’ornière. La visibilité a rarement semblé aussi faible mais le scénario « rose » (pas de défaut, hormis celui de la Grèce, et une Europe renforcée) nous semble malgré tout le plus probable, au prix d’abandons de souveraineté consentis dans l’urgence. Tout simplement parce que l’Allemagne, l’homme fort du continent, est le pays qui y a le plus intérêt à maintenir sa prospérité.

A qui pourrait-elle continuer de vendre ses autos et ses machines outils si ses voisins sont revenus à des monnaies qui auront dévalué par rapport à l’euromark, alors que l’essentiel de son activité commerciale se réalise en Europe ? Au fond, à 1.75% sur 10 ans, le Bund est peut-être le risque le plus mal rémunéré aujourd’hui ! Si plusieurs pays (pas seulement européens) sont malades de leur dette, l’Allemagne est un grand drogué à l’Europe, et devra sans doute ne pas trop maltraiter ses partenaires si elle ne veut pas se retrouver en manque. Nous gageons qu’Angela Merkel le comprend ainsi.