Etats-Unis : vers plus de stimulus monétaire ?

par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis

Lors de la seconde estimation du PIB au T2 2010, la croissance a été revue à la baisse, passant de 2,4% à 1,6% T/T en ra. La contribution négative du commerce extérieur s’est avérée encore plus forte que précédemment estimée (-3,4 pts contre -2,8 pts en première estimation). Ce surprenant creusement de la balance commerciale s’explique en grande partie par la vigueur de la demande intérieure sur cette période, qui a progressé de 4,4% T/T en ra, l’élasticité des importations à la demande intérieure étant élevée.

Par ailleurs, le processus de restockage a également apporté une moindre contribution (+0,63 pt contre +1,05 pts en première estimation). Partant d’un point haut au T4 2009 (2,9 points de croissance), ce moteur cyclique de la croissance a progressivement perdu en intensité au cours de cette première partie d’année (2,5 pts et 0,6 au T1 et T2 respectivement) et devrait finalement disparaître dans les trimestres à venir. En revanche, la consommation a été révisée à la hausse (+2,0% contre +1,6% T/T en ra précédemment estimé) en lien avec une croissance plus importante de la consommation de biens non durables et de services. L’investissement en équipement a également été plus important que précédemment estimé (+24,9% contre 21,9% T/T en ra).

En marge de cette révision à la baisse de la croissance, l’actualité macroéconomique a été marquée par la publication successive de nouvelles décevantes : le marché de l’emploi progresse faiblement, l’immobilier résidentiel accuse un violent contrecoup après la fin du crédit d’impôt pour les primo accédants, les indicateurs avancés montrent des signes d’essoufflement et la confiance des consommateurs stagne bien en dessous de sa moyenne de long terme.

Une récession « révisée à la hausse »

Durant le mois de juillet a eu lieu la révision annuelle des comptes nationaux au sein du BEA pour les années 2007 à 2009 (Bureau of Economic Analysis). Au cours de ces trois années, la croissance réelle du PIB a significativement été revue à la baisse. En 2008, une baisse plus marquée de l’investissement (toute catégorie confondue) explique la moindre croissance. En revanche, en 2007 et 2009, la cause majeure de ce changement se trouve être la consommation, qui est apparue bien moins forte en dernière estimation (la contribution de cette composante passe de 1,8 pt à1,6pt en 2007 et surtout de-0,4pt à – 0,8 pt en 2009). Hormis une petite hausse fin 2007 et début 2008, le revenu des ménages n’a pas subi de révision majeure, ce qui de fait, implique un taux d’épargne beaucoup plus élevé sur la période, reflétant un changement de comportement des consommateurs encore plus prononcé que ce qui était précédemment observé.

Un long processus de désendettement

Cette prudence des ménages américains s’explique par plusieurs facteurs. Empiriquement, le taux d’épargne dépend : – positivement du revenu disponible, – négativement de la richesse financière et immobilière, – positivement des taux long réels, – positivement de l’inflation, – négativement de la dette publique. En regardant l’évolution des deux premiers facteurs, le niveau actuel du taux d’épargne apparait plus cohérent : après un taux de croissance annuel moyen(1) de 5,1% avant crise (sur la période 1995 2008), le revenu disponible ne progresse plus que de0,7% en 2009.

Deuxièmement, entre le T4 2006 (point haut) et le T1 2009 (point bas) la richesse immobilière des ménages s’est contractée de 31,6% et de même, entre le T2 2007 et le T1 2009, la richesse financière s’est contractée d’environ 50%. Certes à l’avenir, le niveau faible de l’inflation et des taux long réels pourraient jouer en sens inverse mais l’augmentation modérée de la richesse immobilière, le comportement de précaution lié au niveau élevé du chômage, un probable effet Ricardien2 et surtout la volonté toujours présente pour les ménages d’assainir leur bilan devrait permettre au taux d’épargne de se maintenir à un niveau relativement élevé.

Révision à la baisse du scénario

Partant de ce constat, l’endettement des ménages ne pourra servir de moteur à l’économie américaine comme cela a pu être le cas après l’éclatement de la bulle internet en 2001. Par ailleurs, aujourd’hui le revenu des ménages est largement soutenu par les revenus de transfert et les effets positifs du stimulus fiscal. Ces effets sont actuellement très importants mais devraient s’estomper progressivement au cours des prochains trimestres.

En effet, la contribution des baisses d’impôts et du soutien aux individus directement impactés diminue (l’extension des assurances chômages sont inclues dans cette deuxième composante) et celle de l’exonération de la taxe alternative minimum, extrêmement importante au T2, expire en fin d’année et pourrait ne pas être reconduite en 2011. Pour leur part, les salaires progressent faiblement, concomitamment à la reprise atone du marché du travail. Cette situation devrait perdurer dans les années à venir : les entreprises ayant peu de marges de manœuvre pour augmenter leur prix, n’ont plus que pour unique levier la compression des coûts salariaux pour accroître substantiellement leurs profits.

