Comment expliquer le fort recul du commerce mondial ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Depuis l'été 2008, le commerce mondial n'a cessé de se dégrader. D'une intensité limitée au début de l'automne dernier, cette baisse a ensuite atteint des niveaux inédits dans le courant de l'hiver, dépassant même les – 30 % en glissement annuel à l'orée du printemps. Ce repli surpasse très largement les évolutions enregistrées lors des dernières grandes crises économiques (- 4 % au plus bas lors du premier choc pétrolier et – 12 % au plus bas lors du second choc pétrolier). Nous nous interrogeons dans ce texte sur les causes de ce repli soudain, sévère et généralisé du commerce mondial à partir de l'été 2008.

Une part importante de cette baisse trouve son origine dans l’écroulement du prix des matières premières, pétrole en premier lieu. Ce dernier représentant environ 10 % du commerce mondial, son prix ayant été divisé par presque cinq entre la mi-2008 et la fin 2008, la crise intervenue sur le marché des matières premières explique à elle seule une part importante du repli du commerce mondial en valeur (environ cinq points selon le CEPII1). Il semble donc nécessaire de retenir pour l’étude les chiffres du commerce en volume. Ces derniers ont moins reculé que ceux exprimés en valeur.

Toutefois, avec un repli de près de 15 % sur un an, ils ont largement dépassé tous les records précédents.

La première explication que l’on peut présenter concerne le recul extrêmement prononcé de la demande mondiale.

Rappelons-nous en effet que la crise récente est la plus grave que l’économie mondiale ait eu à affronter depuis la Deuxième Guerre Mondiale. En outre, cette crise a particulièrement touché des biens (biens d'équipements, biens de consommation durables, automobiles…) qui, avant la crise, étaient financés à crédit. Or, on l’a vu, le crédit au secteur privé s’est tari ces derniers mois. Néanmoins, le recul du commerce mondial en volume étant très largement supérieur au recul du PIB mondial en volume (entre 1,5 % et 2,5 % selon les taux de change retenus), cet argument ne peut être retenu comme seule explication.

Un autre argument peut alors être avancé, celui présentant la division internationale du travail comme principale explication au repli du commerce. Rappelons en effet que les chaines de production mondiale conduisent à compter plusieurs fois les mêmes composants selon qu’ils rentrent ou sortent de différents pays au cours de leur processus de production. On dit ainsi que le commerce mondial est mesuré en « brut » (on compte la valeur du bien non-fini à chaque passage en douane) alors que la production (le PIB) est mesurée en « net » (somme des valeurs ajoutées à chaque stade du processus de production), ce qui permet d’expliquer la divergence des chiffres entre commerce mondial et croissance mondiale sur le long terme2. Ce phénomène s’explique bien entendu par la globalisation des processus de production enregistrée au cours des dernières décennies. Toutefois, à court terme, cet argument ne peut expliquer la désynchronisation (rupture de proportionnalité) des variations annuelles des deux variables. En effet, les entreprises n’ont pu, en si peu de temps, modifier aussi sensiblement leurs méthodes de production.

Certains auteurs évoquent alors l’impact du protectionnisme. Plusieurs publications3 mettent en avant la recrudescence des mesures protectionnistes (en particulier la résurgence d’un « protectionnisme larvé », par exemple le « Buy American Act » aux Etats-Unis). Il semble cependant que, même si les mesures prises récemment par plusieurs pays freinent le commerce mondial, elles respectent, le plus souvent, le cadre de l'OMC (mesures de sauvegarde, hausses des tarifs douaniers inférieurs aux normes fixées par les accords de libre-échange…). En outre il apparait qu’environ 90 % des biens échangés actuellement échappent encore à toute nouvelle protection4.

Au final, il semble bien qu’une bonne partie de la surréaction du commerce mondial à la crise est dû à des effets de court terme. On peut citer principalement l’impact de l’écroulement du trade credit5 (qui, avant la crise, facilitait grandement le financement du commerce international), la volatilité gigantesque des taux de change durant la crise, l’effondrement des stocks des entreprises, le choc de confiance qui a figé les comportements des entreprises…

NOTES

  1. Cf. Bénassy-Quéré A., Decreux Y., Fontagné L., Khoudour-Castéras D. (2009), « le commerce victime de la mondialisation ? », La Lettre du CEPII, 14 septembre.
  2. + 7,5 % par an en moyenne pour le commerce mondial (en volume) entre 1990 et 2007, contre + 3,4 % pour le PIB mondial.
  3. Cf. http://www.globaltradealert.org/
  4. Cf. Bénassy-Quéré A., Decreux Y., Fontagné L., Khoudour-Castéras D. (2009).
  5. Cf. Broyer S. et Caffet J.C. (2009), « le trade credit responsable de l’arrêt du commerce mondial ? », Spécial Report n°79, Natixis.

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