It is politics, stupid ! (1)

par Hervé Goulletquer, économiste au Crédit Agricole

Les politiques de reflation sont une condition nécessaire à une amélioration de l’économie et à un retour à des stratégies d’investissement moins conservatrices. Elles ne sont pas suffisantes et un certain nombre d’obstacles doivent encore être levés. Ils relèvent surtout des choix politiques.

Le mot-clé de l’été qui s’achève, au moins pour ce qui est des attentes de politique économique en provenance des marchés de capitaux, a été celui de reflation, c'est-à-dire décider et mettre en œuvre une série de mesures visant à relancer l’activité économique et à assurer la stabilité financière. La zone euro a été au premier rang, avec une BCE habile dans sa communication à la jonction des mois de juillet et d’août (Mario Draghi, son président, affirmant que « à l’intérieur de son mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro ; et croyez-moi, cela sera suffisant ») et capable de délivrer sans décevoir les attentes au début du mois de septembre. De fait, la BCE paraît avoir réussi à rassurer à un double niveau : alors que le retour au sérieux budgétaire n’est en rien optionnel et aussi longtemps que les pays-membres restent inscrits sur cette trajectoire, elle fera revenir le rendement des titres d’État concernés vers des niveaux plus en accord avec les données économiques fondamentales et elle rassure les investisseurs privés, tant en matière de risque de défaut souverain que de traitement qui leur serait réservé si, malgré les effort engagés, tel ou tel gouvernement ne pouvait faire face à ses engagements vis-à-vis des créanciers.

Aux États-Unis, une nouvelle initiative de Quantitiative Easing a été décidée par la Réserve fédérale. Dans un contexte économique, toujours caractérisé par un manque de croissance et un taux de chômage trop élevé, acheter davantage de titres doit permettre d’inciter les investisseurs à se tourner plus vers les marchés d’actifs risqués et, par ricochet, de participer d’une hausse de la confiance des entreprises et des ménages. Les avantages attendus l’emportent sur les risques en termes d’inflation, de valorisation excessive de certains actifs et de pertes en capital pour la Banque centrale.

En Chine aussi, des mesures de soutien à l’activité ont été annoncées ; avant tout parce que les signes du retournement de la conjoncture ne sont pas encore suffisamment convergents pour assurer que l’amélioration est vraiment en marche. Parce que l’inflexion haussière de la croissance ne devrait pas être visible avant les derniers mois de l’année en cours, le besoin de la conforter, voire de la consolider, se fait sentir. Néanmoins, les autorités publiques ne veulent pas « refaire le coup » de la formidable hausse du crédit intervenue en 2009 ; avant tout car elles ne veulent pas que les prix de l’immobilier, déjà élevés pour une partie importante de la population, repartent à la hausse. Si l’accent est une fois encore mis sur une approche décentralisée, axée sur des investissements en infrastructure à réaliser au niveau des provinces et financés par du crédit bancaire, le contour du plan ne se dessine pas encore très bien ; même si in fine les montants engagés devraient être inférieurs à ceux de 2009.

Ces politiques de reflation sont, à n’en pas douter, une condition nécessaire à une amélioration sur le front économique et à un retour à des stratégies d’investissement moins conservatrices du côté des marchés. Elles ne sont pas suffisantes et un certain nombre d’obstacles au retour à une meilleure visibilité doivent être levés. Ils relèvent surtout des choix politiques.

Pour ce qui est de la zone euro, les limites d’une action uniquement monétaire ont été mises en avant par Mario Draghi lui-même : l’intervention d’une Banque centrale n’est réellement efficace que si elle est accompagnée de façon simultanée par des initiatives de politique économique de la part des gouvernants ». Ce que veut dire le président de la BCE est tout à fait clair : si on peut discuter ad nauseam son degré d’intégration exact, il ne fait pas de doute que la zone euro sera davantage intégrée demain qu’elle ne l’est aujourd’hui. Simplement parce qu’aucun pays-membre ne peut s’arroger le droit de faire évoluer son modèle économique, social ou de financement d’une façon qui ne serait pas cohérente avec une bonne marche pérenne de l’union monétaire. N’est-ce pas ce qu’hélas la crise nous a appris ?

Les pays de la zone euro se sont embarqués dans un processus d’intégration sur les plans budgétaire, bancaire, économique (le but étant de renforcer la compétitivité, là où c’est nécessaire, afin d’assurer une croissance durable) et politique. N’est-ce pas d’ailleurs le mandat confié à Herman Van Rompuy, qui doit rendre avant la fin de l’année un rapport sur l’architecture institutionnelle à mettre en place, avec comme objectif d’avoir une «véritable » Union économique et monétaire, à même d’assurer une stabilité et une prospérité durables ?

