BCE : séparation consensuelle

par Frederik Ducrozet et Isabelle Job, économistes au Crédit Agricole

Jean-Claude Trichet part sans le dernier coup d’éclat espéré par les marchés. Le Conseil des Gouverneurs a, en effet, décidé de laisser inchangé son taux directeur à 1,5%. Cette déception est, en partie, effacée par l’annonce d’une série de mesures non conventionnelles pour soutenir la liquidité bancaire. La BCE s’en tient donc pour le moment à son principe de séparation, mais devrait être rapidement rattrapée par la déprime conjoncturelle, avec à la clef une probable baisse de taux en décembre.

Un départ de JC. Trichet sans un dernier coup d’éclat

La réunion de la Banque centrale européenne s’est tenue hier. C’était la dernière de Jean-Claude Trichet qui part sans le coup d’éclat espéré par les marchés. Le Conseil des Gouverneurs a, en effet, décidé de laisser inchangé son taux directeur à 1,5%, là où certains analystes (nous en faisions partie) tablaient sur une baisse de 50 centimes. Cette déception est, en partie, effacée par l’annonce d’une série de mesures non conventionnelles pour soutenir la liquidité bancaire.

 La BCE déploie à nouveau son arsenal d’outils de crise.

Les enchères illimitées et à taux fixe pour les opérations de refinancement hebdomadaires, à un mois et trois mois seront maintenues jusqu’en juillet 2012. Deux opérations de refinancement à long terme vont être conduites, selon cette même procédure d’enchères, en octobre et en décembre, sur des maturités respectives de douze et treize mois. Enfin, un nouveau programme de rachat de Covered Bonds courant jusqu’en octobre 2012 est lancé pour un montant total de 40 milliards d’euros.

Que l’on soit ou non en accord avec cette décision, la BCE applique à la lettre son principe de séparation entre des mesures standards, dédiées à la stabilité des prix à moyen terme, et des mesures non standards, qui ont pour objectif d’aider à une meilleure transmission de la politique monétaire.

À chaque problème, sa solution

Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est pas tant le niveau du taux directeur que la bonne diffusion de cette politique ultra souple le long de la chaîne d’intermédiation. Avec un Refi à 1,5% et une inflation à 3%, les taux réels sont résolument ancrés en territoire négatif. Cependant, les dysfonctionnements de marchés liés au regain de tensions sur les souverains européens et leurs effets de contagion vers le système bancaire empêchent la courroie de transmission de fonctionner correctement. En effet, les boucles auto-renforçantes entre les risques, souverain et bancaire, ont conduit à un durcissement des conditions financières globales en zone euro via la hausse généralisée des primes de risque.

Dans une zone économiquement et financièrement intégrée, les banques portent naturellement à leur bilan du risque souverain européen. Cette exposition directe, à l’heure où des doutes (plus ou moins fondés suivant les États visés) subsistent sur la solvabilité de certains États-membres est une menace pour la solidité du système bancaire, en cas de scénario extrême de défauts en cascade en zone euro. Face à ce risque de contrepartie, les investisseurs désertent et les banques elles-mêmes thésaurisent la liquidité, au lieu de se la prêter. S’en suit une augmentation du coût de refinancement des banques, préjudiciable à leur activité d’intermédiation. Par ailleurs et de façon très mécanique, la dégradation des notations souveraines a entraîné dans son sillage celle des banques ce qui pèse également sur leur condition de refinancement sur les marchés. Enfin, compte tenu de la baisse de la valeur des collatéraux éligibles aux opérations de la BCE, les banques sont contraintes de mobiliser une proportion croissante de leurs actifs de qualité pour obtenir un même montant de liquidité, ce qui est coûteux, notamment pour les institutions n’ayant plus accès au marché de gros.

La contagion se fraye également un chemin en sens inverse, avec des interrogations eu égard à la capacité des banques à lever les fonds nécessaires à leur recapitalisation (la grande question du moment !). En cas de fermeture des marchés, les États devront mobiliser l’argent des contribuables pour renflouer les banques avec à la clef une dégradation des équilibres budgétaires pouvant aller jusqu’à remettre en cause la soutenabilité des trajectoires d’endettement.

La tâche de la BCE consiste donc à tenter de calmer le jeu en attendant que l’Europe trouve une réponse crédible et globale à la crise des dettes souveraines, afin de boucher tous les points d’entrée des phénomènes de contagion entre États et vers le système bancaire.

Dans ce contexte de marchés agités, fournir coûte que coûte la liquidité est vital pour éviter toute rupture dans la chaîne de financement des économies. Ensuite le fait que la perfusion monétaire soit inconditionnelle et encore très bon marché permet normalement d’abaisser le coût d’accès à la liquidité pour l’ensemble des banques avec l’espoir que cela se répercute sur l’ensemble des conditions financières. Enfin, les interventions de dernier ressort de la BCE sur le marché des dettes souveraines, notamment italienne, permet de contenir les taux publics sur lesquels se forment les taux de marché, une autre façon de détendre les conditions de financement des économies.

Pas de repos pour les braves

Cette réponse sélective de la BCE paraît donc adaptée, mais seulement à supposer que l’économie réelle reste relativement immune face à ces turbulences de marché. Ceci n’est vraisemblablement pas le cas : plus la crise dure, plus le risque d’un atterrissage douloureux de l’économie augmente. La crise de défiance pousse les agents à des comportements d’extrême prudence, les crédits se font plus rares et plus chers et dans de nombreux pays la surenchère à l’austérité budgétaire, demandée par les marchés, risque d’inhiber encore davantage les forces de croissance.

L’ensemble est un cocktail détonant pour l’activité économique en zone euro. Dans ce contexte, le résidu d’inflation, lié aux effets retardés du choc pétrolier, devrait progressivement disparaître laissant le champ libre à la BCE pour actionner le levier des taux. D’ailleurs, l’option d’une baisse des taux a déjà été discutée par l’ensemble du Conseil des Gouverneurs. Si le consensus l’a emporté cette fois-ci, l’idée d’un nouveau coup de pouce devrait rapidement faire son chemin, soit dès novembre en cas de détérioration à grande vitesse de la conjoncture ou au plus tard en décembre après un exercice de prévisions qui devrait relayer les craintes d’un retour en récession en zone euro. C’est le scénario que nous privilégions avec une baisse de taux de 50pdb le 8 décembre, suivie d’une longue période de statu quo.

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