Espagne : vers un changement radical de politique ?

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

Sans surprise, le candidat de Parti Populaire, Mariano Rajoy a remporté les élections générales (députés et sénateurs) qui se tenaient en Espagne le dimanche 20 novembre 2011. Après deux mandats (dont un interrompu avant terme) le Parti Socialiste abandonne les rênes de l’exécutif. Le nouveau gouvernement qui s’engage à poursuivre la politique d’austérité et à respecter les engagements de réduction du déficit budgétaire devra faire face à un autre défi majeur : la réduction du taux de chômage, c’est-à-dire la résolution du problème de la croissance. Néanmoins, le nouvel homme fort de l’Espagne est resté évasif tout au long de la campagne sur le détail des mesures qu’il comptait prendre.

Une victoire absolue et sans surprise du Parti Populaire

Après avoir annoncé au cours de l’été qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, José Luis Rodriguez Zapatero a finalement été contraint de démissionner avant terme de son deuxième mandat et de précipiter des élections générales (initialement prévues en mars 2012). Victime de l’usure du pouvoir, il paie également la perte de crédibilité politique suite au dur plan d’austérité annoncé en mai 2010, à l’opposé de son programme de 2008 et enfin de la lourde défaite du Parti Socialiste aux élections locales de mai 2011.

Mariano Rajoy, candidat du Parti Populaire, prend la tête de l’exécutif avec une confortable majorité dans les deux chambres. Il dispose ainsi de 1861 des sièges au Congrès des députés sur 350 et de 101 au Sénat sur 208. En outre, le Parti Populaire a également remporté une large victoire lors des élections locales de mai 2011 en prenant la tête des exécutifs de la majorité des Communautés Autonomes (11 sur 17) et de la moitié des communes.

Le nouveau gouvernement dispose ainsi d’une assise politique très large de nature à lui permettre d’appliquer son programme à tous les échelons du territoire.

#1- Les principales mesures économiques du programme

Le programme du Parti Populaire se décline en six grands axes : la croissance et l’emploi, l’éducation, le bien-être et la protection sociale, la réforme du secteur public, les institutions et enfin les relations extérieures. En matière de politiques économiques, les principales promesses portent sur :

  • l’engagement ferme à poursuivre la consolidation budgétaire selon le rythme établi dans le Programme de Stabilité 2011-2014. Soit une baisse du déficit public d’environ 6,2% du PIB attendu en 2011 à 4,4% en 2012, 3% en 2013 et 2,1% en 2014 ;
  • l’engagement de maintenir le pouvoir d’achat des pensions ; 
  • la remise à plat de toutes les dépenses publiques (hormis les dépenses d’éducation et de santé qui ne seront pas baissées) ;
  • la non augmentation des impôts, bien qu’une réforme fiscale soit prévue ;
  • la réforme du marché du travail avant l’été ;
  • la poursuite de la réforme du système bancaire et financier.

Les principales promesses fiscales :

  • préparation de la loi organique qui fixera les limites de déficit structurel et d’endettement de toutes les administrations publiques conformément à la réforme constitutionnelle (« règle d’or ») adoptée cet été ;
  • l’impôt sur le revenu des personnes physiques sera revu via la création d’avantage fiscaux pour inciter à l’épargne de long terme, y compris pour l’achat d’une résidence principale (cette exonération a été limitée depuis 2011) ;
  • généralisation du taux d’impôt sur les sociétés réduit (20%) pour les PME et les travailleurs indépendants et extension du champ d’application du taux d’imposition de 25% avec par ailleurs une simplification des déductions ;

Les mesures affectant plus particulièrement le marché du travail : – simplification et flexibilisation des contrats de travail :

  • réforme de la négociation collective pour donner la prééminence aux accords au niveau des entreprises en ce qui concerne les négociations salariales et les conditions de travail ; 
  • création d’une prime de 3000€ pour l’embauche du premier emploi dans les entreprises nouvellement créées (avec bonification partielle des cotisations patronales quand l’employeur est un travailleur indépendant) ; 
  • développement de la formation professionnelle comme principale politique active de l’emploi ;
  • possibilité pour les retraités de cumuler un salaire avec le paiement partiel de leur pension.