Historiquement, on observe, que la dette des ménages est corrélée à leur richesse (immobilière et financière), avec un retard de 5 à 6 trimestres (Cf. Flash No 431, « Richesse, endettement, investissement»). Etant donné l’importante baisse de la richesse immobilière et financière des agents jusqu’au début 2009, cela implique que nous nous situons actuellement en plein milieu d’un processus de désendettement des ménages qui devrait se poursuivre encore courant 2011-12.

Nous anticipons clairement un risque à la baisse sur les dépenses de consommation des ménages et ne prévoyons plus qu’une hausse de la consommation de l’ordre de 1,4% en 2010 et de 1,5% en 2011 avec en exergue une croissance du PIB de 2,5% et 1,7% respectivement.

Dans un contexte électoral pesant, les marges de manœuvre de l’administration Obama sont réduites. En vue des élections de mi-mandat, une large part de l’agenda politique des Démocrates est consacré à légitimer le plan de relance de 700 Mds $, mis en place au plus fort de la crise, largement critiqué par les opposants.

L’enjeu politique est de taille, la totalité des membres de la chambre des représentants sera renouvelée ainsi qu’un tiers des membres du Sénat. En outre, le vote de nouvelles mesures de soutien à l’économie est freiné par l’absence de majorité au Sénat. L’unique levier encore disponible pour stimuler l’économie semble donc se trouver entre les mains de la banque centrale. Ainsi, en ligne avec le ralentissement de la croissance, la Réserve Fédérale a entrepris la mise en place de nouvelles mesures de soutien non conventionnelles. Lors de sa dernière réunion de politique monétaire (FOMC du 10 août 2010) elle a décidé de maintenir la taille de son bilan au minimum à 2,05 trillions de dollars. Pour ce faire elle compte réinvestir les recettes des MBS arrivant à maturité ou refinancés en bons du Trésor à long terme.

Cette décision, a pour une grande part été motivée par les vagues de refinancement des crédits par les agents (une pratique rendue attractive par le niveau bas des taux d’emprunts hypothécaires à 30 ans) qui a entrainé un re- paiement anticipé des MBS détenu par la Fed, générant une hausse de l’offre de titre à long terme et créant une pression haussière sur les taux d’intérêts à long terme. Bien que l’amplitude de ce resserrement monétaire involontaire soit vraisemblablement de faible ampleur, les membres du comité ne souhaitaient prendre aucun risque dans un contexte où l’incertitude pesant sur la reprise est toujours importante. De surcroit, via le canal des effets d’annonce, ce vote permettait à la Fed d’assoir sa crédibilité en se montrant réactive à toute évolution défavorable du contexte économique.

Lors de la fameuse réunion annuelle de Jackson Hole (regroupant les spécialistes de la politique monétaire et les chercheurs académiques), B. Bernanke a évoqué les mesures supplémentaires que la Fed pourrait envisager au cas où la conjoncture se dégraderait plus fortement que ce qui est actuellement anticipé. Il envisage principalement 3 options :

  1. Achat supplémentaires de titres à long terme
  2. Changement dans le ton des communiqués des réunions de politique monétaire (par exemple le fameux « for an extended period of time» serait remplacé par une formulation visant à ancrer plus loin dans le temps les anticipations des agents sur la prochaine hausse des taux. 3- Réduire le taux d’intérêt qui rémunère les réserves excédentaires (actuellement à 0,25%).

En parallèle, avec un taux de chômage toujours élevé en 2011 et l’absence de pressions inflationnistes, le timing de première hausse des taux Fed Funds s’écarte et ne devrait plus avoir lieu au cours de l’année 2011.

Conclusion

Le ralentissement de la croissance est aujourd’hui manifeste, seul demeure les incertitudes sur son ampleur. Dans ce contexte, l’appareil politique n’apparait pas avoir la capacité de voter rapidement de nouvelles mesures de soutien, la Réserve Fédérale malgré sa politique déjà extrêmement accommodante a encore quelques cartes à jouer.

NOTES

  1. TCAM =(Valeur_finale/valeur_initianale −1)*100
  2. La forte augmentation des déficits publics durant la crise, lié d’une part aux importantes mesures de relance et d’autre part au creusement du déficit cyclique pourraient engendrer une hausse de l’épargne des ménages pour se prémunir d’une hausse future des impôts ou compenser les futures baisses de transferts.

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