Cap à l’Ouest

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Malgré une révision en baisse à 2% (contre 2,5%, rythme trimestriel annualisé), la croissance du PIB américain au T3 a dépassé les attentes. Seules les dépenses publiques et la variation des stocks ont pesé sur la croissance. La demande intérieure finale a été dynamique, portée par l’investissement des entreprises et une étonnante résistance de la consommation privée, tandis que les exportations sont restées bien orientées.

La balance commerciale américaine a connu une nette amélioration au cours des cinq dernières années, mouvement d’autant plus impressionnant que le cours élevé du brut renchérit les importations pétrolières, dont la part dans les importations totales est importante (20 % en valeur et 12 % en volume). La balance commerciale s’est effectivement détériorée dans sa composante énergétique, mais enregistre une nette amélioration hors pétrole : T3 2011, le déficit était limité à 1,4 % du PIB.

Cette embellie est moins due à une diminution des importations qu’à un rebond des exportations, preuve du regain de compétitivité des produits américains. C’est particulièrement vrai pour l’industrie des biens durables, probablement la plus orientée à l’exportation, qui a vu fondre le coût unitaire du travail de près de 12 % en l’espace de deux ans à peine, sous l’effet conjugué des gains de productivité et de la baisse du salaire horaire réel.

La sous-évaluation du dollar a également aidé. Le taux de change effectif réel du dollar oscille actuellement de 10 % à 15 % sous sa moyenne de long terme, un niveau à peine supérieur à ses plus bas historiques de l’été 2011. Le billet vert est particulièrement bon marché vis-à-vis de l’euro et du yen.

Devant le dynamisme de l’activité aux Etats-Unis au T3 et au début du T4, nous avons révisé à la hausse nos prévisions de croissance. Alors que nous attendions, il y a quelques mois, une légère récession, nous n’intégrons plus de double-dip dans nos projections. On ne peut pas dire pour autant que l’économie américaine est désormais sur une trajectoire sans heurt. Le redressement limité observé à ce jour tient aux exportations ; or celles-ci sont à présent menacées par la crise qui sévit en Europe, alors que la demande intérieure est toujours en convalescence, en particulier le secteur des ménages.

Les données récentes sur le marché du travail sont encourageantes, mais encore loin d’être optimales. Après un ralentissement marqué au cours de l’été, les créations d’emplois continuent de se redresser. Le taux de chômage a donc diminué aux environs de 9 %, mais il reste encore bien trop élevé pour ne plus être inquiétant. En effet, selon les estimations de la Fed, le niveau structurel du chômage se situe entre 5,0 % et 6,0 %.

Une proportion exceptionnellement élevée de la population américaine est tributaire des prestations sociales. Le chômage agit par ailleurs comme un frein sur la croissance des salaires. Tant que le marché du travail ne donnera pas de signes d’amélioration notable, la croissance du revenu disponible des ménages sera limitée. Malgré le rebond récent de la confiance des ménages, la consommation ne va pas repartir à la hausse du jour au lendemain ; les Américains attendront pour ce faire de voir leurs revenus augmenter et d’avoir assaini leur bilan (plus d’épargne et moins de crédit). Le moindre choc pourrait repousser l’économie américaine en récession.

A cet égard, l’austérité budgétaire pourrait se révéler dramatique. Le resserrement budgétaire prévu s’annonce draconien : 2,4 points du PIB en 2012, avec un nouveau tour de vis de 2,6 points en 2013. En l’espace de deux ans à peine, les Etats-Unis s’apprêtent, au nom de l’austérité budgétaire, à amputer le PIB de cinq points, soit plus qu’il n’en faut pour tuer la croissance.

Tous les regards se tournent donc vers le Congrès, le seul organe habilité à renverser la vapeur. A l’heure où nous écrivons, un projet de loi est en discussion au Sénat, visant à empêcher le relèvement du taux de prélèvement sur les salaires, ce qui représenterait USD 110 mds pour les travailleurs américains. Mais l’adoption de ce texte n’est pas garantie. Le Congrès est très divisé, comme l’a montré l’échec récent du « super comité ».

Cet échec n’est pas si grave en soi, car des coupes automatiques dans les dépenses vont intervenir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les trois principales agences de rating n’ont pas dégradé les Etats-Unis, même si Fitch a révisé sa perspective de stable à négative. Une chose est sûre, si les projections du CBO se révèlent exactes, le déficit budgétaire fédéral serait ramené en deçà de 3 % du PIB dès 2014.

Mais pour le moment et à l’instar de l’Europe, les Etats-Unis ont besoin de mesures fortes de la part de leurs responsables politiques. Les enjeux sont nettement plus sérieux en Europe, mais une récession aux Etats-Unis ne passerait pas inaperçue. En cas de maintien du resserrement budgétaire, les Etats-Unis basculeront dans la récession et une fois de plus la Réserve fédérale sera appelée à la rescousse. Si le Congrès ne parvient pas à faire adopter des mesures de soutien en faveur du revenu des ménages il s’ensuivra, à n’en pas douter, une troisième vague d’assouplissement quantitatif. Cela ne règlera pas les problèmes budgétaires, ni ceux du marché du travail ou du secteur immobilier moribond. Au moins l’assouplissement quantitatif contribuera-t-il à éviter que le double-dip ne se transforme en une nouvelle dépression. Quelle que soit la panoplie de mesures dont ils disposent, les banquiers centraux ne sont pas tout-puissants. Il incombe aux responsables politiques de faire leur part du travail.

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