Conditionnalité à géométrie variable

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

L’annonce du programme OMT (Outright Monetary Transactions), après les déclarations de Mario Draghi fin juillet1, a réaffirmé le caractère irréversible de l’euro. Les primes de risque des pays périphériques se sont réduites, un préalable au retour de la croissance et à la consolidation des finances publiques.

Contrairement à son prédécesseur, le Security Market Programme (SMP), l’OMT n’opérera pas sans contreparties2 : seuls les Etats sous programme et respectant les conditions qui y sont attachées seront éligibles aux rachats de titres par la BCE. La nécessité d’éliminer l’aléa moral introduit cependant un doute : que se passerait-il si un pays ne respectait plus les conditions ? L’expérience de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande montre que la conditionnalité peut s’accommoder d’une certaine flexibilité.

Les programmes d’ajustement comportent généralement un volet budgétaire (consolidation des finances publiques) et un volet structurel (réforme des retraites, flexibilisation du marché du travail, lutte contre la corruption, etc). La Troïka (BCE, Commission européenne, FMI) supervise trimestriellement l’avancée des réformes. En pratique, il est courant de distinguer l’objectif de résultats de l’objectif de moyens. Ainsi, bien que le gouvernement portugais ne soit pas parvenu à réduire son déficit public dans les proportions escomptées3, il a rigoureusement appliqué les mesures du programme. Lors de la dernière revue, la Troïka a ainsi accepté un assouplissement de son calendrier de consolidation budgétaire. Le pays aura jusqu’en 2014 pour ramener son déficit public à 3% du PIB. A l’inverse, malgré une consolidation budgétaire impressionnante (le déficit primaire a été réduit de 8 points entre 2009 et 2011), le gouvernement grec, qui a pris beaucoup de retard dans son calendrier de réformes structurelles, souffre d’un déficit de crédibilité qui entrave les négociations avec ses bailleurs de fonds.

Cette distinction entre objectif de résultats et objectif de moyens revient à distinguer ce qui est du ressort du gouvernement et ce qui ne l’est pas. Des éléments extérieurs, tels qu’une récession plus marquée ou une hausse plus importante que prévu du taux de chômage, dégradent les comptes publics sans que cela n’engage la responsabilité du gouvernement. L’évolution du solde budgétaire en termes structurels (i.e. corrigés des effets du cycle) est alors plus pertinente que l’évolution du déficit public. Cela suppose, toutefois, une estimation fiable de la croissance potentielle d’où la nécessité de recourir à des prévisions indépendantes pour établir le cadrage macroéconomique du budget.

L’environnement politique et institutionnel entre aussi en ligne de compte. Au Portugal, la suppression des 13ème et 14ème mois de salaires dans la fonction publique a été jugée anticonstitutionnelle. Plus récemment, le projet de transfert d’une partie des charges sociales des entreprises vers les salariés – une mesure phare du programme pour la reconquête de la compétitivité – a été abandonné par le gouvernement car il menaçait le soutien populaire au programme d’ajustement. En Irlande, où les marchés du travail, des biens et des services sont déjà très flexibles, les exigences de la Troïka en matière de réformes structurelles sont quasiment nulles. L’assainissement des comptes publics, dont la dégradation a été largement imputée à la faillite du secteur bancaire, est plus étalé dans le temps. Le déficit public devra être ramené à 3% du PIB d’ici à 2015. Pourtant, en 2012 l’Irlande présente le déficit public structurel le plus important de la zone euro.

La conditionnalité des programmes dépend donc étroitement de l’appréciation de la crédibilité des gouvernements et du degré d’avancement des réformes. Un gouvernement qui doit regagner en crédibilité aura des objectifs budgétaires très ambitieux à court terme – coûteux en activité et en emplois – avec le risque de ne pas les tenir. L’essentiel est que les moyens déployés soient également ambitieux. A mesure que la consolidation budgétaire s’opère et que les réformes structurelles sont introduites, le pays regagne des marges de manoeuvre. Il est alors possible d’assouplir les conditions sans qu’il y ait de perte de confiance. L’Espagne, qui a déjà annoncé des mesures d’austérité colossales (102 milliards d’euros d’ici à 2014) et engagé un vaste programme de mesures structurelles pourrait bénéficier d’une conditionnalité assouplie si elle demandait l’aide européenne.

En parallèle, les avancées en matière de gouvernance européenne (Semestre européen, traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance) en centralisant et encadrant davantage les politiques budgétaires nationales empêchent les comportements de « passager clandestin » au sein de l’UEM. Couplé à la reconquête de la crédibilité des pays périphériques, cela ne peut qu’accélérer l’intégration budgétaire, seule véritable garante de l’irréversibilité de l’euro.

NOTES

  1. « La BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez moi, ce sera suffisant. ».
  2. Pour plus de détails voir F.Cerisier, « Outright Monetary Transactions :les précautions d’usage, Ecoweek, 17 septembre 2012, BNP Paribas.
  3. En 2011, le déficit public (-4,2% du PIB) a été principalement réduit grâce à un transfert des fonds de pension bancaires. En excluant cet élément exceptionnel, le déficit public a été réduit de 9,1% du PIB en 2010 à 7,7% du PIB en 2011 contre un objectif de 5,9% du PIB.

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