Bien sûr, mesurer ex-ante jusqu’à quel degré d’union les pays de la zone euro iront dans les domaines bancaire, budgétaire et économique et la complexité des solutions à trouver est une vraie gageure. Il semble, toutefois, que la question de l’intégration politique est encore plus compliquée et est en fait le point lige. Jusqu’à maintenant, les domaines dans lesquels la compétence avait été transmise à l’Union européenne ne rencontraient pas un écho très fort en termes de souveraineté ou de démocratie (qu’il s’agisse de concurrence ou de négociations commerciales internationales) ou avaient fini par ne plus faire débat (la politique monétaire). Aujourd’hui, évoquer la perspective d’intégration budgétaire (la discussion et le vote du budget de l’État ne sont-ils pas la marque première de la démocratie parlementaire ?) bancaire (pour le meilleur ou pour le pire, un certain encadrement du secteur bancaire par la puissance publique fait partie des moyens d’influence de l’État sur les conditions de financement et donc sur la marche de l’économie) ou économique (que veut dire la recherche d’une meilleure compétitivité en termes d’organisation du marché du travail ou de gestion des comptes publics ?) interpelle forcément davantage le citoyen et trouve un large écho dans le débat public. Il est donc nécessaire de repositionner l’exigence de démocratie européenne au niveau qu’impose cette nécessaire intégration poussée plus avant. N’est-ce pas ce déficit structurel de démocratie dont parle la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ?

Chacun doit bien mesurer la difficulté du processus en cours en Europe, mêlant au plus près les aspects techniques et politiques. Le marché peut comprendre que celui-ci demande du temps ; il sera moins conciliant si les blocages sont trop nombreux et trop fréquents. Ceux-ci peuvent venir de partout ; des pays faibles, des intermédiaires ou des forts. Songeons un instant à la marge de manœuvre de la Chancelière allemande au centre d’un carré magique parfois inconfortable, formé des quatre B (le Bundestag, la Bundesbank, la Bundesverfassungsgericht – la Cour de Karlsruhe – et le Bild). En n’oubliant pas, par ailleurs, que l’intégration poussée plus avant dans la zone euro crée des doutes, voire des états d’âme existentiels, chez les dix pays de l’Union non-membres de la zone euro ; comme si plus de solidarité d’un côté pouvait participer d’un relâchement des liens institutionnels de l’autre. Songeons simplement au Royaume-Uni, qui vient de procéder à un remaniement ministériel assez teinté d’euroscepticisme. Comment le reste du monde réagira-t-il à Albion s’éloignant résolument du « vieux continent » ?

Aux États-Unis, la séquence des initiatives n’est pas très différente de celle observée en Europe. Après les efforts répétés de la Réserve fédérale pour maintenir la croissance et les marchés « à flot », le relais doit être pris par les responsables politiques. Le Congressional Budget Office ne vient-il pas de dire que, si aucune initiative n’est prise, l’arrêt en fin d’année d’un certain nombre de programmes mis en place les années passées pour soutenir l’activité réduirait de cinq points de PIB le déficit fédéral entre 2012 et 2013 et, par la même, ferait retomber l’économie dans la récession ? Par ailleurs, les positions assez antagonistes, entre le président Obama et le candidat à la vice-présidence sur le ticket républicain, Paul Ryan, concernant le rôle de l’État et les moyens de réduire le déficit, devraient être l’occasion d’un débat approfondi pendant la campagne électorale, puis donc d’un plan d’actions résolu une fois les équipes en place à la Maison Blanche et au Congrès. Face à la double perspective d’une croissance économique faible pour encore un certain nombre d’années et d’un vieillissement démographique (même si celui-ci sera moins prononcé qu’en Europe), le pays ne devrait-il pas s’interroger sur son exceptionnalisme budgétaire, mêlant faibles prélèvements obligatoires, faible capacité redistributive et forte complexité du code des impôts ?

En Chine aussi, la question du relais des mesures en cours de soutien à l’activité se pose. Elle se perçoit déjà dans l’attention que portent les responsables de la politique économique à ne pas faire repartir les prix de l’immobilier à la hausse : une croissance plus forte, oui ; mais pas à n’importe quel prix ou, pour mieux dire, pas n’importe où. Si un objectif de croissance moyenne pour la Chine de 7% peut faire consensus, cela voudrait dire 6% pour les provinces côtières de l’Est du pays et au-delà de 8,5% ailleurs. Avec la consommation privée comme moteur principal pour les premières et un accent davantage mis sur l’accumulation de capital (donc l’investissement) pour les autres. À ce titre et face à une réalité diverse, miser sur une déclinaison décentralisée de la politique économique fait sens.

On le voir, dans le processus de retour tant à une meilleure visibilité qu’à des perspectives plus optimistes, le poids revenant à l’initiative politique est important, plus important que dans un environnement cyclique classique. Ce qui va nuire à la capacité d’anticipation : extrapoler la conjoncture politique est souvent plus compliquée que la conjoncture économique. En n’oubliant pas que les logiques politiques intérieures à chaque pays ou zone finissent par s’entrecroiser. Ainsi la faiblesse observée de l’Occident peut inciter tel autre acteur important du jeu mondial à « avancer ses pions » dans ce qu’il estime être sa zone d’influence.

NOTES

1 En référence à ce qui allait être retenue comme le slogan majeur de la campagne présidentielle de Bill Clinton en 2012 (It ‘s the economy, Stupid ; en français : c’est à cause de l’économie, imbécile !

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