Asie, un continent à deux vitesses…

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

On présente souvent l’Asie comme « la » zone dynamique de l’économie mondiale. Pourtant, contrairement à cette image très répandue, le continent le plus peuplé de la planète présente des disparités importantes. On peut, pour illustrer cette tendance, analyser la situation des deux principales économies de la zone, Chine et Japon, qui représentent en outre les deux extrêmes en matière de dynamisme économique.

Malgré ce qui a pu être écrit parfois, la Chine n’a pas été épargnée par la crise mondiale. Toutefois, au lieu de subir une récession comme dans la plupart des économies, les symptômes de cette crise se sont limités à un recul (net) de la croissance (de 14 % en glissement annuel au printemps 2007 à 6 % deux ans plus tard). Suite à cela, les autorités chinoises ont mobilisé des moyens impressionnants pour permettre à leur économie de retrouver le sentier de la croissance. Ainsi, un plan de relance de 4 000 milliards de yuans (environ 400 milliards d’euros), soit 14 % du PIB, a été mis en place sur deux ans1. Ce dernier a été principalement axé sur des dépenses d’infrastructures, d’équipement et d’innovation. De même, la politique monétaire a été largement assouplie (avant d’être durcie depuis quelques semaines), favorisant ainsi une explosion du crédit domestique (+ 35 % sur un an). Comme, dans le même temps, le dynamisme de l’économie et des marchés chinois a entrainé de vastes entrées de capitaux, la liquidité n’a jamais été aussi présente sur le marché local.

En conséquence, l’économie est repartie à la hausse : la production industrielle a retrouvé ses rythmes de croissance d’avant la crise, les exportations se sont un peu redressées, les ventes au détail ont rebondi par rapport au début d’année…

Cette tendance, indépendante de l’évolution des pays occidentaux, devrait se poursuivre en 2010 et 2011, permettant ainsi à la Chine d’enregistrer une croissance supérieure à 9 %. La situation de l’économie japonaise est tout autre. Deux approches peuvent être choisies pour la décrire. Dans le premier cas, on peut souligner que, pour le deuxième trimestre d’affilée, le PIB japonais s’est redressé, permettant ainsi à son glissement annuel de rebondir rapidement (de – 8,6 % en début d’année à – 4,7 % au troisième trimestre). Ce rebond s’appuie sur une consommation des ménages qui, grâce aux mesures volontaristes de la puissance publique, a connu au cours des derniers mois une hausse suffisante pour annuler les replis enregistrés durant l’hiver.

Mais le rebond de la croissance s’appuie également sur une amélioration des performances commerciales de l’Archipel. Profitant du dynamisme de ses voisins, Chine en tête, le Japon a vu ses exportations s’envoler depuis le printemps (+ 6,5 %, tant au deuxième qu’au troisième trimestre 2009). Bref, vu sous cet angle, les perspectives japonaises apparaissent relativement favorables. Toutefois, une deuxième approche modère nettement cet optimisme. Il est en effet nécessaire de rappeler que, parmi les grandes économies, le Japon est celle qui a enregistré le repli le plus marqué.

En outre, le pays a retrouvé ses vieux démons : la déflation. Malgré des années d’effort, malgré une politique économique extrêmement accommodante, l’inflation s’est de nouveau écroulée, s’établissant en décembre à – 2,3 %, un plancher historique. Avec une monnaie qui ne cesse de s’apprécier (moins de 90 yens pour un dollar en moyenne en décembre dernier, un record depuis quinze ans), impliquant ainsi un mécanisme de désinflation importée, et des salaires qui s’écroulent (- 4,8 % en moyenne sur l’année 2009), les prévisions en la matière sont plutôt inquiétantes.

Enfin, les progrès du Japon en matière de commerce extérieur sont à relativiser. En effet, ils interviennent après un repli des exportations de plus de 36 % entre début 2008 et début 2009. Aujourd’hui encore, malgré les « bonnes performances » récentes, les ventes japonaises à l’étranger restent inférieures (en volume) de presque 25 % à leur niveau d’avant crise. Finalement, la juxtaposition de ces deux approches montre bien la complexité de la situation japonaise (sans même parler des finances publiques…).

Certes, la croissance devrait se poursuivre en 2010 (1,5 % selon nous). Toutefois, l’Archipel devra attendre de très nombreuses années (cinq ans ? dix ans ?) avant de retrouver ses niveaux de production d’avant la crise, niveaux qui, à l’époque déjà, nourrissaient pourtant de nombreuses inquiétudes…

A l’arrivée, sachant que les économies asiatiques se répartissent de manière relativement équilibrée entre ces deux extrêmes que constituent la Chine et le Japon2, il semble nécessaire de corriger notre image un peu monolithique d’un continent qui abrite tout de même plus de trois milliards d’habitants, soit six fois plus que l’Union européenne…

NOTES

1 Cf. Xu B. (2009), « Chine : les orientations de la politique économique en 2010 », Note mensuelle, décembre, Natixis.
2 Inde et Indonésie accompagnant la Chine parmi les bons élèves, Corée du Sud et Taiwan étant plus proches de la situation japonaise (pour les principales économies de la région)…

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