Marché immobilier :

  • remise à jour des déductions fiscales pour l’acquisition d’une résidence principale ;
  • maintien de l’application du taux de TVA réduit sur les transactions immobilières (cette mesure appliquée depuis quelques mois devait s’arrêter fin 2011) mais de manière temporaire (terme non précisé).

Il ressort de ce programme et des promesses de campagne la volonté du nouveau gouvernement de poursuivre les politiques d’austérité avec l’engagement ferme de respecter les engagements budgétaires pris auprès de Bruxelles et des partenaires européens. Par ailleurs l’accent sera mis sur la flexibilisation du marché du travail et sur la création d’emploi par la stimulation de l’entreprise individuel.

#2 – Que peut-on en attendre ?

Sur le plan budgétaire, la réduction du déficit public de 6,2% du PIB en 2011 (selon nos estimations) à 4,4% en 2012 suppose de faire une économie d’environ 19 mds €. Compte tenue de la volonté de respecter le Programme de stabilité, du caractère incompressible du paiement du service de la dette publique, cela sans augmentation de la pression fiscale, l’effort d’ajustement portera mécaniquement sur les dépenses. Or, avec la promesse de maintenir le pouvoir d’achat des retraites (ce qui suppose de dégager au moins 3 mds € supplémentaires en 2012) et de ne pas baisser les dépenses d’éducation et de santé, les économies devront affecter les autres postes. Autrement dit les réductions des dépenses devront porter sur les prestations sociales et l’indemnisation du chômage, les infrastructures et/ou les dépenses à caractère économiques. Or ceci semble être incohérent avec les ambitions affichées dans le programme électoral.

Du côté du marché du travail le programme met l’accent sur l’initiative privée et sur la création d’emploi par les petites entreprises et les travailleurs indépendants (prime à l’embauche du premier salarié, bonification des charges patronales, simplification de la législation, allégement de l’IS pour les PME) ainsi que sur la flexibilisation des relations salariales (réduction du nombre de contrat de travail, réformes des négociations salariales), réforme de la formation professionnelle.

Le problème de la rigidité des relations salariales est effectivement l’une des causes majeures de la dualité du marché du travail (coût du licenciement, forte proportion d’emploi CDD ou intérimaire, indexation des salaires) qui s’est traduite par le maintien d’un taux de chômage structurellement élevé (chômage « classique »), même pendant les périodes de croissance forte.

Néanmoins, elle ne suffit pas à expliquer entièrement la situation actuelle. Le marché du travail est également confronté à un problème de sous-emploi des facteurs (chômage « keynésien »). Aujourd’hui une part important des chômeurs est issue du secteur de la construction, c'est- à-dire des personnes ayant un niveau de qualification faible. Or, étant donné que ce secteur restera sinistré encore pendant plusieurs années l’enjeu de la baisse du chômage passera nécessairement par la capacité des politiques active de l’emploi à requalifier les chômeurs. Autrement dit, le problème à court terme est davantage un problème de débouchées (donc de demande de travail) que de rigidité du marché du travail. En ce sens, toutes les mesures qui iront dans le sens d’une amélioration de l’appariement entre l’offre et la demande de travail seront à terme favorables à la réduction du taux de chômage. C’est donc sur ce dernier point que la réforme du marché du travail devra concentrer ses efforts selon nous. En outre, cette requalification de la main d’œuvre sera de nature à favoriser le changement de modèle productif, d’une économie intensive en main d’œuvre à une économie tournée vers des produits à plus forte valeur ajoutée et mieux exportables.

NOTES

  1. Tous les résultast sont donnés à titre indicatif et provisioire.

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