Chine, dilemme de politique économique

par Bei Xu, économiste chez Natixis

Les marchés guettent les mesures de relance des autorités chinoises et réagissent à toute annonce ou action de relance. Cela se comprend car les interventions publiques ont eu dans le passé une efficacité immédiate en termes de croissance économique.

Lorsque la faillite de Lehman (septembre 2008) a plongé le monde dans la récession, les réponses de politique économique en faveur de la croissance ont été rapides et de grande ampleur : huit baisses du taux d’intérêt, huit baisses du taux de réserves obligatoires en quatre mois, ayant ainsi permis le financement d’un plan de relance représentant 14% du PIB annuel sur deux ans. La Chine était donc parmi les premiers pays à sortir de la crise avec un taux de croissance du PIB passant de 6,6% au T1/09 à 11,4% au T4/09 et 12,1% au T1/10. Selon la Banque Mondiale ou le FMI, l’économie chinoise a exercé un rôle de moteur de la croissance mondiale.

Cependant, si la croissance en volume était satisfaisante, les mesures de relance ont aussi été à l’origine de l’aggravation d’un certain nombre de déséquilibres structurels existants. La relance étant constituée de projets d’investissement, à caractère public ou para public, les déséquilibres entre investissement et consommation et entre secteur public et secteur privé se sont donc approfondis. Le taux d’investissement est passé de 42% du PIB en 2008 à 48% en 2010. Le boom du crédit, suite à l’assouplissement monétaire, s’est traduit par une croissance de 30% de l’agrégat monétaire M2 en janvier 2010, et a entraîné une hausse rapide des prix à la fois des biens de consommation (proche de 6% en juillet 2011) et des biens immobiliers (+12% en GA au printemps 2010). Ces hausses de prix constituent encore aujourd’hui un frein à la consommation. Une enquête menée par la banque centrale montre qu’au T2/2012, 66% des interrogés considèrent les prix à la consommation élevés et inacceptables et 66% anticipent une hausse des prix futurs.

En outre, malgré la stagnation ou la baisse des prix immobiliers suite aux mesures de restrictions d’achat mises en place au printemps 2010, le niveau des prix actuel demande encore des efforts d’épargne considérables pour accéder à la propriété. D’où une volonté de consommation qui n’est toujours pas à l’image de la dynamique de la croissance chinoise. De plus, les hausses rapides des coûts salariaux (+13% par an prévu concernant le salaire minimum) sont source d’inflation qui est à surveiller de très près. Or ces déséquilibres mentionnés proviennent d’un modèle de croissance, basé sur l’investissement et les exportations, qui arrive actuellement en fin de cycle. Seule une transition vers un modèle de croissance tourné vers la demande domestique peut assurer la soutenabilité de la croissance à moyen et long terme. Cela implique donc des réformes structurelles : amélioration des conditions de développement des PME privées, réformes sociales corrigeant des inégalités de revenus…

Depuis un an, l’économie chinoise est entrée de nouveau dans un cycle de ralentissement, dans le sillage de la décélération de la croissance mondiale. Le PIB n’a progressé que de 7,4% au T3/12, deuxième rythme le plus faible depuis 1998. Connaissant tous les effets collatéraux des mesures de relance, les autorités semblent beaucoup plus prudentes. Il y a eu jusqu’à aujourd’hui seulement deux baisses du taux d’intérêt et deux baisses du taux de réserves obligatoires. Sur le plan budgétaire, aucun « package » n’a été annoncé officiellement. Même si certains projets d’investissement dans les infrastructures jouent le rôle de soutien à l’économie, une vraie prudence est mise en avant.

En effet, dans ce contexte de ralentissement, les autorités sont face à un dilemme de politique économique : adopter des réformes structurelles favorables à la montée en gamme de l’économie et à la consommation des ménages est nécessaire mais les effets ne sont pas immédiats ; des mesures de relance conjoncturelle pouvant booster la machine économique de court terme mais qui compromettent la soutenabilité de la croissance. En ce moment, l’ampleur et la nature des politiques économiques « pro » croissance reflètent assez bien ce dilemme.

Depuis un mois, l’économie chinoise montre toutefois quelques signes d’amélioration notamment grâce aux projets d’investissement soutenus par les autorités et l’assouplissement des conditions monétaires. Même s’ils ne sont pas encore solides, un hard landing semble plutôt évité. La liquidité internationale devenant plus abondante à cause du QE3, il est peu probable que l’on constate de nouvelles actions d’assouplissement monétaire de la part de la banque centrale de Chine. Du côté budgétaire, nous devrions continuer à assister à des efforts de réformes structurelles avec des mesures de relance d’intensité variante selon la conjoncture.

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