Dumping monétaire chinois

C’est ce qu’on appelle un tir groupé.

C’est ce qu’on appelle un tir groupé. En quelques jours, plusieurs personnalités occidentales ont exhorté la Chine à laisser sa monnaie, le yuan, s’apprécier face aux autres grandes monnaies alors que la question des déséquilibres économiques, financiers et commerciaux est au coeur des préoccupations des dirigeants politiques.

Le 14 novembre, le président de la banque Morgan Stanley pour l’Asie, Stephen Roach, un économiste réputé, estime que Pékin devrait laisser sa monnaie prendre de la valeur progressivement une fois que la reprise économique sera pérenne.

Le 16 novembre, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn juge qu’un yuan plus fort est élément dont la Chine a besoin pour doper la consommation intérieure et pour atténuer les déséquilibres internationaux. Interrogé le lendemain par des journalistes sur l’échéance à laquelle le yuan devrait être réévalué, il répond : “le plus tôt sera le mieux”.

Le 17 novembre, le président américain Barack Obama, en visite officielle dans l’Empire du Milieu, demande à son homologue chinois Hu Jintao de laisser le yuan s’apprécier. “Je suis heureux de l’engagement chinois pris dans de récentes déclarations d’aller vers un taux de change orientés sur les marchés”. Il n’insiste pas davantage, ajoutant seulement qu’un tel mouvement constituerait “une contribution essentielle à l’effort de rééquilibrage global”.

Les Américains sont particulièrement remontés sur cette question des taux de change. Il faut dire que leur pays en situation de déficit commercial quasi-structurel vis-à-vis de la Chine (268 milliards de dollars en 2008). Sur le seul mois de septembre, les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 36,47 milliards (+18,2% par rapport à août), dont 22,1 milliards (+9,2%) avec la Chine. Les importations chinoises ont augmenté de 8,3% à 27,9 milliards, un record depuis novembre 2008.

On apprend dans les manuels d’économie que plus un pays s’enrichit plus sa monnaie s’apprécie. Ce n’est pas le cas en Chine où les autorités ont décidé de caler l’évolution du yuan sur celle du dollar – ce qu’on appelle un “peg”. Cela signifie que le taux de change entre les deux monnaies est fixe. La Chine ne veut absolument pas que sa monnaie prenne de la valeur car cela renchérirait ses produits sur les marchés internationaux. Or, même si une classe moyenne se forme depuis quelques années et pourrait doper la consommation intérieure, le modèle chinois repose essentiellement sur les exportations. C’est le formidable développement des exportations qui a permis de sortir plusieurs dizaines de millions de Chinois de la misère.

Cette évolution risque de se poursuivre au cours des prochaines années car, après la crise, la Chine est en train de mettre son industrie en ordre de marche pour doper ses exportations, qui constituent le moteur le plus puissant de sa croissance. Le gouvernement vient d’afficher son ambition de détenir 10% du marché mondial de l’automobile d'ici 2020, selon la presse officielle. Il vise dans un premier temps un objectif de 85 milliards de dollars d’exportations de véhicules et de pièces détachées d’ici 2015, ce qui représenterait une hausse annuelle moyenne de 20%.

Les exhortations occidentales peuvent-elles faire fléchir la Chine ? Pas le moins du monde. Hu Jintao n’a même pas pris la peine de répondre à Barack Obama après que celui-ci ait évoqué la question du yuan. Le ministère chinois du commerce a rejeté les appels sur la nécessaire appréciation du yuan en jugeant que la priorité était de “fournir un environnement stable et prévisible” aux entreprises.

Notons que le week-end précédent, la Chine avait fait retirer du projet de communiqué final du sommet de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) une phrase évoquant la nécessité de maintenir “des taux de change orientés sur les marchés”.

La Chine n’a manifestement pas peur des représailles. Il faut dire qu’elle détient plus de 2.000 milliards de dollars de réserves de change, investis en grande partie dans des bons du Trésor américain. En clair, la Chine est créancière des Etats-Unis.

Fort de cette position, le gouvernement chinois se permet de demander aux Etats-Unis de faire en sorte que les investissements chinois ne se déprécient pas alors que les finances publiques américaines subissent une dégradation exceptionnelle. Pékin accuse aussi les Etats-Unis de prendre des mesures protectionnistes. Un reproche qui fait sourire des patrons occidentaux qui se heurtent à toutes sortes de barrières quand ils veulent développer des activités en Chine.

Est-ce à dire que le dumping monétaire chinois durera encore très longtemps ? Pour plusieurs économistes, l’inflation pourrait forcer la Chine à laisser sa monnaie s’apprécier. Grâce à ses succès commerciaux, elle dispose de réserves de change colossales qui sont placées pour partie dans des obligations internationales. Si l’inflation réduit le rendement de ces investissements, la Chine aurait alors intérêt à soutenir davantage la consommation chez elle et accepter un renforcement du yuan.