Danger russe

C’est donc reparti pour un tour.

C’est donc reparti pour un tour. La Russie a accusé, le 1er janvier, l’Ukraine de “voler” le gaz russe qui transite par son territoire à destination de l’Europe. Les relations gazières sont difficiles entre Moscou et l’ancienne République soviétique depuis plusieurs années. Le 1er janvier 2006, le géant russe Gazprom avait coupé ses livraisons de gaz à l’Ukraine, pénalisant les pays européens en pleine vague de froid. Le contentieux est autant financier que politique : la Russie de Vladimir Poutine – devenu Premier ministre et détenteur de la réalité du pouvoir depuis qu’il a laissé la présidence à son dauphin Dmitri Medvedev – souhaite que Kiev paie son gaz plus cher d’autant que les Ukrainiens cherchent à se rapprocher davantage des Occidentaux. 

Les discussions entre les deux capitales ont permis de signer des accords sur le gaz mais les problèmes de fond n’ont toujours pas été réglés. Et Moscou a donné de nouveau coupé, le 1er janvier 2009, l'approvisionnement de l'Ukraine en l’accusant de siphoner le gaz destiné aux clients européens de Gazprom. Depuis le 7 janvier, les Européens sont donc privés de gaz russe, qui est indispensable à certains pays d’Europe centrale comme la Bulgarie, la Slovaquie et la Pologne et qui est très important pour des pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne et l’Italie.

L’Union européenne fait preuve d’une certaine timidité sur ce dossier. La Commission européenne a bien déclaré que les clients européens de Gazprom pouvaient saisir les tribunaux mais personne n’y croit vraiment. Poussant l’avantage de son pays, Dmitri Medvedev s’est même payé le luxe de proposer un sommet des Etats consommateurs de gaz russe et les pays de transit le 17 janvier à …Moscou.

Juge et partie : la nouvelle Russie n’a que faire des principes des Etats démocratiques. Elle montre surtout qu’elle n’a peur de rien. Surtout pas de l’Union européenne.

Celle-ci a pourtant des arguments à faire valoir. L’Europe dans son ensemble importe environ 40% de son gaz de Russie. L’Algérie contribue à environ un tiers, la Norvège un quart et le solde vient de divers pays, dont le Qatar. Plusieurs gaziers européens ont signé des accords de long terme (20 à 25 ans) avec Gazprom. Ce monopole russe dirigé depuis le Kremlin et le siège du Premier ministre a récolté des dizaines de milliards d’euros.

Gazprom a annoncé fin décembre avoir réalisé au premier semestre 2008 un chiffre d’affaires de 1.743,2 milliards de roubles (42 milliards d’euros), en hausse de 52,4%, et un bénéfice net de 573,7 milliards de roubles (13,8 milliards d’euros), soit une hausse de 83%. Le groupe a averti que ses performances devraient baisser dans les prochains mois en raison de la baisse du prix du pétrole, sur lequel est indexé celui du gaz. Mais la situation demeure tout de même très positive d’autant que la dette est modeste (l’équivalent de 8 milliards d’euros). Une entreprise qui dépend à ce point des exportations devrait faire attention à son comportement. Mais du fait de sa richesse, Gazprom n’en a cure. Ses dirigeants, dûment cornaqués par le pouvoir politique russe, pensent qu’ils peuvent tout se permettre dans la mesure où l’Union européenne est faible.

L’Union européenne a pourtant des armes pour se faire entendre. Globalement, ses pays membres sont les premiers acheteurs du gaz russe. Pour l’instant, chacun négocie de son côté avec Gazprom. Au lieu d’essayer de mettre en oeuvre une politique commune, la Commission européenne s’est concentrée ces dernières années sur une bataille idéologique : forcer les opérateurs énergétiques européens comme E.ON et EDF à scinder leurs activités de production et de distribution au nom de la concurrence. Elle s’est heurtée à l’opposition des Etats, au premier rang desquels la France et l’Allemagne.

La Commission devrait comprendre qu’il est plus que temps d’agir face à la Russie. Comment ? En regroupant tous les clients européens de Gazprom afin de définir une politique commune et, surtout, en cherchant d’autres fournisseurs. Au Moyen-Orient, divers projets gaziers sont en cours et l’Europe doit aider à leur réalisation. Elle doit aussi profiter de la prochaine reprise du dialogue entre les Etats-Unis et l’Iran pour renouer avec Téhéran, qui détient d’importantes réserves de gaz.

Au-delà, l’UE doit mettre en place un programme coordonné afin de renforcer l’indépendance énergétique du continent. Cela passe par une politique plus forte en matière d’économie d’énergie et en matière d’investissements. Les producteurs d’électricité par exemple doivent être incités à créer de nouvelles centrales. Mais cela n’a de sens que s’ils peuvent fixer des prix permettant de dégager des marges pour l’investissement. Or, les gouvernements augmentent partout leur contrôle. En France, selon les calculs de certains analystes financiers, 80% de la production d’électricité est désormais soumise à des tarifs régulés fixés par les pouvoirs publics.

Enfin, au-delà des discours, l’Europe doit miser sur les énergies renouvelables de manière résolue. Des aides doivent être débloquées pour les nouvelles sources comme le solaire, l’éolien ou la géothermie. Tout doit être fait pour réduire la dépendance vis-à-vis de fournisseurs qui font peser un risque important sur l’économie européenne.